La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 49

L’artificialisation des sols est une cause majeure de disparition de la biodiversité en France. Pour autant, c’est un sujet encore largement débattu au Parlement. Nous tentons aujourd’hui d’éclaircir le débat dans notre 1er article portant sur le décret « zéro artificialisation nette » (ZAN).

Restez en voiture pour le second article dans lequel le train est mis à l’honneur et notamment l’intérêt du cabotage.

Bonne lecture!

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Questions émissions

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Zéro Artificialisation Nette des sols : à creuser !

Projet porté par M. Rémy Rebeyrotte, député Renaissance de Saône-et-Loire 16/08/2022

Le député Rémy Rebeyrotte interpelle le ministre de la Transition écologique sur son intention de modifier le décret portant sur la « zéro artificialisation nette » (ZAN). En premier lieu, il remet en question la définition de l’artificialisation actuelle, trop large selon lui car intégrant les « espaces entourant les propriétés bâties (jardin, parc etc.)1 [qui pourtant] ne peuvent être systématiquement considérés comme artificialisés ». Il propose par ailleurs de « demander à chaque commune, en lien avec les services de l’État, d’élaborer un projet de désartificialisation », ceci dans la perspective « sans difficulté, de rouvrir des espaces constructifs dans les communes »..

Zéro artificialisation nette (ZAN) des sols : un bref rappel.

En France, 9,3 %2 du territoire était artificialisé en 2018, c’est-à-dire occupés par des infrastructures humaines (parkings, routes, logements, lotissements…). Tous les 10 ans, l’équivalent du département des Yvelines disparaît sous le béton3 . Comme souligné par le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project, l’artificialisation des sols pose des problèmes de ruissellement, de destruction de biodiversité, de disparition de pièges à carbone et de surfaces agricoles dont l’utilité devient pourtant plus évidente face à la perspective de réchauffement. Ces menaces multiples justifient largement l’introduction de la ZAN fixée par la loi Climat et résilience du 24 août 2021, à un rythme d’ailleurs très progressif : artificialisation nette réduite de moitié en 2030 et à zéro en 2050.

En tout état de cause, l’objectif ZAN contraint fortement la construction de nouveaux bâtiments, rejoignant les conclusions du PTEF4 qui affirme la nécessité d’une sobriété dans la production et la consommation, notamment d’espaces et de logements neufs. Cette contrainte ZAN a suscité de nombreuses réactions dans les territoires et conduit le Gouvernement à annoncer une adaptation des décrets d’application de la loi. A cet égard, les questions du député Rémy Rebeyrotte pointent légitimement certaines difficultés de mise en œuvre, inévitables pour une législation plutôt disruptive.

Le statut des espaces entourant les propriétés bâties

Modifier le statut des espaces non bâtis entourant les terrains construits, tels que les parcs ou les jardins, pour ne plus les considérer comme des terrains artificialisés n’est pas anodin. Pour les communes à forte densité pavillonnaire, qu’elles soient en banlieue ou en bord de mer, ce statut est de nature à étendre le droit à artificialiser, sans souci de contrôler l’étalement urbain, en contribuant à faire gonfler davantage les flux pendulaires centre-périphérie très consommateurs d’énergie. Par ailleurs, réduire les zones artificialisées au bâti pur, induit également la réduction de la surface à compenser par les promoteurs dans le cas de nouveaux projets de construction. Cette proposition du député ne s’aligne donc pas avec les mesures proposées par The Shift Project dans son ouvrage Vers la résilience des territoires. Rappelons également que le secteur du logement est responsable de plus de la moitié de l’artificialisation des terres5 .

Des plans communaux de désartificialisation… une fausse bonne idée

L’idée de plans de communaux de désartificialisation peut sembler séduisante. Reste à en vérifier la faisabilité technique et juridique. Techniquement, l’ampleur de la tâche interroge (36000 communes demandant en même temps le soutien des services de l’Etat !) : elle imporserait beaucoup de planification et priorisation.

Plus fondamentalement, cette réflexion nous paraît trahir un souci de retrouver des marges de manœuvre foncières dans la perspective de continuer les logiques de développement en cours. The Shift Project préconise quant à lui de favoriser la rénovation du bâti existant plus que la construction neuve, mais aussi l’utilisation des friches, l’attribution des permis de construire par les intercommunalités, la limitation des résidences secondaires ou la réorientation les politiques foncières .

1 Pour la nomenclature précise : Décret publié au JO du 30 avril 2022 www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045727061

2 Artificialisation-sol_2021_rapport.pdf

3 www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/21128_DP%20Loi_climat_FINAL.pdf

4 The Shift Project, op. cité.

5 The Shift Project, Le Plan de transformation de l’économie française, Paris, Odile Jacob, 2022, p.148

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Le cabotage dans les trains de nuit sous un nouveau jour

Projet porté par Mme Marie Pochon (Écologiste - NUPES - Drôme )

La députée Marie Pochon attire l’attention du ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé des Transports sur l’intérêt du cabotage. Le cabotage désigne la possibilité de profiter du passage du train de nuit pour faire un voyage court, tôt le matin ou tard le soir.

Définition et historique des dessertes en train de nuit

Un train de nuit, comme son nom l’indique, est un train qui circule la nuit et à bord duquel les voyageurs peuvent dormir. Il comporte des places couchées et permet au voyageur de faire un long trajet durant son sommeil. En général, il dessert quelques gares en début (20 h – 0 h) et fin (4 h 30 – 9 h) de parcours, sans s’arrêter entre les deux. Il est donc plutôt prévu pour une liaison longue distance.

En France, le réseau des trains de nuit, qui se contractait depuis les années 1990, est en train de s’étendre de nouveau. Les liaisons Paris-Nice et Paris-Tarbes-Lourdes ont notamment été relancées en 2021. Une ligne Paris-Vienne, exploitée conjointement par les chemins de fer autrichiens ÖBB et la SNCF, est également ouverte depuis un an. La ligne Paris-Briançon via Gap fait partie des rares lignes qui n’ont pas été fermées et c’est celle-ci qui est concernée par la question de la députée Marie Pochon. Ce train de nuit, indique-t-elle, « dessert Crest à 4 h 37, Gap à 6 h 47 et Briançon à 8 h 24. Le TER suivant arrive [depuis Crest] à Briançon à 14 h 07. »

Se basant sur le rapport1 sur le développement de nouvelles lignes de train d’équilibre du territoire (TET), prévu par la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019, la députée propose d’ouvrir la possibilité à des voyageurs régionaux d’emprunter ce train de nuit entre les villes desservies en début ou fin de parcours. Elle intéresserait donc plutôt des voyageurs en mobilité quotidienne. Dominée par la voiture individuelle thermique, la mobilité quotidienne (moins de 100 km autour du domicile) compte pour environ 11 % des émissions territoriales de la France, ce qui en fait un secteur majeur à décarboner.

Le cabotage, une opportunité pour améliorer de l’offre ferroviaire

Cette pratique appelée cabotage implique d’ouvrir à la vente certaines portions du trajet du train de nuit, le matin ou le soir, pour des voyageurs n’effectuant pas la partie nocturne du trajet. Cela donnerait une possibilité supplémentaire aux usagers des villes situées en bout de ligne d’emprunter un premier train le matin tôt ou le soir, pour se rendre de l’une à l’autre. Il faut donc que des places assises soient disponibles à bord, ce qui est en général déjà le cas. L’ouverture à des usagers ne passant pas la nuit dans le train peut en revanche avoir un effet négatif pour ceux qui y dorment, en termes de tranquillité et de sûreté. Le Gouvernement, dans sa réponse à la question, rappelle que l’ouverture des trains de nuit à des voyageurs régionaux peut se faire dans le cadre d’une convention entre la région (qui organise la majorité transports du quotidien), l’État (qui organise les trains d’équilibre du territoire), et les exploitants des lignes concernées.

Des schémas d’organisation du transport régional à repenser

La question met le doigt sur le sujet plus large de l’efficience de la desserte ferroviaire des territoires moyennement ou peu denses, en particulier sur son cadencement et son amplitude. En effet, sur le territoire cité, en dehors du train de nuit, seules trois liaisons TER directes sont proposées entre Gap et Briançon, dont deux partent de Crest. Cette offre ferroviaire est doublée d’une offre en autocar sur le même itinéraire, mais pour un temps de trajet légèrement supérieur qui vient donc la concurrencer. Or le train devrait être, dans ces territoires ruraux et montagnards, la véritable colonne vertébrale du système de mobilité décarboné, comme proposé dans le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project.

Les retours d’expériences montrent que, pour que le train y devienne une réelle alternative à la voiture, une offre ferroviaire consistante doit être proposée. Cela implique notamment des trains aux horaires cadencés2, circulant toute la journée, toute la semaine, et également le matin tôt et le soir tard. Le CEREMA3 a publié un guide4 qui rappelle que les coûts fixes d’une ligne ferroviaire (infrastructure, achat du matériel roulant, etc.) forment l’essentiel du coût global. À partir du moment où un train circule sur une ligne, autant l’utiliser au maximum de ses capacités. Un système ferroviaire optimisé est la base sur laquelle articuler l’ensemble intermodal comprenant les réseaux urbains ou autocar, les modes actifs comme le vélo ou la marche, ou encore la voiture en rabattement. C’est seulement en offrant une alternative crédible à la voiture individuelle dans ces territoires où elle est encore prédominante qu’il sera possible d’entrainer un report modal et donc une réduction des émissions des GES.

1 www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20TET%20v18052021.pdf

2 Le cadencement est une façon d’exploiter un réseau de transport en commun en organisant la circulation des véhicules de manière répétitive tout au long de la journée. Par exemple, toutes les deux heures, chaque gare d’une ligne est desservie dans les deux sens

3 Établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, accompagne l’État et les collectivités territoriales pour l’élaboration, le déploiement et l’évaluation de politiques publiques d’aménagement et de transport.

4 www.cerema.fr/fr/actualites/quel-avenir-petites-lignes-ferroviaires-rapport-du-cerema

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