La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 11

Bon matin lectrices et lecteurs de la Gazette !

Cette semaine, nous vous proposons l’analyse de deux propositions de loi :

  • la 1ère propose la solution du tiers-financement à l’État et aux collectivités locales pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments publics. Mais que penser de cette dérogation au droit de la commande publique ?
  • la 2nde propose la baisse de la TVA sur les transports en commun comme solution pour éviter la hausse des tarifs. Cette mesure fait-elle réellement sens ?

Des éléments de réponses sont proposés ci-dessous par les Shifters !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Notre sélection de la semaine

Le tiers-financement : une solution pour favoriser la rénovation énergétique des bâtiments publics ?

Proposition portée par Mme Aurore Bergé, M. Damien Abad

Le 16 février 2023, le Sénat a adopté en 1ère lecture avec modifications, la proposition de loi visant à ouvrir le “tiers-financement” à la rénovation énergétique des bâtiments publics de l’État, de ses établissements publics et des collectivités. Un compromis devra être trouvé entre députés et sénateurs lors de la prochaine Commission mixte paritaire.

Un peu de contexte.

Le tiers-financement vise à accélérer la rénovation des bâtiments publics tels que les écoles, universités, hôpitaux, locaux sportifs et culturels ou bureaux administratifs.

Chaque année, l’énergie nécessaire pour chauffer, ventiler et éclairer les bâtiments publics représente plus de 44 TWh, soit 2,6 % de l’énergie finale consommée en France selon la Stratégie nationale bas carbone1. Ces bâtiments ont pour la plupart été construits dans les années 1950 et 1960, avant la mise en place de la première réglementation thermique de 1974. Ils sont dans leur grande majorité mal isolés, et peu de communes ont réalisé la rénovation énergétique de tous leurs bâtiments. D’après une étude de l’ADEME2, seules 20 % des communes déclarent avoir réalisé un remplacement/isolation des ouvrants ou une rénovation de chaufferie pour l’essentiel de leur parc entre 2005 et 2012. Il semble donc nécessaire d’accélérer la cadence pour respecter les engagements environnementaux de la France.

De plus, la principale source d’énergie consommée par ces bâtiments est le gaz, énergie fossile dont les émissions de gaz à effet de serre sont 3 à 4 fois plus élevées que celles induites par la production de l’électricité française. En plus de constituer un gisement considérable pour réduire les dépenses énergétiques, la rénovation de ces bâtiments représente donc un levier efficace pour réduire la dépendance des administrations publiques aux énergies fossiles et réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Depuis la fin 2017, les nouvelles constructions de bâtiments publics de santé, d’enseignement et les équipements sportifs et culturels doivent faire preuve d’exemplarité énergétique et environnementale. Cette exigence se traduit par une labellisation E+C-, garantissant un faible niveau de consommation (niveau E3) et une faible empreinte carbone (niveau C1). Pour pousser la démarche à hauteur des enjeux environnementaux, le Gouvernement pourrait exiger la même exemplarité pour son parc existant. Cela nécessiterait de systématiser la mise en place d’audits thermiques pour cibler les passoires énergétiques et exiger la rénovation bas carbone de l’ensemble de ces bâtiments énergivores.

Qu’est ce que le tiers-financement ?

Ce mécanisme3 encore assez expérimental, et qui peine d’ailleurs à trouver son propre financement, consiste à proposer une rénovation énergétique incluant le financement de l’opération ainsi qu’un suivi post-travaux. Les économies d’énergies réalisées à la suite des travaux sont évaluées et servent au remboursement progressif de tout ou partie de l’investissement. Le maître d’ouvrage se retrouve ainsi dispensé du financement direct des travaux.

Le tiers-financement répond aux mêmes besoins que l’emprunt ; la différence tient à ce que la charge financière est portée par une personne morale qui a les moyens de l’assumer et d’attendre un retour sur investissement, avec une marge bénéficiaire.

La proposition de loi soutenue par le Gouvernement ouvrirait ce dispositif aux bâtiments publics à titre expérimental pour cinq ans, dans le but également de faire porter le paiement immédiat des travaux par un tiers financeur pour permettre aux maîtres d’ouvrages publics de ne rembourser l’entreprise qu’une fois les travaux achevés. Le remboursement est censé être alors être assuré grâce aux économies d’énergie réalisées dans le cadre d’un marché global de performance. La mesure devrait faciliter la rénovation énergétique des 400 millions de m² du parc public, dont le coût est estimé entre 400 et 500 milliards d’euros selon le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Cette mesure doit contribuer à atteindre l’objectif de réduction des consommations énergétiques des bâtiments publics d’au moins 40 % entre 2010 et 2030 prévue par la loi ÉLAN.

Des besoins de rénovation difficiles à couvrir par les seules économies d’énergie

Cependant, les investissements nécessaires à de tels travaux peuvent s’avérer très conséquents, davantage que pour des rénovations dans l’habitat, notamment privés. La diminution des émissions de gaz à effet de serre nécessite une rénovation énergétique globale, requérant le changement des équipements énergétiques (chauffage, ventilation, éclairage) et une amélioration complète de l’enveloppe thermique du bâtiment. Plus que dans d’autres types de rénovation, des dépenses supplémentaires sont bien souvent associées, telles que la mise aux normes des réseaux électriques, des systèmes de sécurité ou des dispositifs anti-incendie. Les économies réalisées sur les consommations énergétiques ne couvriront donc qu’une partie des coûts engagés pour les travaux.

Les retours d’expérience compilés par l’observatoire BBC ces dernières années4 démontrent que les économies d’énergies cumulées sur 20 ans ne permettent que très rarement de couvrir l’ensemble des coûts de rénovation. Avant l’augmentation récente des prix de l’énergie, ces économies ne représentaient parfois que 30 % du coût initial des travaux. Ce ratio devrait s’améliorer tendanciellement avec le renchérissement très probable des énergies fossiles à mesure qu’elles se raréfieront mais sans générer, bien au contraire, de ressources financières. Beaucoup d’incertitudes demeurent et empêchent de bâtir un plan de financement fiable et équilibré. L’ouverture de tiers-financements ne résoudra donc que partiellement la question du subventionnement de la rénovation des bâtiments publics, qui nécessitera un investissement plus poussé des collectivités.

Comme le rappelait The Shift Project dans son rapport sur les bâtiments publics5, le principal enjeu des rénovations n’est pas l’accès aux technologies mais l’accès aux financements permettant d’enclencher les travaux. S’il est heureux que cette proposition de loi introduise certaines souplesses dans le Code de la commande publique, on peut craindre qu’elle ne fasse guère progresser l’équation du financement de la politique de rénovation du patrimoine public .

1 Novethic. Tiers-financement

2 Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC). Jeudi 21 juillet 2022 –

3 ADEME. Énergie et patrimoine communal, enquête 2012. Synthèse de l’étude

4 Observatoire BBC

5 The Shift Project. Climat. 9 propositions pour que l’Europe change d’ère – 2017

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Fiscalité des transports décarbonés

Proposition portée par M. Olivier JACQUIN (Socialiste, Écologiste et Républicain) et plusieurs de ses collègues

En novembre 2022, un amendement proposé par la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a été voté lors de l’examen du budget 2023. Cet amendement permet une baisse de la TVA sur les transports collectifs de 10 % à 5,5 % pendant une durée de 2 ans1. Une proposition de loi portée par le sénateur Olivier Jacquin en août 2022 proposait d’aller plus loin et de confirmer définitivement cette mesure dans la loi en faisant du transport ferré de voyageurs un bien de première nécessité.

Le contexte

Cette proposition vise à favoriser la part modale du ferroviaire par rapport aux autres moyens de transport afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur, qui représente, avec près de 27 %, le plus gros poste d’émissions tous secteurs confondus en France (dont 93 % pour les transports routier et aérien2. Avec environ 11 % des kilomètres-voyageurs assurés en 2019 par le transport ferroviaire (rapporté à tous les modes de transports), la France dépasse la plupart des pays européens (mais loin des 20 % de la Suisse, leader européen).

Toutefois, le secteur conserve une marge de progression vis-à-vis du transport routier qui représente plus de 80% des kilomètres-voyageurs3. Le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project vise une croissance du transport ferroviaire pour atteindre 18 % en 2027 et 35 % d’ici 2050. Des mesures incitatives doivent donc être mises en place au niveau national pour favoriser l’attractivité du transport ferroviaire.

Un manque à gagner significatif, pour un impact prévisible incertain

Au moment où le Gouvernement lance un plan de 100 Mds€ d’ici 2040 pour améliorer les infrastructures ferroviaires du pays4, la baisse de la TVA à 5,5 % sur les transports collectifs représente un manque à gagner pour l’État estimé à environ 280 M€ par an selon le rapport Duron, soit, dans l’hypothèse où ce taux deviendrait la règle, environ 4,7 Mds € sur les 17 années du plan annoncé par la Première ministre, et donc une moindre proportion sur le ferroviaire.

Pour autant, il ne paraît pas souhaitable d’amputer cet effort louable d’investissement et de maintenance pour financer une baisse de la TVA et donc du prix des billets. La Gazette du Carbone n° 2 de 20235 rappelait déjà à cet égard que de nombreux élus et experts s’accordent pour déplorer la tendance à la baisse de la participation des usagers6, soulignant que c’est la qualité de l’offre et non le prix qui est le facteur déterminant pour les attirer et permettre le report modal. Le rapport Duron recommande d’ailleurs de plafonner le versement mobilité si le ratio recettes commerciales/dépenses est inférieur à 30 % ou en cas de gratuité7.

Une nécessaire revue d’ensemble de la fiscalité des transports

Si la baisse de la TVA ne semble pas être une bonne idée, il n’en reste pas moins que le transport ferroviaire souffre d’un mauvais traitement fiscal qui mériterait une revue d’ensemble.

C’est particulièrement le cas en comparaison de la très faible taxation du secteur aérien, à l’origine des tarifs aériens trop souvent inférieurs au train sur les mêmes liaisons. En effet, non seulement les billets d’avion sont exonérés de TVA pour les compagnies aériennes dont les déplacements depuis/vers l’étranger ou les Outre-Mer représentent plus de 80 % de leur service8, mais le kérosène n’est soumis à aucune taxe pétrolière. Certes, une plus forte taxation en France, voire à l’échelle de l’Union Européenne, inciterait sans doute une partie des voyageurs aériens français à aller prendre leurs moyens-longs courriers dans des aéroports proches géographiquement et non-soumis à ces taxes. Par ailleurs, la révision de la directive européenne sur la taxation de l’énergie prévoit bien une taxe du kérosène, mais limitée et progressive sur les 10 prochaines années9.

On comprend mal cependant que des modifications fiscales sur les courts courriers ou dans le cadre de négociations dans l’UE ou avec les pays non-UE limitrophes ne soient pas plus nettement entreprises pour remettre en cause l’anomalie de ces avantages fiscaux accordés à l’aérien

D’autres points de vigilance

Une autre anomalie, tarifaire celle-ci, concerne la redevance pour la fourniture du courant de traction (RFE) facturée aux opérateurs ferroviaires par SNCF réseau. Cette dernière a été portée à 473,51€ HT/MWh en 2023, soit une multiplication par 4 par rapport à 2022. La Commission européenne a pourtant recommandé aux États membres de limiter cette redevance 180 €/MWh10.

Deux autres réformes inciteraient financièrement les voyageurs à privilégier le train par rapport à d’autres modes de transport de voyageurs :

  • une révision du système d’indemnités kilométriques pour la voiture, qui est contradictoire avec le forfait «mobilité durable» et le remboursement des frais domicile-travail en transports publics par l’employeur ;
  • la mise à la disposition des salariés de véhicules décarbonés (vélos, VAE) assortie d’avantages fiscaux analogues à ceux dont bénéficient les voitures de fonction.

Ne pas oublier le fret

Un autre levier consisterait à appliquer une fiscalité incitative au transport des marchandises transitant en France, segment où le ferroviaire ne représente que 9 % des kilomètres-marchandises, contre 17 % en moyenne européenne11. L’objectif de la Stratégie nationale bas carbone de doubler la part modale du fret ferroviaire à 18% en 2030 doit en effet s’accompagner de mesures fortes afin d’inciter les professionnels à privilégier le réseau ferré dans le transport des marchandises en transit.

1 Public Sénat. Budget : le Sénat vote une baisse de la TVA sur les transports en commun. 22 novembre 2022

2 MyCO2. Empreinte carbone française moyenne, comment est-elle calculée ? Janvier 2022 –

3 Données et études statistiques. Chiffres clés du transport – Édition 2021.

4 Légifrance. Code général des impôts

5 La gazette du carbone. Semaine 02 2023

6 « Ainsi, de 2000 à 2015, le taux de couverture moyen des dépenses d’exploitation par les recettes tarifaires a enregistré une baisse régulière. » – www.vie-publique.fr/en-bref/20003-financement-des-transports-collectifs-urbains-la-part-des-usagers

7 FNAUT. Le rapport Duron reprend plusieurs propositions de la FNAUT. 25 août 2021.

8 Le Monde. Transports du quotidien : Matignon parie sur une « nouvelle donne ferroviaire » à 100 milliards d’euros. 24 février 2023.

9 Commission européenne – Questions et réponses : Révision de la directive sur la taxation de l’énergie (DTE) –

10 Mobilités magazine. L’AFRA alerte sur le prix de l’énergie !. 21 février 2023.

11 ART. Observatoire des transports. Marché du transport ferroviaire

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