La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 04

Chère lectrice, cher lecteur,

La Gazette vous offre cette semaine deux articles sur des sujets assez différents. Il y en a pour tous les goûts :

  • le règlement UE sur l’écoconception ;
  • la fiscalité des véhicules d’entreprises et la décarbonation.

Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Réflexions décarbonées

Notre sélection de la semaine

Accord provisoire de l'UE sur le règlement d'écoconception

Portée par le Parlement européen et le Conseil de l’UE

Le Conseil et le Parlement ont conclu en décembre un accord provisoire sur le règlement relatif à l’écoconception afin de renforcer la durabilité des biens circulant dans le marché intérieur.

Constatant qu’il n’existait aucun ensemble d’exigences visant à garantir la durabilité des produits mis sur le marché de l’UE, les États membres ont adopté de multiples approches au niveau national. Cela a entraîné une fragmentation du marché intérieur, pénalisant les entreprises cherchant à adopter des comportements plus vertueux. L’objectif de ce futur règlement de l’UE, qui abrogera la Directive de 2009, se veut un cadre générique. Il donnera une même logique et orientation pour fixer des exigences en matière de performance et d’information pour tous les types de biens mis sur le marché de l’UE. L’accord provisoire définit le champ d’application du règlement, habilite la Commission à fixer, le cas échéant, les conditions de destruction des biens invendus et clarifie plusieurs dispositions du règlement en matière de sanctions et de marchés en ligne.

Un « passeport numérique » pour chaque produit.

Dans un précédent N° de la Gazette1 nous avons commenté le Règlement concernant les batteries électriques qui présente des similarités de lignes directrices puisque leur durabilité et leur recyclage sont un enjeu majeur de souveraineté. Ce nouveau règlement va concerner un grand nombre de produits équipant les foyers (équipements comportant de l’électronique comme lave-vaisselles, téléviseurs, ordinateurs, chargeurs de voiture), mais aussi des biens comme fenêtres, vêtements, etc. Il s’agit de fixer des exigences spécifiques à chaque type de produits afin de les rendre non seulement économes en énergie et en ressources, mais aussi plus durables, fiables, réutilisables, évolutifs, réparables, recyclables et plus faciles à entretenir. La Commission sera en mesure de proposer ces exigences au moyen d’actes délégués pour de nouveaux types de produits ou de technologies.

Le règlement vise également à faciliter la circulation de ces produits au sein du marché unique. À cette fin, comme pour les batteries, un nouveau « passeport numérique de produit » fournira des informations sur leur durabilité environnementale pour aider les choix des consommateurs et entreprises. Pour les pouvoirs publics, ces passeports et déclarations serviront aussi à effectuer des contrôles. La proposition établit également des dispositions relatives à la transparence et à la prévention de la destruction des produits de consommation invendus.

Freiner le gaspillage et le renouvellement accéléré de la production

Le règlement prévoit une interdiction de la destruction des textiles et des chaussures, appliquée dans le délai de deux ans après son entrée en vigueur. Petites et microentreprises seront exemptées de cette interdiction, tandis que les entreprises de taille moyenne bénéficieront d’une exemption de six ans.. La Commission sera également habilitée à fixer par voie d’actes délégués de nouvelles interdictions relatives à la destruction d’autres produits invendus.

Ce cadre européen est aussi ambitieux qu’utile

Son côté « large spectre » donnera de la visibilité aux consommateurs et entreprises et, on peut le penser, permettra d’ancrer plus efficacement une « échelle » liée aux émissions carbone de chaque produit considéré dans son cycle de vie. D’après l’Ademe2, la mode est l’une des industries les plus polluantes de la planète puisque l’industrie textile (vêtements et chaussures) représente 4 milliards de tonnes d’équivalent CO₂ par an. Sa croissance est rapide comme pour le secteur du numérique. Ce dernier pèse globalement entre 3 et 4% des émissions mondiales, plus des 2/3 étant liés aux terminaux. Il est donc significatif d’agir pour renforcer la durabilité et le recyclage des vêtements, des équipements numériques ou électroménagers.

À titre indicatif dans son étude « Modélisation et évaluation du poids carbone des produits de consommation et biens d’équipement »3, l’Ademe évalue les « poids carbone » suivants :

  • téléviseur plus de 49 pouces : plus de 70 keqCO2,
  • ordinateurs haut de gamme : environ 70 keqCO2,
  • lave-linge, sèche-linge, lave-vaisselle : aux alentours de 50 keqCO2,
  • robe (viscose, coton ou polyester), pull en laine : > 50 keqCO2,
  • manteau : > 80 keqCO2.

Si on ajoute à ces éléments le rythme auquel ces biens se renouvellent au sein d’un foyer, il devient évident que tout mécanisme favorisant une consommation responsable et encourageant la durabilité est utile.

Des points de vigilance restent nécessaires de l’avis des Shifters

Comme déjà souligné, la préoccupation prioritaire de l’UE en la matière est le bon fonctionnement du marché intérieur. Si on peut penser que ce règlement peut contribuer à la compréhension par tous, entreprises et particuliers, des impacts de leur consommation, il ne comporte aucune disposition permettant d’orienter les choix de sobriété indispensables au respect des trajectoires nationales. Dans son rapport « Planifier la décarbonation du numérique en France »4, le Shift Project soutient l’accompagnement au changement de comportement des utilisateurs du numérique pour faciliter l’émergence d’usages plus sobres :

  • en remplaçant les designs addictifs systématiques par un affichage environnemental, une modularité des plateformes et équipements, et des outils d’aide à l’autolimitation (choix des résolutions, fonctionnalités, niveaux de performance) ;
  • en intégrant à toute publicité pour les biens et services numériques son affichage environnemental et des messages relatifs à la sobriété des usages.

Le rapport rappelle par ailleurs que, si la sensibilisation de l’utilisateur est nécessaire ne permet pas l’évolution systémique des usages. Repenser son rapport au numérique comme à la mode ou la consommation en général implique de mobiliser le cadre social dans lesquelles les actions individuelles s’inscrivent.

Si le Règlement s’inscrit positivement dans une approche qui repose sur une quantification des impacts des différents équipements, il ne saurait dédouaner les pays membres de prendre en charge l’organisation de la sobriété et de la résilience. Il convient pour cela de mettre en œuvre des mécanismes « citoyens » (à l’image de la convention citoyenne par exemple), pour définir les priorités sociétales et éviter les effets rebond5.

1 Gazette du carbone – Octobre 2023

2 La mode sans dessus-dessousADEME

3 Modélisation et évaluation du poids carbone des produits de consommation et biens d’équipement

4 Planifier la décarbonation du système numérique – The Shift Project

5 Le rapport prend l’exemple des effets du développement de la 4G pour illustrer ce type d’effet : « La généralisation de la couverture en 4G, particulièrement dans les zones denses, a permis un fort développement de la consommation de vidéo HD en mobilité. Cette augmentation appelle et s’appuie sur des performances réseaux et terminaux croissantes (débit, taille des écrans, etc.) ainsi que sur une multiplication de volumes de contenus rendus disponibles par le développement de l’offre des centres de données. »

▲ Sommaire

Réflexions décarbonées

Revoir la fiscalité des véhicules d’entreprises pour accélérer la transition

Plus de 50 % des achats de voitures neuves en France1, soit environ 800 à 900 000 véhicules par an, sont effectués par des personnes morales et s’intègrent dans les flottes de société en tant que véhicules de fonction ou de service, ou dans les flottes de sociétés de location. Ces flottes d’entreprise influent notablement sur la constitution du parc privé du fait de leur revente, en moyenne au bout de 4 à 5 ans, jouant ainsi un rôle prépondérant sur le marché automobile d’occasion.

La fiscalité actuelle des véhicules de flottes d’entreprise est encore trop peu incitative à l’achat de véhicules légers et électriques et n’aide pas suffisamment à une transition rapide du parc automobile. À titre d’exemple, pour une entreprise, l’avantage fiscal lié à l’achat d’une e-208 par rapport à une 208 thermique sur une durée de vie de 10 ans est seulement de 71 € par mois2. Par ailleurs, environ un véhicule neuf sur deux est un SUV3 et l’offre électrique tend à suivre cette tendance alors qu’une des conditions de réussite de la transition électrique selon The Shift Project est d’orienter le marché vers des véhicules de taille modeste de manière à favoriser la démocratisation de l’électrique tout en optimisant l’utilisation des batteries.

Une fiscalité inadaptée

Le régime fiscal des voitures de fonction, qui composent 44 % des flottes de sociétés4, ne pénalise pas suffisamment l’achat de véhicules de tourisme d’un poids élevé.

L’attribution de voitures de fonction ainsi que l’usage privé de ces véhicules se sont beaucoup développés ces dernières années, notamment parce que cet avantage conféré par l’employeur est partiellement défiscalisé et non soumis aux cotisations sociales, à hauteur de 60 %. Le véhicule de fonction est en effet considéré seulement à hauteur de 40 % comme un « avantage en nature » soumis à cotisations sociales et impôts. La voiture de fonction correspond de fait à un usage mixte, personnel et professionnel. On peut certes comprendre que l’usage professionnel soit considéré comme une charge déductible.

Cependant, seul le prix du véhicule est plafonné pour la déductibilité fiscale, pas les coûts d’usage. De plus, la déductibilité fiscale est proportionnelle au coût du véhicule, favorisant les modèles puissants et d’un poids élevé, en particulier les SUV (sport utility vehicles) et VHR (véhicules hybrides rechargeables). Enfin, l’avantage est également d’autant plus intéressant que le salarié est plus fiscalisé, favorisant ainsi les plus aisés.

Sans sanction à ce jour autre que le « Name and Shame », la loi d’orientation des mobilités (LOM) impose aux entreprises de réaliser une proportion du renouvellement de leur flotte en véhicules à faibles émissions (< 60 g donc VHR inclus), soit 20 % depuis 2024, puis 40 % en 2027 puis 70 % en 2030.

Malheureusement, ces objectifs de renouvellement sur les voitures à faible émission n’ont pas été atteints à ce jour selon l’association T&E5. Par ailleurs, ils incluent les véhicules fonctionnant au biocarburant et les hybrides rechargeables (VHR) qui se révèlent souvent beaucoup plus émetteurs de CO2 qu’annoncé6.

D’autres éléments envoient des signaux trop ambigus quant aux besoins de réduction des émissions carbone :

  • L’amortissement autorisé et la taxe CO2 avantagent non seulement les véhicules électriques (VE) mais encore les VHR et les véhicules fonctionnant aux biocarburants (malgré les limites à la production de ces derniers) ;
  • Le malus fiscal à l’achat relatif au poids appliqué en 2024 démarre à 1,6 t (1,8 t pour les VHR, sans limite pour les VE) et ne pénalise donc pas, comme ce serait souhaitable, des véhicules trop lourds et puissants avec une empreinte carbone importante.

Enfin, au-delà du choix du modèle, les coûts d’utilisation privée du véhicule (carburant, entretien, usure du véhicule, assurance), peuvent être entièrement mis à la charge de l’employeur, et donc être déductibles des charges, sans impôts. Cette prime illimitée au roulage freine le report modal vers des modes plus vertueux.

Les utilisateurs de véhicules professionnels sont logiquement parmi les plus gros rouleurs (25 000 km/an soit le double de la moyenne) et donc les plus gros émetteurs de CO2 du parc automobile encore très fortement thermique. La transition de ces véhicules vers une propulsion électrique constitue donc un enjeu important. La fiscalité devrait davantage pénaliser les véhicules lourds et émetteurs de CO2.

Ce que propose The Shift Project dans le Plan de transformation de la loi française (PTLF)

Une refonte de la fiscalité automobile des flottes d’entreprise est souhaitable pour accélérer la transition vers des véhicules plus légers et électriques et entraîner l’ensemble du parc automobile par le biais du marché d’occasion. Les mesures proposées par The Shift Project dans le Plan de transformation de la loi française (PTLF) complètent celles relatives au barème kilométrique7 et au malus au poids.

Il s’agit d’inciter les constructeurs à s’orienter vers une offre de véhicules électriques (VE) légers et les entreprises à privilégier l’achat de véhicules plus légers, voire dans la mesure du possible de véhicules intermédiaires (moins de 600 kg tels que des vélos à assistance électrique, vélos cargos, etc.) et des cycles de fonction.

Les mesures proposées sont les suivantes.

  • Les entreprises ne pourraient plus acheter ou de commencer de nouveaux contrats de location de véhicules de fonction dont le poids serait supérieur à un seuil correspondant en 2024 au malus au poids à 1,6 t ; ce seuil devra décroître progressivement à 1,3 t jusqu’en 2027 (avec une déduction du poids des batteries pour les VE). Une entreprise contrevenante se verrait sanctionner et le coût du véhicule (achat et usage) serait réintégré à 100 % dans le salaire avec charges patronales et sociales.
  • À partir du 1er janvier 2025 (loi de finances 2025), l’avantage en nature ne pourrait plus être évalué forfaitairement pour les salaires au-delà de deux SMIC. L’avantage lié à l’utilisation privée d’un véhicule de fonction devrait être calculé sur la base des dépenses réellement engagées et intégralement réintégré au salaire. Le salarié serait, comme aujourd’hui s’il a choisi l’option frais réels, obligé de déclarer le nombre de kilomètres effectués à titre personnel avec le carburant payé par l’entreprise. On peut imaginer une déclaration des déplacements professionnels comme pour les indemnités kilométriques.
  • Un employeur proposant un véhicule de fonction devrait permettre au salarié d’opter à tout moment, avec un préavis de trois mois, soit pour un véhicule intermédiaire, soit pour un cycle de fonction (avec prise en charge des frais liés au cycle), dans la limite du même budget ou, si le budget, est inférieur moyennant le versement du différentiel sous la forme d’une prime d’écomobilité.
  • Il conviendrait en conséquence de modifier le Code du travail pour offrir au salarié le droit d’opter pour une prime de mobilité monétaire équivalente au montant de l’avantage en nature d’une voiture de fonction.
  • Il serait interdit à partir du 1er janvier 2030 de louer ou d’acheter des véhicules de fonction non électriques.
  • À partir de 2025, le calcul de l’amortissement comptable et du malus CO2 serait calculé de manière à exclure tous les avantages actuels pour les VHR et véhicules fonctionnant aux biocarburants et ainsi privilégier les VE.

Tout en reconnaissant le rôle économique des véhicules d’entreprises et, pour leur part professionnelle, des véhicules de fonction, ces mesures devraient contribuer à davantage les orienter vers une propulsion électrique, probablement d’ailleurs plus adaptées aux déplacements professionnels souvent de distance courte ou moyenne, que pour les véhicules des particuliers, dont un certain nombre sont davantage à remplacer par le train.

1 Enquête « Mobilité des personnes », Ministère de la transition écologique et solidaire, 2019

2 Électrification des voitures de société, une réforme fiscale est nécessaire, Transport & Environnement, 2022

3 « Automobile : en France, les SUV ont doublé les berlines », La Croix, 8 janvier 2024

4 Voiture de fonction ou de service : quelles différences ?, Mooncard, 12 juillet 2023

5 « Les grandes entreprises et administrations ne prennent pas leur juste part de la transition vers le véhicule électrique », Transport & Environnement, mars 2023

6 Les émissions sont 3 à 8 fois en réalité les performances annoncées par les constructeurs du fait de leur mauvais usage par les utilisateurs qui rechargent peu le véhicule, l’alourdissement du véhicule et la surconsommation d’essence ou diesel qui en résulte. Les hybrides rechargeables au cœur d’un nouveau scandale d’émissions, 22 novembre 2020, Transport & Environnement

7 Gazette du 5 décembre 2023

▲ Sommaire

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