La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 10

Agrivoltaisme et label RGE.

Deux concepts tendances au parlement et au gouvernement ces derniers mois mais qui sonnent parfois mystérieux aux oreilles de ceux qui ne baignent ni dans les domaines de l’agriculture, ni dans le bâtiment.
Cette semaine, les Shifters vous expliquent tout sur ces sujets!

Bonne lecture.

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Questions émissions

Notre sélection de la semaine

L'agrivoltaïsme, un bon compromis

Projet porté par Le Gouvernement

Adopté par le Sénat le 7 février 2023, le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (AER)1 donne ses lettres de noblesse à l’agrivoltaïsme qui combine sur une même parcelle des panneaux photovoltaïques avec une production agricole. Il doit être distingué du photovotaïsme au sol : dans ce cas, il n’y a que des panneaux avec leur support, sans production agricole. Quant au photovoltaïsme « classique », il s’installe en général sur les toits et autres bâtis.

De façon presque concomitante, la mission flash Le Feur Sermier2 présentée le 23 février dernier à la commission du Développement rural et de l’Aménagement du Territoire de l’Assemblée Nationale, confirme tout l’intérêt de la coexistence d’une production agricole et électrique sur une même surface agricole.

Des sols soumis à la concurrence des activités et des usages

La France artificialise ses terres arables, notamment du fait du développement de ses centres urbains, dans les régions agricoles les plus riches. Le Gouvernement a répondu à une demande pressante des syndicats agricoles, des associations de défense de l’environnement et des élus, très inquiets de voir le développement de l’énergie solaire artificialiser des surfaces agricoles ou forestières3.

Or un hectare artificialisé est un hectare devenu incapable de stocker du carbone, de nourrir, d’offrir un refuge à la biodiversité, et le plus souvent de retenir l’eau. Parallèlement, les terres les moins fertiles ne permettent plus une activité agricole rentable et sont mises en friche ou reboisées, le plus souvent en résineux. Cette « déprise » est le principal mode de développement de la forêt française, qui présente certes l’avantage de stocker du carbone.

En moyenne le rendement des terres agricoles est faible (de l’ordre de 1 à 3 %) en brut, avant charges de gestion4, alors que celui du photovoltaïsme est supérieur. Pour enrayer l’artificialisation des sols, le projet de loi AER n’autorise les installations photovoltaïques désormais que sur les terres incultes ou non exploitées depuis au moins dix ans.

L’agrivoltaïsme est présenté comme l’alternative permettant le maintien d’une production agricole significative et durable. Un décret en Conseil d’État précisera les services que doit rendre l’agrivoltaïsme ainsi que la définition d’une production agricole significative et le revenu durable qui doit en découler5. Il fixera également « les modalités de suivi et de contrôle des installations » et « les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir ainsi que les sanctions en cas de manquement ». Des avis seront en outre demandés aux Commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF)6.

Des retours d’expérience très encourageants

De nombreuses expériences sont menées en France et dans le monde sur l’agrivoltaïsme, avec des retours très favorables. Nombre d’activités agricoles concernées (pâtures, cultures céréales et graines, viticulture7, maraîchage) supportent bien, voire bénéficient, de la présence de panneaux., La perte d’ensoleillement est souvent compensée par la baisse des températures au sol et la moindre évaporation. En effet, la plupart des espèces cultivées cessent de croître dès l’atteinte d’une température maximale (souvent 30°C). L’ombrage permet donc d’allonger la période de croissance et d’atténuer l’évaporation du sol.

De plus, l’agrivoltaïsme permet le retour des animaux dans les terres cultivées8, alors que la spécialisation des entreprises a créé de vastes surfaces cultivées qui ne reçoivent plus de bétail ni de fumure organique. Dédier certains terrains bien orientés à l’agrivoltaïsme avec élevage offre des perspectives favorables à la capture du carbone et rentables financièrement. Le retour de l’élevage dans les terres céréalières profitera à la vie du sol, au stockage du carbone, au bon emploi des fumiers et lisiers, ainsi qu’au bien-être animal, notamment en plein été. Les ombrages se traduisent même souvent par une plus forte croissance des animaux. Il s’agit donc d’une réponse compétitive pour l’élevage, alors qu’il ne parvient plus à répondre à la demande française, dont les Shifters estiment il est vrai qu’elle doit décroître.

L’importance clé de la mise en œuvre

Pour autant, l’agrivoltaïsme ne doit pas être considéré comme une solution sans inconvénient. Dans son rapport9, l’ADEME indique qu’un certain nombre d’espèces végétales réagissent mal à l’ombre malgré la moindre évapotranspiration. La forme et la disposition des panneaux doivent à l’évidence être adaptées à chaque espèce. Le maintien d’une production agricole accroît les coûts d’installation par rapport aux simples panneaux sur sol. Enfin, le raccordement électrique des parcelles agrivoltaïques, éloignées des centres et des réseaux de transport est à l’évidence plus coûteux et doit être pris en compte dans l’étude budgétaire.

Que ce soit en termes de productivité agricole ou d’énergies renouvelables, il n’y a pas de recette miracle. Il faut observer l’environnement naturel, tester, vérifier, évaluer. Une attention toute particulière doit être portée à la mise en œuvre. Les opérateurs doivent être écoutés et le dispositif d’application de la réglementation doit demeurer pragmatique. À cet égard, il conviendrait que le décret d’application ne soit pas rigide et trop détaillé, et qu’il tienne compte des délibérations des commissions départementales (CDPENAF) afin d’éviter une mise en œuvre complexe et conflictuelle.

Il reste que le Parlement donne par ce texte un signal clair au marché : les panneaux photovoltaïques doivent d’abord être installés sur les surfaces artificialisées (toits, parkings, friches industrielles. Cela entraîne sans doute des coûts d’installation plus élevés, mais en accord avec l’opinion et les consommateurs.

Par ailleurs, l’agrivoltaïsme devrait contribuer à améliorer les revenus des agriculteurs français, trop souvent à la peine devant les exigences des marchés et des règlements qui les incitent à investir toujours plus.

Quant à, la contribution de l’agrivoltaïsme au stockage du carbone dans les sols, elle est à évaluer selon le développement d’une approche qui reste encore expérimentale. Cependant, même partielle au regard des efforts à entreprendre, elle sera positive.

1 Réussir : Agrivoltaïsme : le cadre adopté par les députés via le projet de loi AER, publié le 11 janv. 2023 par Nathalie Marchand

2 Mission « flash » sur l’agrivoltaïsme

3 ACTU Environnement : Projets photovoltaïques recherchent terres désespérément, 14/11/2022 – Études de 10 situations techniques : Toitures agricoles et autoconsommation, maraîchage sous serre, horticulture sous serre, arboriculture sous ombrières, élevage ovin, élevage sous ombrière, trackers photovoltaïques, aquaculture, panneaux verticaux bifaces.

4 Placement : investir dans des terres agricoles pour récolter plus d’épargne ; Investir dans la terre agricole, un placement qui donne du sens à votre épargne

5 Environnement Magazine : « L’agrivoltaïsme : une pratique désormais définie et encadrée »

6 Commission Départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Présidée par le préfet, elle se compose de représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements, de l’État, des professions agricole et forestière, des chambres d’agriculture et des organismes nationaux à vocation agricole et rurale, des propriétaires fonciers, des notaires, des associations agréées de protection de l’environnement et des fédérations départementales ou interdépartementales des chasseurs. Son avis est obligatoire pour une grand nombre de décisions relatives aux usages (SCOT, PLU, etc.).

7 SUNAGRI

8 Web-agri : Agrivoltaïsme une opportunité pour les éleveurs ?, 25/05/2022

9 ADEME : Agrivoltaïsme Retours d’Expérience CARE, CERESCO, CETIAC 2021

Liens utiles :

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Questions émissions

en partenariat avec Logo Dixit

Les difficultés d’obtention du label RGE pour les artisans et TPE/PME

Portée par M. Christophe Bentz (Rassemblement National - Haute-Marne)

Le député Christophe Bentz attire l’attention du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sur le dispositif permettant à une entreprise d’être «reconnue garante de l’environnement» (RGE). Ce label est accordé aux artisans et entreprises spécialisés dans les travaux de rénovation énergétique ou d’installation d’équipements utilisant des énergies renouvelables et répondant à des critères de qualification. Il ouvre à leurs clients le droit à des aides de l’État pour financer leurs travaux. Les syndicats de la profession se plaignent de la lourdeur administrative liée à l’obtention et au maintien de ce label, qui défavorise les petites structures n’ayant pas les ressources nécessaires pour réaliser correctement l’ensemble des démarches administratives.

Définition et état des lieux du label RGE

Le label RGE concerne les professionnels du bâtiment qui installent des matériaux et équipements ayant trait à la performance énergétique des bâtiments ou effectuent des diagnostics énergétiques, ou encore assurent la maîtrise d’œuvre des travaux de rénovation énergétique. Il permet de remplir l’éco-conditionnalité des aides à la rénovation énergétique, telles que MaPrimeRenov’, l’éco-prêt à taux zéro, etc.1 Il garantit ainsi que les aides financières sont orientées vers des travaux améliorant réellement la performance énergétique des bâtiments.

Le nombre d’entreprises labellisées RGE est d’environ 63 000 à ce jour2, en très forte croissance de 2015 à 2018, en légère baisse depuis 5 ans. En comparaison le nombre de TPE/PME dans le bâtiment est de 560 000 actuellement3. Or le nombre de ménages bénéficiaires d’aides liées à la rénovation énergétique des logements a fortement augmenté (explosion des aides MaPrimeRenov” ces deux dernières années)45, en phase avec la volonté du Gouvernement de l’accélérer.

Ce qu’en pensent les Shifters

D’après le rapport « L’emploi : moteur de la transition bas carbone » du Shift Project en 2021, la transformation de notre économie s’accompagnera d’une forte demande de main-d’œuvre dans la rénovation énergétique des bâtiments : pour atteindre en 10 ans 1 million de logements rénovés chaque année, le besoin est évalué à 180 000 ETP (équivalent temps plein), soit 110 000 ETP supplémentaires par rapport à la situation actuelle. Cet objectif implique également un maillage d’entreprises compétentes sur l’ensemble du territoire, de manière à pouvoir rénover les maisons individuelles, qui représentent 60 % des logement ». Or ces chantiers relativement simples peuvent justement être assurés par de plus petites entreprises.

Les pistes développées par le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project pour répondre au besoin en formation sont :

  • rendre les contrats de formation en apprentissage (CFA) plus flexibles pour soutenir la massification des formations initiales et continues ;
  • rendre la rénovation attractive auprès des jeunes et des actifs hors BTP ;
  • réduire les freins opérationnels : mutualisation des appuis, réglementation plus forte, obligations contractuelles pour les donneurs d’ordre dans les appels d’offres…

The Shift Project alerte en outre sur le fait que la formation des professionnels RGE reste très axée sur les aspects administratifs et n’a pas fait ses preuves en termes de performance énergétique effective. Il préconise de mieux former les professionnels aux rénovations globales (tous les aspects du bâtiment avec une bonne coordination entre corps d’état) et d’imposer une réglementation plus stricte pour améliorer l’efficacité des rénovations.

Ne pas se tromper d’objectif

L’allègement des contraintes administratives d’obtention du label RGE permettrait probablement d’augmenter le nombre d’entreprises qualifiées, ce qui est indispensable compte tenu de l’urgence climatique. Il importe toutefois de ne pas perdre de vue l’objectif premier, qui est d’assurer l’efficacité des rénovations en termes de gains de performance énergétique et de réduction des émissions de carbone du parc de logements. Il ne faudrait pas que l’allègement des contraintes se traduise par une régression qualitative des prestations des entreprises bénéficiaires du label.

Il est impératif que la France se donne vraiment les moyens d’accompagner les professionnels de la rénovation énergétique, sur le plan financier et en termes de ressources administratives et de formation. Il en va de la crédibilité de la stratégie nationale. Quel avenir pour un plan d’investissement si les moyens sont insuffisants ou l’efficacité qualitative n’est pas démontrée ?

1 entreprendre.service-public.fr. – Professionnels du bâtiment : comment obtenir le label RGE ?

2 ADEMENombre d’entreprises RGE

3 Le manque de ressources humaines freine la rénovation thermique des logements. La confédération des artisans du bâtiment critique les lourdeurs du label RGE. Extrait article les Echos Novembre 2022

4 Agence nationale de l’habitat (Anah) – « Les Chiffres clés 2022 »

5 Anah – « Les Chiffres clés de 2021 »

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