La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
|
Supplément consacré à l'actualité de l'Union EuropéenneUne fois par mois, la Gazette voyage à Bruxelles pour y apporter l'expertise du Shift Project et intégrer cette dernière au débat parlementaire européen. septembre 2024Chère lectrice, cher lecteur, C’est la rentrée du supplément Europe de la gazette aujourd’hui, avec un article sur le rapport Draghi sur la compétitivité de l’Europe et un article sur la directive européenne sur les batteries. Bonne lecture ! |
Sommaire |
|
|
|
Retour sur la directive européenne sur les batteries
Dans un précédent Numéro de la Gazette spécial UE d’octobre 2023, nous avons évoqué et salué l’ambitieuse Directive de l’Union Européenne concernant les batteries électriques, tout en appelant à la vigilance sur les actes délégués prévus pour préciser les modalités concrètes du calcul prévu à l’article 7 concernant la déclaration de l’empreinte carbone de la batterie. Celle-ci y est affichée en « kg équivalents dioxyde de carbone par kWh d’énergie totale fournie par la batterie pendant sa durée de vie utile prévue ». Le Shift Project avec Renault, son partenaire fabricant de batteries Verkor, trois ONG et un think tank européen, avaient mis en garde sur le potentiel manque de cohérence entre la volonté initiale de maîtrise des trajectoires de décarbonation des transports de l’UE et ce calcul si la formule choisie venait à intégrer un facteur d’efficience favorable aux grosses batteries donc indirectement aux véhicules lourds. Rappelons que le Règlement (EU) 2023/1542 vise à apporter de la transparence sur l’empreinte carbone des batteries afin de donner à l’UE les moyens de piloter les exigences concernant celles qui seront utilisées en Europe, tout en favorisant concurrence et innovation. Il prévoit une élévation progressive du niveau d’exigence sur l’empreinte carbone et de faire évoluer les seuils minimaux d’emploi de cobalt, lithium, plomb ou nickel issus de la valorisation des déchets pour favoriser l’économie circulaire. Les niveaux de performance minimale requis seront également accrus pour tenir compte des progrès scientifiques et techniques qui doivent faire émerger à moyen terme des compromis nouveaux entre performance environnementale de la batterie (émissions carbone et consommation de métaux), sa sécurité, sa densité énergétique (autonomie), sa densité de puissance et sa « cyclabilité » (nombre de cycles de charge-décharges). L’Europe cherche à intégrer la chaîne de valeur de production des batteries et ne peut compter uniquement sur la fourniture d’énergie décarbonée. (cf la note de l’IRIS l’Alliance Européenne des Batteries). Le texte ne contient, ni dans ses objectifs ni dans ses propositions, d’élément de maîtrise des effets rebond et aucun garde-fou encourageant explicitement la sobriété hormis ce qui concerne le recyclage des batteries et la consommation de métaux. L’acte délégué ne permettra pas d’orienter vers l’usage de batteries de plus faible puissance.Le calcul de KeqCO2 des batteries y est précisé, y compris ce qui concerne l’électricité consommée pendant le process de production. Les conditions de prise en compte d’électricité moins carbonée que le mix énergétique du pays de production est précisé également pour éviter au maximum les éléments invérifiables. Concernant le dénominateur soit les kWh délivrés par la batterie sur sa durée de vie, le calcul est le suivant : la capacité de la batterie multiplié par sa durée de garantie considérée comme proxy de sa durée de vie et par un nombre forfaitaire de cycles charge-décharge annuels ou FEqC (« full Equivalent Charge Discharge Cycle »). Ce nombre de FEqC est forfaitaire par catégorie de véhicules :
Dans la lignée de la Directive qu’il précise, l’acte délégué n’apporte pas d’inflexion permettant de favoriser la sobriété par l’usage généralisé de batteries de 50kWh maximum. Cependant, pouvoir orienter globalement la production vers des batteries avec des mix énergétiques les plus décarbonés possible reste une incitation importante sur le court terme et ce texte le permettra. Ce qu’en pensent les Shifters et le Shift ProjectDès mai 2023, le Shift avait donc demandé avec l’IDDRI que :
Ces demandes ont été prises en compte favorablement dans l’acte délégué. En effet la valeur brute de l’empreinte carbone est calculable puisque le dénominateur utilisé est issu de données nécessairement publiques du constructeur (durée de garantie, capacité). Concernant les caractéristiques de l’électricité utilisée pour la fabrication, même s’il y a une dérogation permettant de prendre en compte une énergie moins carbonée que le mix pays ( “électricité fournie au processus de fabrication à partir d’un actif de production au sein de la même installation ou via une ligne directe”) elle est limitée et vérifiable. Il est probable que d’un point de vue strictement concurrentiel, ne pas admettre cette dérogation eut été difficilement tenable car elle aurait nié les potentiels efforts de constructeurs vertueux. Rappelons aussi que ce règlement vise à piloter également les exigences de recyclage des batteries et qu’il faut rester attentif à tous les efforts de standardisation des méthodes de fabrication qui le faciliteront. C’est un enjeu très important de souveraineté et d’efficacité. Au delà de ce Règlement, le Shift Project est favorable à l’instauration de règles favorisant la sobriété en limitant la taille des batteries de véhicules particuliers à 50 kWh et en modifiant le calcul des objectifs de CO2 des constructeurs (actuellement modulés par la masse des véhicules ce qui n’encourage aucunement ces derniers à utiliser le levier d’allègement des véhicules puisque cela diminue d’autant leur objectif). Il reste nécessaire de :
|
Rapport Draghi sur la compétitivité de l'Europe
Le 9 septembre, Mario Draghi a remis son rapport sur le futur de la compétitivité européenne à Ursula von der Leyen1, un an après sa commande passée par la Présidente de la Commission récemment réélue. Bien qu’il ne soit pas contraignant, ce rapport pourrait constituer une base pour le programme des prochains commissaires européens, dont l’entrée en fonction aura lieu le 1er novembre2. Le rapport identifie trois domaines dans lesquels une action est nécessaire afin de raviver la croissance : l’innovation technologique, la décarbonation et la sécurité économique et physique de l’Europe. Les propositions de Mario Draghi, qui a été président de la Banque Centrale Européenne pendant 8 ans, se fondent sur son expérience des marchés économiques et questionnent le cadre législatif européen, tout en posant les bases pour de nouvelles réformes. La gazette UE se propose d’analyser ce rapport, tant dans ses recommandations que dans ses postulats de fond. Quelles recommandations pour éviter une « lente agonie » ?Le rapport cible près de 200 propositions, principalement fondées sur des investissements qui permettront de rattraper le retard de compétitivité accumulé face à la Chine et aux États-Unis. En voici, en résumé, quelques lignes directrices. Réduire la charge administrative du reporting lié à la durabilitéPlusieurs textes européens, comme la corporate sustainability reporting directive (ou CSRD3) imposent aux entreprises de déclarer certains indicateurs environnementaux, sociaux ou de gouvernance conformes aux standards (les ESRS, ou european sustainability reporting standards). La réduction de la charge causée par ces obligations est déjà prévue, notamment pour les PME sous un certain seuil de chiffre d’affaires, par la fixation d’un délai pour le respect des normes et par l’accompagnement des entreprises pour réaliser leur déclaration. Le rapport Draghi soulève toutefois que cette charge entraîne un coût de mise en conformité important pour les entreprises, allant de 150 000 à 1 million d’euros selon les entreprises. En cause, le rapport identifie le niveau d’exigence des obligations de transparence, mais également un manque de clarté, comme pour l’application du principe tiré de la taxonomie de l’UE consistant à « ne pas causer de préjudice important » (retrouvé sous l’intitulé « do no significant harm » dans les discussions internationales), les méthodes redondantes pour la comptabilisation des émissions et les délais non harmonisés pour les exigences de déclaration connexes, avec un risque de « surconformité » (traduit par une sur-déclaration). Ce coût de conformité pourrait venir à s’accroître avec la multiplication des normes ESRS, ainsi que par les divergences entre les cadres spécifiques à chaque Etat membre pouvant apparaître lors de la transposition des directives européennes. Rationaliser les procédures d’autorisationLe rapport met en évidence la complexité des législations environnementales nationales et européennes, entraînant des retards dans les évaluations d’impact des projets de production d’énergie renouvelable. Plusieurs mesures sont proposées pour simplifier et rationaliser les procédures d’autorisation, notamment par la mise en œuvre de la législation existante sur l’accélération de l’octroi de permis pour les énergies renouvelables et la numérisation des procédures nationales d’autorisation dans l’ensemble de l’UE. Il est suggéré de remplacer les évaluations environnementales individuelles par projet par des évaluations par zones et stratégiques, facilitant ensuite les demandes spécifiques à chaque projet. Le rapport propose également de prévoir des exemptions limitées (dans le temps et dans le périmètre) dans les directives environnementales de l’UE jusqu’à ce que la neutralité climatique soit atteinte, dans certaines conditions. Investir dans la décarbonation par une approche neutre sur le plan technologiqueLe rapport insiste largement sur l’importance d’accélérer la décarbonation, en particulier par de très importants investissements privés et publics. Il est évalué qu’un montant de 800 milliards d’euros annuels serait nécessaire pour atteindre cet objectif. A titre de comparaison, l’économiste Thomas Piketty indique que cela représente 5 % du produit intérieur brut (PIB) de l’UE, « soit environ trois fois le plan Marshall (entre 1 % et 2 % du PIB en investissements annuels dans l’après-guerre) »4. Cet investissement viserait à tirer parti de toutes les technologies et solutions disponibles (énergies renouvelables, nucléaire, hydrogène, batteries, efficacité énergétique, techniques de captage, etc.). Un point d’attention est mis sur l’approvisionnement nucléaire et la nécessité d’accélérer le développement du « nouveau nucléaire » (petits réacteurs modulaires, ou SMR, et réacteurs modulaires avancés, ou AMR) ainsi que la recherche dans les nouvelles technologies nucléaires. Enfin, le rapport promeut le recours aux technologies de capture, stockage et de valorisation du carbone (CCUS en anglais) grâce à un financement alimenté par les recettes du système d’échange de quotas d’émission (SEQE). Ce complément permettrait de combler l’écart de compétitivité actuel par rapport au prix du marché. Matières premières critiquesLe rapport souligne l’importance du règlement sur les matières premières critiques récemment adopté, et encourage à sa mise en œuvre complète. En particulier, il incite à l’élaboration d’une stratégie allant de l’exploitation minière au recyclage, à un soutien financier pour toute la chaîne de valeur des matières premières critiques, à la création d’un marché unique des déchets et du recyclage en Europe, et à la constitution de stocks stratégiques de certains minéraux critiques. Ces mesures pourraient être facilitées par l’ouverture des mines nationales, augmentant la gouvernance, tant pour le recyclage que pour l’approvisionnement des partenaires commerciaux. Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF)Le rapport considère que le succès du MACF est incertain en raison de sa complexité, de sa mise en œuvre fragmentée entre les États membres, et de la nécessité d’une coopération internationale solide. De plus, sa lourde charge administrative en termes de déclaration et de calcul de l’empreinte carbone pourrait entraîner des coûts pour les entreprises, ou, au contraire, être contournée, créant une fuite de carbone en aval. Sa mise en œuvre devrait ainsi être suivie de près, et donner lieu à des améliorations lors d’une phase de transition, quitte à reporter la réduction des quotas gratuits du SEQE, si le mécanisme d’ajustement était inefficace. La place de la défense dans les financements durablesLe rapport suggère enfin de clarifier le cadre de l’UE en matière de finance durable et d’ESG pour les produits liés à la défense. Ce secteur est confronté à des faiblesses structurelles en termes de financement, d’innovation et de gouvernance, notamment causées par l’absence de normes sur ces produits. Par ailleurs, les dépenses des États membres pour la défense sont estimées insuffisantes dans l’environnement géopolitique actuel. Peut-on simplifier les règles sans les amoindrir ?L’un des maîtres mots du rapport est donc la réduction de la charge administrative, par la simplification des règles, l’accompagnement, et davantage de ciblage des obligations. Cette réduction semble bénéfique à la mise en œuvre de projets en faveur de la transition écologique, mais elle ne doit pas pour autant aboutir au développement de projets qui lui seraient nuisibles par la réduction du niveau général d’exigence. C’est ce que souligne Patrick de Cambourg, président du comité d’information en matière de durabilité de l’EFRAG (qui est chargé de l’élaboration de l’ESRS), pour qui l’existence de normes pour le reporting devrait être vu comme une mesure de simplification davantage que comme un fardeau administratif5. De plus, les ajustements des règles de l’UE après leur adoption pourraient diminuer la sécurité juridique des acteurs et ainsi la confiance des investisseurs. D’autant plus que les données issues des reportings peuvent constituer une information utile pour diriger les investissements. Enfin, certaines propositions du rapport pourraient introduire une déréglementation par l’introduction de dérogations si celles-ci étaient mal ciblées. Si l’objectif de réduction de la charge administrative semble partagé par une majorité d’acteurs, la suppression des règles obtenues par les co-législateurs européens ne semble pas être la meilleure manière de l’atteindre. L’avis des shiftersSi l’objectif du rapport – la compétitivité – n’est pas un objectif central pour les shifters, les conséquences d’un manque de compétitivité devraient être au centre des préoccupations. A cet égard, le rapport Draghi identifie des risques importants, qui pourraient mettre à mal la mise en œuvre de la stratégie européenne pour la transition écologique. En effet, le respect de critères environnementaux exigeants pour l’approvisionnement européen ne peut se faire sans un certain niveau de gouvernance et de contrôle sur la chaîne de valeur des produits (de la production au recyclage). A cet égard, le rapport semble bien avoir intégré la transition écologique comme l’enjeu principal de ce gain de compétitivité, ce qui doit être salué. De plus, le niveau d’investissement proposé étant d’une ampleur inédite, il témoigne d’une réelle prise en considération des enjeux par le secteur financier. Les objectifs identifiés au sein du rapport rejoignent les constat du plan de transformation de l’économie française (PTEF) en appelant d’une part à adapter les chaînes de valeur (par des critères sur l’approvisionnement ou encore le développement du recyclage), et d’autre part à mobiliser l’innovation technologique. A titre d’exemple, ces deux leviers constituent pour chacun 40% de la capacité de réduction des émissions du secteur de l’industrie, tel qu’évalué dans le PTEF. Le dernier levier – la sobriété – est quant à lui absent du rapport, ce qui est à regretter puisqu’il permettrait de réduire la dépendance internationale et de limiter les coûts engendrés par les conséquences du changement climatique. Cette absence est également regrettée par l’organisme Climate Action Network Europe (CAN Europe)6 pour qui « le point d’entrée devrait être sur les objectifs de réduction des ressources pour s’adapter aux limites planétaires ». Il faut toutefois noter que ce levier pourrait difficilement être mobilisé dans un rapport dont l’enjeu est d’augmenter la compétitivité. L’ONG s’inquiète également du risque que les sommes investies soient mal dirigées et finissent par financer des projets qui ne contribuent pas à la transition écologique. Les critères de financement devraient ainsi être vérifiés grâce à un contrôle public important et respecter des conditions sociales et environnementales claires. Elle note également que les dérogations et les délais supplémentaires pour le respect des obligations sur lesquels reposent plusieurs propositions remettent en cause certains des principes fondateurs de la stratégie de transition écologique de l’UE, comme le principe du pollueur-payeur. Pour CAN Europe, il conviendrait ainsi de prioriser les valeurs européennes face à des difficultés organisationnelles telles que la charge administrative. Il reviendra ainsi aux futurs commissaires européens d’apprécier les limitations de ce rapport en le remplaçant dans son contexte, en appliquant les mesures les plus pertinentes, et en veillant à leur application efficace et ciblée. 1 Rapport sur le futur de la compétitivité européenne 2 Renouvellement des institutions europeennes 3 Corporate sustainability reporting directive 5 Navigating Draghi’s Report on EU competitiveness: key sustainability issues |
La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project.
Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société. Pour réagir au contenu, demander des précisions, proposer des évolutions, contribuer à notre action vers les décideurs, une seule adresse : gazette@theshifters.org ! Vous pouvez également découvrir The Shift Project et devenir membre de l'association. |