La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 45

Chères lectrices, chers lecteurs,

La Gazette revient cette semaine sur le prix de l’électricité en France qui est fortement conditionné par la règlementation européenne et s’intéresse aux subventions publiques soutenant la rénovation du bâti scolaire.

Très bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Questions émissions

Notre sélection de la semaine

Le bâti scolaire (suite) : comment optimiser l’impact des subventions

Portée par Nadège Havet, sénatrice (RDPI)

La Gazette du Carbone de la semaine dernière avait détaillé les approches européennes et locales en matière de décarbonation et la façon de les concilier. Il paraît intéressant de faire un focus sur certaines recommandations, notamment sur les enjeux financiers des aides budgétaires au bâti scolaire, d’autant qu’un amendement est proposé par la mission sénatoriale pour limiter le reste à charge des communes à faible capacité :

« Le retour sur investissement, souvent long (20 ou 30 ans pour une rénovation aux standards « basse consommation »), décourage de nombreux élus, a fortiori lorsqu’il existe un risque de fermeture de classe ou d’école. À cet égard, l’engagement de prévisibilité de la carte scolaire sur 3 ans prévu dans le cadre du Plan ruralité est un progrès, même si ce délai peut paraître insuffisant pour sécuriser la programmation d’investissements dont la rentabilité s’étend sur de nombreuses années. Par ailleurs, les investissements liés à la transition environnementale suscitent un besoin de financement. »1

La mission d’information formule ainsi six recommandations visant à faciliter l’accès des collectivités territoriales aux financements, notamment les suivantes :

  • La prise en compte, dans l’attribution des subventions, des travaux préalablement effectués par les collectivités. Les niveaux de réduction d’énergie exigés pour obtenir une subvention pénalisent les collectivités territoriales qui ont déjà investi dans ce domaine : le système actuel est en quelque sorte une « prime au mauvais élève » de la transition énergétique.
  • L’abaissement à 10% du reste à charge pour les collectivités territoriales (actuellement de 20% minimum), lorsqu’elles ne possèdent pas les moyens financiers nécessaires pour des chantiers importants.

Concilier les contraintes budgétaires et les objectifs de réduction d’émission

Dans son rapport sur la décarbonation du bâtiment, le Plan de transformation de l’économie française (PTEF)2 priorise la rénovation sur la construction neuve (environ mille fois moins d’émission de GES) et préconise de commencer par rénover prioritairement les locaux les plus énergivores au niveau national. Outre l’enjeu financier de dépenses efficaces, s’attaquer aux bâtiments les plus consommateurs permettrait de réduire plus rapidement le plus gros des émissions.

Afin de concilier la gestion des dépenses publiques et la nécessité d’une transition urgente, il serait sans doute nécessaire de conditionner la mesure d’assouplissement du reste à charge aux bâtiments les plus énergivores en prenant en compte les travaux les plus urgents au niveau national, permettant, par exemple, une réduction des émissions d’au moins 40%.

Les communes « bons élèves » doivent être encouragées/accompagnées dans le renforcement de leurs démarche, ainsi que le soulignait la Gazette dans une précédente édition3 : généraliser les « budgets verts » dans les collectivités et identifier dans les documents financiers des collectivités la part « verte » de leur dette consacrée aux investissements indispensables. Cela permettrait de valoriser les collectivités engagées dans une démarche pour la transition et en faveur de la résorption de la dette climatique territoriale. Elle pourrait être intégrée au projet de loi de finances 2024. Enfin, signalons un amendement précédemment adopté prévoyant de recouvrir les toitures des bâtiments non-résidentiels de peinture blanche, une mesure de bon sens pour lutter contre les îlots de chaleur.

Les questions économiques et techniques ne sont cependant pas isolées des autres aspects des secteurs du bâtiment et du public. Comme l’indique le Shift Project, la décarbonation du secteur public ne peut être un projet « à part » qui serait confié à une équipe isolée. Il s’agit de montrer qu’elle est une priorité collective qui touche à tous les aspects de la vie quotidienne et de l’utilisation des bâtiments : gestion de l’eau, du chauffage, de l’électricité, des équipements numériques… Pour cela le rapport met en évidence plusieurs leviers, notamment :

  • le besoin de penser l’accès aux services publiques et leur continuité face aux aléas climatique ou énergétiques
  • la formation des acteurs à l’urgence climatique et la transition bas-carbone et la mobilisation de tous les agents pour que la transformation soit souhaitable par tous.
  • la mise en place d’un centre unique d’information et de ressources techniques et juridiques pour éviter la multiplication des sites internet et clarifier le déploiement des actions
  • la communication sur les avancées de la décarbonation, pour que tout un chacun puisse suivre et s’y intéresser, que soient valorisés les efforts et enfin pour mettre en avant les objectifs atteints.

En conclusion, prioriser la résilience du service public scolaire

Le souci de résilience des services publics et notamment des bâtiments scolaires est un enjeu qui a des répercussions sur toute l’économie. Il est en effet nécessaire de faire face aux multiples risques tels que les vagues de chaleurs qui peuvent entraîner l’impossibilité d’accueil des enfants. Les Cahiers résilience des territoires du Shift Project alertent sur les conséquences d’un manque d’investissement dans les bâtiments scolaires : si les écoles ne peuvent protéger les enfants des vagues de chaleurs, c’est 70% des actifs qui ne peuvent aller au travail, contraints de garder leurs enfants. Outre le rapport investissement/réduction de GES, sont en jeu la continuité du service public et la préservation d’un lieu essentiel de socialisation et de formation de futurs citoyens.

1 Rapport d’information sénatorial « Transition écologique du bâti scolaire : mieux accompagner les élus locaux »

2 « Habiter dans une société bas carbone »

3 Le tiers-financement : une solution pour favoriser la rénovation énergétique des bâtiments publics ?, La Gazette du Carbone – semaine 11

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Questions émissions

en partenariat avec Logo Dixit

La règlementation européenne sur le prix de l’électricité et le marché français

Portée par Fabrice Brun, Les Républicains

À l’occasion d’une question au ministre de l’Économie et des Finances, le député Fabrice Brun (LR, Ardèche) croit savoir que l’électricité française serait « la plus chère d’Europe » et demande « si le Gouvernement envisage le retrait de la France du marché européen ».

L’électricité française est-elle réellement la plus chère d’Europe ?

En août 2023, le prix du MWh en France était de 27,2€ contre 33,7 € en Belgique, 37,9€ en Allemagne et jusqu’à 46,5€ au Royaume-Uni1. Le bouclier tarifaire français a joué son rôle, en limitant la hausse du prix de l’électricité à +15% en février 2023. L’Italie et l’Espagne ont des prix plus faibles (respectivement 23,9€ et 19,4€, prix plafonné en Espagne) mais la France semble malgré tout disposer de l’un des tarifs les plus bas en Europe.

Le marché européen de l’électricité

Ce marché est né de la directive européenne de 1996 (transposée dans le droit français en 2000), qui met fin aux tarifs réglementés fixés par les pouvoirs publics et instaure le principe de concurrence. Avant cela, l’énergie était gérée par des monopoles nationaux.

Actuellement, alors que la production électrique française est presque totalement réalisée à partir de sources décarbonées (nucléaire, hydraulique, éolien, solaire), le prix de marché est influencé par celui du gaz, qui a fortement augmenté après la reprise économique post-COVID et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ainsi le prix de gros du Calendar Baseload 2023 (fourniture d’une puissance donnée sur l’année 2023) a-t-il atteint 1130€/MWh le 26 août 2022. Le prix de gros est fonction du coût du dernier MWh produit (tarification au coût marginal)2. Les producteurs utilisent donc d’abord les technologies dont le coût de production est le plus faible. Mais si la demande est forte, il faut utiliser l’ensemble des capacités pour ajuster la production car on ne peut pas encore stocker de grandes quantités d’énergie. C’est le coût de production de la dernière centrale appelée qui fixe le prix de gros du marché.

En France, la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l’électricité) a été promulguée en 2010 pour permettre une ouverture effective du marché de l’électricité3. Elle entraînera la création en 2011 de l’ARENH (Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique)45, qui permet à tous les fournisseurs d’électricité de s’approvisionner à un prix régulé auprès d’EDF (volume maximal annuel de 100 TWh, soit 25% de la production nucléaire) dans des conditions fixées par les pouvoirs publics (actuellement 42 €/MWh). Ce dispositif doit prendre fin en 2025.

Le réseau électrique européen est aujourd’hui fortement interconnecté. Grâce à ces liaisons, les échanges, à hauteur de 450 TWh par an, participent à la sécurité d’approvisionnement des foyers européens au meilleur coût6. Les marchés sont désormais couplés dans 19 pays qui représentent plus de 80 % de la consommation d’électricité européenne.

En France, un impact de 8,1 Mrd € sur les finances d’EDF

En 2022, le plafond de l’ARENH a été haussé de 100 à 120 TWh et le prix du MWh de 42 à 46,2 €. Cette mesure exceptionnelle a été prise dans le cadre du bouclier tarifaire protégeant les consommateurs. EDF estime à 8,1milliards d’euros le manque à gagner en découlant.

Cette situation ne facilite pas l’entretien du parc actuel des centrales nucléaires, en particulier les travaux de prolongation de la durée de vie des réacteurs, appelé “grand carénage”, ni le financement des nouvelles constructions EPR 2 décidées par Emmanuel Macron. Or cette production pilotable et décarbonée peut permettre de faire face à l’électrification des besoins, et en particulier la conversion à l’électrique du parc de véhicules.

La réforme du marché européen de l’électricité

La crise énergétique a révélé l’incapacité de l’organisation actuelle du marché européen à répondre aux trois enjeux suivants7 : la décarbonation de la production, la sécurité d’approvisionnement et des prix abordables pour les consommateurs (particuliers et entreprises). C’est finalement l’objet de l’accord trouvé le 17 octobre à Luxembourg par les ministres de l’énergie des 27 à l’issue de plusieurs mois de négociation. Il prévoit la mise en place de contrats pour différence (CFD en anglais) sur la production des grandes installations éoliennes, photovoltaïques, des barrages hydrauliques, mais aussi du parc nucléaire français8. Les consommateurs pourront bénéficier de prix corrélés aux coûts de production de l’électricité et non pas à ceux des énergies fossiles. Cet accord doit encore être validé par le Parlement européen. Son impact ne se fera probablement pas sentir avant 2026.

Le contrat pour différence : ce type de contrat garantit au producteur une rémunération à prix fixe de l’électricité produite et un prix fixe d’achat pour le consommateur. Si le prix du marché tombe sous le prix garanti alors l’État indemnise le producteur d’électricité. Si, au contraire, les prix du marché dépassent celui du CFD, une rétribution est versée par le producteur à l’État pour compenser les surplus engrangés sur le marché de l’électricité en cas de prix supérieur.9

Les recommandations de Carbone 4

À propos de la réforme du marché européen de l’électricité, le cabinet Carbone 410 recommande d’inciter à réduire la demande et à investir dans les moyens de production bas carbone, plus particulièrement dans les capacités renouvelables.

  • Le plafonnement des revenus (écart entre le coût de production et le prix de marché) doit rester temporaire pour ne pas obérer les objectifs structurels de long terme (réduction de la demande et investissements bas carbone). Le fonctionnement du marché doit permettre l’investissement dans de nouvelles capacités de production décarbonées.
  • Des contrats de long terme permettraient de stabiliser les prix pour les consommateurs tout en augmentant la visibilité pour les producteurs. C’est le principe des contrats pour différence, qui pourraient inciter à l’investissement dans des capacités renouvelables (actifs bas carbone) en réduisant le niveau de risque tant pour le producteur que pour le consommateur.
  • Une meilleure flexibilité pour équilibrer la demande et la production est souhaitable. Elle pourra passer par l’accroissement du stockage, des interconnexions, des mécanismes d’effacement (pour réduire la demande, comme par exemple les jours rouges des contrats Tempo d’EDF), des capacités de production en période de pointe.

Les leviers d’actions identifiés par le Shift Project

Cette réforme comporte plusieurs points en ligne avec les travaux du Shift Project, qui considère notamment la production d’électricité nucléaire, bas carbone, comme nécessaire à la transition énergétique. Son Plan de transformation de l’économie française (PTEF)11 met l’accent sur la décarbonation de l’électricité, un défi crucial pour faciliter celle de l’économie qui, en passant à l’électricité pour abandonner les énergies fossiles, augmentera son besoin en électricité de 20%. Pour réussir ce pari, il faudra donc « mettre toutes les chances de notre côté », en utilisant tous les leviers d’action :

  • La sobriété, essentielle pour tenir les objectifs de décarbonation. Il faut ainsi agir sur les comportements en plus des prix.
  • L’efficacité énergétique dans différents secteurs : transport, industrie, bâtiment…
  • Un mix énergétique tirant parti des technologies disponibles sans faire d’impasse. Le nucléaire et les renouvelables sont complémentaires et leur déploiement est nécessaire à la transition.

Néanmoins, il faudra veiller à ce que le prix de l’électricité reste au « bon niveau » (et tendanciellement orienté à la hausse) : pas trop haut pour ne pas freiner la transition des énergies fossiles vers l’énergie électrique bas carbone, pas trop bas et tendanciellement à la hausse pour inciter à la sobriété, elle aussi indispensable à la transition.

1 « Comment les prix de l’électricité évoluent-ils en France et en Europe ? », Hellowatt

2 « Lumière sur le marché européen de l’électricité », Institut Delors

3 « Loi NOME », CRE

4 « Le Bénéfice ARENH », EDF

5 « ARENH », CRE

6 Marché Européen, mode d’emploi, RTE

7 Bureau, D., Glachant, J. & Schubert, K. (2023). Le triple défi de la réforme du marché européen de l’électricité. Notes du conseil d’analyse économique, 76, 1-12.

8 « L’Europe trouve un accord sur le marché de l’électricité », Le Figaro

9 « Électricité : les contrats CFD au coeur de la réforme du marché européen », Les Échos

10 « Note pédagogique et technique sur la réforme du marché de l’électricité », Carbone 4

11 « Note d’évaluation énergie-climat du PTEF », The Shift Project

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
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