La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
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Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.
2025 | Semaine 40Chère lectrice, cher lecteur, L’IA passionne, sidère, enthousiasme ou inquiète. À coup sûr, une transformation majeure de nos sociétés. Le Shift Project s’est emparé de ce sujet et nous alerte sur son impact sur nos systèmes énergétiques et donc sur notre maîtrise de nos émissions de CO2. Nous tentons ici d’apporter quelques repères. Bonne lecture ! |
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Réflexions décarbonées |
Réflexions décarbonées |
l'IA : le nouvel ogre de ressources dans un monde limité
L’IA, la technologie qui exploseDepuis le lancement de Chat GPT en Novembre 2022, l’Intelligence Artificielle (IA) connaît une expansion extraordinaire. Chat GPT a réellement permis la démocratisation et l’adoption massive de cette technologie IA, avec 100 millions d’utilisateurs conquis en seulement 2 mois après son lancement1. L’enjeu est tel que la France a accueilli en février dernier le sommet mondial pour l’action sur l’IA, afin d’encourager la coopération internationale sur le sujet2. Durant ce sommet, le président de la république française a annoncé des investissements publics et privés supérieurs à 100 milliards d’euros en France pour l’IA « dans les prochaines années »3. L’IA et le numérique pas si dématérialisés que ça…Comme beaucoup d’IA, Chat GPT nécessite une intensité de calculs très forte, aussi bien en amont (lors de la construction du service) qu’en aval (lors de l’usage). Comme tout service numérique, l’IA fonctionne en système dont ses trois tiers (terminaux, infrastructures et centre de données) évoluent de concert, et sont interdépendants. Pour fonctionner, l’IA, mais plus largement le numérique, a besoin d’équipements lourds, qui nécessitent de plus en plus de matériaux dont l’accessibilité est remise en cause par notre consommation croissante et la finitude de notre stock de matériaux4. Un smartphone par exemple, qui peut être utilisé comme terminal d’utilisation pour l’IA contient des matériaux d’une très grande valeur (or, cuivre, terres rares, aluminium…). D’après le CEA, il faut environ 70 kg de matières premières pour produire un appareil, soit près de 500 fois sa masse5.
Au-delà des terminaux, l’IA a besoin de centres de données pour stocker l’ensemble des données utilisées et répondre à son impressionnante puissance de calcul. En effet, les datacenters contiennent eux aussi des métaux précieux et rares comme le tantale, l’or le cuivre, indispensables pour les composants électroniques. La construction des bâtiments et des systèmes de refroidissement implique béton, acier, plastique et circuits de fluide6. Tous ces matériaux doivent être extraits de terre et raffinés. Ces productions, détruisent des sols et dégradent des écosystèmes. sans même évoquer les conditions sociales des populations locales directement impactées par les activités minières7. De plus, pour refroidir les datacenters il est nécessaire de prélever de grandes quantités d’eau. Ainsi Microsoft, principal actionnaire de Open AI qui a développé Chat GPT, a vu sa consommation d’eau grimper de 22% en 2023, conséquence directe du succès de Chat GPT. Il a été estimé qu’un demi litre d’eau s’évapore toutes les 10 à 50 requêtes8. Pas si dématérialisée que ça donc ! L’IA et son adoption massive, qui s’inscrit dans la numérisation des usages, accélère l’utilisation de matériaux et de ressources critiques. Une forte consommation énergétiqueL’IA a donc besoin de datacenters particulièrement énergivores en électricité. La Commission Européenne estime à déjà 3% la part de consommation d’électricité en Europe liée aux datacenters, chiffre qui peut monter jusqu’à 21% dans le cas de l’Irlande. En France, la consommation annuelle d’électricité des datacenters est estimée à 10 TWh en 2023, sur 413 TWh consommés la même année. Selon les projections du Réseau de Transport d’Électricité (RTE), cette consommation pourrait atteindre 28 TWh par an d’ici 2035. Si l’ensemble des projets annoncés se concrétise et que les centres de données utilisent pleinement leur capacité, la consommation pourrait même s’élever jusqu’à 80 TWh par an, soit environ 15 % de la production nucléaire actuelle française9. A titre de comparaison, une requête sur Chat GPT peut consommer jusqu’à 10 fois plus d’énergie qu’une recherche sur un moteur de recherche classique. Ainsi, si l’on venait à substituer les moteurs de recherche par l’IA, cela augmenterait de 10 TWh d’électricité par an10. Au niveau mondial, la consommation électrique des datacenters dans le monde en 2022 a déjà atteint 460 TWh, soit pratiquement la consommation annuelle d’électricité de toute la France. Dès l’année 2030, des prévisions estiment une consommation électrique des datacenters de l’ordre de 1200 à 1400 TWh soit un triplement en 8 ans11. Pour faire face à cette consommation d’électricité, il faut aussi prendre en compte l’impact de l’IA et des centres de données sur les réseaux électriques, c’est-à-dire l’ensemble des infrastructures de production et de transport d’électricité. En effet, les charges de travail de l’IA, en particulier l’entraînement des modèles d’apprentissage, génèrent des variations rapides et importantes de la demande énergétique, ce qui affecte le système électrique. L’expansion rapide des centres de données pour servir l’IA, exerce une forte pression sur les réseaux électriques, et augmente le risque de pannes de courant à grande échelle et dégrade les infrastructures12. Par ailleurs, l’évolution du numérique, dont l’IA, est trop rapide pour permettre la mise à niveau des infrastructures électriques13 au même rythme. Une empreinte carbone élevéeL’impact carbone de l’IA est difficile à mesurer puisque cette dernière dépend de plusieurs paramètres, comme la durée de l’entraînement des modèles, le matériel utilisé. A ce jour, encore peu de données sont disponibles sur leurs consommations réelles. En revanche, des approches plus ciblées montrent des impacts très lourds, comme aux États-Unis où les centres de données ont généré 105 Mt éq.CO2 en 2023 (2.2% des émissions américaines), dont une part croissante liée à l’IA14. Le numérique pèse aujourd’hui 4,4% des émissions de CO2 française, en augmentation de près de 7% par an, c’est déjà plus important que le secteur aérien15! Il est clair que cette augmentation exponentielle ne va pas s’infléchir, et au contraire augmenter suite au développement massif de l’IA. Ses émissions sont d’origines multiples, comme la construction des datacenters, des terminaux, l’extraction des ressources, le transport des composants… Une part importante des émissions de CO2 du numérique est déterminée par l’utilisation massive d’électricité des datacenters dédiés à l’IA alors que le mix électrique mondial est encore très carboné, avec 60% de la production d’origine fossile (dont 35% pour le charbon)14. L’empreinte carbone de l’IA et des datacenters est donc très importante, puisque l’électricité utilisée est très émettrice de CO2. Une augmentation très forte de la demande d’électricité en peu de temps pour développer l’IA va remettre en cause la fermeture de centrales électriques thermiques, afin de répondre à une demande d’électricité très importante. Cela peut donc remettre en cause les objectifs de verdissement du mix électrique mondial. C’est exactement ce que vient d’annoncer le gouvernement américain en relançant la production de charbon161718. Ce qu’en pensent les Shifters : un outil qui peut être positif sur quelques usages très spécifiques… mais très néfaste dans la grande majorité des cas.L’IA comporte certaines applications intéressantes dans le domaine écologique et environnemental, puisqu’elle est utilisée pour de la prédiction météorologique, la gestion des déchets et le recyclage, l’optimisation de tournées de camions, la surveillance du changement climatique, ainsi que pour d’autres applications telles que le diagnostic médical, l’expertise juridique, etc. Cependant, aujourd’hui, force est de constater que la très grande majorité des usages de l’IA ne sont pas ceux cités précédemment. Elle sert surtout à prédire les comportements des consommateurs afin d” augmenter d’augmenter l’efficacité de la publicité, ou simplement à obtenir des informations plus rapidement qu’en passant par un moteur de recherche pour les utilisateurs, ou bien encore à générer des contenus (images, texte, vidéo…) en remplacement d’acteurs humains… Lorsque l’on fait la balance des effets positifs et négatifs, on peut estimer qu’il y a un surinvestissement en argent et temps sur l’IA. Elle n’a pas été conçue pour lutter contre le changement climatique, son empreinte carbone, et sa dépendance très forte aux matériaux et ressources critiques y compris l’eau rendent son développement massif particulièrement néfaste pour l’environnement. Ces ressources, déjà sous tension du fait de nos usages excessifs, et dont la finitude n’est plus à démontrer, doivent être utilisées à bon escient. A l’heure où il est primordial d’électrifier nos usages pour se substituer des énergies fossiles (80% du mix énergétique mondial est d’origine fossile18) il paraît peu judicieux de consacrer une part importante de nos consommations électriques à une technologie qui ne possède qu’un intérêt marginal. Avec le développement massif de l’IA, il y a fort à parier que nous ne pourrons pas, en même temps, électrifier les usages essentiels (transport, industrie, chauffage…). Cela nuira à notre trajectoire climatique mais aussi à notre adaptation à la raréfaction des ressources fossiles . Alors que la sobriété doit avoir un rôle central dans un plan de décarbonation, l’IA adresse un message contradictoire en incitant à une consommation accrue des ressources. Le Shift Project vient d’éditer son rapport sur l’IA19. Il tire un signal d’alarme, car les besoins de l’IA ne sont pas pris en compte dans la planification énergétique. ![]() 1 Milmo D. ChatGPT reaches 100 million users two months after launch. The Guardian 2 févr 2023 2 Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle Wikipédia 3 Macron signals investments of 109 billion euros in French AI by private sector Reuters 9 févr 2025 5 Tout s’explique : que contiennent nos smartphones ? CEA, 2021 6 Impact of Data Centers on Power Consumption, Climate Change, and Sustainability 7 RMF_Harmful_Impacts_Report_EN.pdf 8 TF1 INFO 2025 IA : « une question à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau » 9 Caliman L. Data centers : faut-il choisir entre numérique et écologie ?Polytechnique Insights 2025 10 Caliman L. Generative AI: energy consumption soars Polytechnique Insights. 2024 14 IEA Electricity Global Energy Review 2025 15 Actualisation des chiffres de l’impact du numérique en Francee Numérique écoresponsabl 16 Trump administration opens more land for coal mining, offers $625M to boost coal-fired power plants 18 L’IA, dévoreuse d’énergie pourrait entraîner une pénurie d’électricité aux Etats-Unis 19 Le vrai du faux sur les énergies fossiles Carbone 4 20 Intelligence artificielle, données, calculs : le rapport final du Shift Project |
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