La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 22

Nous saluons cette semaine une proposition de loi (déjà adoptée) donnant à l’ARCEP, « le gendarme des télécoms », une compétence en matière environnementale dans l’arbitrage du déploiement d’une technologie.
Puis, inspirés de la poésie des Sénateurs Républicains, nous réfléchissons sur leur proposition d’instaurer des « ZDR », zones à fort besoin de développement durable (sic!).
Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Réflexions décarbonées

Notre sélection de la semaine

Développement durable des territoires ruraux

Proposition portée par M. Philippe BAS, Mme Béatrice GOSSELIN, MM. Jean-Baptiste BLANC et Jean-François RAPIN (Sénateurs.rices Les Républicains)

La proposition de loi relative au développement durable des territoires ruraux comprend deux volets distincts, s’attachant à des problématiques bien différentes :

  1. Un ensemble de mesures relatives à l’aménagement des zones rurales d’une part, regroupées dans le premier chapitre de la proposition de loi et sur laquelle porte la présente analyse ;
  2. Des dispositions relatives aux zones littorales touchées par le recul du trait de côté d’autre part, qui seront analysées dans une prochaine édition de la Gazette.

L’introduction d’un nouveau concept : les zones à fort besoin de développement rural

Le chapitre premier de la proposition de loi vise à créer des Zones à fort besoin de développement dural (ZDR), qui, à l’instar des zones de revitalisation rurale, pourraient bénéficier de différents dispositifs. Pour être classée en ZDR, les communes devront répondre aux deux conditions suivantes :

  1. Avoir une faible densité de population (commune classée comme « peu dense » ou « très peu dense » par l’INSEE) ;
  2. Se situer en dehors de l’aire d’attraction d’une ville de plus de 50 000 habitants (18,9% de la population française se situait sur ce périmètre en 20171).

Les dispositifs mis en place dans ces ZDR seraient les suivants :

  • Autorisation des constructions et installations dans des dents creuses ou en continuité de zones urbanisées existantes ;
  • Exclusion de certaines opérations du champ de la comptabilisation de l’artificialisation dans le cadre de la trajectoire vers la « zéro artificialisation nette » ;
  • Mise en place d’un programme national de rénovation, mis en œuvre par l’Agence nationale de la cohésion des territoires, équivalent aux programmes de renouvellement urbain liés à la politique de la ville ;
  • Application du dispositif « Pinel ».

L’avis des Shifters

La proposition de loi entend compléter ou amender certaines dispositions de la loi Climat et résilience, afin de les adapter aux espaces ruraux au nom de « leur droit à se développer ». Elle souhaite exempter les collectivités situées dans les ZDR de l’application de la loi « zéro artificialisation nette » lors de la construction de maisons individuelles.
Il est toutefois à noter que le secteur du logement représente environ un dixième des émissions de gaz à effet de serre en France2 et est caractérisé par une forte proportion de maisons individuelles et de logements vacants. On retrouve particulièrement cette situation dans les petits pôles urbains et, dans une moindre mesure, dans les communes situées en dehors d’une aire d’attraction urbaine, où le taux de vacance est supérieur à la moyenne nationale3.

En vue d’une décarbonation de l’habitat, le Plan de transformation de l’économie française (PTEF)4 préconise de réduire progressivement le nombre de logements neufs construits chaque année, et notamment la proportion de maisons individuelles. La position du Shift Project sur ce sujet est donc en opposition avec celle soutenue par les sénateurs dans le cadre de cette proposition de loi.
Par ailleurs, étendre le dispositif Pinel aux ZDR alors que celles-ci hébergent un nombre significatif de logements vacants ne paraît pas pertinent au regard des objectifs fixés par le PTEF. En effet, il est nécessaire de réduire tout d’abord le taux de vacance des logements avant d’envisager la construction d’habitats neufs.

En revanche, la mise en place d’un programme national de rénovation urbaine destiné aux ZDR semble en phase avec les préconisations du PTEF. La proposition de loi prévoit, à ce sujet, que ce dispositif soit destiné à « quatre catégories d’intervention » à savoir :
  • La réhabilitation de logements ;
  • La transformation d’installations et locaux vacants en logements ;
  • Des opérations de désartificialisation des sols ;
  • La réalisation de logements sous réserve qu’elle n’entraîne pas une artificialisation nette.

À l’exception de la dernière, les trois premières catégories sont cohérentes avec les mesures du PTEF relatives à la rénovation énergétique du bâtiment, à la décarbonation de la chaleur (source d’énergie bas carbone pour les chauffages, raccordement de millions de logements collectifs au réseau de chaleur, utilisation de la pompe à chaleur dans d’autres logements, etc.) et à l’arrêt de l’artificialisation des sols. La vulnérabilité énergétique des ménages est plus importante dans les ZDR qu’en zones urbaines car ils ont davantage recours au chauffage fioul et occupent des surfaces plus grandes. Il conviendrait cependant que ces objectifs soient assortis d’écoconditionnalités afin d’assurer une conversion vers un parc de logements bas carbone.

Le PTEF prévoit également que le nombre d’actifs agricoles augmente de 76% à l’horizon 2050, entraînant une création nette de plus de 400 000 emplois. La relocalisation des activités de transformation au plus près des lieux de production agricole entraînera, à terme, une évolution des bassins d’emplois et la relocalisation d’une partie de la population active en zone rurale. Aussi, si le postulat de départ de la proposition de loi ne semble pas pertinent au regard du PTEF, certaines dispositions pourraient néanmoins accompagner cette évolution à venir : par exemple, la sanctuarisation de financements pour la création de nouveaux logements via la réhabilitation de lieux vacants ou désaffectés, ou via la transformation de l’usage de certains bâtiments tertiaires. Ces mesures assigneraient aux pouvoirs publics l’objectif d’« assurer un niveau de service de qualité et de proximité » dans les bourgs ruraux, prérequis pour l’accueil de nouvelles populations, tout en limitant l’étalement urbain.

1 INSEE

2 C. Le Quéré, « Rénover mieux : Leçons d’Europe », Haut Conseil pour le Climat, nov. 2020, repris dans le rapport « Habiter dans une société bas carbone » du Shift Project, oct. 2021

3 Observatoire des territoires, sur la base de données INSEE 2014

4 The Shift Project, Climat, crises. Le plan de transformation de l’économie française, Paris, Odile Jacob, 2022

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Réflexions décarbonées

La régulation environnementale du numérique a-t-elle trouvé son gendarme ?

Proposition de loi adoptée par l'Assemblée et le Sénat le 23 décembre 2021

Ce texte complète la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France dite « REEN »1. Il accorde un pouvoir de régulation environnementale à l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques, des Postes et de la distribution de la Presse (ARCEP). Pour assurer ce rôle, l’autorité recueille les informations sur l’empreinte environnementale des acteurs du numérique. La loi prévoit, par ailleurs, une obligation de transparence pour les fournisseurs de biens comportant des éléments électroniques, sur la durée de compatibilité de ces biens avec les mises à jour logicielles à venir. Enfin, les prérogatives de l’ARCEP s’élargissent également aux centre systèmes d’exploitation et à leurs fournisseurs de mêmes qu’aux centres de données et leurs opérateurs.

C’est une loi bienvenue qui vise à donner des pouvoirs au gendarme des télécoms sur l’impact environnemental du numérique.

Contexte

La mission de l’ARCEP est de faire des réseaux, un bien commun géré au mieux pour les intérêts de la collectivité. La maîtrise des effets des usages du numérique sur le climat relevant bien de l’intérêt général, l’extension de ses prérogatives paraît donc de bon aloi. L’ARCEP a d’ailleurs publié, fin avril 2022, les premiers éléments d’un baromètre de l’empreinte environnementale du numérique, conformément à un engagement pris en décembre 2020.

Ce texte de loi vise à :
  • permettre à l’ARCEP de collecter les données quantitatives mesurant l’impact environnemental des acteurs du numérique ;
  • la doter d’un moyen répressif en cas de manquement aux engagements à l’aide de sanctions pécuniaires proportionnées (au maximum 3% du chiffre d’affaires mondial des entreprises) ;
  • améliorer la transparence sur les équipements numériques en termes de garantie, durée de vie et compatibilité.

Le numérique, glouton énergivore

Les impacts du numérique, improprement perçu comme facteur de « dématérialisation », sont loin d’être négligeables. Ce secteur accaparait déjà 3% de la consommation énergétique mondiale en 2019 avec une croissance soutenue de 9% par an. En termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES), sa part était de 4 , avec une croissance annuelle de 8. Ce secteur du « virtuel » et des « nuages » impacte l’environnement de manière bien réelle car il repose en réalité sur une infrastructure et des équipements matériels qui ne cessent de croître.

Cette loi va donc dans le bon sens en donnant au régulateur les moyens de faire respecter des objectifs environnementaux à tous les acteurs de la chaîne, à savoir les “fournisseurs de services de communication au public en ligne, opérateurs de centre de données, fabricants d’équipements terminaux, équipementiers de réseaux et fournisseurs de systèmes d’exploitation”. Si les études (GreenIT – ADEME-ARCEP – The Shift Projet) présentent des nuances, toutes s’accordent pour dire que, d’un côté, la phase de fabrication et, de l’autre, les terminaux utilisateurs, sont prépondérants dans l’empreinte environnementale du numérique.

Mesurer, le préalable au pilotage

Le rôle de collecte de l’ARCEP est d’autant plus important que l’étude de l’impact environnemental du numérique est un domaine émergent. The Shift Project a fait partie des associations pionnières en démocratisant cet enjeu à partir de 2018. L’article 4 de la loi REEN créant un observatoire des impacts environnementaux du numérique, rattaché à l’ADEME et l’ARCEP, vise notamment à consolider les études existantes tout en élaborant une définition de la sobriété numérique. Ces travaux de mesures sont les préalables à la définition d’une feuille de route par l’ARCEP pour atténuer l’impact environnemental du numérique.

L’impact environnemental comme indicateur : un changement de paradigme

Outre les pouvoirs élargis de l’ARCEP et la capacité de mesure, c’est bien le début d’un changement de modèle qui se niche au cœur de cette loi. La prérogative principale de l’ARCEP était jusqu’à présent d’assurer « que les dynamiques et intérêts des opérateurs privés se concilient avec les objectifs de connectivité du territoire, de compétitivité et de concurrence effective et loyale entre les opérateurs, au bénéfice des utilisateurs finaux. »3. En intégrant l’environnement dans l’équation, l’ARCEP va désormais être en position d’arbitrer le déploiement d’une technologie au regard de son empreinte environnementale. Ce sont des débats intéressants et surtout nécessaires qui s’annoncent au sein du gendarme des télécoms.

1 www.vie-publique.fr/loi/282223-loi-regulation-environnementale-du-numerique-par-larcep

2 www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000039369393/

3 www.arcep.fr/larcep/nos-missions.html

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