La gazette du carbone

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The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Supplément consacré à l'actualité de l'Union Européenne

Une fois par mois, la Gazette voyage à Bruxelles pour y apporter l'expertise du Shift Project et intégrer cette dernière au débat parlementaire européen.

avril 2024

Chère lectrice, cher lecteur,

A l’approche des échéances électorales de juin, la Gazette du carbone Europe vous propose un guide rapide des élections européennes et un point sur la révision de la Directive sur les Emissions Industrielles

Bonne lecture !

Sommaire

En bref : le fonctionnement des élections européennes

Avec l’approche des élections européennes, la Gazette du carbone vous propose un tour d’horizon des candidats et partis et un éclairage sur le fonctionnement des élections pour que vous ayez tous les éléments en main pour prendre une décision éclairée voire mieux convaincre dans tous les débats sur ces élections.

Les candidats

Les citoyens européens éliront 720 nouveaux eurodéputés le 9 juin prochain, parmi lesquels 81 Français. Tous les candidats (et partis) présentés ne sont pas encore connus à ce jour, même si nombre d’entre eux sont des candidats sortants dont Valérie Hayer, François-Xavier Bellamy, Jordan Bardella, Raphaël Glucksmann, Manon Aubry ou Marie Toussaint. Un article du Monde recense les candidats déclarés et indique leur affiliation ainsi qu’une courte biographie1. Leurs programmes respectifs seront recensés sur le site du ministère de l’intérieur français à partir du 27 mai 20242.

Les partis

Les partis européens sont différents des partis français et doivent être reconnus par la Commission pour obtenir un financement3. Leur rôle est principalement de permettre aux partis nationaux d’accéder à un financement européen en se rattachant à un parti européen, car le Parlement répartit ses membres en 7 groupes politiques qui ne correspondent pas exactement aux 10 partis européens4 :

  • Le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE) regroupe les membres du parti des conservateurs et réformistes européens (ACRE), du mouvement politique chrétien européen (MPCE) et une partie des membres de l’Alliance libre européenne (ALE),
  • Le groupe Renew Europe regroupe les membres de l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe (ALDE) et du parti démocrate européen (PDE),
  • Le groupe Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL) regroupe les membres du Parti de la gauche européenne (PGE), et une partie des membres de l’Alliance libre européenne (ALE),
  • Le groupe Verts/Alliance libre européenne (ALE) regroupe les membres du Parti vert européen (PVE), et une partie des membres de l’Alliance libre européenne (ALE),
  • Le groupe Parti populaire européen (PPE) regroupe les membres du Parti populaire européen,
  • Le groupe Identité et démocratie (ID) regroupe les membres du Parti Identité et démocratie (PID),
  • Le groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D) regroupe les membres du Parti socialiste européen (PSE).

Le rôle des partis européens est toutefois assez limité, et c’est davantage aux groupes parlementaires mentionnés plus haut qu’il faut accorder de l’attention. En effet, ces groupes structurent le Parlement et ses débats. Les noms des eurodéputés français appartenant à chaque groupe peuvent être trouvés sur le site Toute l’Europe5. Une ébauche de correspondance entre partis nationaux et européens peut également être trouvée sur Wikipédia (bien qu’elle nécessite une mise à jour). Il faut également noter qu’il n’est pas nécessaire d’être inscrit à un parti pour être élu, ni d’appartenir à un groupe pour siéger au parlement européen. D’autres partis que ceux listés plus haut peuvent donc figurer parmi les affiliations des candidats, et certains eurodéputés peuvent être affichés comme « non-inscrits ».

L’élection

Tous les 5 ans, chaque État membre élit ses représentants au Parlement européen. La répartition des sièges dépend de la population de chaque pays. Le nombre de sièges, tombé à 705 lors du Brexit, est revenu à 720, augmentant donc le nombre de sièges pour certains pays (dont la France). L’élection se déroule systématiquement au suffrage universel direct à un tour, mais certains détails varient d’un pays à l’autre.

Dans une grande majorité d’États membres, les électeurs votent pour une liste de candidats regroupés par tendance politique. Dans ces pays, les partis politiques doivent présenter des listes avec un nombre de candidats correspondant au nombre de députés à élire. En France par exemple, chaque liste doit donc comporter 81 noms.

Pour l’attribution des sièges, c’est la représentation proportionnelle qui s’applique. Ainsi, une liste qui obtient 15 % des voix dans un pays doit remporter (environ) 15 % des sièges en jeu. Chaque État membre est toutefois libre de fixer un seuil électoral, qui ne doit toutefois pas dépasser 5 %. Concrètement, une liste qui obtient un score inférieur au seuil n’obtient aucun eurodéputé. En France, le seuil électoral est fixé à 5 %. Enfin, la plupart des États membres forment une seule circonscription nationale, comme c’est le cas en France, mais ce n’est pas une obligation.

Ces élections déterminent non seulement le poids de chaque force politique dans l’hémicycle du Parlement européen mais ont également un impact sur l’ensemble des institutions européennes. En effet, dans un premier temps après leur prise de fonction, les eurodéputés devront élire leur président à l’occasion d’une première session plénière (du 16 au 19 juillet 2024). Puis dans les semaines suivantes, ils devront désigner le président de la Commission européenne sur une proposition du Conseil européen6. Les parlementaires auditionnent également les commissaires européens avant d’approuver le collège lors d’un vote unique. Une fois ces désignations faites, le Parlement européen et ses membres pourront exercer leurs pouvoirs législatif, budgétaire et de contrôle politique durant l’intégralité du mandat (2024-2029).

Le vote

Toutes les informations sur le vote peuvent être trouvées sur le site Service-Public.fr7 qui permet notamment de vérifier son inscription dans un bureau de vote, ou d’établir une procuration. Le site du Parlement européen8 recense également les questions fréquentes avec des réponses adaptées aux contextes nationaux.

Rendez-vous le mois prochain pour davantage d’informations sur les programmes des candidats, et le 9 juin dans les urnes ! Et n’hésitez pas à partager ces informations autour de vous.

1 Qui sont les candidats aux élections européennes de 2024 – Le Monde

2 Programme des candidats aux élections – Ministère de l’Intérieur

3 Européennes 2024 : quel rôle pour les partis politiques européens – Vie publique.fr

4 Partis enregistrés – Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes

5 Les députés européens : répartition par pays et par groupe politique – Touteleurope.eu

6 Comment est « élu » le président de la Commission européenne – Touteleurope.eu

7 Élections européennes – Service-Public.fr

8 France – Comment voter – elections.europa.eu

▲ Sommaire

Révision de la directive IED : quel impact sur les émissions industrielles ?

La directive sur les émissions industrielles, initialement adoptée en 2010, fait actuellement l’objet d’une révision à la suite d’une proposition de la Commission datant d’avril 2022. Cette directive vise à atteindre un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement dans son ensemble en réduisant les émissions industrielles nocives dans l’ensemble de l’UE. Un accord sur ce texte a été conclu en trilogue fin novembre 2023, mais son adoption définitive par les co-législateurs est restée en suspens jusqu’à la dernière minute en raison de la crise agricole1. Le texte a enfin été adopté par le Conseil et le Parlement dans les dernières semaines.

Les émissions industrielles : de quoi parle-t-on ?

Ce texte s’inscrit dans le plan « Zéro pollution pour 2050 » de la Commission européenne2, dont l’objectif concerne la réduction de la pollution de l’air, de l’eau et du sol à des niveaux qui ne soient plus considérés comme nocifs pour la santé et les écosystèmes naturels. Il s’agit également de respecter les limites planétaires et de créer un environnement exempt de substances toxiques. Cet objectif général se décline en plusieurs axes :

  • l’amélioration de la qualité de l’air pour réduire de 55% le nombre de décès prématurés causés par la pollution de l’air (lire notre article de mars 2024 sur la révision des directives sur la qualité de l’air) ;
  • l’amélioration de la qualité de l’eau en réduisant les déchets, les déchets plastiques en mer (de 50%) et les microplastiques rejetés dans l’environnement (de 30%) ;
  • l’amélioration de la qualité des sols en réduisant de 50% les pertes en nutriments et l’utilisation de pesticides chimiques ;
  • la réduction de 25% des écosystèmes de l’UE où la pollution atmosphérique menace la biodiversité ;
  • la réduction de 30% de la proportion de personnes chroniquement perturbées par le bruit des transports ;
  • une réduction significative de la production de déchets et de 50% de déchets municipaux résiduels.

Une grande partie des textes visant à atteindre ces objectifs est actuellement en cours de négociation par les co-législateurs.

La directive relative aux émissions industrielles (DEI) est accompagnée d’un règlement visant à créer un portail sur les émissions industrielles (PEI). Elle cherche à réglementer et à surveiller l’incidence des activités industrielles sur l’environnement. Les rejets de polluants provenant de ces industries ont également un impact sur la santé des citoyens, puisqu’ils peuvent entraîner des problèmes tels que l’asthme, des bronchites, des cancers ou des insuffisances cardiaques. Selon des estimations de 2017, les émissions industrielles sont responsables de milliers de décès prématurés chaque année, et entraînent un préjudice pour la santé humaine et l’environnement représentant un total de 277 à 433 milliards d’euros annuel3.

Cette directive constitue le principal acte législatif de l’UE pour lutter contre ce type de pollution. Elle vise à protéger les écosystèmes et la santé humaine par :

  • la prévention et la réduction des émissions dans l’air, l’eau et le sol provenant des plus grandes installations industrielles d’Europe,
  • la réduction au minimum de l’utilisation des ressources,
  • l’amélioration de l’efficacité des processus,
  • l’encouragement de l’économie circulaire,
  • la réduction des déchets.

La directive de 2010 couvre plus de 50 000 installations situées dans l’UE, qui ensemble sont responsables de 20% de la totalité des polluants présents dans l’air et l’eau, et de 40% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Le rôle de cette directive est donc crucial pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les activités encadrées comprennent les centrales électriques, les raffineries, les installations de traitement et d’incinération des déchets, la production de métaux, de ciment, de verre, de produits chimiques, de papier, de denrées alimentaires et de boissons, ainsi que l’élevage intensif de porcs et de volailles (l’élevage bovin n’en fait pas partie). Leurs émissions de gaz à effet de serre sont également régulées par le système d’échange de quotas d’émission de l’UE.

La directive impose aux installations de rendre compte de leurs performances environnementales et de les surveiller, ainsi que de s’efforcer de réduire leurs émissions, et leur exploitation est conditionnée à l’obtention d’une autorisation par l’autorité nationale. Au sein de ces autorisations, des valeurs limites d’émission des substances polluantes fondées sur les meilleures techniques disponibles (MTD) sont définies. Les MTD sont définies par la Commission en coordination avec des experts des États membres, de l’industrie et d’organisations environnementales au cours de négociations durant 4 à 6 ans. Ces dernières se fondent sur des données techniques collectées via un questionnaire auprès d’un panel de sites industriels volontaires considérés comme bons élèves, ou « well-performers », le plus représentatif possible du secteur (il s’agit du « processus de Séville »)4. Les autorités nationales sont tenues de mettre à la disposition du public les informations concernant les autorisations, les demandes d’autorisation, et les résultats de la surveillance annuelle organisée.

Ce que prévoit la révision

Le périmètre de la directive est étendu à de nouvelles industries dont l’exploitation minière, la production de batteries à grande échelle et davantage d’élevage porcins et avicoles. Dans le cas de l’élevage, le seuil au-delà duquel les exploitations sont incluses dans le champ d’application est abaissé.

Il est également prévu que les États membres instaurent des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à l’encontre des auteurs d’infractions. De plus, les personnes concernées pourront réclamer une indemnisation lorsque des dommages pour leur santé sont survenus.

Les autorisations pour les installations industrielles seraient désormais délivrées par voie électronique, au moyen d’un système devant être mis en place au plus tard en 2035. Ces autorisations contiendront des valeurs limites de performances environnementales de nature contraignante fixées par les autorités compétentes.

Enfin, la Commission aura la charge d’évaluer la mise en œuvre de la directive d’ici à 2028 puis tous les cinq ans. Un réexamen des produits agricoles importés de pays tiers devra être réalisé dans le but de s’assurer que ces produits suivent des normes environnementales similaires à celles en vigueur dans l’UE.

Comme indiqué plus haut, la révision est accompagnée d’un règlement prévoyant la communication des données environnementales des installations industrielles dans le nouveau portail européen sur les émissions industrielles5 et remplaçant le registre européen des rejets et transferts de polluants (E-PRTR).

Enfin, bien que les élevages bovins ne soient toujours pas inclus dans le périmètre de la directive, la Commission devra évaluer d’ici à 2026 la meilleure manière de lutter contre les émissions générées par ce type d’élevage et par les produits agricoles mis sur le marché de l’UE.

Ce qu’en pensent les Shifters

La révision de ce texte crucial est bienvenue puisqu’elle accroît l’ambition dans la réduction des émissions industrielles dont l’impact est particulièrement important. Comme le soulignait le Shift Project en 20226, l’industrie a un rôle tout particulier dans la transformation de notre économie : celui de permettre aux autres secteurs de se décarboner via la production de biens et d’infrastructures nécessaires à leur transition (rails, bornes de recharge, pompes à chaleur, éoliennes, etc.), tout en permettant que cette production soit elle-même décarbonée.

De plus, la création d’un droit de compensation pour les victimes dont la santé a été affectée par une pollution illégale est une avancée inédite, comme souligné par l’association ClientEarth7.

Enfin, il faut féliciter la création du portail de transparence sur les émissions, qui devrait fournir davantage de visibilité aux citoyens sur l’impact de la production des produits qu’ils consomment. Il faudra être attentif à une large diffusion de ces informations.

Toutefois, la révision de la directive manque encore d’ambition, notamment s’agissant des objectifs de réduction des émissions fixés pour les industries. Alignés avec les meilleures pratiques du secteur, ces objectifs tendent certes à tirer le secteur vers le haut, mais pourraient ne pas suffire à décarboner le secteur en ligne avec les objectifs globaux européens. Cette décarbonation devrait davantage mobiliser les trois leviers suivants :

  • Les leviers de progrès continu (efficacité énergétique, changement des combustibles des fours, recyclage mécanique, etc.), pour 40% de la décarbonation du secteur ;
  • La mobilisation des leviers de rupture technologique (recours à l’hydrogène produit par électrolyse, recours au CCS, recyclage chimique, etc.), pour d’autres 40% de décarbonation;
  • Les leviers de sobriété (sobriété sur les emballages plastiques, sobriété imposée par la construction neuve, etc.), pour les 20% restants.

En s’en tenant à une amélioration itérative pour les seuls secteurs concernés par la directive, la Commission n’a pas véritablement insufflé le virage nécessaire à la décarbonation de notre économie. Une plus forte ambition est requise.

1 Offensive d’un eurodéputé PPE sur les règles d’émissions du secteur agricole avant le vote final au Parlement – Euractiv

2 Zero Pollution Action Plan – European Commission

3 Les émissions industrielles – Conseil européen

4 La Directive sur les émissions industrielles (IED), les BREF, les MTD – Ineris

5 European Industrial Emissions Portal – European Environment Agency

6 Décarboner l’industrie sans la saborder – The Shift Project

7 First-of-its-kind compensation right backed by EU ministers in new industrial emissions rules – ClientEarth – ClientEarth

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
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