La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 24

L’érosion côtière et l’augmentation du prix de l’essence sur les chauffeurs de VTC.
Deux exemples, deux hésitations, mais la question est toujours la même : alléger et compenser le poids des premières conséquences du dérèglement climatique ou financer la transition ?
Bonne lecture !

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Notre sélection de la semaine

Questions émissions

Notre sélection de la semaine

Développement durable des territoires ruraux (suite)

Proposition portée par M. Philippe BAS, Mme Béatrice GOSSELIN, MM. Jean-Baptiste BLANC et Jean-François RAPIN (Sénateurs.rices Les Républicains)

La proposition de loi relative au développement durable des territoires ruraux comprend deux volets distincts, s’attachant à des problématiques bien différentes :

  1. Un ensemble de mesures relatives à l’aménagement des zones rurales : sujet analysé dans la Gazette du 31 mai1;
  2. Des dispositions relatives aux zones littorales touchées par le recul du trait de côte : sujet analysé dans cette nouvelle édition de la Gazette.

Après une critique sévère du mode de vie urbain et péri-urbain qui « a atteint ses limites » et connaît une « urbanisation anarchique », les auteurs appellent à une révision « en profondeur » de la politique d’aménagement du territoire. Les espaces littoraux font l’objet d’une attention particulière du fait des contraintes législatives importantes et des risques liés à l’érosion littorale.

De multiples mesures tentent d’apporter des « correctifs » à des textes votés pour préserver l’environnement et lutter contre le dérèglement climatique, à commencer par la loi Climat et résilience. Pour les députés porteurs de la proposition de loi, la logique globale des textes sur le développement durable « n’appelle pas de contestation », mais ils mettent en garde contre « les absurdités » d’une application « sans discernement ».

Quelles sont les mesures proposées ?

Elles touchent à des domaines variés, à savoir :

  • La relocalisation des biens menacés par le retrait du trait de côte ne devra pas être considérée systématiquement comme des constructions nouvelles.
  • Les collectivités devront pouvoir acquérir de l’immobilier proche du rivage, le mettre à disposition d’acteurs économiques dans le cadre de baux dits de « sécurisation d’activité littorale » et assumer la perte de patrimoine en cas de réalisation du risque.
  • Le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (dit « Fonds Barnier ») devra financer les acquisitions de foncier pour des aménagements réduisant la vulnérabilité des territoires2.
  • La possibilité d’urbanisation des dents creuses littorales [très encadrée par la loi ELAN] doit être restaurée, avec transfert aux maires ou présidents d’intercommunalités des décisions de construction.
  • La densification des hameaux devra respecter les volumes et hauteurs du bâti environnant.
  • L’implantation dérogatoire d’antennes de télécommunication devra être permise dans les zones littorales (cf. dernière analyse de la Gazette3).

Cette proposition de loi soulève son lot de questions.

Philosophiquement, le socle de l’argumentaire est d’inspiration libérale. Les impératifs économiques sont considérés comme premiers, et les contraintes réglementaires à alléger. Le texte ignore les limites physiques du monde réel et prétend poursuivre une politique des petits pas, qui ne saurait pourtant répondre à l’urgence des enjeux.

En termes d’adaptation au dérèglement climatique et de lutte contre la biodiversité, la proposition de loi contient des articles techniquement contre-productifs ou contradictoires :
  • Ne pas comptabiliser les déplacements de biens immobiliers menacés comme des constructions nouvelles revient à déroger à l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) sur les territoires d’accueil, et ce de manière potentiellement massive, comme l’attestent les études du CEREMA sur l’ampleur des biens touchés par l’érosion côtière4.
  • La lutte réclamée contre l’érosion des côtes par recharge artificielle est illusoire et s’apparente à un tonneau des Danaïdes.
  • Il est absurde de vouloir combler les dents creuses littorales quand l’urgence commande de sauver les interstices qui peuvent encore l’être.

Et la décarbonation dans tout cela ?

Les auteurs disent admettre la nécessité des lois environnementales existantes mais ne perçoivent pas l’urgence de la situation à laquelle elles tentent de répondre. Ils entendent ainsi remettre en cause la ZAN, qui est pourtant un élément clé puisque le rôle de l’artificialisation des sols dans les bouleversements environnementaux est démontré5. Commencer à demander des dérogations alors que le processus de réduction n’est pas encore enclenché serait un très mauvais signal envoyé aux responsables politiques.

Une autre demande à contre-courant est celle du renforcement du pouvoir de décision des élus locaux en matière d’urbanisation. L’idée d’une planification, chère au Shift Projet, semble aujourd’hui intégrée au projet du gouvernement, avec une ministre chargée de « la planification environnementale ». La résolution d’un gigantesque défi global ne peut résulter de la somme de décisions particulières, au bon vouloir d’élus se déterminant selon des critères variables.

Enfin, ce texte n’est pas porteur d’un projet de territoire sobre et résilient (cf. PTEF) mais d’une volonté de faire perdurer un système jusqu’à son extrême limite. Quitte à repousser jusqu’à trop tard les évolutions profondes qui s’imposent à la survie, à terme, de l’économie et de la société.

1 gazetteducarbone.org/2022/05/31/la-gazette-du-carbone-semaine-22-31-mai-2022#0-ppl-pjl_394

2 gazetteducarbone.org/2022/04/19/la-gazette-du-carbone-semaine-16-19-avril-2022#0-ppl-pjl_375

3 gazetteducarbone.org/2022/06/07/la-gazette-du-carbone-semaine-23-07-juin-2022#0-ppl-pjl_398

4 www.cerema.fr/fr/actualites/cerema-acheve-realisation-indicateur-national-erosion

5 www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2020-01-20_MTES_EES-SNBC2_rapport.pdf

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Questions émissions

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Effets de la hausse du prix des carburants sur les chauffeurs VTC

Portée par Mme Anne-France Brunet (La République en Marche - Loire-Atlantique)

Début mai, le prix du carburant a augmenté de 6% en une semaine dans un contexte global de hausse des prix1. Les prévisions sont pessimistes quant à un retour aux prix antérieurs à la crise ukrainienne à court terme. Les chauffeurs de voitures de transport avec chauffeur (VTC) sont parmi les premiers touchés par cette hausse puisque les charges liées à l’énergie représentent environ 20% des charges des chauffeurs (Uber, 2018). En réponse à cette situation, la députée Anne-France Brunet porte la voix de l’Intersyndicale nationale VTC INV et revendique trois dispositifs pour protéger les conditions de travail des chauffeurs : l’augmentation tarifaire des plateformes, le remboursement partiel de la TICPE et la mise en place d’un chèque énergie évolutif.

La première mesure concerne les opérateurs de plateformes, intermédiaires entre les clients et les chauffeurs, qui ont pour une grande part déjà mis en place des dispositifs pour compenser le poids du carburant sur les budgets des chauffeurs. Ainsi des plateformes telles que Uber, Freenow, Marcel ont-elles revalorisé leurs prix avec ou sans impact sur les usagers ou mis en place des chèques énergie2. Ces actions relèvent des stratégies individuelles des entreprises et ne sont pas directement du ressort de l’État.

La deuxième mesure demandée par la députée, au contraire, cible directement la politique de l’État et la différence de traitement entre les taxis, qui ont droit à une exonération de la TICPE, et les VTC, qui ne sont pas concernés. Cette distinction s’explique par des cadres juridiques différents3. La profession de chauffeur de taxi est soumise à une réglementation plus contraignante et doit notamment respecter des prix réglementés, ce qui limite ses capacités d’adaptation aux conjonctures économiques et justifie un plus fort interventionnisme de l’État.

Des mesures d’allègement des charges liées à l’énergie amélioreraient la situation des chauffeurs VTC à court terme, mais ne favoriseraient pas l’adaptation progressive des entreprises à une hausse structurelle des prix du carburant. La pérennité du secteur du VTC dépend davantage d’une évolution des pratiques qui permettrait de diminuer sa dépendance énergétique et s’inscrirait dans une démarche durable.

Différentes mesures peuvent être recommandées à cet effet.

À l’échelle des chauffeurs, la diminution des consommations peut passer par l’intégration de l’éco-conduite dans la formation continue. Cette démarche permet en effet de réduire jusqu’à 30% les consommations sur un trajet.
Les plateformes, quant à elles, ont de nouveaux défis à relever pour s’adapter aux enjeux environnementaux.

L’optimisation du taux de remplissage par les algorithmes de médiation client-chauffeur et la proposition de services de regroupement des courses seraient de nature à réduire le coût des trajets et à compenser la hausse des charges énergétiques. À moyen terme, l’évolution des flottes vers des véhicules électriques ou des véhicules plus légers et moins consommateurs permettrait également de réduire les consommations et les coûts associés4.

Plus généralement, le secteur du VTC devrait aussi réfléchir à sa contribution aux services utilement complémentaires aux transports collectifs (PMR, personnes isolées, rabattement sur les lignes, etc.) et suffisamment attractifs pour diminuer le taux de motorisation des ménages.

1 www.prix-carburants.gouv.fr/

2 www.lemonde.fr/economie/article/2022/03/28/les-chauffeurs-vtc-se-mobilisent-face-a-la-hausse-du-prix-du-carburant_6119516_3234.html

3 www.ecologie.gouv.fr/taxi-vtc-reglementation-des-transports-publics-particuliers-personnes

4 theshiftproject.org/mobilite-decarbonee/

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