La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 40

Amies lectrices, amis lecteurs,

À l’instar du réchauffement climatique en ce début d’automne, l’actualité s’est accélérée la semaine dernière avec les annonces gouvernementales sur la planification écologique.

La Gazette souhaite saluer ce moment important et vous en présenter les mesures principales, tout en contribuant au débat en la matière notamment à la lumière du Plan de transformation de l’Économie Française. Un seul article donc cette semaine, mais auquel peu de domaines échappent.

Bonne lecture

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Notre sélection de la semaine

La nécessité de conduire une planification écologique

Projet porté par Secrétariat général de la planification écologique

La Gazette du 4 juillet 20231 détaillait déjà les enjeux de la planification écologique et le rôle du Secrétariat général de la planification écologique (SGPE), service créé en juillet 2022, qui « coordonne l’élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d’énergie, de biodiversité et d’économie circulaire et veille à la bonne exécution des engagements pris »2. Le travail effectué depuis a conduit à l’annonce la semaine dernière par le président de la République d’une cinquantaine de leviers, qui reprennent en partie des actions déjà annoncées. Voyons donc secteur par secteur les objectifs de cette planification afin de les mettre en perspective avec le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) rédigé par The Shift Project.

Les transports

Il s’agit d’abord de réduire sensiblement la part des voitures diesel ou essence puis d’encourager l’achat de voitures 100 % électriques (si possible légères et fabriquées en Europe), pour atteindre 66 % des ventes de voitures neuves en 2030 (15 % aujourd’hui) et 15 % du parc (1 % aujourd’hui).

Cet objectif extrêmement ambitieux serait atteint en durcissant les malus, en réduisant les avantages fiscaux des véhicules thermiques et en incitant a contrario à l’acquisition de véhicules à batteries, grâce à un bonus relevé et à une offre de leasing à 100 euros par mois. Le développement du réseau de bornes de recharge, nécessaire pour lever un frein à l’achat de voitures à batterie, est moins évoqué.

En ce qui concerne les alternatives à la voiture, on note :

  • la promotion du vélo avec un plan à 2 milliards d’euros annoncé en mai dernier ;
  • un plan à 700 milliards d’euros annoncé en février pour les infrastructures ferroviaires et 13 chantiers de RER métropolitains.

L’agriculture

Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé il y a quelques jours une enveloppe supplémentaire de 1 milliard d’euros pour la transition du secteur en 2024. Le SGPE accorde une priorité significative à la réduction des engrais azotés (- 30 % d’ici à 2030) et des émissions des tracteurs. Il vise aussi une agriculture biologique portée à 21 % de la production totale, contre 10,3 % aujourd’hui.

Bien que les émissions liées à l’élevage soient les plus élevées, elles demeurent un sujet sensible politiquement et n’ont pas encore fait l’objet d’une action substantielle. Le plan évoque de façon assez vague une « évolution de nos régimes alimentaires » et une « transition vers un élevage plus durable ». Il est vrai que faute d’une baisse de la consommation de viande en France, il y aurait un risque d’une hausse des importations qui pourrait compromettre la souveraineté alimentaire du pays.

Enfin, la biomasse ou les protéines végétales comme les légumineuses sont présentées comme des relais de croissance. Les surfaces cultivées en soja, pois ou fèves devraient doubler d’ici à 2030.

Le bâtiment

La stratégie du ministère vise une baisse de plus de 50 % d’ici à 2030 des émissions des logements, des bureaux et des bâtiments publics en rénovant de façon massive les passoires thermiques, en multipliant par dix les rénovations « globales » aidées dans le résidentiel ainsi qu’en accompagnant les ménages les plus modestes.

Il s’agirait de diviser par trois la part des résidences chauffées au fioul entre 2020 et 2030 (9 % environ aujourd’hui) et surtout de développer une filière française de production de pompes à chaleur jusqu’à 1,3 million d’unités en 2030.

L’installation de chaudières à gaz ne sera pas interdite, mais découragée par une suppression des aides existantes à l’installation, dont le taux réduit de TVA (10 % au lieu de 20 %).

Industrie

La décarbonation de l’industrie est déjà bien enclenchée. Le gouvernement a ciblé les cinquante sites les plus émetteurs de l’Hexagone et promet de les aider à hauteur de 10 milliards d’euros en complément d’investissements massifs des industriels, qui atteindront environ 50 milliards d’euros d’ici 2050. En contrepartie, ils devront réduire leurs émissions de moitié en 2030 par rapport à 2015. Ces engagements seront officialisés dans des contrats avec l’État, en cours de signature.

Énergie et secteur minier

« Il s’agit de réduire notre dépendance aux énergies fossiles de 60 % de notre mix énergétique aujourd’hui à 40 % en 2030 », selon le Président. Le plan gouvernemental mise résolument sur le nucléaire (comme évoqué lors du discours de Belfort en 2022) et les énergies renouvelables avec les mesures suivantes :

  • doublement du rythme de déploiement du solaire ;
  • maintien de la cadence d’installation des éoliennes terrestres (pour parvenir à 82 GW de capacité installée) ;
  • fort développement de l’éolien en mer (afin d’atteindre 18 GW en 2035) ;
  • recours accru à la biomasse avec, notamment, la reconversion des deux dernières centrales à charbon du pays et les 800 millions d’euros annoncés précédemment pour le soutien à la filière biométhane l’an prochain. La sortie du charbon doit son report à 2027 aux perturbations causées par la guerre en Ukraine.

Enfin, le Président a indiqué sa volonté – louable au plan du principe – de « reprendre le contrôle des prix de l’électricité » et a annoncé vouloir trancher la question en octobre.

Par ailleurs, il veut « lancer un grand inventaire des ressources minières » de notre sous-sol, pour sécuriser notre accès aux matières premières de la transition énergétique comme le cobalt, le lithium ou l’hydrogène naturel. Le plan du SGPE comporte en outre un volet sur l’économie circulaire et la valorisation des déchets ménagers, sur l’utilisation des déchets agricoles.

Le gouvernement vise enfin la captation de 34 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2030, contre 13 millions en 2022, selon la présentation du SGPE au Conseil national de la refondation (CNR) quelques jours auparavant, ce qui peut paraître fort ambitieux au regard de la maturité toute relative de ces technologies.

Biodiversité

Au-delà du plan de gestion de l’eau (500 millions d’euros de moyens annuels supplémentaires) encore à détailler, un plan « forêts » (également doté de 500 millions d’euros par an) doit enrayer sa dégradation et revivifier la filière bois.

De plus, selon la planification gouvernementale, la consommation d’espaces naturels devrait être réduite de moitié d’ici 2030, avec pour objectif la plantation d’un milliard d’arbres et la restauration de 50 000 hectares de zones humides d’ici 2026.

Le verre de la planification : à moitié plein…

Tout d’abord, les Shifters ne peuvent que se féliciter de l’approche de planification écologique, seule façon d’appréhender globalement les contraintes et de mettre en cohérence l’évolution de l’ensemble des secteurs de l’économie. Cette approche rappelle fortement le Plan de transformation de l’économie française promu par The Shift Project et les Shifters. Concernant le concept de planification, les retours sont globalement positifs, avec des soutiens notables comme celui de Jean Jouzel, ancien vice-président du GIEC, qui s’est exprimé favorablement sur le plateau de France 3, ou ceux de mouvements tels qu’Impact France ou le Réseau Action Climat (RAC). À notre connaissance, la France est le premier pays à détailler secteur par secteur sa stratégie pour concrétiser la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030.

La promesse de 7 milliards de fonds supplémentaires par an pour contribuer à la transition écologique se rapproche davantage de ce qui est nécessaire.

Ces annonces interviennent de surcroît à un moment où l’Allemagne, les Pays-Bas, et la Grande-Bretagne ont dû renoncer à des mesures climatiques notamment face à l’inflation et la réduction du pouvoir d’achat (même si les annonces gouvernementales françaises comportent également quelques renoncements).

L’accent porté sur la mise en place de filières industrielles comme les pompes à chaleur est également remarquable. En plus de renforcer la souveraineté nationale, cette filière se concentre sur la production d’équipements nécessaires à la transition, tout en visant à rapatrier la production étrangère, souvent réalisée dans des conditions moins soucieuses du bilan carbone. Ainsi, une production sur le sol français ou européen répondrait en principe à des normes écologiques sensiblement plus strictes.

De nombreux objectifs énoncés dans les annonces du Président et les documents du SGPE peuvent sembler ambitieux, voire inatteignables. Cependant, ils marquent le début d’une dynamique et seront progressivement renforcés par des mesures concrètes qui permettront de les atteindre. Les détails concernant ces mesures devraient être dévoilés au cours des prochains mois, et c’est à ce moment-là que nous pourrons véritablement évaluer la cohérence globale de ce plan.

…mais aussi à moitié vide

Le principal reproche adressé à la planification à la française, y compris par Jean Jouzel, concerne l’insuffisance des efforts demandés en matière de changements de comportement, notamment en ce qui concerne la sobriété. Compte tenu des ruptures que le dérèglement climatique va engendrer dans les activités humaines, il semble indispensable d’anticiper et de changer les comportements, soit par le biais de réglementations, soit par des augmentations des coûts liés au carbone, ou encore grâce à des subventions incitatives.

Or, un peu à l’instar des gigantesques plans de financement américains, l’écologie à la française souhaiterait s’éloigner des réglementations et surtout des interdictions, en recherchant l’adhésion des populations par des incitations et des mesures d’accompagnement. Typiquement, les boucliers tarifaires assez larges cherchent à éviter les réactions brutales face à la volatilité du marché, mais reportent les efforts d’adaptation et, de fait, subventionnent les énergies fossiles. On ne peut que comprendre le souci d’éviter les brusques mouvements d’opinion qui contraignent à revenir en arrière et qui alimentent la rhétorique des populistes. Il reste qu’il conviendrait d’insister davantage sur les efforts que tous doivent accepter pour éviter la rupture et de réfléchir aux représentations sociales souhaitables ainsi qu’aux modalités permettant de rendre la transition désirable sans être coercitive ni trop dispendieuse pour les finances publiques.

À ce titre, le Plan de transformation de l’économie française montre dans sa démarche la nécessité d’impliquer les citoyens dans les différents arbitrages et les choix de vie futurs. C’est une de ses raisons d’être : éclairer le débat public afin que les transformations soient désirées ou au moins comprises par tous. « Impliquer toutes les parties prenantes de la collectivité, entreprises, associations, citoyens, pour partager les défis du climat et de la transition […]. Ce partage permet que les décisions les plus difficiles soient mieux comprises, acceptées et mises en œuvre. Une recommandation (parmi d’autres) : mettre en place une convention citoyenne locale à l’occasion de l’élaboration des documents de planification territoriale »3 afin d’en promouvoir l’appropriation et la déclinaison locale.

L’autre incertitude est d’ordre financier. La dégradation des finances publiques, les tensions croissantes sur les taux et peut-être, à l’avenir, des difficultés de refinancement de la dette publique jettent un doute sur la soutenabilité de la trajectoire budgétaire de notre pays. Il est important de noter que la France ne dispose pas de ressources financières comparables à celles des États-Unis, même si l’on effectue la comparaison avec les États-Unis à l’échelle européenne. Il est essentiel de réfléchir plus profondément aux mécanismes et aux communications capables d’encourager davantage le secteur financier privé à participer volontairement au financement de la transition. Ce soutien est pleinement justifié dans une perspective financière rationnelle à long terme, même s’il peut ne pas sembler attractif à court terme.

Un dernier point crucial à explorer dans le cadre de la planification écologique concerne la dimension internationale, qui doit être abordée en étroite collaboration avec l’Union européenne. Aider les pays émergents fortement émetteurs à réduire leurs émissions et fortement inciter nos partenaires commerciaux étrangers à s’aligner sur de bonnes pratiques de décarbonation sont des éléments indispensables pour compléter nos actions nationales et communautaires en matière environnementale. En effet, l’impact d’un même euro d’investissement en décarbonation peut être sensiblement plus élevé qu’en France où la décarbonation est plus avancée et les importations françaises n’ont pas toujours été produites dans des conditions aussi strictes que sur le territoire national. Faute de quoi nos efforts risqueraient d’être assez vains car nous partageons tous la même atmosphère et la même planète. Le marché européen, premier au monde, doit réfléchir aux exigences qu’il peut raisonnablement imposer à ses fournisseurs et s’engager activement dans cette voie.

1 gazetteducarbone.org/2023/07/04/la-gazette-du-carbone-semaine-27-04-juin-2023

2 Planifier et accélérer la transition écologique

3 The Shift Project – Climat, Crises : le Plan de transformation de l’économie française (2022)

▲ Sommaire

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