La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
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Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.
2025 | Semaine 22Chère lectrice, cher lecteur, Nos champs peuvent ils devenir le lieu d’une bataille pour l’accès au soleil ? Sujet chaud, lui aussi… Bonne lecture ! |
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Réflexions décarbonées |
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Faut-il une nouvelle loi pour l'agrivoltaïsme?
L’agrivoltaïsme : la loi doit-elle encadrer plus strictement son développement ? Le 13 février 2025, Pascal Lecamp, député (Les Démocrates) de la Vienne, déposait une proposition de loi visant à « assurer le développement raisonné et juste de l’agrivoltaïsme » (n°962)1. Cette initiative a l’ambition de mieux articuler souveraineté énergétique et sécurité alimentaire, dans un contexte de double pression — climatique et foncière. Une ambition qui s’inscrit dans les débats soulevés par la loi APER de 20232 et dans les réflexions portées depuis plusieurs années par Le Shift Project, pour qui l’agriculture et l’énergie sont deux piliers indissociables de la transition bas-carbone3. Mais peut-on vraiment concilier production agricole et production photovoltaïque sur les mêmes sols alors que les conditions de rémunération et de rentabilité sont si différentes? La production agricole ne risque-t-elle d’être négligée au profit de la production énergétique et d’une forme d’artificialisation des terroirs ? Quel agrivoltaïsme ?La proposition Lecamp tente de lever le flou réglementaire sur ce qu’est — ou n’est pas — l’agrivoltaïsme. Le texte sécurise les projets réellement respectueux de la production agricole. L’article 1 de la proposition reprend la définition désormais inscrite à l’article L.314-36 du code de l’énergie : une installation agrivoltaïque doit « contribuer durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole ». Pour cela, la loi prévoit une contractualisation tripartite entre agriculteurs, énergéticiens et autorités locales. Le tout accompagné d’un contrôle ex post des rendements agricoles comparés à des parcelles témoins, comme le prévoit déjà le décret du 8 avril 20244. Ce nouveau cadre réglementaire doit canaliser une technologie encore balbutiante, qui oscille entre innovation systémique et promesse techno solutionniste. L’arrivée de l’agrivoltaïsme Joker ou menace pour l’agriculture ?L’agrivoltaïsme n’est pas seulement une question technique, c’est devenu un objet politique, symbolique, et conflictuel. Il révèle les frictions entre ministères, syndicats agricoles, ONG et professionnels. Il impose aussi une redéfinition du rôle de l’agriculteur, désormais producteur d’électricité. Les projets agrivoltaïques en cours sont très inégaux. Certains énergéticiens visent des méga-parcs de 100 hectares, quand d’autres, comme Sun’Agri ou OkWind, proposent des modèles coopératifs ou locaux5. L’ambition du projet Lecamp est de différencier ces deux visions du développement : des projets territorialisés, concertés, et intégrés, contre une logique d’occupation foncière opportuniste. La bataille pour la lumière solaire aura-t-elle lieu?L’agriculture et l’énergie solaire sont en compétition pour la lumière et le sol. Si l’agrivoltaïsme est bien conçu (panneaux surélevés, dynamiques, adaptables), il peut protéger les cultures contre les aléas climatiques, réduire la température au sol et les besoins d’irrigation, ainsi maintenir voir améliorer les rendements6. Mais si l’installation masque trop la lumière ou entrave les travaux agricoles, les rendements chutent. Un autre point crucial de la proposition Lecamp est celui de la rémunération des agriculteurs. Si le solaire permet de sécuriser des revenus, cela ne doit pas se faire au détriment de leur activité principale. La loi prévoit donc des modalités précises de partage de la valeur, et une obligation de transparence des flux financiers entre producteurs et exploitants. Ce qu’en pensent les Shifters.Agrivoltaïsme, oui, mais avec sobriété foncièreDans ses publications, notamment dans le Plan de transformation de l’économie française (PTEF), le Shift Project insiste : la transition énergétique n’est pas qu’une affaire de gigawatts, c’est un projet systémique. Le foncier agricole doit rester prioritairement nourricier. Le développement de l’agrivoltaïsme ne saurait donc être le prétexte à une artificialisation des sols supplémentaire alors que si peu de toitures, surface de parking et autres terrains artificialisés n’ont pas de panneaux photovoltaïques ? Le PTEF évoque également la nécessité d’évaluer finement le LER (Land Equivalent Ratio) des projets, afin de vérifier qu’il y a bien compatibilité — et non simple superposition — entre agriculture et production solaire. C’est là tout l’enjeu des critères d’évaluation techniques, qui restent encore à consolider. Des critères scientifiques pour qualifier les projets agrivoltaïquesLe décret d’avril 2024 définit un seuil très élevé de 90% de rendement agricole par rapport à une parcelle témoin comme condition pour bénéficier du statut agrivoltaïque3. Mais les outils de mesure — LCOE5, LER6, ROI7 — sont encore peu utilisés et très dépendants du type de culture, du climat local, de la technologie utilisée8. Il est donc urgent de renforcer l’expertise agronomique indépendante, et d’appuyer les politiques publiques sur des retours d’expérience standardisés. L’absence de référentiels clairs ouvre la porte à des projets spéculatifs, où l’énergie prime sur l’agriculture. Le risque est d’entériner un agrivoltaïsme reléguant la production agricole à un rôle accessoire, voire purement décoratif ou, inversement, de bloquer le développement du photovoltaïsme. L’agrivoltaïsme est une innovation à accompagner, pas à précipiterL’agrivoltaïsme, en tant que technologie de transition, doit trouver sa juste place dans le paysage agricole français. Ni totem, ni tabou. Pour cela, il faut accepter sa complexité, sa diversité de formes, et surtout, son caractère encore expérimental9. Une régulation fine, évolutive, s’appuyant sur des études de terrain et des retours d’expérience est la seule voie raisonnable. L’agrivoltaïsme n’est pas encore un régime, il est une niche fragile, tiraillée entre intérêts énergétiques et agricoles, entre promesses d’avenir et peurs de dépossession10. La politique a ici un rôle majeur à jouer : non pour trancher définitivement, mais pour mettre en place des garde-fous, ouvrir des espaces de dialogue, et garantir que l’innovation serve vraiment l’intérêt général. Cette proposition de loi est une première étape d’encadrement pour l’agrivoltaïsme, qui n’est la panacée ni pour la souveraineté énergétique, ni pour la souveraineté alimentaireLa proposition de loi Lecamp, si elle est adoptée, pourrait être un tournant pour la gouvernance de l’agrivoltaïsme. En fixant des critères objectifs, en valorisant la co-construction territoriale, elle offre un cadre à une innovation encore immature. Mais cette loi ne suffira pas si elle n’est pas accompagnée d’un effort collectif de monitoring, de transparence et d’ajustement permanent. Comme le rappelle le Shift Project, la transition bas-carbone exige bien plus que des innovations technologiques : elle impose une refonte des systèmes, à une sobriété foncière et énergétique. La reconquête de la souveraineté énergétique, et alimentaire, dans le respect de la biodiversité et sous contrainte du dérèglement climatique, met l’agriculteur en exergue. À ses missions traditionnelles, nourricier et aménageur de nos paysages, s’ajoutent la contribution à la production énergétique et le stockage du Carbone. Cela impose des évolutions réglementaires mais qui ne doivent pas rendre sa mission impossible… 1 Proposition de loi n°962 visant à assurer le développement raisonné et juste de l’agrivoltaïsme. Assemblée nationale (2025). 2 Loi n°2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables (APER). Légifrance. (2023). 3 Plan de Transformation de l’Économie Française (PTEF) – agriculture, énergie, aménagement du territoire Le Shift Project. (2021). 4 Décret n°2024-314 du 8 avril 2024 relatif aux conditions de mise en œuvre des projets agrivoltaïques. Légifrance. (2024). 5 LCOE : définition et calcul du levelized cost of energy 6 Les cultures en association – Performance : LER 7 Retour sur investissement — Wikipédia 8 Agrivoltaïsme : Étude de typologies, indicateurs et critères d’évaluation des projets pilotes. ADEME. (2021). 9 Charte, positionnements et retours d’expérience sur les projets agrivoltaïques en France. France Agrivoltaïsme. (2023). 10 Technological transitions as evolutionary reconfiguration processes: A multi-level perspective and a case-study. Research Policy, 31(8–9), 1257–1274. Geels, F. W. (2002). |
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