La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 24

Chère lectrice, cher lecteur,

Cette semaine, la gazette se penche sur l’hydrogène dans la transition énergétique. Entre hydrogène vert, jaune, et bleu, quelles solutions privilégier pour une décarbonation efficace et durable ?

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

Subventions et développement de l’hydrogène : quels enjeux derrière la qualification « bas carbone » ?

Le 7 mai dernier, un arrêté1 précisant le seuil d’émissions de gaz à effet de serre retenu pour qualifier un hydrogène « bas carbone » a été soumis au Conseil supérieur de l’énergie, un organisme consultatif qui associe les parties prenantes du secteur de l’énergie dans l’élaboration de la politique énergétique gouvernementale. Or, cet arrêté évoque la possibilité d’inclure « l’hydrogène bleu » dans la catégorie de « l’hydrogène renouvelable », ce qui fait polémique.

L’hydrogène… un gaz bleu ?

On distingue différents types d’hydrogènes selon leur origine : blanc, gris, vert, bleu, jaune… L’hydrogène blanc est naturellement présent dans les gisements souterrains, tandis que l’hydrogène gris est issu de la combustion de fossiles et l’hydrogène vert est produit par électrolyse de l’eau (l’électrolyseur sépare une molécule d’eau en hydrogène et en oxygène), à partir d’une production électrique « verte », c’est-à-dire renouvelable2. L’hydrogène bleu, quant à lui, est un hydrogène gris dont les émissions de CO2 sont réutilisées ou stockées. Enfin, l’hydrogène jaune est produit par électrolyse de l’eau, mais à partir d’énergie nucléaire plutôt que d’énergie renouvelable. Plus généralement, l’hydrogène « bas carbone » correspond à l’hydrogène produit grâce à une source d’énergie nucléaire ou renouvelable.

Les deux manières d’obtenir un hydrogène bas carbone sont donc pour l’instant l’électrolyse avec une électricité issue de sources renouvelables ou bas carbone (nucléaire) et le reformage de méthane (réaction de méthane et d’eau produisant de l’hydrogène et du CO2) avec capture et stockage de CO2. Concernant cette première technique, l’avantage de l’hydrogène est qu’il permet de convertir des énergies renouvelables intermittentes par nature, en hydrogène qui est stockable et transportable.

Si les définitions des différents types d’hydrogènes selon leur mode de production sont plutôt claires, la délimitation de ce que l’on peut qualifier d’hydrogène « bas carbone » l’est un peu moins. Pour cette raison, l’arrêté vise à préciser le seuil d’émissions de gaz à effet de serre et la méthodologie à employer pour qualifier l’hydrogène de renouvelable ou bas carbone.

Au-delà d’une simple nomenclature

Il ne s’agit pas que d’un enjeu de nomenclature, puisque l’hydrogène est souvent présenté comme une énergie déterminante de la transition énergétique. Son utilisation permettrait en effet la décarbonation de l’industrie lourde et participerait à une mobilité plus propre3 pour les cargaisons lourdes (camions, bateaux, avions, etc.). Cependant, en 2020, l’hydrogène est encore issu à 95 % de la transformation d’énergies fossiles, dont près de la moitié à partir de gaz naturel. En effet, si la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau paraît la plus écologique, elle est aussi plus coûteuse (2 à 3 fois plus chère que le reformage de gaz naturel), le coût de production d’hydrogène décarboné dépendant de celui de l’électricité.

L’un des enjeux, particulièrement important pour la France, est de savoir si la production d’hydrogène à partir d’énergie nucléaire peut, ou non, être considérée comme bas carbone. Jusqu’à maintenant, malgré un différend avec l’Allemagne, c’est le cas puisque son niveau d’émissions est inférieur au seuil fixé par la directive Red III sur les énergies renouvelables (3,38kg CO2 émis pour produire 1 kg d’hydrogène). Cependant, l’arrêté vise également à inclure dans la dénomination « bas carbone » l’hydrogène bleu issu d’énergies fossiles avec captage du carbone. Or, plutôt que de participer à la transition vers une société décarbonée, ce mode de production de l’énergie fossile perpétue notre dépendance aux énergies fossiles.

Outre le caractère contestable de cette nomination, cela pourrait ouvrir l’accès à des subventions aux producteurs d’hydrogène bleu… et donc dissuader la production d’hydrogène vert, encore plus cher en moyenne. Ces producteurs craignent ainsi une concurrence déloyale, puisqu’entre un hydrogène bas carbone abordable et un hydrogène vert plus onéreux, le premier risque de se développer au détriment du second.

Ce qu’en pensent les Shifters

Dans son rapport Pour une souveraineté énergétique fondée sur les renouvelables, le nucléaire et la sobriété4, le Shift Project insiste sur l’importance de fonder sa souveraineté énergétique sur tous les leviers utiles pour une transition bas carbone. À ce titre, l’hydrogène vert fait partie du mix nécessaire à la décarbonation. L’hydrogène jaune paraît pertinent dans la mesure où l’énergie nucléaire reste nécessaire aux côtés des énergies renouvelables pour assurer la sortie des énergies fossiles. Cependant, l’hydrogène bleu ne permet pas de sortir de la dépendance aux énergies fossiles, et donc de réaliser une transition bas carbone.

Enfin, dans le Plan de transformation de l’économie française, la part du secteur électricité dans la consommation énergétique globale est supposée passer de 27% à 52% du mix énergétique, notamment grâce à la production d’hydrogène par électrolyse5. Il est notamment un élément indispensable à la transition du secteur de l’industrie6 (il fait partie du levier de rupture technologique qui devra permettre une diminution de 40% des émissions de GES pour 2050).

Conclusion

En conclusion, l’hydrogène est une énergie qu’il est nécessaire de développer dans notre mix énergétique afin d’assurer une transition mobilisant tous les leviers d’action pour sortir des énergies fossiles. Cependant, il est nécessaire de différencier différents types d’hydrogène selon leur mode de production, car ils ne sont pas tous aussi pertinents, tant en termes d’émissions évitées que de coûts. À ce titre, la labellisation d’hydrogène « bas carbone » a un très fort impact sur le mode de développement de la filière, car elle influencera les investissements et les orientations de la recherche de manière durable.

1 Cet arrêté du gouvernement qui met le feu à la filière bas carbone – Les Échos

2 Hydrogène énergie – Connaissance des énergies

3 Hydrogène – Air Liquide

4 Souveraineté énergétique – The Shift Project

5 Plan de transformation de l’économie française, focus sur l’énergie – The Shift Project

6 Décarboner l’industrie sans la saborder – The Shift Project

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
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