La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
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Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.
2024 | Semaine 13Chère lectrice, cher lecteur, En lien avec l’actualité, la Gazette du carbone s’interroge : faut-il rationner internet ? Mais que cela ne vous empêche pas d’user voire d’abuser des numéros de notre journal. Très bonne lecture ! |
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Réflexions décarbonées |
Réflexions décarbonées |
Faut-il rationner Internet ?
Le lundi 18 mars 2024, l’ancienne ministre de l’éducation a publié dans le figaro une tribune abordant la question de la limitation de l’usage d’internet, en donnant un exemple de 3Go par semaine. Si cette proposition a pour principale motivation le constat d’une surexposition aux écrans, l’impact environnemental de notre consommation numérique, notamment en termes d’émissions de gaz à effet de serre, est également incriminé. En réponse à cette tribune, de nombreux articles et discours ont pointé du doigt l’impossibilité de faire coïncider les usages que nous avons avec la limite de 3Go. Cependant, en rester à ce constat ne permet pas de voir l’évolution du secteur numérique au cours des deux dernières décennies, ainsi que l’évolution de nos besoins et désirs en matière de technologies. Quelques chiffres pour « dépassionner » le débat.Avec une consommation française d’environ 15,9 Go par mois en 4G1 et 55 Go par semaine par foyer2, on comprend pourquoi la proposition de limite à 3Go a pu paraître excessive. Néanmoins, il reste que le secteur est responsable d’environ 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre selon une étude Green IT de 20193, et si on prend en compte l’augmentation des usages et du nombre d’appareils connectés, il y a fort à parier que ces émissions sont destinées à augmenter fortement. Entre 2012 et 2022, le nombre d’utilisateurs d’Internet a ainsi connu une croissance annuelle moyenne de 8,6%4, et cette période a également vu le doublement des équipements numériques par utilisateur ainsi que l’explosion du nombre d’objets connectés et de l’informatique embarquée5. Il semble alors important de ne pas focaliser l’attention uniquement sur l’usage, mais de prendre en compte le cycle de vie des équipements. En effet, de par les besoins en énergie, en ressources minières et en eau, l’étape de fabrication a plus d’impact que les usages. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, nos équipements comptent pour 80% de l’empreinte carbone du secteur, contre 20% pour les infrastructures réseaux et data-centers. Les besoins en matières premières constituent également un enjeu critique pour la production des terminaux, puisqu’un smartphone nécessite ainsi 500 fois son poids en matière première pour être construit6. Enfin, seulement 17 % des déchets électroniques sont collectés et recyclés à l’échelle mondiale. Pour 3Go on n’a plus rien ?L’évolution rapide de la technologie a considérablement augmenté le poids des fichiers multimédias, comme les films et les jeux vidéo, suscitant ainsi une pression constante pour renouveler nos appareils afin de profiter au maximum de ces nouveaux usages ou d’une meilleure définition. Cette escalade technologique nourrit la perception qu’une capacité de stockage de 3 Go est désormais trop petite, bien que cette quantité ait été autrefois amplement suffisante pour nos besoins numériques. Cette notion de « suffisance » a donc évolué : les films, par exemple, n’ont pas toujours occupé autant d’espace de stockage, et les appareils eux-mêmes n’offraient pas les capacités que nous considérons aujourd’hui comme standard. Les mutations technologiques ont entraîné des mutations dans les usages et des habitudes se sont installées. À titre d’exemple, un téléviseur sur deux est remplacé alors qu’il fonctionne encore et parmi les raisons du changement, c’est à 45% pour « obtenir une télévision connectée, avec un écran plus grand ou à meilleure qualité d’image »7. Le récent rapport du Shift Project montre ce cercle vicieux de l’effet d’offre alimentant l’effet d’usage et ainsi de suite : « La volonté de déployer de nouveaux usages justifie le déploiement de nouvelles capacités (la multiplication des contenus vidéos appelle un besoin de plus grande capacités réseaux en mobilité, etc.) : c’est l’effet d’usage. Le déploiement de nouvelles capacités entraîne le développement de nouveaux usages (possibilité de visionner des vidéos UHD en itinérance, nécessité de renouveler son smartphone pour profiter pleinement de ce nouveau service etc.) : c’est l’effet d’offre. »8 Accélérer les gains d’optimisation ne suffira donc pas, il est nécessaire de changer fondamentalement de trajectoire si nous voulons atteindre nos objectifs de réduction d’émissions. Comment faire advenir la sobriété ?Si la sobriété se traduit dans des démarches individuelles, elle ne peut s’y réduire. Comme l’écrit le Shift Project, elle doit venir également des acteurs économiques du secteur : « les modèles d’affaires des acteurs dominants du numérique ont leur performance indexée sur l’augmentation des volumes d’équipements et de flux de données en circulation ». Une des causes de remplacement prématuré des équipements vient du renouvellement des systèmes d’exploitation, certains appareils se trouvent alors sans mise à jour possible et donc quasi obsolètes, comme c’est le cas de nombreux ordinateurs condamnés à rester sur Windows 10 alors que Microsoft annonce la fin de son support9. Parmi les leviers d’action proposés par le Shift Project, celui de la construction d’un modèle du numérique par la concertation nous semble le plus à propos pour répondre au débat sur le rationnement d’internet. Il semble nécessaire d’ouvrir un débat national et de s’appuyer sur l’exemple de la convention citoyenne pour le climat afin de déterminer les usages à prioriser dans un contexte de limite des ressources. Outre les difficultés techniques de tri des usages, c’est aussi la question de la neutralité du web qui se pose. Une telle entreprise requiert une prise de conscience généralisée parmi tous les acteurs de la société, des individus aux entreprises, en passant par les institutions gouvernementales. Il faut notamment sensibiliser aux risques futurs sur le réseau et aux ruptures de services afin d’avoir conscience des usages nécessaires du numérique (hôpitaux, gestion des réseaux…). En somme, donner les outils à tous afin de comprendre les enjeux derrière les « gigas », et avoir les bons ordres de grandeur. Pour conclure, bien que la proposition de Mme Najat Vallaud-Belkacem de limiter la consommation d’Internet puisse sembler peu nuancée en ne tenant pas compte des différents types d’usages, elle représente de ce fait une solution techniquement simple à implémenter. En termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre associées à l’utilisation d’Internet, cette mesure pourrait s’avérer être la plus directe et la plus efficace. Face à cette question, le Shift Project prône une prise de décision plus collective : « La transformation de nos systèmes numériques ne pourra se faire ni sur la base de leviers purement technologiques, ni sur celle de modifications comportementales exclusivement individuelles. Elle devra donc s’appuyer sur une méthode de coordination des parties prenantes permettant de traiter les points clés, à mettre en évidence »10. La mise en place de concertations semble urgente afin d’éviter un sevrage plus difficile dans le futur. Pour aller plus loin :
1 Marché des communications électroniques en France – Les chiffres au 3e trimestre 2023 – Arcep. 2 Les télécoms : acteurs du numérique en première ligne. Étude économique 2023 – Fédération française des télécoms 3 Empreinte environnementale du numérique mondial – Green IT 4 30 chiffres sur l’usage d’Internet, des réseaux sociaux et du mobile en 2022. – BDM 5 Empreinte environnementale du numérique mondial – Green IT 6 500 fois son poids en matière première – Green IT 7 Le baromètre du numérique – ARCEP 8 Mondes virtuels et réseaux face à la double contrainte carbone – The Shift Project 9 Fin de Windows 10 : 37 millions de tonnes éq. CO2 évitables ! – Green IT 10 Énergie, climat : des réseaux sobres pour des usages connectés résilients – The Shift Project |
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