La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 42

Chères lectrices, chers lecteurs,

La Gazette tente à nouveau le grand écart entre un sujet plus de réflexion, sur la trajectoire de réchauffement en France et son utilité dans la gestion publique, et du très concret, sur un moyen de transport trop négligé dans notre pays.

  • La Trajectoire de Réchauffement de référence pour l’Adaptation au Changement Climatique (TRACC) est-elle un renoncement aux objectifs de la COP de Paris ?
  • Moderniser le fret fluvial, un levier de décarbonation du transport

Très bonne lecture

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Questions émissions

Notre sélection de la semaine

La Trajectoire de Réchauffement de référence pour l’Adaptation au Changement Climatique (TRACC) est-elle un renoncement aux objectifs de la COP de Paris ?

Réponse des Shifters à une Consultation Publique du Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires

En mai, le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a lancé une consultation sur la trajectoire d’adaptation au changement climatique (TRACC). L’objectif est de mettre à jour le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) en y incluant des actions concrètes d’adaptation. Il constitue une stratégie gouvernementale pour faire face aux impacts du changement climatique en France. Il vise à anticiper, prévenir et réduire les conséquences néfastes du changement climatique sur l’environnement, la société et l’économie françaises en adoptant une démarche intersectorielle. Une actualisation du plan de 2011 avait déjà été réalisée en 2018 afin d’y inclure les objectifs de l’Accord de Paris. Une nouvelle version est prévue dès la fin de l’année, enrichie des résultats de la consultation.

La première question posée dans cette consultation est la suivante : faut-il différencier trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre et trajectoire d’adaptation ?1

Atténuation et adaptation : Quésaco ?

L’atténuation vise à limiter le changement climatique en évitant ou réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit de ne pas en émettre (en changeant de mode de transport, par exemple) ou de les stocker (à l’aide, entre autres, de la biomasse).

L’adaptation vise à réduire les conséquences du changement climatique en anticipant ses effets et en ajustant nos pratiques en conséquence. Ainsi, construire des digues pour prévenir les inondations causées par la montée des eaux ou changer son régime alimentaire en réponse aux défis rencontrés par l’agriculture et l’industrie agroalimentaire constituent des actions d’adaptation2.

Bien que distincts, atténuation et adaptation sont complémentaires. Sans atténuation, l’adaptation est rendue plus difficile, voire impossible (par exemple, on ne pourra pas construire de digues assez importantes pour faire face à une élévation trop conséquente du niveau de la mer). Mais l’adaptation est nécessaire pour faire face aux émissions qui n’ont pu être évitées3.

Abandonner un objectif de réchauffement limité à +1,5 °C ?

Selon le GIEC, ce qu’on appelle une trajectoire décrit sur un temps donné l’évolution d’un domaine particulier : les émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement planétaire, les précipitations… Elle est établie sur la base d’un scénario, description plausible du futur qui intègre des narratifs socio-économiques (démographie, qualité d’éducation, taux d’urbanisation, évolution du PIB) et des hypothèses d’évolution des émissions de gaz à effet de serre4. Elle offre un aperçu des futurs possibles en fonction des décisions prises aujourd’hui, ce qui aide à orienter les stratégies et les décisions.

Avec la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC)5, la France s’est dotée d’une trajectoire compatible avec les Accords de Paris, qui prévoient de limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C en 2100. La consultation présente ne change en rien cette ambition qui concerne la stratégie d’atténuation du changement climatique. Au contraire, elle réaffirme la SNBC.

En revanche, la stratégie d’adaptation doit prendre en compte le risque que le réchauffement climatique aille au-delà de cet objectif. La volonté d’un État seul n’est pas suffisante pour l’atteindre, il s’agit d’une démarche mondiale. Or, les mesures prises à l’heure actuelle par les différents pays sont insuffisantes pour ne pas dépasser +1,5°C3. Par ailleurs, les phénomènes météorologiques sont par essence incertains. Au travers des notions de fréquence et de maxima/minima, on décrit les variables physiques des scénarios de référence retenus pour se préparer au pire tout en prenant des mesures pour préserver le meilleur.

De l‘importance des scénarios…

Dans sa réponse à la consultation, le Shift Project a exprimé son soutien à la mise en place de trajectoires de référence. En effet, ces dernières permettent non seulement de stimuler la réflexion, mais aussi de l’ancrer dans des données de simulations plus précises et cohérentes entre elles.
Cependant, il a souligné l’importance de ne pas se limiter à une trajectoire en température. D’autres paramètres physiques comme les précipitations et l’évolution du niveau de la mer sont indispensables pour évaluer les mesures d’adaptation à mettre en œuvre.
Il faut également inclure des variables socio-économiques, notamment la contrainte de la disponibilité des ressources primaires. Il est en effet différent en termes de résilience de planifier volontairement la sortie des énergies fossiles ou d’attendre leur épuisement.
La multiplicité des paramètres en jeu incite donc à parler de « scénarios climatiques » plutôt que d’une « trajectoire de réchauffement » qui laisserait entendre que seule la température est concernée.
D’autre part, il est crucial de ne pas se limiter à un seul scénario, de manière à évaluer les risques consécutifs aux différentes options. Cela permet d’apprécier si les conséquences sur un secteur donné sont semblables dans chaque scénario ou au contraire très sensibles aux choix. On peut alors s’orienter vers un scénario ou un autre en fonction de l’horizon temporel ou de la criticité propre du secteur considéré6.

Il s’ensuit également que des points de passage et des révisions des scénarios doivent être intégrés pour les mettre à jour au vu de la progression réelle des émissions et ainsi permettre un traitement opérationnel et pragmatique par les acteurs de terrain.

… et de l’importance de dépasser les scénarios

La dérive climatique en cours n’est pas seulement un enjeu relatif à la résilience des bâtiments et infrastructures du pays. Le Shift Project souligne dans sa réponse qu’elle va mobiliser les acteurs financiers, de l’assurance, de la formation, etc. Elle constitue un enjeu systémique qu’il convient d’intégrer comme tel dès les premières réflexions sur les scénarios de référence.

À partir des scénarios de référence, une réflexion doit être menée sur les conséquences induites en fonction des secteurs économiques, mais aussi des importations/exportations et donc des partenaires économiques de la France. Il faut dès aujourd’hui réfléchir à la transformation des chaînes de valeur de l’économie française pour réduire leurs vulnérabilités, sur le territoire national ou en externe.

L’État doit aussi porter un regard particulier sur ses secteurs régaliens et notamment celui de la Défense, qui doit rester pleinement opérationnelle dans un monde susceptible de profonds bouleversements.

La détermination des scénarios de référence est enfin un acte engageant l’ensemble des acteurs : il conditionne la réflexion des pouvoirs publics nationaux et locaux, mais aussi des acteurs économiques et des citoyens. Elle doit donc faire l’objet d’un échange nourri avec ceux-ci, sans ignorer les représentants de la société civile.

Loin d’être un renoncement, la TRACC permet d’ouvrir le débat de façon pragmatique.

1 Trajectoire de réchauffement de référence : ouverture de la consultation publique

2 La différence entre l’adaptation et l’atténuation, Agence européenne pour l’environnement

3 Réponse de Carbone 4 à la consultation TRACC

4 Glossaire du GIEC

5 Stratégie nationale bas carbone

6 Les scénarios SSP du 6e rapport du GIEC par Carbone 4

▲ Sommaire

Questions émissions

en partenariat avec Logo Dixit

Moderniser le fret fluvial, un levier de décarbonation du transport

Portée par M. Stéphane Viry (LR)

M. Stéphane Viry a interpellé le 6 juin dernier le ministère des Transports sur le manque d’investissements et de moyens du transport fluvial de marchandises, entraînant la dégradation des infrastructures. Le Ministère a répondu le 3 octobre qu’un programme d’investissement global de 3 milliards d’euros sur 10 ans était inscrit au contrat d’objectifs et de performance (COP) signé le 30 avril 2021 entre l’État et VNF (Voies Navigables de France). Cet effort financier a pour but de régénérer et moderniser les voies d’eau existantes et de participer aux projets de développement fluviaux sur l’axe Seine-Escaut, indissociables du canal Seine-Nord Europe.

Un réseau navigable étendu

La France dispose d’un réseau navigable (fleuves, rivières, canaux) de 8 500 km, dont 6 000 km sont utilisés pour le transport de marchandises et de passagers, ce qui en fait le plus long en Europe. Le réseau fluvial visé par le COP, sous la gestion de VNF, s’étend sur 6 500 km1. Les 2000 km restants relèvent des régions ou de l’État directement.

Environ 20 % de ces 8 500 km de voies navigables (soit 1 800 km) permettent le passage de convois de 3 000 tonnes et plus2. Les grands bassins navigables français s’organisent autour de voies d’eau à grand gabarit (Seine, Rhin, Rhône…) permettant la navigation de bateaux jusqu’à 135 m, voire 180 m de long. Ces bassins sont reliés entre eux par des voies de gabarit intermédiaire (comprises entre 38,5 m et 90 m) ou de petit gabarit. S’il ne couvre pas tout le pays, ce réseau assure une partie du transport de marchandises pondéreuses sur ses sections à à grand gabarit.

Des potentialités de décarbonation intéressantes

Bien que n’atteignant pas les niveaux de performance énergétique du fret ferroviaire, le fret fluvial a un rôle à jouer dans la décarbonation du transport de marchandises. En effet, il émet entre 3 et 8 fois moins de GES que le fret routier3 :

  • 71 gCO2eq/t.km4 pour un poids lourd 40 tonnes ;
  • 150 gCO2eq/t.km pour un poids lourd rigide de 12 à 20 tonnes ;
  • 19 g à 33 gCO2eq/t.km pour une barge fluviale.

De plus, le tonnage important et la longueur des convois le rendent particulièrement intéressant pour deux usages spécifiques.

Le transport de masse depuis une plateforme multimodale.

Cet usage est aujourd’hui effectif pour la construction des près de 200 km de lignes du réseau de métro Grand Paris Express. Du fait de l’important volume de déblais à évacuer au sein d’une zone géographique restreinte, 5 plateformes fluviales sont utilisées pour permettre une partie de l’évacuation par la Seine5.

À titre d’exemple, 60 % des déblais excavés par le tunnelier de la ligne 15 Est de ce réseau (23 km de tunnel et 10 gares souterraines) seront évacués par voie fluviale. Cela correspond à environ 4,5 millions de tonnes6.

Le transport de colis lourd ou le transport volumineux au cœur des villes.

Les fermes de la nouvelle charpente de Notre-Dame de Paris ont ainsi été livrées par voie fluviale7. Le transport par la route de ces 3 fermes de 15 mètres sur 12 aurait nécessité un convoi exceptionnel aux impacts considérables sur le trafic à Paris.

Ces usages du transport fluvial dans le cadre de chantiers de travaux publics et de bâtiments sont le fait d’établissements publics (respectivement la Société du Grand Paris et Rebâtir Notre-Dame de Paris) ; ils peuvent servir de vitrines promotionnelles pour ce mode. Les matériaux de construction représentent à eux seuls 40% du volume transporté par voie fluviale8.

L’analyse du Shift Project : comment développer le transport fluvial en France ?

Bien que l’activité soit passée de 5,8 à 7,9 milliards de tonnes-kilomètres entre 1995 et 2005, le transport fluvial de marchandises ne représentait que 1,9 % du transport intérieur terrestre de marchandises (hors oléoducs) avec 6,7 milliards de tonnes-kilomètres en 20189. À titre de comparaison, ce même ratio est de 39 % pour les Pays Bas, 17 % pour la Belgique et 11 % pour l’Allemagne.

Dans ses travaux sur la décarbonation de l’économie française, The Shift Project souligne l’importance et le potentiel du fret fluvial comme levier de la transition, avec 4 propositions.

  • Favoriser le fret multimodal, notamment par des complémentarités fer / fluvial. La SNCF et VNF ont d’ailleurs signé une convention afin de proposer aux transporteurs une offre commerciale fer / voie d’eau tirant parti de la complémentarité géographique des infrastructures existantes pour les deux modes10.
  • Mailler le réseau “grand gabarit” en planifiant des investissements dans les infrastructures pour permettre une augmentation de la capacité fluviale. De tels investissements sont en cours sur le canal Seine-Nord Europe qui reliera Paris, le Nord de la France, la Belgique et les ports de la mer du Nord à grand gabarit à l’horizon 2028.
  • Améliorer le réseau existant pour augmenter sa capacité en évitant sa congestion. D’après VNF, le trafic fluvial pourrait doubler sur le Rhin, quadrupler dans le sens aval de la Seine, tripler ou quadrupler dans le sens amont de la Seine et sur le Rhône sans création de nouvelle infrastructure. Mais des investissements d’adaptation élevés seraient nécessaires, à de tels niveaux de trafic, pour éviter des goulots d’étranglement.
  • Assurer la bonne maintenance et entretien du réseau « petit gabarit ». Cette maintenance doit également prendre en compte les conséquences futures du dérèglement climatique, notamment des sécheresses de plus en plus importantes avec un risque d’impraticabilité du réseau fluvial par manque d’eau11.

Aller plus loin dans la décarbonation

Une augmentation de la part modale du transport fluvial n’est toutefois pas suffisante et doit être accompagnée d’une décarbonation des bateaux, aujourd’hui principalement alimentés au gazole non routier (GNR). En effet, les émissions du transport fluvial sont plus faibles que celles du transport routier à la tonne transportée principalement du fait de la longueur possible des convois (et donc de leur capacité).

Pour cela, l’utilisation de la biomasse ou de carburants liquides décarbonés doit être orientée en priorité vers le transport fluvial à grand gabarit par rapport à d’autres besoins12. En effet, l’usage de ces vecteurs énergétiques ne requiert qu’une remotorisation relativement simple des bateaux, qui peut se faire progressivement. Inversement, la propulsion électrique ou par hydrogène doivent être réservées à d’autres usages (ferroviaire par exemple).

Une amélioration de l’efficacité énergétique des bateaux doit également être engagée parallèlement à leur remotorisation :

  • amélioration de l’hydrodynamique (gain jusqu’à 50 %) ;
  • modernisation de l’injection du carburant (10 % à 15 %)
  • et des hélices propulsives (15 % à 40 %) ;
  • hybridation « légère » de la motorisation (5 % à 20 %), surtout intéressante en cas d’écluses à franchir) ;
  • optimisation de la conduite par un éco-pilote (5 % à 20 %).

1 Le réseau VNF

2 Rapport de l’ADEME sur l’efficacité du fret fluvial

3 Base Carbone de l’ADEME

4 Émissions de GES pour une tonne de marchandise transportée sur un kilomètre

5 Schéma de gestion et de valorisation des déblais de la Société du Grand Paris

6 Le Moniteur, Article du 13/10/22

7 La charpente de Notre-Dame de Paris livrée par la Seine

8 Les chiffre clés du transport fluvial, VNF

9 Généralités sur le transport et le réseau fluvial en France, écologie.gouv

10 SNCF Réseau et VNF : une alliance fer/fleuve pour contribuer à la transition écologique

11 Les Échos, Article du 25/08/22

12 The Shift Project, Voyager bas carbone

▲ Sommaire

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