La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 17

Chère lectrice, cher lecteur,

La Gazette se concentre sur le récent projet de loi sur la souveraineté énergétique, un sujet très lié à la transition écologique.

Bonne lecture !

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

La loi « Souveraineté énergétique » doit être approfondie : les angles morts du volet programmatique

Pour une souveraineté énergétique fondée sur les renouvelables, le nucléaire et la sobriété

Le projet de loi sur la Souveraineté énergétique1 censée fixer le cap pour sortir des énergies fossiles a été amputé de son titre consacré aux objectifs énergétiques et climatiques mi-janvier 2024 par le ministère des Finances, désormais chargé de l’Énergie. Ce volet avait pour objet les énergies renouvelables ou nucléaires en 2030 et en 2035, ainsi que les objectifs de réduction des gaz à effet de serre et d’économies d’énergies.

Devant les membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE), qui doit donner son avis sur ce texte, le ministre avait expliqué qu’une planification énergétique et climatique « ne devait pas se décider dans la précipitation » avec des discussions « qui aillent au bout », « notamment avec les élus locaux ».

Dans ce cadre, le Shift Project analyse ici les limites de ce projet de loi et propose les pistes d’une ambition de souveraineté énergétique plus affirmée et audacieuse, associée à la transition écologique. Cette analyse donne lieu à une série de trois articles co-rédigés par Héloïse Lesimple, Nicolas Raillard, Jean-Marc Jancovici, Matthieu Auzanneau, Jean-Noël Geist et Théo Wittersheim pour The Shift Project ; Alexandre Barré du Domaine Débat public et le Cercle thématique Énergie pour The Shifters.

Les politiques énergétiques et climatiques du pays doivent être parfaitement coordonnées. À l’heure où la France est à un tournant de sa politique énergétique, notre pays doit fonder sa souveraineté énergétique sur tous les leviers pertinents de la transition bas-carbone, et non sur la seule électricité nucléaire comme c’était le cas dans le volet programmatique du projet de loi Souveraineté énergétique2, retiré mi-janvier 2024.

Pour garantir notre capacité à consommer l’énergie nécessaire au territoire national, il nous faut mettre en œuvre une politique systémique, reposant sur l’efficacité et la sobriété, associées au développement d’un mix robuste de capacités de production d’énergies décarbonées, électriques et non électriques. La souveraineté nécessite de maîtriser notre empreinte énergétique et de limiter le carbone des biens et services importés.

Alors que le parlement se penchait à nouveau sur les objectifs climatiques, il convient de noter qu’atteindre nos objectifs de décarbonation (et non pas juste « tendre vers », selon la formulation du texte retiré) peut aussi permettre à la France de conquérir une forme de souveraineté énergétique, ou pour le moins de se préparer à des évolutions futures et inévitables. Pour ce faire, il faut au préalable prendre acte de l’ensemble de nos dépendances actuelles, cesser d’opposer les énergies renouvelables au nucléaire, et miser sur tous les leviers capables de bâtir l’économie post-énergies fossiles, qui devra être beaucoup plus sobre en énergie et en matières.

Retiré en janvier, le volet programmatique du projet de loi sur la souveraineté énergétique, qui traitait un sujet central et urgent pour le pays, revient dans les débats entre le nucléaire et les énergies renouvelables (EnR). Ce texte contenait de nombreux angles morts qu’il s’agit maintenant de traiter :

  • Sécuriser l’approvisionnement en énergie ne se limite pas à sécuriser la production d’électricité sur le territoire national. Un texte efficace doit inclure des objectifs liés aux énergies hors électricité, aux énergies incorporées dans nos importations de biens et services (sans quoi nous allons faire de graves erreurs de lecture sur les possibilités de réindustrialisation). Il doit également prendre en compte l’utilisation d’énergie sur notre sol national par les filières industrielles de production, et des durées de vie à 60 ans ou plus des infrastructures énergétiques.
  • À l’évidence, l’objectif légal de « réduire » les émissions de gaz à effet de serre au lieu de « tendre vers » leur réduction (dans la nouvelle rédaction proposée pour l’article L100- 4 du code de l’énergie) doit être affirmé : il s’agit d’envoyer un signal approprié à la société française sur la lutte contre le changement climatique. Le calibrage des investissements et de la sobriété demande une programmation de la baisse des émissions – à la fois territoriales et en empreinte carbone – et de la hausse de la production d’énergie décarbonée qui soit quantifiée dans le temps. Une indication vague n’est pas suffisante pour cadrer l’action.
  • Les énergies renouvelables sont une composante indispensable de la décarbonation et de la résilience du pays. Un texte d’amélioration de la souveraineté de notre pays doit inclure des objectifs de développement de l’électricité et de la chaleur renouvelable en plus de ceux concernant l’électronucléaire, ainsi que les objectifs d’adaptation du réseau électrique correspondants (flexibilité, stockage, renforcement, etc.).
  • L’efficacité énergétique est évidemment un objectif important, et il doit être complété par un objectif de sobriété structurelle, à la fois individuelle et organisée collectivement, en appréhendant l’économie sous un angle physique et systémique. Le fossé actuel entre nos capacités domestiques de production d’énergie (entre 600 à 700 TWh par an en énergie finale3 ) et notre consommation domestique d’énergie finale4 (de l’ordre de 1600 TWh, soit plus du double [5]) est si gigantesque que miser sur la seule efficacité énergétique, n’apporte pas les garanties de succès suffisantes d’autant que beaucoup d’efforts ont déjà été accomplis. Cette exposition au risque énergétique est encore plus forte quand on considère la véritable dépendance de notre pays aux énergies fossiles, mise en évidence par son empreinte énergétique (de l’ordre de 2500 TWh par an).
  • En fondant la politique énergétique de la France sur des résultats – limitation de la dépendance aux énergies fossiles et utilisation des ressources territorialement maîtrisée en cohérence avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre – et non pas sur tel ou tel moyen de production, un tel texte permettrait la construction d’une souveraineté énergétique dans la durée.
  • Que ce soit pour les renouvelables ou le nucléaire, tout n’est pas encore écrit sur les meilleures décisions possibles pour l’avenir, mais à tout instant il existe des choix sans regret. Il est urgent de se doter des moyens de piloter l’évolution du système énergétique de manière agile, en maximisant les choix sans regret et en instruisant aussi vite que possible les questions qui restent ouvertes.

1 PJL Souveraineté énergétique

2 PJL Souveraineté énergétique

3 Bilan énergétique de la France – Voir le diagramme de Sankey : 600 à 700 TWh = Somme de l’électricité produite (nucléaire + hydraulique + ENR, y compris exportations, et hors gaz) + ENR thermiques et déchets. Chiffres 2021 (hors situation exceptionnelle de corrosion sous contrainte sur le parc nucléaire)

4 L’énergie finale est l’énergie livrée au consommateur (carburants à la pompe, électricité au bout de la prise, etc.) après transformations par l’homme, par opposition à l’énergie primaire qui désigne les sources d’énergie disponibles dans la nature avant transformation (source)

5 Bilan énergétique de la France. Cf. Consommation finale d’énergie par secteur

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