La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 44

Chères lectrices, chers lecteurs,

La Gazette amorce un ensemble de deux articles sur le bâti scolaire. Elle achève son triptyque sur la trajectoire de réchauffement de référence par des considérations sur les outils et les méthodes pour lutter contre le réchauffement.

Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Notre sélection de la semaine

Quels outils et méthodes pour faire face au réchauffement climatique ?

Réponse des Shifters à une Consultation Publique du Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires

En mai dernier, le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a lancé une consultation sur la trajectoire d’adaptation de la France au changement climatique (TRACC). Elle doit servir à mettre à jour le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), stratégie de référence du gouvernement incluant des actions concrètes à mettre en œuvre. Une première version est prévue dès la fin de l’année.

Trois questions étaient posées dans le cadre de cette consultation. Nos deux précédents articles ont montré à travers l’analyse des réponses de Carbone 4 et des rapports du Shift Project, qu’il était nécessaire de définir des scénarios climatiques de référence distincts pour les questions d’adaptation et d’atténuation1 afin de prendre des décisions éclairées sans tomber dans un potentiel découragement ou un excès de confiance2.
Dans la dernière question, objet de cet article, le Ministère interroge sur les outils et méthodes à mettre en œuvre pour accompagner les mesures d’adaptation auprès des différents acteurs3.

De l’importance d’une démarche systémique

Tout d’abord, il semble qu’une approche systémique soit nécessaire pour éviter les mesures contre-productives ou qui s’annulent. C’est ce que montre le Shift Project à travers sa manière de travailler dans le cadre du Plan de transformation de l’économie française4 puis des cahiers Résilience des territoires5. En effet, seule une vision systémique des enjeux peut permettre une adaptation correcte au futur climat, les décisions prises dans un secteur pouvant altérer les ressources disponibles ou l’efficacité des solutions dans un autre.

En priorité, l’analyse systémique doit porter sur des domaines particulièrement exposés aux conséquences du dérèglement climatique, notamment les milieux naturels (sols, forêts, etc.) et la ressource en eau. Pour être pertinentes et opérantes, ces analyses doivent être territorialisées aux échelles adéquates, qui ne correspondent pas nécessairement aux divisions administratives (par exemple le bassin versant pour la réserve en eau).

Des réflexions à l’échelle nationale doivent aussi être conduites, par exemple sur les conséquences pour les ports français de la modification des routes maritimes suite à l’ouverture de routes en Arctique sur la majeure partie de l’année. Ces analyses stratégiques doivent être portées à la fois par les services de l’État et les entités concernées (ici les grands ports maritimes).

Des instances de concertation permettant le dialogue entre différents acteurs semblent donc essentielles, et ce à différents échelons (filières professionnelles, interministériel, régional, local).

La démarche systémique doit enfin s’appuyer sur une révision des parcours de formation aux métiers du futur. Ces formations ne doivent pas seulement être initiales car nous n’avons pas le temps d’attendre la professionnalisation de jeunes diplômés dans tous les métiers (et pas seulement dans l’ingénierie). Les artisans et l’ensemble des intervenants actuels doivent ainsi être à même, au plus vite, de connaître et de mettre en œuvre les solutions les plus adaptées.

Améliorer les outils actuels

Dans sa réponse à la consultation TRACC, Carbone 4 met en évidence la nécessité d’améliorer les outils existants6. Le projet DRIAS, initié en 2009 pour donner accès aux scénarios climatiques régionalisés français pour l’adaptation de la société, a abouti à la création des portails DRIAS « Les Futurs du climat » (projections climatiques régionalisées) et DRIAS « Les Futurs de l’eau » (projections hydrologiques). Les jeux de données de ces sites doivent être mis à jour sur la base des scénarios retenus dans la TRACC.

Il est aussi crucial d’aider à la bonne utilisation des données selon le type d’aléa (ex : feu de forêt), selon l’échelle territoriale (ex : régionale, nationale…) ou encore l’horizon de temps (10 ans, 20 ans, 100 ans…) considérés. Les niveaux de confiance des différents jeux de données disponibles doivent également être clairement indiqués. Ainsi, les études permettant de régionaliser les scénarios climatiques doivent bénéficier de moyens sécurisés dans le temps pour être mises à jour et diffusées. Ces études pourront ensuite servir de base saine aux décisions d’adaptation. Météo France et les GIEC régionaux sont donc deux acteurs incontournables qu’il faudra soutenir.

Revoir les normes et les plans d’action de crise

Les normes sont des textes de référence qui visent à harmoniser les produits, services ou processus, et sont gages de qualité. Leur mise à jour est essentielle pour servir de guide à l’implémentation de solutions d’adaptation à grande échelle.

On pense tout d’abord aux normes techniques, comme celles assurant la résilience des ouvrages. Pour être pertinentes, les nouvelles normes devront premièrement prendre en compte l’adaptation aux changements graduels liés au dérèglement climatique (niveau des océans, température moyenne, hydrologie moyenne…). Mais elles devront aussi répondre à des aléas extrêmes (tempête côtière, vague de chaleur, pluie intense…) dont la fréquence va augmenter.

Les normes techniques seules sont cependant insuffisantes pour faire face à ces aléas et doivent être épaulées de normes de gestion de risque, telles que les normes assurantielles. Les assureurs fixent en effet les prix qu’ils font payer aux assurés en fonction de la fréquence et du coût de survenue du risque couvert (par exemple, si l’inondation d’une maison provoque en moyenne des dégâts de 500 000 euros et impacte 1 assuré sur 100 000, alors le coût de la couverture par usager sera de 5 euros). Avec le changement climatique, l’augmentation à la fois de la fréquence des sinistres et de leur impact peut rendre les assureurs frileux. Ces derniers pourraient alors refuser de couvrir certains risques ou augmenter significativement les primes demandées, dégradant la protection pour les assurés. Des normes visant la mutualisation des risques, par exemple via le renforcement des contrats de réassurance (assurance des assureurs), semblent ainsi importantes pour éviter la faillite d’assureurs qui ne parviendraient pas à indemniser les sinistres qu’ils couvrent. Enfin, comme les assureurs placent les primes payées par les assurés dans leurs actifs, ces normes doivent limiter l’investissement dans des actifs particulièrement exposés au risque climatique, qu’il soit physique (actif menacé par des catastrophes naturelles) ou de transition (perte de valeur de l’actif liée aux politiques en place).

Au-delà des normes, les modalités de gestion des crises liées à la survenue d’aléas extrêmes méritent d’être anticipées afin que les futurs sinistres constituent des accélérateurs de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique. Il s’agit d’abord de préparer les décisions qui devront être prises localement dans l’urgence sur quelques jours ou mois (par exemple des besoins de logements temporaires). Pour une réponse plus pérenne, on peut aussi dès maintenant prévoir des normes de reconstruction et des protocoles de transformation accélérés (par exemple une relocalisation hors des zones de submersion) prêts à être utilisés lors de crises futures.

S’appuyer sur les collectivités

Les collectivités locales ont un rôle essentiel à jouer dans l’adaptation au changement climatique en raison de leur pouvoir de décision sur l’aménagement local du territoire. Comme le Shift Project l’a indiqué dans son rapport sur la résilience des territoires, il est essentiel que les collectivités sécurisent une part de leur budget pour l’étude et la formation relatives aux conséquences du changement climatique (I4CE évalue à 2,4 Md€ par an l’effort financier minimal à effectuer pour engager l’adaptation au changement climatique). Les outils dédiés à la prise en compte de l’adaptation au changement climatique doivent aussi gagner en force prescriptive. On pense notamment aux PCAET (plan climat-air-énergie territorial), qui établissent les objectifs et actions des collectivités territoriales face au changement climatique et SRADDET (schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) qui fixent les ambitions des régions. Ces deux documents ne contraignent aujourd’hui pas les règlements d’urbanisme élaborés par les communes ou les intercommunalités pour planifier leur aménagement.

L’adaptation au changement climatique doit donc se nourrir d’une concertation à large échelle, laissant une place centrale aux élus et institutions locales. Elle doit pouvoir se baser sur des outils d’aide à la décision mis à jour, sur des normes guidant l’ensemble des acteurs de l’économie et sur des textes prescriptifs permettant aux collectivités d’imposer des mesures d’adaptation.

1 La Trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) est-elle un renoncement aux objectifs de la COP de Paris ? La Gazette du Carbone, semaine 42

2 Quels scénarios retenir pour s’adapter au changement climatique ? La Gazette du Carbone, The Shifters, 2023, semaine 43

3 Trajectoire de réchauffement de référence : ouverture de la consultation publique

4 Plan de transformation de l’économie française. The Shift Project, 2022

5 Les travaux du Shift Project sur la résilience des territoires

6 Réponse de Carbone 4 à la consultation

▲ Sommaire

Le bâti scolaire : concilier les textes européens et la mise en œuvre concrète

Portée par Nadège Havet, sénatrice (RDPI)

En juin dernier, Nadège Havet, rapporteure, a présenté à la presse les conclusions de son rapport sur le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique, fruit d’une mission sénatoriale de plusieurs mois. Initiée par le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), cette mission a été créée dans le but d’identifier les problèmes rencontrés par les élus locaux lors de la rénovation des bâtiments scolaires et partager leurs bonnes pratiques.

Le bâti scolaire, 82% des consommations énergétiques des communes (soit 31% du patrimoine) : un bon axe de priorisation pour la décarbonation

Selon le Ministère de l’Éducation nationale, le patrimoine des collectivités territoriales est de 280 millions de m² et 50% de leur parc est composé d’écoles, de collèges et de lycées. La dernière enquête « Énergie et patrimoine communal », réalisée par l’ADEME et relative aux dépenses énergétiques du « bloc communal », établie à partir d’un état des lieux effectué en 2017, montre que les bâtiments scolaires représentaient alors :

  • 12% de la consommation d’énergie du secteur public en France ;
  • 82% des consommations énergétiques des communes de métropole, alors que leur part dans le patrimoine immobilier communal ne dépassait pas 31% de ce patrimoine.

La décarbonation du bâti scolaire est donc un aspect primordial de la décarbonation du secteur public. De plus, elle représente également un levier d’action, comme le souligne la rapporteure Nadège Havet, compte tenu de la population qui l’utilise (12 millions d’élèves et 720 000 enseignants), et de la nécessité d’améliorer les conditions d’accueil. Il y a par ailleurs un enjeu d’exemplarité et de pédagogie participant des missions de service public.

La loi européenne sur le climat1 a renforcé la nécessité de faire évoluer le bâti public dont celui concernant la scolarité en premier et second degré.

La « loi européenne sur le climat », adoptée le 30 juin 2021, vise l’objectif de neutralité climatique de l’Union européenne à l’horizon 2050. Pour atteindre plus efficacement cet engagement, l’Europe a rehaussé de 40% à 55% l’objectif de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030, par rapport à 1990. Cette loi constitue l’élément phare du Pacte vert pour l’Europe, qui réaffirme l’ambition d’en faire le premier continent neutre sur le plan climatique d’ici 2050.

Sa mise en œuvre se décline dans un ensemble de textes législatifs, dit paquet « Ajustement à l’objectif 55 », et de stratégies thématiques. Dans ce cadre, plusieurs propositions de révision de la législation européenne ont été présentées, notamment pour renforcer les objectifs de l’Union en matière de rénovation et de réduction de la consommation énergétique des bâtiments publics.

La proposition de refonte de la directive européenne sur l’efficacité énergétique (DEE) 40 a fait l’objet d’un accord en trilogue, le 10 mars 2023, selon lequel chaque État membre devra rénover au moins 3% des surfaces de ses bâtiments appartenant à des organismes publics afin de les transformer en bâtiments à consommation d’énergie quasi nulle « nZEB » ou à émissions nulles. Le secteur public devra également réduire sa consommation d’énergie de 1,9% par an. Cet accord soumettra donc les collectivités territoriales à de nouvelles exigences en matière d’exemplarité de la rénovation de leurs bâtiments.

La proposition de révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) est à ce jour en attente des trilogues. Elle prévoit que les bâtiments publics neufs devront être à émissions nulles dès 2027, puis les bâtiments existants en 2050. Elle intègre des normes minimales de performance énergétique pour les bâtiments existants (résidentiels et non résidentiels) ainsi qu’un objectif de production d’énergie solaire sur les bâtiments publics et non résidentiels existants, avec le déploiement d’installations solaires sur les bâtiments publics disposant d’une surface utile supérieure à 250 m², d’ici le 31 décembre 2026 pour le neuf et à l’échéance du 31 décembre 2027 pour l’existant.

Une déclinaison au niveau opérationnel faisant intervenir différents leviers2

La politique énergétique française met en œuvre ces directives européennes à travers plusieurs plans d’action.

  • Le Plan climat du 6 juillet 2017 vise à accélérer la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat. La rénovation thermique y est érigée en « priorité nationale » ;
  • Le Plan de rénovation énergétique des bâtiments du 26 avril 2018 propose dans le cadre d’une stratégie globale des outils pour accélérer la rénovation énergétique de tous les bâtiments. Ce plan prévoit un ensemble d’outils de financement à hauteur de trois milliards d’euros pour encourager une rénovation massive des bâtiments publics des collectivités par le biais des contrats de performance énergétique. Il prévoit également le déploiement de dispositifs innovants et d’aides à l’ingénierie ;
  • Le Plan de relance « Rénovation énergétique des bâtiments de l’État et des collectivités » du 3 septembre 2020 vise le financement de rénovations énergétiques de bâtiments appartenant à l’État et aux collectivités territoriales, de bâtiments des établissements publics affectés aux missions d’enseignement supérieur, de recherche et aux œuvres universitaires et scolaires, nécessitant des investissements à caractère énergétique..

La planification revêt une importance cruciale, car, comme souligné dans la gazette du 12 septembre dernier, « pour atteindre les engagements climatiques, les investissements nécessaires sont estimés de l’ordre de 12 milliards d’euros par an jusqu’en 2030 contre 5,5 milliards actuellement, selon les estimations de l’Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE), et ce dans un contexte où l’assainissement des comptes publics est également un objectif qui ne facilite pas les investissements publics. »

À partir des constats sur la mauvaise adaptation des locaux scolaires aux évolutions climatiques, la mission sénatoriale a identifié les enjeux et défis à relever. Elle souligne les complexités pour rénover ceux-ci (moyens en ingénierie technique, financière, administrative et juridique non disponibles dans certaines collectivités, coûts importants, complexités calendaires) et les obstacles à surmonter pour mettre en œuvre une stratégie coordonnée.

La mission sénatoriale a émis 12 recommandations qui s’articulent autour de cinq objectifs :

  • améliorer l’accès à l’ingénierie,
  • sécuriser le financement des investissements en renforçant l’efficacité des dotations et subventions publiques,
  • améliorer la connaissance des besoins en matière de rénovation du parc scolaire,
  • adapter certaines normes aux enjeux du changement climatique,
  • évaluer les mesures récentes contribuant à la rénovation du bâti scolaire.

Ce qu’en pensent les Shifters

Le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) souligne qu’il est essentiel de viser la décarbonation totale de l’usage des bâtiments d’ici 2050 car la consommation d’énergie nécessaire à leur exploitation représente une part importante des émissions de gaz à effet de serre. En ce sens, ces recommandations semblent aller dans la bonne direction. Dans son rapport sur la décarbonation du bâtiment, il souligne l’importance de la rénovation sur la construction neuve (environ mille fois moins d’émission de GES)3.

Outre ces questions techniques, le caractère « public » du bâti scolaire ainsi que la mission de service public qu’il sert en font d’enjeux multiples que nous explorerons dans la prochaine édition de la Gazette qui portera sur l’analyse de la proposition d’amendement de la mission sénatoriale.

1 Pacte vert pour l’Europe – Consilium

2 Transition écologique du bâti scolaire : mieux accompagner les élus locaux – Sénat

3 Habiter dans une société bas-carbone – The Shift Project

▲ Sommaire

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