La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
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2024 | Semaine 03Chère lectrice, cher lecteur, La Gazette vous propose de prendre un peu de recul à l’échelle internationale et d’entrer dans plus de détails à propos du Mécanisme d’ajustement de la taxe carbone aux frontières (MACF). Bonne lecture ! |
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Réflexions décarbonées |
Réflexions décarbonées |
La taxe carbone aux frontières, un outil puissant de décarbonation
Depuis janvier 2024, les entreprises européennes doivent effectuer une déclaration mensuelle de leurs importations de matières premières les plus polluantes pour mettre en place en 2026 la taxe carbone aux frontières. Selon le gouvernement français, un peu moins de 10.000 entreprises tricolores seraient concernées. La plateforme de déclaration en ligne a ouvert en octobre 2023, même si les entreprises ne seront pas taxées avant 2026. Cette phase de transition doit permettre aux industriels de se familiariser aux procédures et à l’UE de tester son fonctionnement. Le mécanisme de la taxe carbone aux frontières s’inscrit dans le cadre du « Green Deal » européen, le plan de lutte contre le réchauffement climatique. Le 10 mai 2023, un texte instituant un Mécanisme d’Ajustement de la taxe Carbone aux Frontières (MACF) a été adopté par l’Union européenne (UE). Qu’apportera ce texte dans la lutte contre le changement climatique dans l’Union européenne et dans le monde ? Quotas carbones : késako ?Le Système d’Échange de Quotas d’Émissions européen (SEQE), en place depuis 2005, instaure un plafond sur les émissions carbone intérieures de l’Union européenne. Ce plafond réglementaire doit diminuer avec le temps pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Chaque entreprise possède donc un certain quota, ou tonnes de CO2, qu’elle peut émettre par an. Si une entreprise en émet plus , elle devra acheter des quotas à une entreprise qui n’a pas entièrement consommé les siens : cela crée un marché du carbone1. Pourquoi un Mécanisme d’Ajustement de la taxe Carbone aux Frontières (MACF) ?Le SEQE ne permet pas de taxer les importations, qui représentent pourtant un tiers des émissions de l’Union européenne2. Le MACF propose de taxer les produits importés au prix du carbone du marché européen et vise ainsi plusieurs objectifs3 :
Pour mieux comprendre ce qu’est le MACF et son fonctionnement, nous renvoyons à l’article de mars 2023 de la Gazette du Carbone3. Mise en œuvreDans un premier temps, le MACF ne s’applique qu’aux biens industriels de base, dont la production est à la fois sujette aux fuites carbone et très émettrices (environ 50% des émissions industrielles de l’UE)4. En France, 10 000 entreprises seraient concernées par cette première phase5. Les bénéfices du MACFAujourd’hui, des quotas sont distribués gratuitement aux entreprises pour éviter des délocalisations massives dans des pays n’imposant pas une taxe carbone. Cela a pour effet de grandement diminuer le prix réel du carbone et donc limiter l’incitation financière des entreprises à devenir plus vertueuses. Le MACF permet de protéger la compétitivité des entreprises de l’UE face à celles d’autres pays, tout en éliminant ces quotas gratuits, qui devraient disparaître d’ici 20344. La mise en œuvre du MACF permettrait de diminuer les fuites carbone. Actuellement, pour chaque 100 tonnes de réduction d’émissions de carbone dans l’Union européenne grâce au SEQE, environ 11,8 tonnes de carbone supplémentaires sont émises dans les pays non soumis à cette réglementation. Avec le MACF, cette quantité est estimée à diminuer à 7,7 tonnes6. Bien que les fuites de carbone ne soient pas complètement éliminées, l’implémentation du MACF contribuerait à la réduction globale des émissions de carbone à l’échelle mondiale. L’Union européenne discute cette mesure depuis des années, avec l’objectif clair d’inciter nos États fournisseurs internationaux à réduire eux aussi leurs émissions. Si le pays exportateur développe lui-même un marché carbone, l’Union européenne n’appliquera pas le mécanisme. Ainsi la Turquie, très dépendante de ses exportations vers l’UE, ou l’Indonésie, prévoient de taxer le carbone pour atténuer les effets de ce mécanisme. De son côté, l’Inde, dont l’Europe est le troisième partenaire commercial, craint que les entreprises du continent ne se détournent de ses matières premières à l’exportation, car la production locale est particulièrement émettrice de carbone, bien davantage que d’autres pays. Le nouveau système devrait fortement renchérir pour les Européens l’importation de l’acier indien. Le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) établi par le Shift Project estime que le MACF peut jouer un rôle dans la décarbonation de l’industrie en créant les conditions économiques favorables au développement de technologies de rupture qui sont aujourd’hui trop coûteuses7. Les limites du MACFLes entreprises craignent cependant de lourdes démarches administratives8 lors de la mise en œuvre de la MACF. Si les importateurs sont rompus aux déclarations douanières, déterminer les émissions de gaz à effet de serre, directes et indirectes, associées aux produits achetés est une autre affaire. La Commission a publié des guides pour les aider et il devrait y avoir une certaine souplesse pendant les six premiers mois… Pour faire face à la difficulté d’une traçabilité carbone efficace sur les émissions directes, et encore plus indirectes, des valeurs génériques d’émission seront proposées lorsque l’exportateur étranger n’est pas capable de fournir à l’importateur européen une valeur spécifique étayée. Dans la pratique, la difficulté de comptabilisation des émissions hors UE risque d’entraîner des valeurs par défaut « pénalisantes » pour un grand nombre d’exportateurs. Les exportateurs vertueux, faute de pouvoir apporter les preuves du calcul de leur empreinte carbone, ne seront donc pas récompensés, en tout cas à court. Par exemple, tous les jeans se verront assigner le même poids carbone indépendamment des efforts fournis pour diminuer leur empreinte6. Une forte incitation existera cependant pour que les exportateurs fournissant l’UE mettent en place les systèmes de collecte d’informations nécessaire pour évaluer et documenter leurs émissions carbone. Tout sera alors en place pour franchir assez spontanément une étape de plus : analyser ces données et réfléchir aux solutions de décarbonation. Cette même difficulté actuelle de traçabilité explique que seule la taxation des produits industriels de base est poursuivie dans un premier temps, limitant de fait l’impact à court terme du MACF. Dès lors, les entreprises produisant sur le territoire national pourraient être défavorisées si elles achètent leurs matières premières à l’international et produisent en UE, puisqu’elles seraient taxées sur ces matières tandis que le produit fini entièrement importé, lui, ne le serait pas8 favorisant de fait une délocalisation de la production européenne chez des exportateurs non UE peu vertueux . Il faut cependant voir la mise en œuvre de la MACF de façon dynamique dans le temps. A l’issue d’une période transitoire limitée aux biens de base, l’UE se propose d’étendre le champ d’application du MACF aux produits transformés, autre que les vis et les boulons. Il s’agira probablement dans un premier temps d’élargir l’approche aux composants mécaniques et aux biens d’équipement comportant une forte proportion d’acier, par exemple, les produits de quincaillerie, les articles culinaires et d’outillage, les pièces pour bâtiment, mais aussi les composants pour l’aéronautique ou l’automobile. De nombreux sous-traitants de ces secteurs importants en France sont donc concernés. La Commission européenne doit faire des propositions législatives en ce sens avant l’instauration de la taxe elle-même, début 2026. L’approche devrait ensuite s’étendre progressivement à davantage de biens intermédiaires, avec les mêmes effets vertueux d’entraînement susceptibles d’accroître l’efficacité carbone à l’échelle internationale. Il faut donc pousser afin que l’UE et ses membres mettent en place rapidement les méthodologies et outils d’extension de la MACF à davantage de produits pour lutter contre les risques résiduels de fuites carbone par délocalisation des entreprises européennes hors UE8. Même si l’effet d’entraînement escompté du MACF ne sera peut-être pas immédiatement ou pleinement au rendez-vous, le MACF semble un complément essentiel pour améliorer le SEQE. Son déploiement rapide à tous les produits et pas seulement aux matières premières est crucial pour ne pas mettre en difficulté les entreprises européennes. Cet outil qu’il convient de perfectionner comporte cependant dans son principe la capacité d’identifier de façon précise toutes les sources de carbone dans les biens et services français et européens. Il constitue donc un levier de décarbonation puissant qu’il convient donc de développer. 1 European Commission, What is the EU ETS? 2 INSEE, Un tiers de l’empreinte carbone de l’Union européenne est dû à ses importations, 20 fév. 2022. 3 The Shifters, La Gazette du Carbone, mars 2023 4 Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières, Ecologie.gouv,14 déc. 2023. 5 Les Échos, Taxe carbone aux frontières : la réforme entre en vigueur et affole les entreprises, 2023. 6 David G. Tarr, Why carbon border adjustment mechanisms will not save the planet but a climate club and subsidies for transformative green technologies, 6 mai 2023. 7 Rapport Décarboner l’industrie sans la saborder, The Shift Project. 8 Les Échos, Cinq questions sur la taxe carbone aux frontières, qui effraie tant les entreprises |
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