La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 51

Chère lectrice, cher lecteur,

La clôture toute récente de la COP 28 à Dubaï a donné lieu à beaucoup de commentaires parfois contradictoires. La Gazette du Carbone vous propose de prendre un peu de recul sur ces négociations et les enjeux internationaux associés.

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

La COP 28, reflet opportun des dynamiques géopolitiques

Portée par

La fin de la COP 28 à Dubaï donne l’occasion de revenir sur les efforts mondiaux de décarbonation

Les COP, un rôle limité mais réel

Il convient certes de prendre les COP pour ce qu’elles sont, un lieu de consolidation des actions déjà en cours et des engagements déjà pris ou sur le point de l’être, un carrefour d’échange et de communication des différentes initiatives conduites à des échelons très différents. Les engagements du communiqué final n’ont pas de valeur juridique ferme mais sont associés à l’image des États parties prenants, Comme l’a souligné François Gemmene mercredi dernier sur France Inter : « Si les COP ne servaient à rien, l’Arabie saoudite ne dépenserait pas des fortunes pour envoyer 2 500 lobbyistes à Dubaï ». Les États parties prenants étant cependant diversement soucieux de leur image auprès des opinions publiques mondiales, ils considèrent le sérieux de leurs engagements de façon très diverse. Dans une lecture positive, cela signifie qu’une partie des États s’efforceront de tenir leurs engagements au moins partiellement

Même après avoir posé ce contexte, les mesures finales de la COP 28 peuvent paraître décevantes

  1. La réaffirmation d’une limite au réchauffement climatique mondiale à +1,5°C est sans doute nécessaire pour maintenir une mobilisation internationale, mais on ne peut s’empêcher de constater que l’objectif devient malheureusement de moins en moins réaliste.
  1. La mention introduite d’une « transition » hors des énergies fossiles, mais pas d’une « sortie » refusée par les pays producteurs pétroliers, est présentée comme historique, avec un appel à « s’éloigner des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste ». On a cependant un peu de mal à comprendre en quoi le choix, après des négociations très tendues, entre les « phase out » « phase down » ou « transitioning away », sans indication de rythme, a pu faire passer l’issue de la COP 28 de la perspective d’un échec retentissant à la certitude d’une grande victoire. En effet, la fin de l’exploitation des énergies fossiles plus ou moins rapide a toujours été une évidence indissociable d’une limitation du réchauffement climatique. De plus, l’OPEP s’est empressée, à peine le compromis signé, de communiquer sur une croissance « saine » de la demande de pétrole l’année prochaine, pour atteindre 2,2 millions de barils par jour. Plus vraisemblablement, cet accord difficile à réaliser en période de conflits internationaux a-t-il permis d’éviter un net recul par rapport aux communiqués des précédentes COP.
  1. L’appel à une « accélération des efforts visant à réduire progressivement l’utilisation » du charbon était déjà présent de façon assez équivalente dans de précédents accords, dont la COP26 de Glasgow. Cet engagement peine à masquer la mauvaise volonté de l’Inde et même de la Chine à cet égard.
  1. L’engagement à « tripler la capacité d’énergie renouvelable à l’échelle mondiale et à doubler le taux annuel moyen mondial d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici 2030 », signé au début de la COP28 par 118 pays – mais pas la Chine et la Russie – est sensiblement plus encourageant. En septembre, le G20 – responsable d’environ 80 % des émissions mondiales – avait enclenché le mouvement en approuvant l’objectif de tripler la capacité des énergies renouvelables d’ici la fin de la décennie. La mention spécifique faite au nucléaire dans ce cadre est positive : 20 pays – dont les États-Unis et la France – s’engagent à favoriser le triplement de l’énergie nucléaire d’ici à 2050. La référence à la demande de l’OPEP au captage et au stockage du carbone est beaucoup plus ambiguë eu égard aux fortes incertitudes sur l’efficacité et la faisabilité d’un passage à l’échelle de ces technologies.
  1. La création d’un fonds pour aider les pays en développement à faire face au changement climatique est judicieuse dans le principe, mais sa dotation de 800 millions de dollars demeure très en retrait des besoins, déjà évoqués à la COP 21 de Paris, Lors de la COP26 de Glasgow, il y a deux ans, les pays du Nord s’étaient engagés à doubler leurs soutiens financiers dans ce domaine, de 20 à 40 milliards de dollars par an en 2025, ce qui n’a pas été atteint. La tendance est plutôt à la baisse (-15 %) alors que le dernier rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) sur le sujet estime les besoins compris entre 203 et 365 milliards par an d’ici à 2030.

À l’inverse, des sujets cruciaux où des avancées sont attendues depuis longtemps ne paraissent pas abordés dans le communiqué final :

  1. Au-delà des aspects financiers évoqués ci-dessus, la question de l’adaptation au réchauffement climatique n’a guère progressé : renforcement, des infrastructures de transport ou de protection pour résister à des températures ou des intempéries plus élevées, préparation des systèmes de santé voire de déplacement des populations. Cette COP28 était censée préciser le « Global Goal on Adaptation » (GGA), avec des indicateurs permettant de mesurer les progrès. Le texte adopté, vague et conceptuel, est loin du compte : il indique qu’il faut renforcer la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau, les écosystèmes ou encore le secteur de la santé, sans objectif concret. Force est de constater qu’il « est plus compliqué d’avoir dans ce domaine un objectif aussi emblématique que le 1,5 °C pour l’atténuation », commente Lola Vallejo, directrice du programme climat de l’Iddri.
  1. Aucune mention n’a été faite aux mécanismes de valorisation du carbone ni à la réglementation plus fine des marchés carbone pourtant nécessaire.
  1. Le sujet du méthane ne paraît pas avoir été abordé, que ce soient les émissions liées aux bovidés ou celles liées aux fuites résultant de la production d’hydrocarbures, extrêmement dommageables et pourtant éliminables en prenant les précautions requises. Le coût, peu élevé, pourrait davantage être accepté par les entreprises mondiales avec une réglementation ad hoc. Sur le siècle à venir, critique dans la lutte contre le réchauffement climatique, le méthane a un pouvoir de réchauffement 30 fois supérieur au CO2.

Des résultats à remettre toutefois dans une perspective de plus long terme

Certes, à court terme, la COP 28 s’est par exemple accompagnée d’une baisse du prix de la tonne de CO2 en Union Européenne où l’Emissions Trading Scheme a par exemple chuté de 78 €/tonne à la mi-novembre à 68 €/tonne à la fin de la COP 28.

Certes le prince Abdelaziz Ben Salmane, ministre de l’énergie de l’Arabie saoudite, premier exportateur de brut dans le monde a annoncé que « cet accord n’aura aucun impact sur les exportations, il ne s’agit pas d’un accord sur l’élimination immédiate ou progressive des énergies fossiles, mais d’un processus de transition ».

Pour autant, il est plus encourageant de lire l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et certaines compagnies pétrolières, comme TotalEnergies, qui estiment que la demande de pétrole va plafonner dans la décennie actuelle1 ». La tendance lourde est que : « les investissements dans les technologies bas carbone ont très largement dépassé les investissements dans les hydrocarbures, les courbes se sont croisées dès 2017-2018 ».

Selon l’AIE, 1 700 milliards de dollars doivent être investis en 2023 dans les énergies renouvelables, contre un peu plus de 1 000 milliards de dollars dans le gaz, le charbon et le pétrole. L’AIE prédit encore une année record pour les énergies renouvelables, avec potentiellement 440 gigawatts de nouvelles capacités installées en 2023. Selon le think thank britannique Ember, l’addition des objectifs de l’UE et ceux d’une soixantaine d’autres pays, conduit à une trajectoire de doublement. C’est à saluer, mais le communiqué de la COP 28 vise quant à lui le triplement des capacités renouvelables installées dans le monde d’ici 2030.

La tenue de la COP doit surtout constituer l’occasion de s’interroger sur le rapport de forces et les dynamiques en cours à l’échelle

Malgré toutes ses limites, la COP demeure l’une des rares institutions qui abordent le sujet du réchauffement climatique à l’échelle adaptée, celle de la planète.

Or, à l’échelle mondiale, comme le calcule l’économiste Christian Saint-Étienne dans Les Échos de ce 15 décembre, « en 2030, il est raisonnable d’anticiper que les émissions de CO2 du bloc États-Unis, Europe et Japon atteindront 22,5% du total mondial, dont 8,5% pour l’Europe élargie, 0,5% pour la seule France (de 0,8% en 2021 à 0,5% en 2030 à comparer à une part de 3 % du PIB mondial en 2030) et 1,5 % pour l’Allemagne. L’Union européenne est désormais en pointe dans la lutte contre les émissions de carbone, et l’UE et les États-Unis le sont dans les innovations de rupture sur les technologies nécessaires à la transition climatique ».

À l’inverse, « en 2030, le bloc Asie – hors Japon – et Russie devrait émettre 59% des émissions mondiales de CO2 – dont 33% pour la Chine et 11% pour l’Inde. Soit 2,6 fois le bloc des développés et 118 fois la France ».

Ce sont bien ces pays qui ont résisté à Dubaï, dans une certaine mesure la Chine, davantage l’Inde, la Russie, l’Arabie saoudite et les pays arabes, mais aussi certains pays africains pourvus de vastes réserves d’hydrocarbures. Or ce sont ces nations proches des tropiques (à l’exception de la Russie) qui commencent déjà à être frappées plus durement que d’autres par les conséquences du réchauffement climatique, et le seront davantage dans les prochaines décennies selon les scénarios géographiques du GIEC. Sans doute, plus qu’une opposition nord-sud, faut-il y voir une moindre prise en compte du moyen-long terme ainsi que des conséquences pour les populations de la part de régimes politiques locaux souvent peu démocratiques.

Certes, il est important que la France, l’Europe et les puissances occidentales continuent d’intensifier leurs efforts de décarbonation, qui demeurent sensiblement en deçà de leurs engagements pris dans le cadre de la COP 21. Il est en effet souhaitable d’être exemplaire avant de prétendre avoir une influence internationale plus large. Il est de même sans doute naturel que ces nations technologiquement plus avancées et économiquement plus riches investissent davantage dans des énergies décarbonées et s’attachent à davantage de sobriété pour faire bénéficier de leurs progrès le reste de la planète. On peut même penser qu’il est de l’intérêt propre de l’intérêt de l’industrie occidentale de se décarboner même si celle d’autres pays demeure sensiblement moins vertueuse car, tôt ou tard, le caractère malheureusement inéluctable du réchauffement climatique contraindra toutes les activités humaines à prendre en compte l’évidente nécessité de la décarbonation : les activités déjà décarbonées auront acquis un avantage compétitif important.

Pour autant, eu égard aux enjeux et ordres de grandeur, il serait regrettable de s’interdire de réfléchir aux moyens de favoriser la mise en œuvre de politiques de décarbonation dans les autres pays les plus émetteurs, malgré la remise en cause plus générale du leadership du bloc occidental face à un « Sud global », au demeurant fort divisé. Quelques pistes viennent à l’esprit :

  • Le marché européen de l’Espace Économique Européen de plus de 500 millions d’habitants plutôt aisés, voire le marché des USA-Canada, sont attractifs pour les exportateurs de la planète. Ces derniers peuvent dès lors être incités à la décarbonation dans leurs modes de production s’ils veulent exporter sur nos marchés. Les mécanismes de prix du carbone et de taxe carbone aux frontières2 doivent être sans doute beaucoup plus utilisés dans cette perspective, ce qui suppose de nombreux développements et collectes de données afin de permettre de tracer l’intensité carbone de nos importations.
  • Simultanément, une réflexion est à conduire sur la relocalisation nationale ou européenne de certaines productions effectuées aujourd’hui dans des pays peu soucieux de décarbonation, en complément de critères de résilience, de réindustrialisation, de souveraineté, à conduire à l’échelle des filières d’approvisionnement, ou à l’inverse d’accompagnement des politiques européennes pour le climat3 .
  • Il convient d’identifier des médiateurs dans ce « Sud global » qui peuvent contribuer à convaincre efficacement les Etats les plus émetteurs. A titre d’exemple, le rôle du président de la COP 28, le Sultan al Jaber, patron de la société pétrolière émiratie Adnoc mais grand investisseur en énergie renouvelable, initialement assez critiqué, a en définitive été salué comme ayant favorisé un consensus avec les pays plus réfractaires liés à l’OPEP.
  • Plus généralement, c’est sans doute l’opinion publique de ces États émetteurs qu’il faudrait convaincre de leur intérêt de long terme à décarboner leur économie, ce qui n’est certes pas aisé dans le contexte peu démocratique de ces régimes.

1 Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie et climat de l’Ifri.

2 Cf. supplément de mars sur la MACF

3 Cf. le supplément Europe de février sur le fond social pour le climat

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