La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2025 | Semaine 48

Chère lectrice, cher lecteur,

L’Europe avance et s’engage dans la lutte contre les émissions de CO2 avec ce volet ETS 2, de quoi s’agit-il ? Comment cela va-t-il fonctionner ? Quels obstacles à venir ?

Nous tentons ici d’apporter quelques repères, ainsi qu’un rappel d’ETS1.

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

Enfin l’Europe de l’énergie déploie l’ETS 2

Europe lance les quotas pour le transport routier et le bâtiment

La baisse des émissions européennes de CO2 (-55% en 2030) est l’enjeu majeur, la mise en place d’un marché du Carbone est un des leviers essentiels, mais sa mise en œuvre est complexe.

Concernant deux secteurs économiques clés et très consommateurs d’énergie (environ 36 % des émissions de l’UE) : le transport routier et le bâtiment, un système de quotas et d’échange est défini dans ETS 2 (Emission Trading System)1 , avec l’objectif de diminuer de 42 % les émissions des transports et du chauffage en 2030 par rapport à 2005 (- 63 MtCO2/an soit une baisse d’un peu plus de 5 % par an). Ce sont les fournisseurs d’énergie (exemple : Total, Leclerc…) qui sont responsables de la mise en œuvre d’ETS21.

2026 doit permettre le monitoring avant un démarrage en 2027 (date pouvant être repoussée en cas de forte hausse du gaz et du pétrole). ETS2 comprend des mécanismes de stabilité afin de réduire l’amplitude des prix du quota (depuis 2018 il est fixé en France à 44,6€/tCO2) qui devrait atteindre les 60€.

Si les prix du gaz et du pétrole augmentent très vite une clause de revoyure est prévue en 2029. Les recettes d’ETS2 sont estimées à 9 Mrd€/an pour la France, versées au budget communautaire dont 25 % dédiées au Fonds Social Climat (FSC2), chaque état devant décliner un Plan Social Climat . Ainsi ETS 2 dépasse le seul signal-prix en stimulant l’accessibilité aux ménages les plus défavorisés aux mesures d’amélioration de l’habitat (via l’ANAH (Agence Nationale de l’Habitat)3 , à l’accès à une mobilité bas-carbone.

Sans attendre, le fond pourra être utilisé dès 2026 (en avance de phase) pour des mesures structurelles (ex. rénovation thermique, accès à une mobilité bas-carbone) et pour de la compensation directe des ménages, à une hauteur maximale de 37,5 % de l’enveloppe totale, et devant être dégressive dans le temps.

Impacts d’un quota à 60€/tCO2

Sans prise en compte des mécanismes de redistribution, l’augmentation du prix du quota à 60€ va être répercutée par les fournisseurs sur leurs prix : cela représenterait  +9 € pour un plein de 60 L (+15 c€/L), +11 €/mois en gaz et +24 €/mois en fioul pour un logement de 100 m2 (1 et 1,5 MWh).

Les ménages plus aisés paieront plus en absolu car consommant plus. L’impact sera beaucoup plus lourd dans les territoires à faible accessibilité avec déplacements contraints et plus souvent chauffés au fioul où la facture énergétique est 50 % plus élevée. L’ETS 2 touchera aussi les entreprises qui n’étaient non couvertes par l’ETS 1, mais qui donc devront subir la hausse de l’énergie carbonée.

Ce qu’en pensent les Shifters : les Enjeux d’adhésion

Alors que l’ETS 1 était imposé à de grosses entreprises industrielles baignant dans des systèmes de normes complexes, l’ETS 2 pèsera indirectement à des dizaines de millions de foyers et des dizaines de milliers de PME.

Alors que la révolte des Gilets Jaunes hante encore beaucoup de politiques, pour obtenir et conserver l’adhésion du plus grand nombre à cette politique de hausse des coûts de l’énergie carbonée, il faut protéger les plus fragiles, souvent les plus dépendants de voitures thermiques anciennes, de logements anciens et peu ou pas rénovés et leur offrir des solutions alternatives durables et accessibles. En mesurer des impacts est une nécessité, en intégrant les conséquences secondaires comme les effets multiplicateurs des marges des entreprises (souvent définis en pourcentage du prix), ou encore les conséquences sur l’accès au logement, l’offre de transport publique etc.

Le Gouvernement devra faire preuve de pédagogie pour expliquer les enjeux et le mécanisme sophistiqué. Sa tache sera difficile car ce sujet sera instrumentalisé par l’opposition. L’expérience de la prime-rénove, très négativement jugée par les particuliers et les entreprises du bâtiment, doit être analysée afin de proposer des dispositifs accessibles au plus grand nombre et compréhensibles. De plus la lutte contre les fraudes sera d’autant plus cruciale les financements auront augmenté.

L’objectif de décarbonation implique évidemment ces changements difficiles et coûteux, mais il ne doit pas non plus être effacé par des dispositifs de compensation mal calibrés, qui feraient disparaître les incitations à la sobriété ou à l’électrification des usages. L’enjeu de soutien aux ménages défavorisés ne doit pas consister en un effacement total de ce signal pour l’ensemble des consommateurs, comme a pu l’être le bouclier tarifaire, mais bien leur permettre d’agir pour réduire leur empreinte carbone.

L’adhésion doit aussi intégrer les collectivités, elles mêmes consommatrices d’énergie, mais aussi en charge de l’action sociale, des investissements de transport public etc. Elles ne doivent pas être oubliées dans un dispositif aussi impactant. L’ETS 2 est aussi une opportunité pour mobiliser la société civile des associations si présentes dans l’action sociale.

Aussi un véritable débat national se justifie, éventuellement associée à la création d’une commission citoyenne prenant exemple sur la Convention citoyenne pour le climat, et pourrait fournir un levier utile pour lutter contre les instrumentalisations et récupérations partisanes. Plus symbolique mais fédérateur, la directive européenne permet d’ajouter à l’ETS 2 des secteurs qui ne sont pas couverts d’office (opt-in), par exemple des activités à très forte empreinte carbone comme l’aviation privée ou les plaisances de luxe (à moteur).

L’ETS 2 en action : Positionnement des acteurs

L’Autriche a déjà transposé l’ETS 2 depuis juin 2024, suivie par l’Allemagne au début 2025. La Pologne et la République Tchèque ont au contraire demandé un report. Les Verts au Parlement européen expriment des préoccupations concernant la justice sociale, estimant que les ménages seront soumis à une nouvelle fiscalité carbone dès 2027 ou 2028, tandis que le secteur industriel bénéficie encore de quotas gratuits jusqu’en 2034.

D’autres (voir déjà tribune de David Lisnard4 ) œuvrent contre l’extension de ce qui est une forme de fiscalité européenne. Par contre l’Association des Constructeurs Européens d’Automobiles (ACEA) soutient l’inclusion du transport routier dans l’ETS 2, estimant que sans ce système, il serait difficile d’atteindre les objectifs de réduction des émissions. Alors que les fédérations de transporteurs s’y opposent à cause des contraintes administratives qu’exige la gestion complexe de quotas.

La mise en place de l’ETS 2 ne se fera pas sans heurts ni contestations…

1 Marchés du Carbone

2 Fonds Social Climat

3 ANAH

4 ETS2 une lubie europénne Sud Radio DLisnard

▲ Sommaire

Rappel ETS 1 : le système d'échange de quotas d'émission

ETS 1 [1]

Le système communautaire d’échange de quotas d’émission a été institué par la directive 2003/87/CE, afin de se conformer aux objectifs du Protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 dans le cadre de la Convention-cadre sur les changements climatiques des Nations-Unies du 9 mai 1992.  Celui-ci instaure, pour certaines installations classées, les exploitants d’aéronefs et les compagnies maritimes, un régime d’autorisation d’émission de tonne équivalente de gaz à effet de serre donnant lieu à l’ouverture de compte quotas dans le registre européen auprès de la Caisse des dépôts, administrateur national. 

Chaque émetteur doit alors restituer au ministre de l’environnement un certain nombre de quotas équivalent aux émissions émises, dont une unité vaut 1 tonne équivalente de gaz à effet de serre. Les quotas restitués sont in fine annulés. Ceux-ci sont des biens cessibles et transmissibles de compte à compte auprès de l’administrateur national qui s’acquiert par une mise à l’enchère. 

Il est possible pour les émetteurs de se voir octroyer un certain nombre de quotas gratuits, dont les installations bénéficiaires sont déterminées par arrêté ministériel après approbation de la commission. Pour la période de 2021 à 2026, le nombre de quotas gratuits représente 30 % des quotas disponibles ; l’objectif est de supprimer l’octroi de ces derniers progressivement jusqu’à 2034. Ces quotas gratuits sont délivrés sous réserve de respecter les recommandations des audits énergétiques réalisés dans le cadre de la directive efficacité énergétique et de transmission d’un plan naturalité carbone. 

Dans le cadre du paquet « Fitfor55 »1 , le droit communautaire a transposé le mécanisme d’échange de quotas au transport routier et le bâtiment via un système parallèle d’échange dit ETS 2 (Emission Trading System), avec pour objectif d’obliger la restitution de quotas pour les émissions émises  correspondant aux quantités de carburants qu’elles ont mises à la consommation. 

Les quotas émis dans le cadre de l’ETS 2 ne sont pas équivalents à ceux émis dans le cadre de l’ETS 1 et ne pourront ainsi pas être interchangeables. 

1 EU Emissions Trading System

2 Fit for 55

▲ Sommaire

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