La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 49

Chère lectrice, cher lecteur,

La Gazette du Carbone vous emmène avec l’aide du pôle « Influence et Droit Interne » des Shifters à la découverte d’un détail du Projet de Loi de Finances en cours de vote entre l’Assemblée nationale et le Sénat, qui porte sur le barème kilométrique fiscal. C’est aussi l’occasion de mettre en avant le travail de fond que ce pôle des Shifters effectue pour décliner le Plan de Transformation de l’Économie Française en propositions de mesures législatives, un moyen important et souvent indispensable de faire avancer la décarbonation en France.

Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Notre sélection de la semaine

Réformer le barème kilométrique fiscal pour moins favoriser l’usage de la voiture

Portée par Félicie Gérard (Horizon)

Dans le cadre du Projet de Loi de Finance 20241 en cours de discussion au Parlement (récemment adopté en première lecture à l’Assemblée nationale et bientôt examiné au Sénat), le groupe Horizons a proposé un amendement soutenu par le gouvernement visant à réformer le barème kilométrique, l’indemnité susceptible d’être déduite fiscalement du résultat de l’entreprise voire des revenus d’un particulier. Si ce texte est adopté, l’exécutif devra remettre au Parlement, avant le 1er septembre 2024, un rapport sur l’opportunité d’une révision prenant en compte l’émission de gaz à effet de serre du véhicule pour le calcul de ce barème, en lieu et place de la puissance administrative du véhicule.

Cet article vous est proposé par le groupe de travail Mobilité du Plan de transformation de la loi française (PTLF), initiative des Shifters qui sert aujourd’hui de référence au calcul. Le PTLF vise à décliner les rapports du Shift Project, et en particulier le Projet de transformation de l’économie française (PTEF), en mesures prêtes à être activées, notamment par un vote au Parlement. Les 14 groupes de travail sectoriels du PTLF ont recensé plus de 400 mesures complétant, corrigeant ou supprimant des textes réglementaires en vigueur, qui permettraient de tenir la nécessaire trajectoire de réduction des gaz à effet de serre. Ces leviers ont été évalués à l’aune de leur efficacité, de leur faisabilité et acceptabilité, et seront proposées aux élus, en particulier aux Parlementaires, lorsque les circonstances et notamment les véhicules législatifs en créeront l’opportunité.

Le barème kilométrique et les frais professionnels

Les salariés ainsi que les professionnels imposés au bénéfices non commerciaux (BNC), peuvent opter pour le calcul de leur impôt sur le revenu, soit pour une réduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels, soit pour une déduction des frais réels. Leurs frais de trajet domicile-travail et leurs déplacements professionnels parcourus en véhicule à moteur (automobile, moto ou scooter) peuvent faire partie de ces frais.

Le calcul s’effectue au choix du contribuable soit par le montant des factures qu’il a acquittées, soit par une évaluation forfaitaire au kilomètre en utilisant un barème fixé par l’administration fiscale.

Jusqu’à aujourd’hui, ce barème prend en compte :

  • le type de véhicule : automobile ou moto/scooter ;
  • sa puissance fiscale avec un montant progressif de 3CV à 7CV et plus ;
  • la tranche de distance parcourue par an, avec un montant dégressif : moins de 5000km, entre 5 000 et 20 000 km, et au-delà.

L’indemnité kilométrique est un remboursement forfaitaire par l’employeur des frais liés à l’utilisation par un salarié de son véhicule à des fins professionnelles. Les indemnités perçues sont des frais professionnels exclus du calcul des cotisations sociales et de l’assiette de l’impôt sur le revenu, dans la limite du calcul utilisant le même barème kilométrique fiscal que celui de l’option pour les frais réels.

Ce barème kilométrique n’est vertueux ni au plan écologique ni au plan social

Comme le soulignait l’IDDRI dès 2012, dans son article sur les frais réels2, il y a problème à plusieurs niveaux :

  1. Le barème kilométrique est indexé sur la puissance fiscale du véhicule ; les frais réels peuvent donc être considérés comme une subvention aux grosses cylindrées, les plus émettrices de CO2.
  2. Il entre en contradiction avec d’autres dispositifs financiers nationaux comme le bonus-malus. Un ménage qui acquiert, par exemple, une voiture de 10 CV se verra certes infliger un malus à l’achat, mais les frais réels sont susceptibles de lui rapporter un avantage fiscal qui, cumulé sur la durée, l’emportera largement sur le malus.
  3. Les frais réels, parce qu’ils sont proportionnels à la distance parcourue pour se rendre à son travail, peuvent aussi être considérés comme une subvention à l’extension des aires urbaines. La mesure permet en effet de s’établir plus loin du lieu de travail ou d’y rester sans subir les coûts de transport réels, à l’encontre des objectifs de développement urbain maîtrisé, d’utilisation économe des espaces naturels et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Enfin, l’étude de l’IDDRI, révèle que la mesure profite aussi davantage aux ménages aisés : 40 % des gains sont captés par les 20 % les plus riches. En effet, les ménages les plus modestes n’étant pas soumis à l’impôt sur le revenu, sont peu nombreux à déclarer au réel. Leur taux marginal faible implique qu’ils bénéficient peu de la réduction le cas échéant. L’ordre de grandeur de ce qui échappe à l’impôt pour ces déplacements a été estimé à un peu plus de 1 milliard d’euros.

L’analyse de l’IDDRI avait été présentée à la Convention Citoyenne pour le Climat et avait conduit cette dernière à présenter une mesure corrective, la proposition SD-A1.2 : « Réduire les incitations à l’utilisation de la voiture en réformant le système d’indemnité kilométrique de l’impôt sur le revenu »3. L’objectif était d’uniformiser le barème pour chaque catégorie de véhicule en ne conservant qu’une seule valeur indépendante de la puissance fiscale et de diminuer les coefficients fixes pour les distances supérieures à 5000 km pour éviter l’utilisation intensive de véhicules personnels.

Ce qu’en pensent les Shifters

Le secteur des transports représente 30% de nos émissions de GES et la voiture constitue plus de la moitié de ces émissions. L’électrification du parc de véhicules ne pouvant suffire à tenir notre trajectoire de décarbonation, tous les leviers permettant de réduire les déplacements en nombre et distances parcourues, d’aller vers des mobilités plus sobres, doivent être mis en œuvre.

Dans son Guide pour une mobilité quotidienne bas carbone4, le Shift Project soutient la nécessité de déconstruire le « système voiture ». Il propose de revoir le système des indemnités kilométriques, qui subventionne l’achat de véhicules lourds et puissants. Il s’agirait d’abord de réduire l’indemnisation des voitures plus lourdes et émissives, puis, de créer un barème unique de remboursement des frais kilométriques tous modes confondus avec comme référence la consommation des véhicules les plus légers et sobres en énergie.

En matière de transcription dans l’appareil légal il s’agit à terme de :

  • Modifier l’article 83 du code général des impôts pour établir que « l’évaluation des frais de déplacement, autres que… peut s’effectuer sur le fondement d’un barème forfaitaire unique fixé par arrêté du ministre chargé du budget indépendamment de la motorisation du véhicule » ;
  • Modifier l’arrêté annuel fixant le barème forfaitaire en supprimant la référence à la puissance fiscale des véhicules.

Une telle mesure ne supprime cependant pas la possibilité pour les entreprises de mieux rembourser les frais pour les véhicules de grosses cylindrées, mais les fiscalise et les soumet à charges sociales. Les Shifters recommandent l’adoption de cet amendement et se félicitent qu’il soit soutenu par le gouvernement.

Une façon d’augmenter l’efficacité de cette mesure serait d’obliger ou d’inciter les entreprises à adopter un barème unique par type de véhicule.Une telle disposition serait à intégrer dans le Code du travail.

Enfin une réforme ambitieuse doit sans doute être envisagée pour combiner plus largement politique sociale et environnementale en prenant en compte le caractère systémique du problème soulevé par les frais réels. Une meilleure articulation entre d’une part les mesures d’aide aux ménages contraints, et d’autre part la politique fiscale, la politique territoriale et les outils de la politique environnementale rendrait les mesures plus lisibles et efficaces.

1 Immobilier, retraite, Livret A… ces 5 amendements au Budget 2024 repêchés par le gouvernement (Les Echos)

2 Les « frais réels » : une niche fiscale inéquitable et anti-écologique ? (IDDRI)

3 Les propositions de la convention citoyenne pour le climat – Se déplacer

4 Guide pour une mobilité bas carbone, The Shift Project

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
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