La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 16

Les jours s’allongent… et nos articles aussi cette semaine !

Mais c’est pour la bonne cause. À l’ordre du jour, tarifs réglementés de vente de gaz (TRVG) et leur possible suppression à échéance prochaine. Et pour accompagner le tout : les limites du développement de la méthanisation.

Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Questions émissions

Notre sélection de la semaine

La suppression des tarifs réglementes du gaz est-elle plus favorable à la planète qu’aux consommateurs ?

Portée par Fabien GAY et Marie-Noëlle LIENEMANN et autres sénateurs (groupe communiste républicain citoyen et écologiste)

Une question au gouvernement et une proposition de loi sont récemment intervenus sur le sujet :

  • M. Thibault Bazin a en effet alerté Mme la ministre de la transition énergétique sur les inquiétudes que suscite l’extinction des tarifs réglementés de vente de gaz (TRVG) prévue le 30 juin 20231.
  • Par ailleurs, une proposition de loi portée par les sénateurs Fabien GAY et Marie-Noëlle LIENEMANN, déposée au Sénat le 14 mars 20232 prévoit l’annulation des dispositions de loi Énergie Climat du 8 novembre 2019 concernant l’extinction des tarifs réglementés de vente de gaz naturel et propose d’étendre les TRVG « à tous les particuliers et professionnels qui en feraient la demande ».

Contexte

Mis en place par le Gouvernement en 2007 lors de l’ouverture à la concurrence du marché de détail3 du gaz, les tarifs réglementés de vente gaz naturel (TRVG) sont des contrats de fourniture de gaz dont les prix sont fixés par les pouvoirs publics, après consultation de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ils ne peuvent être proposés que par les fournisseurs historiques (ENGIE et 22 entreprises locales de distribution) avec pour objectif de protéger les consommateurs contre de trop fortes variations de prix. Ils sont destinés à garantir un accès à l’énergie à un prix abordable pour tous, notamment pour les ménages les plus modestes. Au 30 novembre 2022, ils s’appliquaient à 2,4 millions de clients résidentiels et représentaient moins de 150 MWh, soit 6 % de la consommation nationale de gaz4.

Cependant, depuis plusieurs années, la Commission européenne considère que les TRVG sont contraires aux règles de la concurrence en Europe, et en particulier à la libéralisation du marché de l’énergie engagée dès 2007. Le 19 juillet 2017, le Conseil d’État a confirmé que les TRVG constituaient une entrave à la réalisation du marché concurrentiel du gaz puisque seuls certains opérateurs bénéficiaient de cet avantage historique. La loi Climat Énergie a prévu l’arrêt de la commercialisation de ces contrats au 8 décembre 2019 et l’extinction des contrats en cours au 30 juillet 20235. Cette réforme vise à multiplier les offres attractives au bénéfice des consommateurs.

Les tarifs réglementés permettent de lisser les variations de prix, offrant une certaine sécurité au consommateur.

En fait, concurrence et tarifs réglementés ne sont pas antinomiques. En fait, les offres de fournisseurs publiés par la CRE6 sont en majorité moins élevées que les tarifs régulés. Il semblerait que les TRVG incitent les fournisseurs alternatifs à tirer leurs prix à la baisse pour être plus compétitifs, y compris en dehors d’une période de crise. Même si les TRVG subissent les fluctuations du marché, puisqu’ils prennent en compte les coûts d’approvisionnement en gaz d’ENGIE, ils ont constitué une référence fixée et donc contrôlée par les pouvoirs publics. Bien que les tarifs réglementés ne concernent qu’une partie des utilisateurs, leur effet de lissage des prix s’étend donc aux contrats en offre de marché7.

En l’absence des TRV, comme c’est le cas sur le marché du fioul, les fournisseurs alternatifs pourraient donc davantage pratiquer des augmentations significatives de leurs prix. Dans le contexte actuel d’instabilité contractuelle, l’association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV) souligne que les offres de marché des fournisseurs ont « soudainement davantage indexé leur tarif sur l’évolution des prix du marché de gros »8.

Un exemple récent où les TRVG ont démontré leur effet stabilisateur réside dans la mise en place du bouclier tarifaire en novembre 2021. Pour faire face aux importantes fluctuations des prix du gaz et protéger les ménages français, le Gouvernement a fait le choix de geler les TRVG à leur niveau du 1er octobre 2021, ce qui a contribué à limiter la hausse appliquée aux consommateurs, aux dépens cependant de la marge des opérateurs. Le mécanisme est donc différent du bouclier tarifaire où c’est l’État qui subventionne les prix finaux. Rappelons qu’en raison de la hausse des prix de l’énergie, soit + 28 % entre 2021 et 20227, la précarité énergétique touche aujourd’hui 5,6 millions de ménages.

Le lissage des tarifs gaziers ne doit cependant pas occulter le message d’une impérative sobriété.

Le bouclier tarifaire n’a pas du tout la même signification en matière d’électricité et d’hydrocarbures. En 2019, d’après le ministère de la Transition écologique, la combustion du gaz naturel représentait 19 % des émissions de CO2 mondiales9 et 20 % en France10, sans mentionner les fuites de gaz naturel, composé de méthane à l’effet de serre 84 fois plus important que le dioxyde de carbone à court terme . Il est urgent de réduire dès à présent la consommation de gaz fossile.

Afin de coupler la lutte contre la précarité énergétique avec une réduction des émissions de gaz à effet de serre, The Shift Project préconise une réduction progressive de la consommation du gaz en France, en encourageant des mesures d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables :

  • Accélérer la rénovation énergétique des bâtiments pour réduire leurs besoins en chauffage et en eau chaude sanitaire, majoritairement couverts par le gaz en France. En France, les bâtiments représentent 25 % des émissions de gaz à effet de serre et 45 % de la consommation énergétique.
  • Développer les réseaux de chaleur alimentés par des sources d’énergie renouvelable, comme la biomasse, la géothermie ou le solaire.
  • Promouvoir l’utilisation des pompes à chaleur pour le chauffage.
  • Favoriser l’utilisation de biogaz issus de la méthanisation des déchets pour les usages industriels et les réseaux de gaz naturel.

Ces investissements nécessaires à la transition sont coûteux et ne seront réalisés que si tous les intervenants sont bien persuadés que la hausse tendancielle des prix de l’énergie est inéluctable. De fortes fluctuations des prix finaux peuvent brouiller un tel message car des reflux tarifaires suivent généralement les envols liés à des pénuries conjoncturelles. Le lissage apporté par les tarifs réglementés contribue certes à un certain apaisement face aux variations de court terme souvent erratiques sur ce marché. Mais ces tarifs devraient mieux intégrer les perspectives de renchérissement de la ressource, par exemple en indiquant d’ores et déjà les indispensables augmentations futures de prix.

Quant à l’accompagnement social de cette hausse, il doit cibler uniquement les ménages les plus précaires et être transitoire afin de les inciter aussi à la réduction de consommation, quitte à prévoir des mesures d’accompagnement des nécessaires investissements. Les sommes extrêmement importantes consacrées au bouclier tarifaire subventionnent les énergies fossiles et seraient beaucoup mieux employées au financement de la transition écologique.

1 Question n°3016 – Assemblée nationale

2 Prolonger les tarifs réglementés de vente du gaz et leur extension

3 Il concerne la fourniture d’électricité et de gaz naturel à des clients finaux

4 CRE. 14 mars 2023. Fin des tarifs réglementés de vente de gaz (TRVG) et poursuite du bouclier tarifaire : la CRE prépare avec transparence la protection des consommateurs

5 Vie-publique.fr. 30 janvier 2023. Le prix du gaz en cinq questions

6 CRE. 09 mars 2023. La CRE publie le bilan de l’ouverture des marchés de détail de l’énergie pour le troisième trimestre 2022

7 INSEE. 01 septembre 2022. La flambée des prix de l’énergie : un effet sur l’inflation réduit de moitié par le « bouclier tarifaire »

8 CLCV. Lettre ouverte au président de la République – Ne supprimez pas le tarif réglementé du gaz en pleine crise énergétique

9 Data lab. Chiffres clés du Climat France, Europe et Monde. Édition 2022. Émissions de CO2 hors UTCATF dans le monde

10 Carbone 4. Octobre 2021. Importations de gaz naturel : tous les crus ne se valent pas

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Questions émissions

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Les limites au développement de la méthanisation

Portée par M. Jordan Guitton (Rassemblement National - Aube)

Le député Jordan Guitton interroge la ministre de la Transition énergétique sur la part que représentent la méthanisation et l’agrivoltaïsme dans l’activité des agriculteurs et sur les conséquences que ces productions engendreraient sur la souveraineté alimentaire française. Tout en admettant que la méthanisation et l’agrivoltaïsme1 sont des productions énergétiques intéressantes pour les territoires, il estime que les agriculteurs ne doivent pas être encouragés par des mécanismes financiers à changer de métier.

Attachons-nous ici au développement actuel et aux perspectives de la méthanisation

Une filière émergente qui se structure pour assurer son développement

La méthanisation agricole connaît un essor important depuis une quinzaine d’années en France. Au 1er janvier 2023, on dénombrait 515 unités de méthanisation dont 430 raccordées aux réseaux GRDF et au moins 58 % détenues majoritairement par des agriculteurs. La méthanisation agricole peut être analysée comme au croisement de deux secteurs : le secteur agricole, qui fournit les substrats à méthaniser, et le secteur de l’énergie, qui se charge de valoriser l’énergie produite auprès des consommateurs. La réalité est toutefois plus complexe : l’unité de méthanisation implique de nombreux autres secteurs d’activité (traitement des déchets, agro-industrie, construction, audit, conseil, etc.), qui forment une véritable « filière méthanisation ».

  1. Un décollage assuré depuis 20 ans par les agriculteurs et le subventionnement de l’énergie2

Les premières unités installées en France ont été portées par des éleveurs qui privilégiaient des stratégies d’internalisation de nombreux segments de la filière. Ainsi, à partir de 2004 apparaissent des unités en cogénération dont les plans, le terrassement et la construction ont été réalisés par les agriculteurs eux-mêmes. Du fait des contraintes imposées par les banques, les agriculteurs privilégient une logique d’autonomie en substrats de type fumiers et lisiers3. Les agriculteurs associés dans le projet assurent l’essentiel du travail sur l’unité (alimentation du digesteur, tâches administratives, maintenance, etc.).

En aval, l’insertion dans la filière est à la fois très contrainte et peu risquée, puisque la production d’électricité est vendue pour une certaine quantité exprimée en kWh/an à un prix fixé sur 20 ans et largement subventionné (en moyenne 20 c/kWh alors que le tarif normal d’achat est autour de 6 c/kWh). Les interlocuteurs sont alors principalement Enedis pour le raccordement au réseau, et EDF pour la vente de l’électricité.

Ce modèle repose sur l’idée selon laquelle la méthanisation permet de réduire le coût énergétique de l’exploitation agricole (par la valorisation non monétaire de la chaleur), les coûts en engrais (le digestat correspond pour l’exploitation à une intégration de la production d’engrais) et le coût du travail (du fait de la spécialisation productive, que la garantie d’un revenu stable sur 15 ans rend possible). L’activité de méthanisation demeure très complémentaire à l’activité agricole. Les agriculteurs ne cherchent pas nécessairement à maximiser le rendement de production d’électricité, mais privilégient la qualité du digestat : il s’agit d’en faire un substitut aux engrais de synthèse.

  1. Une « industrialisation » récente de la filière fondée sur le rendement énergétique des installations

Les agriculteurs externalisent depuis quelques années la maintenance auprès des constructeurs, achètent une partie des substrats dont la qualité est mesurée par le pouvoir méthanogène, et emploient des salariés pour la maintenance ordinaire de l’unité. Les agriculteurs ont de plus en plus besoin de capitaux et recourent à des levées de fonds, d’où une prise de pouvoir des acteurs non agricoles sur la filière, dont les intérêts diffèrent parfois de ceux des agriculteurs.

Ces agriculteurs-méthaniseurs anticipent une accentuation de la concurrence pour l’accès aux réseaux de gaz, aux substrats et à la main-d’œuvre qualifiée. Ils appellent également à lever la limitation à 15 % des substrats apportés au méthaniseur sous forme de cultures dédiées, qui vise à limiter la concurrence avec la production alimentaire.

Des objectifs ambitieux pas totalement réalistes

Suivant différents scénarios prospectifs, la part du biogaz dans les énergies renouvelables devrait atteindre de 90 à 150 TWh en 20504. À titre de comparaison, la France a produit, en 2022, 440 TWh d’électricité et consommé 2650 TWh d’énergie primaire.

Dans son rapport paru en juillet 20215, France Stratégie pointe néanmoins un déficit de biomasse par rapport aux attentes projetées par les scénarios pour le futur : « Au vu des nombreux enjeux, actuels et futurs, les disponibilités en biomasse agricole ne permettraient pas de répondre aux objectifs de long terme fixés par la Stratégie nationale bas carbone. […]

Une attention particulière doit donc être portée à la surexploitation de la biomasse agricole et aux externalités négatives qui pourraient contredire l’objectif global de durabilité dans un système alimentaire en mutation ».

Les sources potentielles de biomasse méthanisable sont effectivement sous contraintes :

  • Les recommandations du Plan de transition de l’économie française du Shift Project conduisent à une diminution importante du cheptel des animaux d’élevage, donc à une relative diminution des fumiers et lisiers à méthaniser
  • L’analyse des données théoriques de l’ONRB résumé dans un rapport intitulé « Ressources en biomasse et méthanisation agricole : quelles disponibilités pour quels besoins ?6 », permet aussi de faire un état des lieux des sources potentielles de biomasse. Sur les 90 TWh de production à atteindre, 20 TWh au maximum le seront grâce aux fumiers et lisiers. Les biodéchets représentent une contribution minoritaire, 5-10 TWh, pour tenir compte des objectifs de réduction des pertes et gaspillage et des concurrences d’usage des sous-produits des industries agroalimentaires. Le reste, soit 60 TWh, doit donc être produit grâce à la récolte de CIVE7, d’herbes ou de cultures principales dédiées, l’ensemble représentant moins de 15 % des intrants dans le mix actuel.

Or, pour produire 60 TWh d’énergie avec ces intrants, on aura besoin de 1,8 million d’hectares de terres, soit 10% des terres arables françaises. Dans un contexte où les rendements des terres arables sont amenés à diminuer, la méthanisation interfère donc avec la souveraineté alimentaire de la France.

Ces conséquences peuvent toutefois être nettement atténuées par une diminution souhaitable des cheptels français et une progression des débouchés biogaz des cultures intermédiaires, qu’elles soient à vocation énergétique ou à vocation de « pièges à nitrate », fourragère ou amélioratrice des sols. La mise en place, en discussion, d’une obligation déclarative sur ce type de cultures et sur leur usage agronomique, énergétique ou fourrager pourrait y contribuer, si ce n’est que l’intensification des usages des sols au bénéfice des CIVE entraîne des effets négatifs non négligeables alors que le réchauffement climatique devrait inciter à capter plus de carbone dans les sols et consommer moins d’engrais chimiques.

Conclusion

Si la méthanisation peut contribuer significativement à l’approvisionnement français en énergies renouvelables, il convient d’analyser plus finement les risques et les contraintes auxquels ce secteur va être confronté et de mieux en tenir compte dans les estimations de production énergétique. L’interdiction de cultures dédiées dans les intrants, une législation beaucoup plus stricte sur les CIVE (itinéraire cultural, non irrigation) et un choix délibéré de baisse du cheptel français constituent des pistes de travail intéressantes pour soutenir cette filière et l’agriculture dans son ensemble.

1 Gazette du carbone du 7 mars 2023

2 Notes et études socio-économiques. Pascal Grouiez. Une analyse de filière des dynamiques de revenus de la méthanisation agricole NESE n°49, Juillet 2021, pp. 41-61

3 HAL Science. Berthe et al. 2018. Les formes d’unités de méthanisation en France: typologies et scénarios d’avenir de la filière

4 Les valeurs les plus basses sont celles retenues par Vision 2050 de ADEME ou par la SNBC, la valeur de 150 TWh correspond à l’hypothèse haute du scénario négaWatt.

5 France stratégie. Juillet 2021. Biomasse agricole: quelles ressources pour quel potentiel ?

6 France Agrimer. Observatoire national des ressources en biomasse (ONRB). Ressources en biomasse et méthanisation agricole : quelles disponibilités pour quels besoins ?

7 Une culture intermédiaire à vocation énergétique (CIVE) est une culture implantée et récoltée entre deux cultures principales dans une rotation culturale.

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