La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2025 | Semaine 39

Chère lectrice, cher lecteur,

L’enjeu des transports est crucial, mais sommes-nous bien en route pour parvenir à réussir leur transition ?

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

Conférence Ambition France Transport (AFT) : le financement des transports

Les enjeux du financement du secteur des transports

À la demande du Premier ministre, et en coordination avec le ministre des Transports, la conférence Ambition France Transports (AFT)12 a conduit la concertation des représentants du secteur des mobilités afin de réfléchir au financement des transports en France. Dans un contexte budgétaire très contraint, il faut (i) assurer la performance et la résilience des infrastructures, qui souffrent d’un sous-investissement chronique, (ii) réussir la décarbonation du secteur, (iii) donner accès à tous les citoyens à une mobilité douce. Quatre ateliers thématiques ont été organisés lors de cette conférence : (i) le modèle économique des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et des services express régionaux métropolitains (SERM) ; (ii) l’avenir des infrastructures routières ; (iii) les infrastructures et services ferroviaires de voyageurs ; (iv) le report modal et le transport de marchandises. Cet article revient sur les conclusions du rapport de la conférence, portant sur le modèle économique des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et aux services express régionaux métropolitains (SERM).

La décarbonation, l’équité sociale, la soutenabilité financière et la réindustrialisation structurent les questions de la mobilité en France

  • La décarbonation : Le secteur du transport de personnes est le seul secteur dont les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas diminué depuis 19903. Le transport routier en voiture individuelle pèse 68 Mt de CO₂ par an (18% des émissions nationales), dont une forte proportion est générée par les trajets quotidiens vers les centres d’emplois, alors que l’offre de transports collectifs reste insuffisante.
  • L’équité sociale : Assurer une mobilité accessible à tous est une condition d’insertion sociale et professionnelle. C’est un défi pour les habitants des banlieues et du périurbain rural, très dépendants de la voiture.
  • La soutenabilité financière : En 2023, les AOM urbaines ont dépensé 14,8 Md€ en fonctionnement et 5,3 Md€ en investissement. L’équilibre financier est fragile : les recettes couvrent difficilement la hausse de la demande et les marges de manœuvre fiscales sont limitées.
  • La réindustrialisation et la compétitivité : Le financement du transport public repose sur le versement mobilité (VM) (11,3 Md€ en 2023), prélevé sur les salaires. Entre 2014 et 2024, les recettes du VM ont augmenté de 65%, plus vite que la masse salariale (+46%), accroissant le coût du travail et dégradant la compétitivité des entreprises.

Des besoins financiers conséquents et une gouvernance à repenser

Le seul investissement de rattrapage de la dégradation du réseau ferroviaire, négligé depuis des décennies, est estimé à 60 Md€ par le COI en 20224. Au-delà, simplement conserver le même niveau de service, la mise en œuvre des services express régionaux métropolitains (SERM), implique des coûts massifs. Pour ces SERM, SNCF Réseau estime que leur exploitation coûtera près de 580 M€ supplémentaires par an à partir de 20405, sans prendre en compte la hausse des contributions liées à l’inflation ou à la hausse des péages ferroviaires. Côté investissements, le Conseil d’orientation des infrastructures évalue à 55 Md€ l’effort nécessaire sur 10 ans pour les infrastructures ferroviaires et SERM. En parallèle, concernant les transports publics urbains, les 25 plus grandes AOM devront financer 34 Md€ d’investissements et 9 Md€ de surcoûts d’exploitation entre 2025 et 2035. Dans ce contexte, alors que les marges de financement des AOM comme de l’État sont limitées, la soutenabilité du modèle actuel de financement des transports n’est donc pas assurée.

Le choc d’offre promis par les orientations de l’État pour le secteur des transports publics se heurte à plusieurs défis

  • Une perte d’efficience de l’exploitation (désindexation des tarifs face à l’inflation, déficit par voyage multiplié par 2,2 en vingt ans, baisse de la vitesse commerciale, coûts élevés comparés à la voiture).
  • Un versement mobilité arrivé à son plafond, pesant sur le coût du travail et le pouvoir d’achat.
  • Une faible participation des usagers, avec un ratio de couverture passé de 70% en 1975 à moins de 30% en 2022.
  • Une autonomie fiscale réduite des collectivités, renforcée par la suppression de certaines taxes locales et la baisse attendue du rendement de la TICPE avec l’électrification des véhicules.
  • Une gouvernance fragmentée, les périmètres institutionnels des AOM ne coïncident pas avec les aires urbaines, et les politiques de mobilité restent insuffisamment articulées avec celles d’aménagement et du logement, générant des coûts et une offre de transport peu adaptée aux besoins réels des habitants.

Quatre leviers pour bâtir un modèle économique durable des mobilités

Pour sortir de l’impasse entre choc d’offre et capacités financières réduites, quatre leviers sont identifiés par la conférence AFT : (i) améliorer l’efficience de l’exploitation des réseaux, (ii) augmenter la contribution financière des usagers, (iii) diversifier les sources de financement et (iv) rénover la gouvernance institutionnelle.

Tout d’abord, améliorer l’efficience de l’exploitation des réseaux doit passer par l’optimisation des dépenses, par exemple en augmentant la vitesse commerciale pour les transports urbains : plus les véhicules circulent vite, plus le coût au kilomètre baisse et plus l’attractivité augmente. L’exemple du Territoire de Belfort est parlant : la vitesse moyenne y est passée de 14 à 21 km/h grâce à une série de mesures ciblées (suppression de la vente à bord, modernisation technologique, arrêts en pleine voie, transformation en BHNS – Bus Haut Niveau de Service). Résultat : une réduction de 30% du coût au kilomètre, sans réduction d’offre. Ensuite,la desserte des zones peu denses doit être adaptée, afin de concentrer les ressources sur les flux les plus importants et d’augmenter les fréquences là où la demande est forte. Les cars express interurbains (par exemple à Aix-Marseille ou Voiron-Grenoble) peuvent être une offre alternative moins coûteuse et plus efficace que le transport ferroviaire. Par ailleurs, les premières expériences de mise en concurrence TER montrent des gains économiques substantiels, estimés entre 25% et 75%. De plus, une simplification des normes qui pèsent sur les finances publiques et ralentissent les projets, par exemple l’obligation de remplacer les tramways de plus de 30 ans, est indispensable.

La tarification reste un levier sous-exploité en France.

Hors Île-de-France, elle ne couvre que 15 à 20% des dépenses des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), contre 40 à 60% dans de nombreux pays européens (cf. Graphique). En 2023, la participation des usagers est tombée à 28%, contre 70% en 1975. Par ailleurs, la gratuité, de plus en plus mise en place par des collectivités, apparaît inéquitable et contre-productive dans les grandes agglomérations. Elle bénéficie aux ménages aisés et réduit les capacités de financement des AOM, sans effet notable sur la baisse du trafic automobile. L’atelier privilégie donc une tarification plus différenciée et solidaire, fondée sur les revenus. Plusieurs leviers sont proposés pour renforcer les recettes tarifaires : viser un taux de couverture des coûts de 50% d’ici dix ans, en combinant hausse des recettes et maîtrise des dépenses ; indexer les tarifs sur l’inflation, comme au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas ;mieux intégrer les voyageurs occasionnels, notamment sur les TER où les tarifs restent élevés ; renforcer la tarification solidaire via des données de revenus partagées par l’État ; généraliser l’open payment (paiement direct par carte ou smartphone), qui a déjà permis à Londres d’économiser 120 M€ par an ; intensifier la lutte contre la fraude, dont le manque à gagner est estimé à 700 M€ par an.


Part des recettes tarifaires dans le total des dépenses des 20 plus grandes AOM hors Île-de-France en 2022 en France et part du financement des transports du quotidien par les usagers dans d’autres pays européens – Source: DGITM, UITP, DG Trésor

Diversifier les ressources locales : augmenter la fiscalité foncière pour créer de nouvelles marges de manœuvre financières

Les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) disposent aujourd’hui de marges fiscales limitées. Le versement mobilité (VM), principal outil, atteint ses plafonds et suscite des oppositions de la part des entreprises et des services publics (hôpitaux par exemple) qui en sont redevables. Pour sortir de cette impasse, l’atelier propose deux principales pistes :

  • Moduler les droits de mutation (DMTO) selon la proximité des biens avec les transports, afin d’inciter à la densification autour des pôles de mobilité et de financer les projets sans créer de nouvelle taxe. Mais cette option est critiquée pour son effet régressif et ses freins potentiels à la mobilité résidentielle, dans un contexte de crise du logement.
  • Créer une contribution foncière spécifique sur les parcelles valorisées grâce à une meilleure accessibilité (gain de temps, desserte directe, etc.). Prélevée au profit des AOM, cette taxe locale sur le “stock foncier” suivrait une logique de justice fiscale : chacun contribue à hauteur du bénéfice privé retiré d’un investissement public.
  • Enfin, certains économistes (Bozio, Wasmer) suggèrent de transférer une partie du VM vers la taxe foncière. Un transfert progressif de 5 Md€ représenterait seulement 0,85% de la valeur immobilière totale et une hausse de 2 à 3 points du taux de taxe foncière pour une commune médiane, tout en allégeant le coût du travail.
  • D’autres pistes fiscales pour financer la mobilité sont évoquées par l’atelier telles qu’une redevance locale dédiée à la mobilité, une éco-contribution poids lourds, ou encore des péages urbains à faible coût.

Rénover la gouvernance pour plus de cohérence

L’un des freins majeurs aux politiques de mobilité en France est la fragmentation de la gouvernance. Multiplicité d’acteurs, périmètres institutionnels incohérents avec les aires urbaines, voirie éclatée entre différents niveaux : autant d’éléments qui diluent les responsabilités et compliquent la mise en place d’une offre cohérente.

Pour avancer concrètement, plusieurs pistes sont proposées telles que renforcer la coopération entre régions et syndicats mixtes SRU, métropoles ou communautés d’agglomération, afin d’assurer une cohérence entre trains, cars et autres modes, et encourager les regroupements institutionnels (fusions de communes, d’intercommunalités, voire de départements) par des incitations financières, pour tendre vers des gouvernances plus intégrées à l’échelle des bassins de vie.

Ce qu’en pensent les Shifters

Avec 126,8 millions de tonnes équivalent CO₂ en 2023, le secteur des transports représente le premier contributeur aux émissions de gaz à effet de serre en France (34%)6. La décarbonation de ce secteur exige des investissements massifs dans les transports décarbonés afin d’offrir aux Français des alternatives crédibles à la voiture individuelle, encore largement dominante pour les trajets quotidiens, y compris sur des distances courtes.

Les Autorités Organisatrices de la Mobilité (AOM) et les Services d’Excellence en Réseau de Mobilité (SERM) doivent jouer un rôle central dans ce basculement, en développant des solutions locales et multimodales combinant transports collectifs, vélo, marche et mobilités partagées, pour réduire la dépendance au modèle automobile7.

La fiscalité doit, de son côté, jouer un double rôle :

  • Orienter les comportements, en supprimant les incitations fiscales défavorables à la transition (comme les incitations fiscales à l’octroi de voitures de fonction fortement émettrices), et en favorisant l’usage de modes sobres.
  • Le covoiturage reste l’oublié, alors qu’il est la forme de transport la plus vertueuse dans les zones à faible densité.
  • Assurer un financement pérenne et suffisant des transports publics indispensable à la décarbonation. Ce financement doit être le plus équitable possible, afin de préserver l’accessibilité des plus vulnérables tout en sollicitant davantage les ménages aux revenus plus élevés.

Pour renforcer et diversifier les leviers financiers, plusieurs pistes se dessinent :

  • Repenser la structure actuelle du financement, encore trop largement portée par les entreprises via le versement mobilité, afin de mieux équilibrer la contribution entre usagers et acteurs économiques, tout en garantissant des tarifs sociaux pour les plus vulnérables.
  • Développer l’usage des instruments de Land Value Capture (LVC)8, davantage répandus dans d’autres pays de l’OCDE (cf. carte), pour capter une partie des plus-values foncières générées par les investissements publics. Cela peut inclure par exemple :
  • Une meilleure modulation de la taxe foncière, comme recommandé par plusieurs économistes9, afin d’élargir l’assiette fiscale liée au foncier bâti et non bâti. Modulée en fonction de l’accessibilité et de la densité des services publics autour des infrastructures de transport, cette taxe permettrait de capter une partie de la valeur créée par les investissements publics.
  • Une contribution des promoteurs lors de la délivrance d’un permis de construire, qu’elle soit financière ou en nature (logements sociaux, équipements publics) en contrepartie de la valorisation du foncier liée à l’arrivée d’une infrastructure.

On peut aussi appeler à un transfert de la fiscalité sur le gasoil et du kérosène, vers le financement des transports publiques.


Carte de l’utilisation d’instruments de capture de la valeur foncière dans une sélection de pays – Source : Global Compendium of Land Value Capture Policies | OECD

1 20250709_Rapport_AFT.pdf

2 Ambition France Transports

3 Transports – The Shift Project

4 COI : rapport de synthèse : Investir plus et mieux dans les mobilités pour réussir leur transition

5 « Le financement des autorités organisatrices de mobilités, IGF/IGEDD, 2025 »

6 Bilan Annuel des Transports 2023

7 Guide Mobilité Quotidienne

8 Finance Transportation Infrastructure Land Value Capture

9 « Le grand retour de la terre dans les patrimoines, Alain Trannoy et Etienne Wasmer, 2022 »

▲ Sommaire

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