La gazette du carbone

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The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 08

Chère lectrice, cher lecteur,

Cette semaine la Gazette prend un peu de recul international pour vous évoquer une nouvelle piste intéressante de négociations internationales, les Clubs Climat.

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

Clubs Climat : vers une redéfinition du système de négociation climatique ?

Le 1er décembre 2023, lors de la COP 28 à Dubaï, le chancelier allemand Olaf Scholz annonçait la création d’un Club Climat pour les secteurs de l’acier, du ciment et de l’aluminium réunissant 36 membres (la Commission européenne et 35 États dont la France).1 Qu’est-ce qu’est ce Club Climat et en quoi peut-il aider à accélérer l’atteinte des objectifs carbone planétaires ?

Club Climat : kesako ?

Un Club Climat est un regroupement d’entités (pays, entreprises, individus…) qui décident de mettre en œuvre des politiques carbone communes plus ambitieuses que celles en place autour d’eux. Le Club Climat vise à démultiplier la coopération sur les sujets climatiques en incitant d’autres entités à le rejoindre via la mise en œuvre de mesures incitatives.

William Nordhaus, prix 2018 de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel pour son travail sur les interactions entre économie et changement climatique, a théorisé en 2015 les conditions de succès de Clubs Climat2.

  • Il doit exister un bien commun partagé par tous les membres – ici le climat.
  • La coopération doit induire un bénéfice pour chacun des membres – ici diminuer les émissions permet de limiter les effets du changement climatique pour chaque participant.
  • Les non-membres peuvent être pénalisés à moindre coût pour les membres – par exemple via l’instauration d’un droit de douane.
  • Les membres du Club n’ont pas d’intérêt à le quitter et donc leur adhésion s’inscrit dans la durée.

Palier les limites des COP

La volonté de créer un Club Climat à l’échelle du G7 part du constat que le système onusien des COP peine à produire des actions climatiques à la hauteur des enjeux. Les COP (Conference of the Parties) sont des conventions internationales se réunissant annuellement depuis 1995 dont le but est de fixer les objectifs climatiques mondiaux ou en tout cas de recenser les objectifs de ses membres, et d’obtenir des accords internationaux qui vont dans leur sens. En 1997, le Protocole de Kyoto visant à réduire les émissions de gaz à effets de serre à horizon 2012 a été signé lors d’une COP. Suite à l’expiration de ces premiers objectifs, la COP 21 de Paris en 2015 a vu la signature d’un engagement de pays à limiter le réchauffement climatique à +1,5°C.

Aussi importantes soient ces conférences, on reproche de plus en plus aux COP de ne pas être efficaces car elles n’obtiennent pas des pays des mesures concrètes pour atteindre les objectifs climatiques fixés. Cette inefficacité résulte notamment du phénomène de passager clandestin, appelé également en théorie des jeux le « dilemme du prisonnier »3. Imaginons deux suspects arrêtés par la police, qui n’ont plus la possibilité de parler entre eux. Si aucun des suspects ne dénonce l’autre, ils écoperont chacun d’un an de prison. S’ils se dénoncent tous les deux, chacun écopera de cinq ans de prison. Si l’un dénonce et l’autre se tait, le prisonnier ayant dénoncé est libéré tandis que l’autre écope de dix ans de prison.

L’optimum de groupe est que tout le monde se taise pour réduire les peines de prison au global. En revanche, d’un point de vue individuel, il vaut mieux pour un prisonnier qu’il dénonce son comparse. Prenons le problème du point de vue de A. Si B se tait, parler permet à A d’être libéré au lieu d’avoir un an de prison et si B le dénonce, parler permet à A de passer de 10 à 5 ans de prison.

Imaginons maintenant que les suspects soient des pays. L’optimum global serait que les pays engagent des mesures d’atténuation du changement climatique. Les investissements sont répartis et tous les pays récoltent les bénéfices climatiques. Mais un pays peut aussi décider plus égoïstement de ne pas investir dans la transition écologique et de se contenter de bénéficier des efforts faits par les autres. La peur que les autres pays adoptent cette deuxième posture peut refroidir les bonnes volontés à engager des actions si les efforts des autres ne sont pas assez tangibles. Au final, on risque d’atteindre une situation de blocage où personne ou presque ne met en œuvre d’actions.

Au-delà même de ce concept de « dilemme du prisonnier », la disparité de développement des pays et les désaccords sur la répartition des efforts à engager rendent l’atteinte d’un accord international complexe comme en témoignent les négociations lors des COP.

À l’inverse, le Club Climat lie les participants avec des sanctions juridiques et financières significatives s’ils ne respectent pas leurs engagements. Il comporte par ailleurs des leviers financiers défavorisant les non-participants afin de les inciter à adhérer, par exemple au travers de droits de douane ou équivalents, dont il convient cependant de s’assurer de la compatibilité avec les accords internationaux, notamment dans le cadre de l’Organisation du Commerce (OMC)

Le MACF : une forme de Club Climat ?

Le mécanisme d’ajustement de la taxe carbone aux frontières (MACF) est une taxe carbone mise en œuvre par l’Union européenne sur les biens et matières importés sur son territoire (voir Article Gazette Semaine 03 de 20244). Il présente des similarités avec un club puisqu’il s’agit d’un regroupement de pays qui a décidé de mettre en place une pénalité liée à la performance carbone sur les pays non-membres avec la volonté d’inciter ces derniers à augmenter leurs exigences carbone.

Le fait que le MACF soit un véritable Club Climat fait cependant débat5. Un Club Climat vise en effet la coopération entre différentes entités alors que le MACF peut être vu comme une mesure unilatérale de l’UE envers les non-membres. Ces derniers n’ont certes pas la possibilité d’intégrer l’Union européenne pour participer à la définition des méthodologies et objectifs à fixer comme cela aurait été le cas avec un véritable Club Climat. Le MACF leur impose de s’aligner sur une façon de faire qu’ils n’ont pas co-construite.

D’autre part, le MACF se concentre sur les enjeux financiers là où un Club Climat définit les incitations de manière plus large (non seulement financières mais aussi méthodologiques, renforcement des liens entre pays…).

L’initiative allemande dans le cadre du G7 devrait s’étendre à 33 pays

Le concept de Club Climat a gagné en popularité face aux difficultés à atteindre un accord international sur les questions climatiques. Dans ce contexte, le chancelier allemand Olaf Scholz a émis l’idée en 2021 de créer un Club Climat complémentaire des instances déjà existantes lors du démarrage de la présidence de l’Allemagne au G7 début 2022. Fin 2022, le G7 annonçait les travaux préparatoires d’un Club Climat en ouvrant une phase de structuration du Club. Un an plus tard, Olaf Scholz lançait donc officiellement le Club, conforté à la COP de Dubai, dont le but est l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris en se concentrant sur l’accélération de la transition du secteur de l’Industrie. Le partage de stratégies et méthodologies est au cœur du Club6.

Les travaux en cours se concentrent sur trois types de mesures7.

Premièrement, des politiques ambitieuses d”« atténuation » du climat visant à réduire l’intensité des émissions des économies participantes, dans le cadre desquelles les membres échangeront leurs meilleures pratiques et s’efforceront de parvenir à une compréhension commune des incidences économiques des politiques d”«  atténuation  », par exemple par une tarification explicite du carbone.

Le deuxième pilier sera la transformation conjointe de l’industrie par le biais du programme de décarbonation industrielle, du « pacte d’action pour l’hydrogène » et de l’expansion des marchés pour les produits industriels respectueux de l’environnement, qui ont souvent du mal à rivaliser en termes de prix avec leurs concurrents à base de combustibles fossiles plus polluants.

Le troisième pilier du Club Climat concernera les partenariats et la coopération, la déclaration mettant en avant les « partenariats pour une transition énergétique équitable  », qui sont des programmes adaptés à des pays comme l’Afrique du Sud ou l’Inde. Grâce à ces partenariats, les pays recevront un soutien financier et des transferts de technologie en fonction de leur niveau d’ambition climatique.

Le Club Climat semble donc une approche intéressante et complémentaire aux COP pour engager une coopération entre différents pays sur les questions carbone. L’initiative du dispositif étudié par le G7 paraît donc louable, du fait de son ampleur géographique, même si son efficacité devra être analysée avec un regard critique , d’autant plus que la question financière (imposer un prix commun du carbone) a été écartée pour recueillir plus d’adhésion (notamment celle des États-Unis). Rendez-vous fin 2024 quand le plan d’action de ce nouveau Club Climat devrait être annoncé avec davantage de détails : le caractère effectif des mesures devra à l’évidence être regardé de près.

1 Le chancelier allemand Olaf Scholz annonce la création d’un Club Climat – Reuters.com

2 Les Clubs Climat du G7, fiche de synthèse

3 Les clubs climatiques et la COP21 : ennemis d’aujourd’hui, alliés de demain ? – La lettre du CEPII

4 La taxe carbone aux frontières, un outil puissant de décarbonation – La Gazette du carbone, 23 janvier 2024

5 The EU CBAM and a climate club: Synergies and potential obstacles for full integration – Office fédéral allemand pour l’environnement

6 Communiqué de presse conjoint de la Chancellerie fédérale allemande et du ministère fédéral allemand de l’Économie et de la Protection du Climat : création par le G7 du Club climat

7 Olaf Scholz rallie les pays du G7 à son projet de « club climat » – Euractiv.fr

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