La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 18

Sommaire

Questions émissions

Réflexions décarbonées

Questions émissions

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La difficile mise en œuvre de la zéro artificialisation nette des sols (ZAN)

Portée par M. Edouard Courtial (Oise - Les Républicains)

Le sénateur Edouard Courtial appelle l’attention de M. le Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sur la difficile mise en œuvre de l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), en particulier dans les territoires ruraux.1

Le Sénat a adopté le 16 mars 2023 une proposition de loi issue d’une mission trans-partisane et « visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de ZAN au cœur des territoires2 » . La proposition prévoit que les projets d’ampleur nationale fassent l’objet d’une comptabilisation séparée et ne pèsent ainsi pas sur les enveloppes des collectivités. Elle garantit à chaque commune une surface minimale de développement d’un hectare. Elle exclut les bâtiments agricoles des surfaces artificialisées.

Les députés de la majorité présidentielle ont eux aussi déposé une proposition de loi intégrant des dispositions proches de celles mises en avant par le Sénat. Elle vise « à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols »3.

L’Association des Maires de France et des Présidents d’Intercommunalité a, elle, fait 20 propositions « pour surmonter les difficultés d’application du ZAN ».

La Gazette avait déjà cherché à éclaircir le débat du ZAN dans un précédent numéro4. Les initiatives parlementaires récentes illustrent les interrogations face aux exigences de cette disposition, pourtant indispensable à long terme.

Zéro Artificialisation Nette en 2050

La loi « Climat et Résilience » du 22 août 20215 pose l’obligation de parvenir à zéro artificialisation nette (ZAN) en 2050. Pour y parvenir, un objectif intermédiaire de réduction de moitié du rythme de la consommation d’espaces dans les dix prochaines années (2021-2031) a également été fixé.

La loi définit l’artificialisation « comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage6 ». L’artificialisation consiste à aménager des espaces naturels, agricoles ou forestiers (NAF) pour l’habitat, les commerces, les activités industrielles, les infrastructures, … De manière à ne pas empêcher tout projet d’aménagement à partir de 2050, le ZAN se définit par le solde nul de l’artificialisation et de la renaturation. C’est-à-dire que les surfaces nouvellement artificialisées devront être compensées par la renaturation de sols anciennement artificialisés.

Jusqu’en 2012, environ 30 000 hectares d’espaces NAF étaient consommés chaque année en France. Ce rythme a diminué pour s’établir autour de 20 000 hectares depuis 20157. Entre 2009 et 2019, 276 377 hectares ont été consommés, soit l’équivalent du département du Rhône.

Malgré la baisse de l’artificialisation, la Convention Citoyenne pour le Climat a formulé la proposition de parvenir au ZAN car la consommation d’espaces pose de nombreux problèmes : diminution des capacités d’absorption du CO2 par les sols, perte de biodiversité, amplification du risque d’inondation, réduction des surfaces agricoles, étalement urbain entraînant des déplacements toujours plus importants, délaissement des centres-villes…

Complexité de mise en œuvre

Dans sa question écrite, puis en séance publique, le sénateur Courtial déplore le manque de moyens techniques et financiers dont disposent les collectivités territoriales pour atteindre le ZAN, ainsi que la rigidité du cadre imposé par le Gouvernement en opposition « au bon sens des élus de terrain ».

Cette interpellation fait écho à de nombreuses critiques remontées par les élus locaux et traduites dans deux propositions de loi récentes.

Les propositions de l’Association des Maires8 méritent attention car elles traitent de points techniques importants et soulignent la nécessité de préciser la méthode d’observation et de mesure de l’artificialisation, de mieux répartir les rôles devant les enjeux, de planifier et d’améliorer la concertation locale, de planifier et, de façon générale, de mieux l’articuler avec les autres objectifs de politique publique, de mettre en cohérence les avis parfois contradictoires des services de l’État relatifs aux projets de territoire…

Force est de constater que si l’objectif est clair (zéro artificialisation nette en 2050), les moyens d’y parvenir et la cohérence d’action des acteurs le sont moins.

Ce qu’en pensent les Shifters

Les Shifters partagent l’objectif de stopper l’artificialisation des sols et formulent plusieurs propositions, comme celle de « retirer le permis de construire au maire au profit de l’intercommunalité », afin de réduire la pression risquant de s’exercer sur les élus de proximité et de conserver une vision d’ensemble du développement urbain d’un territoire. Les Shifters proposent aussi de « limiter les résidences secondaires dans les territoires touristiques » car celles-ci contribuent à la hausse des prix de l’immobilier et imposent de nouvelles constructions pour loger les habitants permanents. Un statut de « résident » réservant l’achat de logement aux personnes vivant toute l’année dans la commune permettrait de limiter les effets négatifs des résidences secondaires.

Réduire, puis arrêter l’artificialisation des sols constitue un défi de taille et ne manque pas de poser des questions relayées par les élus locaux et nationaux. Mais plutôt que de se concentrer uniquement sur les difficultés induites par le principe de ZAN, les Shifters estiment que cela invite à reconsidérer le paradigme de l’aménagement du territoire consommateur d’espace en mettant en œuvre de nouvelles approches de sobriété foncière. La densification du tissu pavillonnaire (bimby pour « build in my backyard » : construire dans mon jardin), la création d’espaces multi-usages, la construction de bâtiments évolutifs ou démontables, la mutualisation d’espaces de stationnement, la réhabilitation de friches, sont autant d’exemples concourant une moindre artificialisation des sols.

Si les difficultés d’application de la loi Climat et Résilience sont réelles, elles doivent d’autant plus inciter les élus et les techniciens à réfléchir ensemble pour refonder leur manière de concevoir l’aménagement du territoire et mettre un terme à la consommation d’espaces naturels et agricoles.

1 www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ22070102S.html

2 www.vie-publique.fr/loi/288650-proposition-de-loi-zero-artificialisation-nette-au-coeur-des-territoires

3 www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0854_proposition-loi

4 gazetteducarbone.org/2022/12/06/la-gazette-du-carbone-semaine-49-6-decembre-2022

5 Loi 22 août 2021 Climat et résilience convention citoyenne climat | vie-publique.fr

6 Article 192 de la Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

7 Portail de l’artificialisation des sols

8 www.amf.asso.fr/documents-lamf-fait-20-propositions-pour-surmonter-les-difficultes-dapplication-du-zero-artificialisation-nette-/41516

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Réflexions décarbonées

Empreinte du secteur numérique et politiques publiques

Communiqué de presse ADEME presse

Le 6 mars dernier, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie, l’ADEME, et l’Autorité de Régulation des Communications, l’ARCEP, ont publié le dernier volet de leur étude sur l’impact environnemental du numérique en France. Le premier volet réalisait un état des lieux et étudiait les pistes d’actions, alors que le second évaluait l’impact environnemental du numérique en 20301. Ce troisième volet établit une analyse prospective de l’impact du numérique à deux échéances : 2030 et 2050. Cet impact environnemental est considéré selon différents critères – empreinte carbone, consommation de ressources abiotiques et consommation électrique en phase d’usage – et selon un cycle de vie complet des équipements – terminal, réseau et datacenter. L’impact des logiciels, néanmoins, est exclu du périmètre de l’étude.

Pour rappel, le secteur numérique représentait en 2020 2,5% de l’empreinte carbone de la France, avec pour principale contribution le cycle de vie des terminaux (79% contre 16% pour les datacenters et 4% les réseaux)2.

Des scénarios numériques 2030 à la carte

Le troisième volet de l’étude évalue l’évolution de l’impact du numérique selon plusieurs scénarios à horizon 2030 définis en fonction de différentes mesures :

  • allongement de la durée de vie des équipements de 1 ou 2 ans grâce à l’éco-conception, la réparation ou un usage plus sobre du numérique ;
  • limitation du nombre d’équipements grâce à un usage plus sobre du numérique ;
  • utilisation de produits reconditionnés ou mutualisation des équipements ;
  • substitution progressive des équipements les plus gourmands en ressources, notamment par la baisse du parc des téléviseurs au profit des vidéoprojecteurs.

En synthèse, quatre scénarios sont étudiés :

  • un scénario tendanciel (+45% d’empreinte carbone en 2030) dans lequel aucune action spécifique n’est prise : les usages et le nombre d’équipement augmentent tandis que l’efficacité énergétique poursuit son amélioration ;
  • deux scénarios d’éco-conception (respectivement +20% et +5% d’empreinte carbone en 2030) avec un allongement de la durée de vie des équipements d’un an ou deux, ou une réduction accrue de la consommation électrique des équipements;
  • un scénario de sobriété (-16% d’empreinte carbone en 2030) avec des mesures supplémentaires comme le remplacement progressif des téléviseurs par des vidéoprojecteurs, et le renoncement à l’augmentation pause du nombre d’antennes réseau ou du nombre d’équipements par personne. S’y ajoutent certains leviers d’ordres techniques et sociétaux, assez exigeants en termes d’investissements et d’acceptabilité sociale.

Pour autant, les trois derniers scénarios n’indiquent pas comment les utilisateurs seront accompagnés pour accepter de s’en tenir au même nombre de terminaux qu’en 2020, alors que la tendance actuelle indique qu’ils devraient augmenter de 65%.

Les quatre scénarios à horizon 2050 reposent sur ceux de l’ADEME “Transition(s) 2050”3.

Ils envisagent l’adaptation du numérique pour atteindre dans tous les cas la neutralité carbone sur l’ensemble de l’économie française en 2050. Certains scénarios numériques occasionnent un report d’impact, compensant une consommation de ressources matérielles plus élevée par une réduction des émissions de gaz à effet de serre.

  • Le scénario “Génération frugale”,: reposant principalement sur la sobriété dans tous les secteurs de l’économie, est le seul à réduire l’empreinte du numérique (-45% d’empreinte carbone en 2050), quitte à contraindre réglementairement certains usages non prioritaires ; les loisirs numériques sont par exemple limités à un usage sobre réduit en situation de mobilité. L’ensemble de la société a cependant accès à des services numériques prioritaires comme la santé, l’éducation, la mobilité ou la culture et dispose d’un réseau fixe fibre.
  • Le scénario de “Coopération territoriale” permet une transformation de la société dans le cadre d’une gouvernance partagée et de coopérations territoriales, vers une voie durable alliant sobriété et efficacité. La consommation de biens devient mesurée et responsable, le partage se généralise et limite l’évolution de l’empreinte carbone (+32% en 2050).
  • Le scénario de “Technologies vertes” répond aux défis environnementaux par un développement technologique et numérique qui améliore fortement l’efficacité énergétique ou matière, mais au prix d’une empreinte carbone du numérique qui s’envole : +183% en 2050). Le nombre d’objets connectés progresse fortement (pour répondre à des besoins domestiques autant que collectifs et industriels), tout comme le nombre d’équipements numériques. La fracture numérique avec la campagne s’accentue.
  • Le scénario du “Pari réparateur” s’apparente à une fuite en avant, où les modes de vie du début du XXIe siècle sont sauvegardés. et le foisonnement de biens consommés exerce des impacts potentiellement forts sur l’environnement. La société place sa confiance dans la capacité à gérer voire à réparer les systèmes sociaux et écologiques avec plus de ressources matérielles et financières. La révolution numérique est « à son paroxysme”4, les gains en efficacité énergétique dans tous les secteurs découlent essentiellement du numérique dont l’empreinte explose au risque d’atteindre l’épuisement des matières premières. (+372% d’empreinte carbone en 2050). Ce choix exclusif des technologies pour atteindre la neutralité carbone est un pari qui paraît hasardeux dans la mesure où certaines d’entre elles ne sont pas matures.

Au plan purement numérique, la conclusion principale du rapport est que « le premier levier d’action pour limiter l’impact du numérique est la mise en œuvre de politiques de sobriété numérique qui commencent par une interrogation sur l’ampleur du développement de nouveaux produits et services numériques, et une réduction ou stabilisation du nombre d’équipements »5.

Plus généralement le recours au numérique est sur- ou sous-exploité selon les scénarios : le compromis à trouver entre sobriété et utilisation comme levier apparaît comme une particularité du secteur.

Enfin, les prospectives ont le mérite de clarifier les futurs possibles et de montrer le lien entre les choix techniques actuels dans le secteur numérique et les choix sociétaux qui s’ouvrent pour un horizon 2050. L’intérêt de l’étude réside dans cette capacité projective. Ses différents scénarios fournissent une grille de lecture à l’aune de laquelle les mesures et politiques actuelles peuvent être appréciées.

À cet égard, le Plan de Transition de l’Économie Française propose bien un objectif de décarbonation trans-sectoriel dans lequel voit les forces de chaque secteur sont exploitées et leur impacts réduits, avec une coopération entre les composantes sociales et les territoires. Les politiques numériques doivent s’aligner sur une telle ambition globale. Le rapport du Shift Project Déployer la sobriété numérique souligne bien que « déployer une certaine infrastructure et les technologies attenantes, c’est choisir de favoriser, même par défaut, une certaine typologie d’usages ».

Faute d’un débat de fond, les textes récents sur le numérique nous orientent dans des directions variées.

À titre illustratif, deux textes récents sur le numérique paraissent s’inscrire dans des démarches très distinctes.

  • Le texte européen «Gigabit Infrastructure Act », s’inscrit dans la stratégie “décennie numérique pour l’Europe”6 à laquelle la Gazette UE a consacré un article en mars dernier . Il promeut l’accessibilité pour tous les citoyens européens à une connexion très haut débit et prend clairement le pari des technologies vertes.
  • Le décret d’application de l’article 16 de la loi REEN (« réduire l’empreinte environnementale du numérique » )7, publié le 12 avril 2023, précise les conditions de réemploi et de réutilisation de matériels informatiques réformés de l’État8, les conditions et les destinataires de la vente ou du don de ces matériels. Il fixe un objectif de 50% de réutilisation ou de réemploi de ces matériels à l’horizon 2025, un objectif ambitieux, fixé à 25% pour 2023. Ce texte, comme la loi REEN dans son ensemble, semble plutôt s’orienter vers une stratégie de sobriété pour le numérique et de “Coopération territoriale », sous réserve de leur faisabilité technique compte tenu de la vétusté des matériels considérés.

Sans être contradictoires, ces deux approches législatives donnent à voir la ligne de crête sur laquelle oscillent les approches des législateurs français et européens. Elles témoignent d’un manque de vision d’ensemble. –Celle-ci supposerait un débat préalable plus large. Pour tendre à la sobriété du secteur numérique, comme de bien d’autres, la réflexion sociétale sur les usages devrait avoir lieu en amont de toute décision structurelle.

À cet égard, les Shifters soulignent constamment l’importance d’une planification écologique, seule à même d’apporter la cohérence et la vision de long terme, à la hauteur des enjeux et du calendrier tendu auquel la rapidité du réchauffement climatique nous soumet.

1 www.arcep.fr/actualites/actualites-et-communiques/detail/n/environnement-190122.html

2 www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/dossier-presse-Etude-Ademe-Arcep-lot3_mars2023.pdf

3 www.ademe.fr/les-futurs-en-transition/

4 www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/dossier-presse-Etude-Ademe-Arcep-lot3_mars2023.pdf

5 www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/dossier-presse-Etude-Ademe-Arcep-lot3_mars2023.pdf

6 commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/europes-digital-decade-digital-targets-2030_fr

7 gazetteducarbone.org/2023/03/16/la-gazette-du-carbone-supplement-ue-mars-2023

8 LOI n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France – www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000044327272

9 www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000047441772/2023-04-15/#LEGITEXT000047441772

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