La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
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Supplément consacré à l'actualité de l'Union EuropéenneUne fois par mois, la Gazette voyage à Bruxelles pour y apporter l'expertise du Shift Project et intégrer cette dernière au débat parlementaire européen. février 2023Dans ce second numéro du supplément Europe, nous prenons le temps de revenir sur deux propositions législatives importantes du paquet « Ajustement à l’objectif 55 » (ou « Fit for 55 ») :
Pourquoi sur deux propositions spécifiquement ? Parce qu’en décembre 2022, le Conseil et Parlement européen ont finalement trouvé un accord politique provisoire sur celles-ci ! C’est une première victoire mais il faut encore attendre l’approbation formelle puis l’adoption par le Parlement et le Conseil de l’Europe des actes législatifs. Le chemin est long, et le temps nous est compté. Bonne lecture ! |
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Réforme du système d’échange de quotas d'émission (SEQE)
Établi en 2003 dans le cadre de la directive 2003/87/CE, suite aux accords de Kyoto et lancé en 2005, le système communautaire d’échange de quotas d’émission (SEQE ou SCEQE ou en anglais European Union Emissions Trading System soit EU-ETS) constitue l’un des fondements de la politique de l’Union européenne pour faire face au changement climatique. Ce mécanisme de droits (ou crédits) d’émissions de CO2 est un instrument économique fondé sur les principes de marché, qui vise à plafonner les émissions globales. Le nombre total des droits étant limité, les crédits carbone ont une valeur et peuvent être échangés entre acteurs économiques en fonction de leurs émissions. Un quota est équivalent à l’émission d’une tonne de CO2. Les entreprises sont tenues chaque année de restituer autant de quotas qu’elles ont émises de CO2, parmi ceux qui leur ont été alloués en début d’année. Le prix de la tonne fluctue logiquement en fonction de l’offre de ceux qui ont moins émis que leurs quotas et de la demande de ceux qui ont trop émis et ont besoin d’en racheter. La formulation anglaise (“cap and trade” soit “plafonnement et échange”) synthétise bien la logique du SEQE. Les variations de prix ont été importantes au cours des 5 dernières années (5 à 60 euros la tonne)1. En mai 2021, la Commission estimait le nombre de quotas en circulation à 1,45 milliard2. Le SEQE couvre actuellement environ 40 % des émissions totales de l’UE et plus de 10 000 installations, a priori les plus émettrices. Il concerne le secteur de l’électricité, de l’industrie à forte intensité énergétique et du transport aérien intra-UE. La mise en place du SEQEL’instauration d’un marché carbone résulte d’arguments économiques. On considère que l’échange de crédits CO2 permet des ajustements collectifs. Il est moins strict qu’une limitation réglementaire ou qu’une taxe carbone individuelles, qui seraient certes d’application plus simple et plus directe, mais qui ne pourraient prendre en compte la situation de l’ensemble des acteurs. Avec le SEQE, les entreprises les plus vertueuses sont récompensées et les plus polluantes sont tenues de payer pour leurs émissions dans une logique du pollueur-payeur. En prévision d’un coût toujours plus élevé du carbone lié à la baisse progressive du nombre de quotas émis, les entreprises sont ainsi incitées à innover et à investir dans des technologies vertes plus rapidement qu’avec d’autres instruments, tout en assurant des revenus pour l’UE grâce aux enchères. En effet, si les crédits carbone étaient initialement alloués gratuitement, l’UE a progressivement renchéri ces derniers et renforcé les contraintes du système, lors de 4 grandes phases ainsi planifiées : 2005-2007 : Le périmètre est limité aux générateurs d’énergie et aux industries intensives en énergie ; la plupart des quotas sont distribués gratuitement ;. La réforme du SEQEPrésentée en juillet 2021 par la Commission dans le cadre du paquet « Fit for 55 »3 et adoptée le 18 décembre 2022, la révision du SEQE ambitionne de réduire les émissions dans les secteurs couverts par le SEQE de -61% (contre -43% initialement) d’ici 2030 (par rapport à 2005). La réduction annuelle des quotas s’accroît de -2,2% initialement prévus précédemment par le SEQE4 à environ -4,2%. La réduction des quotas gratuits, lente initialement, s’accélère à partir de 2030 jusqu’à leur suppression totale en 20345. Parallèlement, le système sera étendu pour couvrir davantage de secteurs de l’économie, par exemple le transport maritime, le transport routier et les bâtiments commerciaux et résidentiels d’ici 2027, avec des quotas distincts, et sans doute l’incinération de déchets municipaux à compter de 2028 ou 2030. Ce qu’en pensent les ShiftersLa réforme du SEQE était particulièrement attendue pour pallier les insuffisances du mécanisme, illustrées par exemple dans un rapport de l’Institut Jacques Delors6 : les émissions du secteur de l’électricité, couvertes par le mécanisme, auraient baissé de 27,7 % entre 2013 et 2019, tandis que celles de l’industrie n’auraient reculé que de 2,1 , en fort retrait par rapport à l’objectif sectoriel de -5 par an préconisé par le Plan de Transformation de l’Économie Française7. En effet, le SEQE a longtemps souffert d’un surplus de crédits en circulation8 suite à une allocation trop importante de quotas par l’UE. Après une stagnation en dessous de 10 €/t entre 2012 et 2017, les crédits de carbone n’ont repris de la valeur qu’en 2018-2021 grâce aux réformes engagées. Cette dernière réforme peut donc paraître tardive au regard des objectifs environnementaux 2030. Selon de nombreux économistes, les prix à la tonne, plus élevés depuis janvier 2022, entre 60€ et 100€/t, sont encore loin de refléter le coût réel de l’externalité liée aux émissions, a minima de 100 euros/t en 20309 . De plus, les quotas ont trop longtemps été accordés de façon gratuite, la suppression totale de cette gratuité n’étant pas prévue avant 2034. Enfin, les rapports du Shift Project déplorent que l’agriculture et de la pêche10 , représentant pourtant un facteur important d’émissions notamment de méthane, ainsi que le secteur aérien hors UE soient toujours exclus du périmètre SEQE. 3 Celui-ci visait à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre (ci-après « GES ») d’au moins 55 % d’ici 2030 par rapport à 1990 et à atteindre la neutralité climatique en 2050, conformément à la loi européenne sur le climat. Cf précédent supplément européen de la Gazette. 5 news.pwc.be/one-step-closer-to-finalising-the-cbam-and-the-eu-ets-revision/. 6 institutdelors.eu/wp-content/uploads/2022/02/PB_220203_No-more-free-lunch_Pellerin-Carlin.pdf 7 theshiftproject.org/wp-content/uploads/2022/01/PTEF-Decarboner-lindustrie-SYNTHESE.pdf 8 carbonmarketwatch.org/fr/notre-travail/la-tarification-du-carbone/le-marche-du-carbone-de-lue/ 9 hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03473891/document. |
Création d’un Fonds social pour le climat
Le Parlement et le Conseil de l’Europe sont parvenus à un compromis en décembre dernier sur un texte proposé par la Commission Européenne en juillet 20211 visant à établir un Fonds Social pour le Climat (FSC). Ce fonds doit financer une partie des plans sociaux liés aux politiques pour le climat des États Membres sur la période 2026-2032. Les plans apportent une aide aux ménages et micro-entreprises les plus vulnérables, face à l’augmentation des prix indirectement causée par le système d’échange de quotas carbone. Ces aides pourront concerner la rénovation énergétique des bâtiments, le renouvellement des systèmes de chauffage, l’accès à des véhicules propres, l’accès aux transports en commun ou encore les subventions de court terme aux ménages face à la hausse des prix des carburants. Les trilogues2 concernant ce règlement touchent à leur fin ; une validation définitive par le Parlement et le Conseil devrait intervenir dans les prochaines semaines3. Prendre en compte la fin du mois dans la lutte contre la fin du mondeCe règlement, notamment motivé par la crainte de mouvements type gilets jaunes de 2018 en France4 , cherche de façon louable à atténuer l’impact des augmentations de prix de l’énergie sur les ménages les plus modestes, notamment suite à la révision du système d’échange de quotas carbone. Parmi les mesures à fort impact climatique tout en permettant un accompagnement social, on trouve par exemple :
Ce Règlement devrait donc contribuer à l’objectif d’une transition climatique socialement juste, condition indispensable à la réalisation d’une transition énergétique, comme les mesures liées à l’augmentation des prix de l’énergie en 2022 peuvent l’illustrer. Des engagements louables mais à suivre de prèsTrois aspects du dispositif posent question: le calendrier, l’affectation des fonds et le montant du budget alloué. Tout d’abord, le Fonds entre en application en 2026, alors que la révision du système d’échange de quotas carbone est prévue pour 2027 ou 2028 avec ses conséquences inflationnistes. Cette faible anticipation ne laisse guère le temps aux ménages concernés de mettre en œuvre les investissements envisagés dans la rénovation de leur logement ou dans l’achat d’un nouveau véhicule pour atténuer l’effet des augmentations de prix. Dans ce contexte, une attention particulière devra être portée à ce que le Fonds ne favorise pas des mesures de compensation à court terme, plutôt que des investissements efficients sur le long terme. Pour rappel, le Plan de Transformation de l’Économie Française du Shift Project préconise une diminution de la consommation énergétique des bâtiments à l’horizon 2050, mais également une diminution de la consommation de matières premières pour le secteur du bâtiment de 85%7 . Ces changements ne peuvent être mis en œuvre que sur le long terme et ne sont pas toujours facilement conciliables avec la rapidité souhaitable pour la décarbonation. Un soin attentif à une planification détaillée en la matière comme tentent de l’illustrer les rapports du Shift Project est probablement la meilleure réponse à des injonctions qui pourraient paraître contradictoires. Enfin, le montant de 65 milliards d’euros8 aujourd’hui prévu pour le FSC (suite à une baisse d’environ 7 milliards lors des trilogues), risque d’être faible pour compenser efficacement la hausse des dépenses pour les ménages à l’échelle européenne, sur la période 2026-2032. Rapporté à la France qui en est le deuxième plus gros bénéficiaire, le budget s’élève à environ 1,5 milliards d’euros par an, et ce après ajout d’un financement national de 25% supplémentaire. Par comparaison, l’Agence Nationale de l’Habitat (l’ANAH) avait mobilisé 1,42 milliards d’euros d’aide pour l’amélioration du logement en 20209 , notamment à travers le dispositif Ma Prime Rénov’, conduisant à l’équivalent de 3,2 milliards d’euros de travaux en comptant la participation des ménages. De plus, il est possible pour les États membres de prendre en compte dans cet objectif financier des mesures budgétaires préexistantes, ramenant dans cette hypothèse tout ou partie du FSC national à un effet d’annonce cosmétique. Ainsi, si ce Fonds Social pour le Climat témoigne d’une démarche louable de la Commission Européenne, il est à craindre qu’il ne suffise pas à atteindre pleinement les objectifs recherchés, même si l’augmentation des prix liés à la mise en place du système d’échange des quotas carbone est difficilement prévisible. La crise des prix de l’énergie actuelle montre à quel point ces derniers affectent en particulier la vie des plus vulnérables et soulignent l’importance de la planification détaillée, sur le long terme d’une transition écologique et sociale. Comme souligné dans le Plan de transformation de l’économie française (PTEF), des transformations profondes, qui mettront du temps à se matérialiser, devront être déployées dans tous les secteurs. C’est pourquoi il est nécessaire de programmer et d’initier des actions structurantes de long terme, réfléchies en détail avec les parties prenantes, tout en prévoyant des mesures d’accompagnement et des compensations à court terme pour les ménages les plus modestes et les entreprises le justifiant. 1 eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52021PC0568&from=EN. 2 Réunions employées pour établir un accord entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne. 3 www.europarl.europa.eu/legislative-train/theme-a-european-green-deal/file-social-climate-fund. 4 eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52021AE4774. 5 prévus par la Loi Européenne pour le Climat dont la réduction de 55% des émissions nettes de CO2 d’ici à 2030 – climate.ec.europa.eu/eu-action/european-green-deal/european-climate-law_fr. 8 Ce montant correspond au financement par le SEQE et atteint un total de 86,7 milliards d’euros en y ajoutant la participation des États Membres. 9 www.anah.fr/actualites/detail/actualite/decouvrez-en-ligne-notre-rapport-dactivite-2020/. |
Actualités UE - Février 2023
Cette rubrique se propose d’évoquer rapidement les textes législatifs en cours de revue, sur lesquels la Gazette aura très probablement l’occasion de revenir. Après l’effervescence du dernier trimestre 2022, l’heure est à la préparation des calendriers et des agendas en ce début d’année 2023. La Suède assurera la présidence du Conseil de l’UE pour les six prochains mois. Parmi ses priorités, on retiendra les transitions écologique et énergétique, ainsi que la sécurité et la compétitivité. Le projet de « Pacte vert industriel »1, qui a été dévoilé le 1ᵉʳ février, est une réponse pour préserver la compétitivité européenne en réaction à l’Inflation Reduction Act (IRA) américain. Il amorce la définition d’une politique industrielle, dont les axes devront être entérinés avant d’être déclinés en propositions législatives concrètes. Les secteurs des énergies renouvelables (ENR) et de l’hydrogène seront à l’honneur, ainsi que les produits clés pour la transition climatique (batteries, capture et stockage de carbone, etc.). À noter aussi, l’entrée en vigueur le 9 janvier 2023, du Programme d’action pour la décennie numérique à l’horizon 20302, par lequel pour la première fois, le Parlement européen, les États membres et la Commission ont fixé conjointement des objectifs et cibles concrets dans les quatre domaines clés : compétences numériques, infrastructures numériques y compris la connectivité, transition numérique des entreprises et services publics en ligne. Le premier cycle de coopération et de suivi pour la réalisation des objectifs et cibles a été lancé dans la foulée et nous aurons certainement l’occasion d’en parler dans un prochain numéro du supplément Europe de la gazette. Selon le calendrier du 17 janvier de la Commission européenne, un paquet législatif est à l’ordre du jour du 22 mars rassemblant deux textes, l’un sur les allégations écologiques (« green claims ») qui était déjà attendu en 20213, et l’autre pour le droit à la réparation, attendu en 2022. 1 European Commission. A Green Deal Industrial Plan for the Net-Zero Age – commission.europa.eu/system/files/2023-02/COM_2023_62_2_EN_ACT_A%20Green%20Deal%20Industrial%20Plan%20for%20the%20Net-Zero%20Age.pdf 2 Décennie numérique de l’Europe: objectifs numériques pour 2030 – digital-strategy.ec.europa.eu/fr/library/digital-decade-policy-programme-2030 3 ec.europa.eu/environment/eussd/smgp/initiative_on_green_claims.htm |
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