La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 15

Chères lectrices et chers lecteurs,

Nous espérons que vous êtes de retour à la fois détendus et requinqués après ce week-end prolongé (sans crise de foie).

Cette semaine, deux projets de loi :

  • le premier sur la réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture ;
  • le second a été adopté en mars dernier et concerne l’accélération du développement des énergies renouvelables sur le territoire français.

Deux sujets ultra intéressants pour entamer cette semaine un peu plus courte pour certains !

Bonne lecture

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Réflexions décarbonées

Notre sélection de la semaine

Assurance des risques climatiques en agriculture

Projet porté par Le Gouvernement

La loi du 2 mars 20221 sur la réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture a modifié le dispositif d’assurance récolte pour mieux protéger les agriculteurs des aléas météorologiques liés au changement climatique, avec l’objectif sous-jacent de préserver les exploitations et la souveraineté alimentaire. La réforme s’est traduite par deux ordonnances, dont la dernière, en date du 23 novembre 20222, porte sur les contrôles et sanctions. Le projet de loi ratifiant l’ordonnance a été déposé le 11 janvier 2023 et renvoyé à la Commission des affaires économiques3.

Un peu de contexte

Le système établi en 1960 distinguait deux régimes :

  • d’une part, les contrats « d’assurance récolte » couvrant moins de 20% des agriculteurs, qui bénéficiaient d’une aide de l’État pour payer une partie de leur prime d’assurance,
  • d’autre part un “régime des calamités agricoles”, fondé sur la solidarité, cofinancé par les agriculteurs et l’État, mais qui excluait certaines cultures.

En 2022, seules 17% des surfaces agricoles utiles en France étaient assurées4, soit un marché d’environ 550 M€, alors que le coût des sinistres a plus que doublé si l’on compare la période 2017-2022 à la période 2010-2015, et ce malgré l’importance du montant des subventions sur les primes (en moyenne 62% dans le cadre de la PAC). De fait, les assureurs connaissent des pertes nettes ces dernières années sur ce régime, le ratio Sinistres/Primes atteignant 105% en 2021. De plus en plus, ces contrats jouaient surtout un rôle de produit d’appel auprès des exploitants afin d’augmenter l’équipement en assurances Santé, Multi-Risques Habitation, Responsabilité Civile, etc., plus profitables. La situation ne pouvait perdurer.

Les apports de la réforme

Dans un contexte d’aléas climatiques où les sinistres sont appelés à augmenter en nombre et en intensité, la réforme établit depuis janvier 2023 une couverture plus accessible contre les risques climatiques, s’appuyant sur la solidarité nationale et le partage du risque entre l’État, les assureurs et les agriculteurs.

L’État subventionne 70% du montant de la prime d’assurance payée par l’agriculteur. Le risque de ce dernier est d’abord couvert par lui-même, classiquement dans le cadre de la franchise, puis par l’assureur dans la tranche principale, au-delà de laquelle la couverture de l’État est déclenchée. La prise en charge des risques s’exprime en fonction du rendement à l’hectare5.

A noter qu’un agriculteur non assuré se verra néanmoins couvert contre les aléas exceptionnels par l’État sur sa troisième tranche, avec donc une franchise sensiblement plus importante et des indemnisations moindres que s’il était assuré.

Si une compagnie n’indemnise pas ou insuffisamment un exploitant assuré, l’autorité administrative dispose de pouvoirs accrus pour la contraindre à respecter ses obligations ou transférer cette obligation à un autre assureur, pour la priver des subventions au titre des activités qui lui sont déléguées par l’État, ou lui interdire la commercialisation de ces produits d’assurance agricole. Enfin, elle pourra prononcer une sanction pécuniaire d’un montant maximal égal à la moins élevée des sommes suivantes : cinq millions d’euros ou 2% du chiffre d’affaires annuel hors taxes réalisé en France. L’assureur dispose d’un délai de deux mois pour présenter ses observations sur les manquements qui lui sont reprochés. En contrepartie, un exploitant coupable d’une fausse déclaration pourra être privé de subventions pendant 2 années.

Les interrogations du secteur assurantiel sur la réforme

Ces sanctions, assez importantes au regard de la taille de ce marché d’assurance, pourraient avoir un impact non négligeable sur de potentiels acteurs entrants moins importants que ceux historiques du secteur (Crédit Agricole et Groupama). Selon un rapport de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), « le coût des sinistres pourrait être multiplié par 5 à 6 dans certains départements français entre 2020 et 2050 »6. Une incertitude demeure sur la réaction de certains assureurs qui pourraient se retirer du marché, pénalisant les exploitants quant à leur capacité de mise en concurrence des offres d’assurance.

En cas de réduction du marché, plusieurs évolutions intéressantes en cours d’étude pour approfondir ce régime d’assurance verraient leur impact limité : d’une part l’incitation à l’équipement assurantiel des exploitants agricoles, d’autre part un système de pool ou de co-réassurance, dans lequel les acteurs se réassureraient entre eux, sans intervention directe d’un réassureur de marché, favorisant ainsi une meilleure maîtrise des risques pour les assureurs sans les coûts de la réassurance.

Est également à l’étude un cahier des charges comportant des mesures de prévention et de protection dans les primes, et fixant des barèmes tarifaires par type de récolte. Cela permettrait une convergence des pratiques d’assurance tout en maintenant la concurrence entre les assureurs, voire en facilitant la comparaison entre contrats.

La fluidité des indemnisations est par ailleurs recherchée en déléguant à l’assureur l’ensemble des indemnisations, d’une part sur la tranche couverte par lui ou par l’État, d’autre part pour les assurés et les non-assurés. Ce rôle d’interlocuteur unique, plutôt simplificateur dans le principe, est l’objet de nombreuses interrogations de la part des assureurs, dont le rôle serait autant celui de gestionnaire que de porteurs de risque (la majorité du risque étant portée par l’État, et donc le contribuable, via la Caisse Centrale de Réassurance).

Ce qu’en pensent les Shifters

Ces initiatives témoignent d’une volonté louable de faire évoluer la prise en charge des risques agricoles face à des aléas climatiques croissants. Il faudra en suivre la mise en œuvre et l’application lors des crises qui ne vont pas manquer de se manifester.
Il reste que cette réforme traite surtout des aspects financiers. Son volet intéressant de mesures de prévention et protection des agriculteurs face aux risques climatiques mériterait d’être largement amplifié quant à l’adaptation des exploitations, telles que recommandée par le PTEF. Cette réforme doit conduire à une réflexion plus large sur la mutualisation locale des ressources financières et des équipements agricoles pour lutter efficacement contre les vulnérabilités croissantes aux changements climatiques.

1 Légifrance. Loi n° 2022-298 du 2 mars 2022

2 Légifrance. Ordonnance n° 2022-1457 du 23 novembre 2022

3 Assemblée nationale. Ratification de l’ordonnance du 23 novembre 2022

4 Agriculture.gouv.fr. La réforme de l’assurance récolte

5 L’agriculteur assuré peut choisir « la solution la plus favorable entre la moyenne olympique (moyenne des rendements réalisés au cours des cinq dernières années, en excluant la meilleure année et la pire année) et la moyenne triennale glissante » : www.vie-publique.fr/loi/282699-loi-2-mars-2022-reforme-du-regime-de-lassurance-recolte-en-agriculture

6 ACPR. Analyses et synthèses n°122 : Les principaux résultats de l’exercice pilote climatique 2020

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Réflexions décarbonées

Adoption de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables

Projet porté par Le Gouvernement

Le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, déposé par le Gouvernement le 26 septembre 2022, qui avait déjà fait l’objet d’un article dans la Gazette du Carbone1 à un stade amont a finalement été publié au Journal Officiel le 11 mars 2023 après adoption, le 7 février 2023, par la Commission Mixte Paritaire. C’est l’occasion de passer en revue les principales mesures définitives de ce texte important.

Pour rappel, dans son discours de Belfort, le Président a mentionné vouloir atteindre d’ici 2050 :

  1. 100 GW de photovoltaïque solaire (×10 par rapport à 2022)
  2. 40 GW d’éolien terrestre (×2 par rapport à 2022)
  3. 40 GW d’éolien maritime

La loi sera complétée par une loi similaire concernant l’accélération du nucléaire (dont le projet a été voté en première lecture par l’Assemblée Nationale le 23 mars 2023).

Le contenu de la loi votée et les changements clés par rapport au projet de loi

La loi nouvellement promulguée s’articule autour de quatre axes :

  1. Planifier les projets d’énergie renouvelable de manière concertée

Le but est d’adopter une approche structurée et planifiée du déploiement des renouvelables sur l’ensemble de la France (et non pas seulement dans certains territoires). Les changements clés par rapport au projet de loi sont les suivants :

  • Création de la notion de zones d’accélération et d’exclusion : Les communes devront aboutir, après concertation du public, à la définition de zones d’accélération d’énergies renouvelables qui bénéficieront de délais d’instruction réduits et devront être suffisamment étendues pour atteindre les objectifs de développement des énergies renouvelables. Les communes pourront à l’inverse définir des zones d’exclusion. Une cartographie similaire est prévue pour les parcs maritimes d’éoliennes, à établir d’ici 2024. Elle concerne en priorité les implantations dans la zone économique exclusive (au-delà de 22 km du littoral français) et en dehors des parcs nationaux ayant une partie maritime.
  • Création de référents préfectoraux, chargés d’accompagner les communes dans le processus, d’arrêter la cartographie des zones d’accélération et d’aider les développeurs de projets dans leurs démarches administratives. Le processus de cartographie sera actualisé tous les cinq ans.
  1. Simplifier les procédures

Une série de mesures est prise pour diviser par deux le temps de déploiement de nouveaux projets. La loi prévoit notamment :

  • L’instauration d’une présomption de reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur visant simplifier les procédures environnementales, en dérogeant aux contraintes liées aux espèces protégées, afin d’augmenter le nombre d’espaces éligibles . La mesure est contrebalancée par la création d’un observatoire des énergies renouvelables et de la biodiversité, chargé de suivre l’impact sur la biodiversité des projets d’EnR.
  • L’intervention d’un médiateur lors des conflits afin d’éviter ou de réduire les risques de conflits et d’annulation d’un projet avec l’aide d’un médiateur des énergies renouvelables.
  1. Mobiliser du foncier pour les nouveaux projets

La loi prévoit de faciliter l’implémentation de nouveaux projets en dégageant du foncier approprié grâce à :

  • Une réflexion sur l’opportunité du revêtement réflectif des toitures : un rapport sur l’opportunité de couvrir les toitures d’un revêtement réflectif sera déposé par le gouvernement au parlement d’ici un an.
  • Une obligation d’adopter un plan de valorisation du foncier pour les entreprises de plus de 250 employés afin de produire des EnR dans le délai de deux ans.
  • Mention de l’agrivoltaïsme dans la politique énergétique afin de favoriser l’installation de projets photovoltaïques sans que l’activité agricole en soit négativement impactée.
  1. Partager la valeur des énergies renouvelables

La loi vise à faire profiter plus largement les habitants et collectivités de la valeur ajoutée générée par les nouveaux projets.

L’analyse des Shifters : un pas dans la bonne direction, mais encore insuffisant

Comme souligné dans l’article précédent de la Gazette, la nouvelle loi va dans le bon sens et est indispensable pour que la France atteigne ses objectifs de production de renouvelables à hauteur de 40% du mixe énergétique d’ici 2030. Cependant, même en divisant par deux le temps de déploiement des nouveaux projets dès demain (ambition affichée par la présente loi), l’objectif risque de ne pas être atteint. En effet, sur les 10 dernières années, la part des EnR n’a augmenté que de 5 points de base2. Répartie sur 9 années (de 2022 à 2030), la trajectoire ne permet que d’atteindre 28,3% à consommation constante (19,3% en 2021, plus 9% sur 9 années) en 2030, un chiffre loin des objectifs assignés. En outre, ce rythme ne permet pas d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Il est donc probable que la loi ne suffise pas sans le déploiement du nucléaire et la réduction de la consommation d’énergie. A titre de comparaison, le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) prévoit une diminution de près de 40% de la consommation d’énergie à l’horizon 2050 liée à une sobriété volontaire, les gains d’efficience des équipements électriques, et la conversion d’énergie thermique vers l’énergie électrique. Les parlementaires ont débattu d’objectifs chiffrés, sans que cela soit finalement retenu dans la loi promulguée. A défaut, une analyse régulière des résultats engendrés par la présente loi serait impérative.

En outre, une augmentation significative de la production – surtout en EnR – nécessite (presque) autant d’investissements dans les systèmes de transmission et de distribution. Ces fonctions non évoquées dans la présente loi devront pourtant se renforcer rapidement pour intégrer la capacité additionnelle d’EnR, .

En revanche, la volonté d’établir des communautés énergétiques, des zones d’accélération par commune et toute autre initiative améliorant la résilience des territoires sont à saluer, car très proches des préconisations du PTEF.

1 gazetteducarbone.org/2022/12/13/la-gazette-du-carbone-semaine-50-13-decembre-2022

2 www.vie-publique.fr/en-bref/286372-energies-renouvelables-les-chiffres-cles-de-2022

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