La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2025 | Semaine 23

Chère lectrice, cher lecteur,

L’été arrive, c’est bien le moment de se pencher sur la qualité de nos eaux. L’objet d’une proposition de loi à débattre…

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

PPL - protéger la ressource en eau contre les pollutions diffuses 

Les eaux potables menacées 

La proposition de loi (PPL) visant à renforcer la protection des ressources en eau potable, déposée au Sénat par le groupe socialiste, sera examinée en séance publique le jeudi 12 juin.

Les sénateurs devront se prononcer sur l’interdiction de l’usage et du stockage des produits phytopharmaceutiques et des engrais minéraux dans les zones de protection des aires d’alimentation des captages (AAC) en eau potable. Les aires d’alimentation représentent les surfaces dans lesquelles l’eau s’infiltre ou ruisselle pour participer à l’alimentation de la ressource en eau. La France compterait environ 33 000 captages1.

Le principal objectif de la délimitation de ces zones est de protéger la ressource aquatique des pollutions diffuses, qui désignent les contaminations des eaux par des substances dont l’origine n’est pas ponctuelle ou accidentelle, à l’instar des pesticides ou des PFAS. L’instauration de zones de protection des AAC permet de mettre en place un plan d’action visant à protéger la ressource contre ces pollutions diffuses, en lien avec les agriculteurs. Entre 3 et 5 % de la surface agricole utile serait située dans des zones de captages d’eau potable2.

La présente PPL marque une étape positive en faveur de la préservation de la ressource en eau en instaurant dans les zones de protection des AAC et leurs plans d’actions, une interdiction des pesticides et les engrais minéraux. Toutefois, bien que cet outil soit déjà prévu par la réglementation, sa mise en œuvre reste à l’initiative du préfet, après identification dans les SDAGE3. En l’absence de systématisation autour des AAC4, son impact réel pourrait fortement varier d’un territoire à l’autre.

La présence de pesticides et de leurs métabolites aux abords des aires captages menacent directement la qualité de l’eau potable
L’utilisation de produits phytopharmaceutiques et d’engrais pour l’activité agricole génère des pollutions diffuses et des rejets vers les milieux naturels, notamment aquatiques. La pollution par les nitrates est la première cause de déclassement des masses d’eau souterraines5. Outre leur impact sur les émissions de GES (5% des émissions6), les engrais sont ainsi responsables de pollution aquatique due à des excès d’azote et de phosphore dans les eaux7.

Dans son rapport « Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère » le Shift Project décrit les impacts préjudiciables de l’agriculture intensive utilisant des produits phytosanitaires et des engrais sur la santé et les écosystèmes. Concernant les eaux souterraines, le nombre de points de mesure des réseaux de surveillance dont les concentrations sont supérieures aux seuils réglementaires sont en hausse (de 14% en 2010 contre 35% en 2018). Les substances les plus fréquemment relevées sont les métabolites d’atrazine8 de dimétachlore9 ou de chlorothalonil10, parfois interdites depuis des décennies, illustrant la persistance des pollutions diffuses dans le temps.

Ces constats sont également partagés dans le rapport élaboré par trois corps d’inspections (IGAS-IGEDD- CGAAER11) illustrant les insuffisances des politiques de préservation de la qualité de l’eau. Des fortes concentrations en pesticides au-delà des niveaux réglementaires sont observés dans certains départements pratiquant notamment des cultures intensives tels que l’Aisne et le Calvados, entraînant ponctuellement des restrictions de consommations de l’eau. Aussi, le bilan des connaissances scientifiques dressé par l’INSERM en 2021 confirme l’impact délétère sur la santé humaine de l’exposition à des produits pesticides (usages professionnels, riverains, grossesse et enfance)12.

Préserver l’eau à la source en renforçant la logique préventive

Interdire l’utilisation des pesticides dans les zones de protection des AAC via ce texte législatif (article 1) représenterait une avancée pour la préservation de la ressource en eau. Le texte prévoit une trajectoire de réduction (avec des plafonds intermédiaires à définir par décret) puis d’interdiction à compter de 2031. Lorsque les zones de protection des AAC sont polluées aux nitrates, le texte vise l’interdiction de l’usage et du stockage des engrais minéraux. Le texte (article 2) prévoit également des sanctions pour assurer le respect de ces interdictions et l’effectivité des dispositions (2 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende).

Cette disposition rejoint également les préconisations de la mission d’inspection qui considère que l’amélioration de la qualité de l’eau requiert des mesures préventives ambitieuses visant à interdire dans les autorisations de mise sur le marché les usages sur les aires de captages d’eaux souterraines des produits phytopharmaceutiques contenant des substances générant des métabolites à risque de migration vers les eaux dans des concentrations supérieures à la limite réglementaire.

Dans un contexte de changement climatique avec des impacts sur la raréfaction de l’eau et la multiplication des risques de sécheresse, le statu quo conduisant à la fermeture d’environ 12 500 captages entre 1980 et 201913 s’avère risqué. 34% des fermetures seraient liées à une dégradation de la qualité de l’eau par des pollutions diffuses aux pesticides et aux nitrates. Cette situation appelle un renforcement des mesures préventives face à des coûts de dépollution croissants, chiffrés entre 500 millions et 1 milliards €/an [14]. Aussi, les techniques de dépollution (filtres à charbons actifs, osmose inversée) rencontrent des limites face à des polluants émergeants et complexes à traiter. A l’heure où les collectivités territoriales anticipent un mur d’investissement pour entretenir les réseaux15, le prix de l’eau risque, de surcroît, d’augmenter (de 30 à 45% le m3 d’eau selon une commission d’enquête de l’Assemblée nationale16).

Ce qu’en pensent les Shifters

Si cette PPL marque une avancée en faveur de la préservation de la ressource en eau, qui mérite d’être encouragée et soutenue, d’autres mesures pourraient être envisagées pour accentuer les efforts. L’exposé des motifs de la PPL souligne la nécessité d’aider les agriculteurs dans leur transition agroécologique pour réduire les pesticides, sans toutefois se traduire en mesures d’accompagnement concrètes ou d’indemnisations des agriculteurs. Une autre PPL déposée à l’Assemblée nationale en octobre 2024 par le groupe écologiste17 prévoyait d’augmenter le taux de la redevance pour pollution diffuse, permettant de financer des programmes d’accompagnement des agriculteurs dans une transition agroécologique via les Agences de l’eau. Le rapport du Shift Project met en avant un impact positif de l’agroécologie, et de l’agriculture biologique sur les masses d’eaux, puisqu’elle limite les produits phytosanitaires de synthèse et les pertes en nitrates.

Concernant les nitrates, la proposition ne traite pas des conditions d’épandage de lisiers, lixiviats de composts ou résidus de méthanisation qui peuvent générer des pollutions locales en nitrates.

La seule interdiction des pesticides dans les AAC ne suffira pas, à court terme, à améliorer la qualité de l’eau potable. Sans investissement parallèle dans la dépollution, les métabolites issus de substances déjà interdites continueront d’être présents. Il est donc essentiel de sécuriser les investissements des collectivités dans les actions curatives, en complément des programmes de réduction des polluants à la source – comme le renforcement de zones soumises à contraintes environnementales par exemple. Enfin, la stabilisation des seuils de non-conformité et des molécules à rechercher sur la base des connaissances scientifiques est une piste avancée par la mission d’inspection qui contribuerait également à améliorer la lisibilité du cadre pour les acteurs de l’eau et les consommateurs.

1 Exposé des motifs

2 Exposé des motifs

3 Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) où sont définis une liste de captages d’eau potable les plus menacés par les pollutions diffuses sur lesquels une démarche de protection AAC doit être mise en œuvre.

4 « Article L.211-3 du code de l’environnement »

5 Shiftproject rapport Agriculture

6 Etude Carbone4

7 En quantité excessive, l’azote et le phosphore constituent un risque de pollution des eaux, et peuvent entraîner l’eutrophisation des rivières, des lacs, des réservoirs et des zones côtières.

8 L’atrazine a été un herbicide très utilisé en culture de maïs, et plus modestement en arboriculture, jusqu’à son interdiction en 2001 en raison de sa toxicité sur les milieux aquatiques et sa nocivité pour l’homme.

9 Le dimétachlore est un herbicide autorisé à la mise sur le marché européen depuis le 1er janvier 2010, essentiellement pour les cultures de crucifères oléagineux.

10 Fongicide interdit depuis 2020, il est le polluant émergent le plus fréquemment identifié par l’ANSES.

11 Etude IGAS risque pesticides

12 INSERM 2021

13 Rapport Agriculture Shiftproject

14 Exposé des motif Sénat

15 Quel modèle économique pour financer les services environnementaux

16 Rapport enquête assemblée nationale »:https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cepestici/l16b2000-t1_rapport-enquete

17 Proposition de loi

▲ Sommaire

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