La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 23

Bonjour à toutes et à tous !

  • Aménagement du territoire : la ZAN et ses nombreux débats au Parlement.
  • Efficacité énergétique : les enjeux et les défis de la rénovation du bâti scolaire.

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Sommaire

Questions émissions

Réflexions décarbonées

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Zéro artificialisation nette : un objectif incontesté, une application délicate

Portée par M. Edouard Courtial (Les Républicains - Oise)

La ZAN (zéro artificialisation nette), précédemment abordée dans la Gazette les 2 mai et 6 décembre derniers1, continue de susciter de nombreux débats. Pour rappel, le sénateur de l’Oise M. Édouard Courtial interpellait le Gouvernement sur les modalités de mise en œuvre de l’objectif « zéro artificialisation nette » introduit par la loi sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets (dite loi Climat et résilience, promulguée le 22 août 2021).

Selon lui :

  • la méthode serait trop centralisatrice et s’opposerait au « bon sens des élus de terrain » ;
  • l’État ne proposerait pas d’accompagnement en ingénierie aux territoires pour mettre en œuvre la ZAN ;
  • les décrets seraient plus restrictifs que la loi, entretenant un flou juridique.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, rappelle que le Gouvernement s’est engagé à :

  • garantir à toutes les communes rurales la possibilité de construire, en particulier lorsqu’elles l’ont peu fait par le passé ;
  • prévoir un décompte des projets d’envergure nationale à l’échelle nationale ;
    *renforcer l’offre en ingénierie locale en étendant les missions des établissements publics fonciers, des agences d’urbanisme et de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en faveur de la sobriété foncière.

Il convient de mettre ces propos en perspective avec l’adoption en première lecture le 16 mars 2023 par le Sénat d’une proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires2.

La loi Climat et résilience

La loi Climat et résilience vise deux objectifs : une réduction de moitié du rythme de l’artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la période 2011-2021 (donc – 50 % en 10 ans) et l’atteinte de zéro artificialisation nette (ZAN) à horizon 2050 (c’est-à-dire autant ou plus de surfaces « renaturées » que de surfaces artificialisées). Ces objectifs sont traduits par des obligations applicables aux collectivités territoriales, qui devront intégrer à leurs documents d’urbanisme et de planification d’ici 2027 des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols, définis pour chaque période décennale3. Par ailleurs, à compter de 2031, une nomenclature des sols artificialisés entrera en vigueur, qui servira de base de calcul à l’artificialisation intervenue dans le périmètre de chaque collectivité4.

La proposition de loi du Sénat pour faciliter la tâche des élus

La proposition de loi du Sénat vise notamment à répondre aux inquiétudes de nombreux élus locaux quant aux difficultés de mise en œuvre de la ZAN, liées à l’inadéquation des textes d’application et à des difficultés pratiques mal anticipées.

Elle propose5 d’abord de prolonger le dialogue entre échelons territoriaux et de renforcer la gouvernance décentralisée de la ZAN, en allongeant d’un an le délai de modification des documents régionaux et en adaptant les étapes de la procédure de modification des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet)6 , ce qui paraît plutôt opportun au regard des nombreuses interrogations d’élus.

Le Sénat y propose aussi d’accompagner les projets structurants de demain en prévoyant une comptabilisation séparée pour ces derniers afin qu’ils ne pèsent ainsi pas sur les enveloppes des collectivités, et en facilitant la mutualisation des projets d’ampleur régionale, avec un droit de proposition pour les communes et les EPCI7. L’approche paraît de nature à mutualiser habilement les intérêts.

La proposition de loi vise à mieux prendre en compte les spécificités des territoires et les efforts de réduction de l’artificialisation et de renaturation de la part des collectivités dès 2021. Elle garantit à chaque commune une surface minimale de développement communale d’un hectare en sanctuarisant une part réservée au développement territorial, pour les projets d’intérêt général non anticipés ou qui ne rentreraient pas dans les enveloppes initiales affectées aux communes et aux EPCI : il s’agit là de deux souplesses qui séduiront les élus, mais dont il conviendrait cependant d’encadrer l’emploi. La proposition de loi s’efforce aussi de mieux protéger les espaces verts et la nature en ville, de prendre en compte l’impact du recul du trait de côte et les spécificités des territoires de montagne et ultramarins.

Enfin, la proposition prévoit des outils de transition : données d’artificialisation complètes et fiables à fournir par l’État, « droit de préemption ZAN », etc.

La proposition8 sera examinée en première lecture en juin 2023 par l’Assemblée nationale. Elle devrait apporter des réponses aux inquiétudes et interrogations de nombreux élus locaux, rapportées par M. Édouard Courtial.

Les recommandations du Shift Project

Il est important de rappeler que toutes les parties prenantes (l’Assemblée nationale, le Sénat, le Gouvernement, les élus locaux) sont alignées sur l’objectif crucial de réduction de l’artificialisation des sols. Le Sénat le rappelle dans des termes sans équivoque : « l’incontestable urgence climatique et environnementale doit engager l’ensemble de la Nation dans une démarche commune de sobriété foncière. »9

Dans cette optique, le Shift Project, dans sa publication « Climat, crises : comment transformer nos territoires ? » d’octobre 2022 propose de nombreuses pistes d’actions aux élus.

  • Inventer de nouvelles manières de conjuguer logement et espaces agricoles et naturels. L’enjeu est d’élaborer de nouvelles stratégies d’urbanisation privilégiant les projets en zones déjà artificialisées ou sur les terres et les espaces naturels les moins riches : intensification des usages dans les bâtiments existants, réhabilitation du bâti, réaménagement de friches, densification et réduction de l’emprise au sol des projets, maximisation des surfaces de pleine terre, installation de hameaux légers, caractérisation des fonctions des sols…. Ces mesures sont indispensables pour préserver les espaces naturels, agricoles et forestiers et leurs fonctions de régulation du climat. L’élaboration de cette stratégie de sobriété foncière doit passer par un travail à l’échelon intercommunal afin de mutualiser les efforts des collectivités territoriales et garantir leur cohérence. L’association Intercommunalités de France recommande également de généraliser les PLUi10 : les territoires qui en sont dotés auraient déjà réalisé davantage d’efforts de sobriété foncière que les autres.
  • Rénover et redynamiser les centre-bourgs afin de proposer une offre de logements attractifs et de haute qualité (rénovation énergétique, adaptation au vieillissement, adaptation au changement climatique…). Il s’agit aussi de renforcer le lien social et de mettre fin au modèle de l’habitat dispersé, fortement consommateur en foncier. Le développement d’une nouvelle offre de logements temporaires et de nouveaux usages pour les bâtiments publics et touristiques (hors des périodes de fréquentation) est également de nature à réduire les besoins en foncier.

En conclusion, l’objectif « zéro artificialisation nette » doit conduire à élaborer des stratégies foncières adaptées à la spécificité des territoires et largement transversales, qui seront porteuses de nombreux impacts positifs. De telles stratégies peuvent ainsi viser à améliorer l’autonomie alimentaire locale et la qualité de l’alimentation, réduire les risques liés aux inondations et aux sécheresses, grâce à la préservation des zones humides et à l’évolution des pratiques agricoles vers l’agroécologie. Elles sont indissociables des efforts d’amélioration du cadre de vie des habitants, du renforcement du lien social, de réduction des besoins en déplacement, etc.

Des outils toujours plus nombreux

De nombreux acteurs publics et privés sont déjà mobilisés pour accompagner les collectivités territoriales dans la prise en compte de l’objectif ZAN.

  • Les agences d’urbanismes regroupées au sein de la FNAU (Fédération nationale des agences d’urbanisme) proposent de nombreux outils et publications sur la question11, les CAUE également.
  • Le CEREMA publie des retours d’expériences et informe sur les dispositifs d’accompagnement à destination des collectivités territoriales12.
  • L’IGN développe une base de donnée, l’OCS GE, qui décrit l’occupation du sol du territoire métropolitain et des départements et régions d’outre-mer (DROM) à horizon 202413.
  • Le portail de l’artificialisation des sols14 propose un suivi chiffré de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, ainsi que des analyses de ces données.
  • The Shift Project a développé l’outil Shift My Town, qui permet aux collectivités territoriales de visualiser gratuitement et rapidement un grand nombre de données, afin de faciliter le dialogue et la mobilisation à l’échelle locale autour des enjeux de transition écologique{15] , qui incluent évidemment les enjeux fonciers.

1 Gazette du Carbone du 2 mai 2023 & Gazette du Carbone du 6 décembre 2022

2 www.senat.fr/basile/visio.do?id=d0149584&idtable=d170724-113578_3

3 L’essentiel sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, commission spéciale zéro artificialisation nette (ZAN), Sénat. www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-205.html

4 Ibid.

5 Ibid et www.vie-publique.fr/loi/288650-proposition-de-loi-zero-artificialisation-nette-au-coeur-des-territoires

6 outil2amenagement.cerema.fr/le-schema-regional-d-amenagement-de-developpement-r403.html

7 Établissement public de coopération intercommunale — Wikipédia (wikipedia.org)

8 www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/DLR5L16N46880

9 L’essentiel sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires. www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-205.html

10 www.banquedesterritoires.fr/mise-en-oeuvre-du-zan-les-intercommunalites-appellent-generaliser-le-plui

11 www.fnau.org/fr/publications/ressources-sur-le-zan/

12 www.cerema.fr/fr/mots-cles/zero-artificialisation-nette

13 geoservices.ign.fr/ocsge

14 artificialisation.developpement-durable.gouv.fr/suivi-consommation-espaces-naf

15 territoiresaufutur.org/

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Réflexions décarbonées

Le bâti scolaire à l’épreuve de la transition écologique

Les écoles, collèges et lycées représentent environ 140 millions de mètres carrés, soit la moitié du parc de bâtiments publics propriété des collectivités territoriales. Les fortes chaleurs subies désormais dès le mois de juin et l’explosion du coût de l’énergie rendent leur adaptation urgente. Quels sont, pour les collectivités territoriales, les enjeux et les défis de la rénovation du bâti scolaire ? Les élus sont-ils bien accompagnés dans leurs projets de réhabilitation ou construction ? Une consultation des élus locaux par le Sénat1 , ayant mobilisé plus de 1000 contributeurs, s’est clôturée le 29 avril 2023. Elle servira de base de réflexion sur des sujets importants tels que le financement, les aides, le type d’énergie principalement utilisé pour le chauffage, la capacité des établissements à faire face à une vague de chaleur en 2023, ainsi qu’un recensement des espaces rafraîchis pouvant accueillir les élèves et le personnel.

Les spécificités du parc immobilier public

Les établissements scolaires ne sont pas soumis aux étiquettes DPE, mais au dispositif éco efficacité tertiaire (DEET)2 , ex-décret tertiaire . Il rend obligatoire la réduction des consommations d’énergie finale des actifs immobiliers selon un calendrier établi et une déclaration des consommations annuelles sur une plateforme publique (OPERAT)3 . Les propriétaires, en lien avec les occupants, sont ainsi tenus de réduire les consommations des bâtiments de 40 % d’ici 2030, 50 % d’ici 2040 et 60 % d’ici 2050, en se fondant sur une année de référence de consommation postérieure à 2010.

Cette incitation réglementaire à la rénovation n’est pas que théorique, puisque les acteurs qui n’effectueraient pas leur première déclaration d’ici le 30 septembre 2023 écoperont d’une amende (1 500 € pour une personne physique et jusqu’à 7 500 € pour des personnes morales) et se verront désigner sur une liste publique peu flatteuse (processus de « name and shame »). Les bureaux d’études techniques ont développé des modèles d’étude pour analyser l’état actuel du bâtiment et élaborer un plan de mise en conformité avec le DEET. Un certain nombre de difficultés se présentent dans la réalisation des travaux, notamment pour les établissements les plus vétustes et du fait qu’il faut intervenir sur des sites occupés.

Il faut noter que des travaux moins ambitieux que la réhabilitation énergétique complète des bâtiments peuvent être mis en œuvre à moindre coût avec des résultats assez probants. Par exemple, la ville de Paris transforme progressivement depuis 2017 une partie de ses cours d’école pour faire face au dérèglement climatique en remplaçant le bitume par un autre revêtement qui stocke moins la chaleur. Le projet vise également à réduire l’imperméabilisation de ces espaces, en augmentant le nombre d’arbres plantés, de potagers pédagogiques… et en sensibilisant les enfants au sujet4 . Ces solutions permettent d’engranger des victoires rapides toujours bonnes à prendre en termes d’exemplarité et de motivation dans la course contre le réchauffement, mais elles ne doivent surtout pas conduire à faire l’économie d’une réflexion voire d’une planification à moyen-long terme sur les mesures de décarbonation et de résilience face au réchauffement climatique. La même Mairie de Paris a mis en place une mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris « Paris à 50 degrés : s’adapter aux vagues de chaleur » qui a remis son rapport5 en avril. Parmi les 85 mesures visant à éviter que la capitale ne devienne inhabitable à moyen terme, la rénovation et construction neuve du bâtiment mises sur les solutions passives pour réduire efficacement et de manière vertueuse la chaleur. Beaucoup de collectivités territoriales auraient intérêt à s’inspirer de cette démarche.

S’agissant de la consultation sénatoriale, il sera intéressant d’en suivre les conclusions qui paraîtront en juin 2023 et les enjeux principaux remontés par les élus locaux et de suivre les décisions politiques qui en découleront

La problématique des collectivités territoriales doit être mise en perspective dans celle plus large du parc immobilier français

Pour l’ensemble du parc immobilier existant français, le taux de renouvellement est inférieur à 1 % par an6 , alors que le secteur du bâtiment représente 23 % des émissions de gaz à effet de serre en France7.

Les enjeux des bâtiments tertiaires publics sont très spécifiques :

  • les études nécessaires sont fort complexes alors que beaucoup des collectivités, notamment les mairies, n’ont pas l’ingénierie nécessaire ; les chantiers sont nombreux et multiformes avec des élèves dans les bâtiments,
  • il est important de bien configurer les programmes de travaux en arbitrant notamment entre plusieurs programmes, entre seulement une rénovation énergétique ou d’autres travaux en même temps
  • il est parfois nécessaire de renoncer à d’autres investissements pour faire face à l’urgence de certains travaux
  • les risques d’amendes ne sont pas négligeables.

Cette consultation ne rejoint donc qu’en partie les recommandations Shift Project dans son Plan de transformation de l’économie française (PTEF), qui étudie, entre autres, le secteur du logement. Les principales recommandations du PTEF sont les suivantes :

  • Mettre en place une obligation conditionnelle de rénovation en fonction de l’étiquette DPE des logements, et renforcer le seuil de déclenchement progressivement selon un calendrier connu très en amont permettant de s’y préparer.
  • Modifier le système d’aides financières de manière à pousser au regroupement des travaux
  • Augmenter fortement l’activité liée au ciblage et à l’accompagnement
  • Faire appliquer le décret Travaux embarqués
  • Envisager la possibilité d’un congé pour rénovation à l’image des congés pour déménagement existant au sein de certaines conventions collectives

1 www.senat.fr/le-senat-et-vous/participer-aux-consultations/detail-actualite/le-bati-scolaire-a-lepreuve-de-la-transition-ecologique-elus-locaux-le-senat-vous-consulte.html

2 Éco Énergie Tertiaire. Décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 faisant suite à la loi ELAN de fin 2018

3 www.le-decret-tertiaire.fr/plateforme-operat-decret-tertiaire/

4 The Shift Project, PTEF, La Résilience des territoire, tome II – Agir

5 www.paris50degres.fr

6 Ordre des Architectes, 2019. Incluant les logements résidentiels et collectifs, les bâtiments tertiaires ainsi que les équipements publics.

7 Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires & Ministère de la Transition énergétique, 2022

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