La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
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Supplément consacré à l'actualité de l'Union EuropéenneUne fois par mois, la Gazette voyage à Bruxelles pour y apporter l'expertise du Shift Project et intégrer cette dernière au débat parlementaire européen. mars 2024Chère lectrice, cher lecteur, L’approche de la fin de la législature européenne contribue à faire redoubler le travail des co-législateurs de l’Union. Voici deux sujets importants dont la Gazette du carbone Europe se saisit ce mois-ci :
Bonne lecture |
Sommaire |
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Quel cadre européen pour garantir la durabilité des biens et le respect des exigences environnementales ?Règlement du Parlement européen et du Conseil Européen Constatant qu’il n’existait aucun ensemble complet d’exigences visant à garantir la durabilité des produits mis sur le marché de l’UE, les États membres ont commencé à adopter de multiples approches au niveau national. Cela a entraîné une fragmentation du marché intérieur, pénalisant par là même les entreprises cherchant à adopter des comportements plus vertueux. L’objectif de ce futur règlement de l’UE, qui abrogera la Directive de 2009 en vigueur, se veut donc un cadre générique large. Il donnera une même logique, une même orientation pour fixer des exigences en matière de performance et d’information pour tous les types de biens mis sur le marché de l’UE. L’accord provisoire définit le champ d’application du règlement, habilite la Commission à fixer, le cas échéant, les conditions de destruction des biens invendus et clarifie plusieurs dispositions du règlement en matière de sanctions et de marchés en ligne. Exigences écologiques et passeport numérique : une meilleure information des consommateurs et des entreprises ainsi qu’un meilleur contrôle du respect des exigences environnementalesDans un précédent numéro de la Gazette1, nous avons commenté le Règlement concernant les batteries électriques qui présente logiquement des similarités de lignes directrices puisque leur durabilité et leur recyclage sont un enjeu majeur de souveraineté. Ce nouveau règlement va concerner un grand nombre de catégories de produits équipant les foyers : équipements avec de l’électronique comme lave-vaisselles, téléviseurs, ordinateurs, chargeurs de voiture, mais aussi des biens comme fenêtres, vêtements, etc. Le but est bien de fixer des exigences applicables à des groupes de produits spécifiques afin de les rendre non seulement économes en énergie et en ressources, mais aussi plus durables, fiables, réutilisables, évolutifs, réparables, recyclables et plus faciles à entretenir. La Commission sera en mesure de proposer ces exigences au moyen d’actes délégués lorsque cela est nécessaire pour de nouveaux types de produits ou de technologies. Le règlement vise également à faciliter la circulation de ces produits au sein du marché unique.À cette fin comme pour les batteries, un nouveau « passeport numérique de produit » fournira des informations sur la durabilité environnementale des produits pour aider consommateurs et entreprises à faire des choix à l’achat. Pour les pouvoirs publics, ces passeports et déclarations serviront aussi à effectuer des vérifications et contrôles. La proposition établit également des dispositions relatives à la transparence et à la prévention de la destruction des produits de consommation invendus. Interdiction de la destruction des textiles et chaussures invendues par les grandes entreprises : une volonté de freiner le gaspillage et le renouvellement accéléré de la productionL’orientation générale prévoit une interdiction directe de la destruction des textiles et des chaussures : petites et microentreprises seront exemptées de cette interdiction, tandis que les entreprises de taille moyenne bénéficieront d’une exemption de six ans. Cette interdiction sera d’application deux ans après l’entrée en vigueur du règlement. La Commission sera également habilitée à mettre en place de nouvelles interdictions applicables à la destruction d’autres produits invendus par voie d’actes délégués. Ce cadre européen est aussi ambitieux qu’utileSon côté « large spectre » donnera de la visibilité aux consommateurs et entreprises et, on peut le penser, permettra d’ancrer plus efficacement une « échelle » liée aux émissions carbone de chaque produit considéré dans son cycle de vie. D’après l’Ademe2, la mode est l’une des industries les plus polluantes de la planète puisque l’industrie textile (vêtements et chaussures) représente 4 milliards de tonnes d’équivalent CO₂ par an. La tendance est aussi à la croissance rapide comme pour le secteur du numérique. Ce dernier pèse globalement entre 3 et 4% des émissions mondiales, plus des deux tiers étant liés aux terminaux. Il est donc très significatif d’agir pour renforcer la durabilité et le recyclage des vêtements, des équipements numériques ou électroménagers. À titre indicatif dans son étude Modélisation et évaluation du poids carbone des produits de consommation et biens d’équipement3 l’Ademe évalue les « poids carbone » suivant :
Si on ajoute à ces éléments la vitesse de renouvellement de ces items au sein d’un foyer on voit clairement que tout mécanisme d’incitation à une consommation « éclairée » et l’incitation à la durabilité est nécessairement utile. Des points de vigilance demeurent selon les ShiftersComme déjà souligné, la préoccupation prioritaire de l’UE en la matière est le bon fonctionnement du marché intérieur. On peut penser que ce règlement peut contribuer à la compréhension par tous, entreprises et particuliers, des impacts de leur consommation. Ce règlement ne porte cependant aucun outil permettant d’orienter les choix de sobriété qui sont indispensables au respect de nos trajectoires nationales. Dans son rapport « “Planifier la décarbonation du numérique en France »4 le Shift Project propose un exemple de démarche visant à faciliter l’émergence de nouvelles structures d’usages, plus sobres. En effet, il soutient l’accompagnement au changement de comportement des personnes utilisatrices du numérique :
Rappelons que, si elle en est un catalyseur, la sensibilisation ne permet pas la réorganisation systémique des usages. Repenser son rapport au numérique comme à la mode ou la consommation en général implique de mobiliser le cadre social et collectif dans lequel les actions individuelles s’inscrivent. Si le Règlement s’inscrit positivement dans une approche qui repose sur une quantification des impacts des différents équipements, il ne saurait dispenser les pays membres de prendre en charge tout ce qui concerne l’organisation de la sobriété et de la résilience. Il convient pour cela de mettre en œuvre des mécanismes « citoyens » pour définir les priorités sociétales et éviter les effets rebond. 1 Gazette du carbone, Supplément UE, Octobre 2023 2 La mode sens dessus dessous – Ademe 3 Modélisation et évaluation du poids carbone des produits de consommation et biens d’équipement – Ademe 4 Planifier la décarbonation du système numérique en France – The Shift Project |
Objectif zéro pollution de l'air pour 2050 : que penser de la révision des directives de l'UE ?
Le 20 février 2024, les co-législateurs européens se sont accordés sur une révision des directives de l’UE relatives à la qualité de l’air ambiant1. Pour lutter contre la pollution atmosphérique, l’UE dispose de deux directives sur la qualité de l’air (directives 2004/107/CE et 2008/50/CE). La proposition de la Commission actualise et fusionne ces deux directives et introduit l’objectif zéro pollution pour l’air, qui doit être atteint d’ici 2050. La proposition de la Commission fixe également des objectifs intermédiaires à l’horizon 2030. Cette révision s’inscrit dans le pacte vert pour l’Europe qui fixe un objectif de réduction de la pollution de l’air, de l’eau et des sols à des niveaux non nocifs pour la santé et les écosystèmes naturels. Plus précisément, il s’agit de l” objectif « ambition zéro pollution de l’UE » fixé pour 2030 qui cherche à réduire le nombre de décès prématurés causés par les particules fines (PM2,5) d’au moins 55% par rapport aux niveaux de 2005, tel que le recommande l’Organisation mondiale de la santé (OMS)2. L’accord doit encore être confirmé par les deux institutions avant d’atteindre sa version définitive par la procédure formelle d’adoption, pour ensuite être transposé dans le droit national des États membres sous un délai de deux ans après son entrée en vigueur. Les termes de l’accordLes co-législateurs sont convenus d’établir des normes renforcées de l’UE en matière de qualité de l’air pour 2030 par la fixation de cibles et de valeurs limites plus proches des lignes directrices de l’OMS qui feront l’objet d’un réexamen régulier. La révision couvre plusieurs substances polluantes présentes dans l’air, notamment les particules fines, les particules en suspension (PM2,5 et PM10), le dioxyde d’azote (NO2), l’anhydride sulfureux (SO2), le benzo(a)pyrène, l’arsenic, le plomb et le nickel, et établit des normes spécifiques pour chacune d’entre elles. Par exemple, les valeurs limites annuelles pour les polluants ayant le plus d’impact documenté sur la santé humaine, les PM2,5 et le NO2, seraient réduites de 25 µg/m³ à 10 µg/m³ (réduction de 60%) et de 40 µg/m³ à 20 µg/m³ (réduction de 50%) respectivement. L’accord provisoire donne aux États membres la possibilité de demander un report du délai pour atteindre les valeurs limites de qualité de l’air dans deux cas :
Pour demander ces reports, les États membres devront inclure des projections relatives à la qualité de l’air dans leurs feuilles de route sur la qualité de l’air (à établir d’ici 2028) démontrant que le dépassement sera aussi court que possible et que la valeur limite sera respectée au plus tard à la fin de la période de report. En cas de dépassement d’une limite ou d’une valeur cible ou d’un risque concret de dépassement des seuils d’alerte ou d’information pour certains polluants, le texte impose aux États membres d’établir :
Les co-législateurs ont également inclus des exigences plus souples pour l’établissement des plans d’action pour la qualité de l’air et à court terme dans les cas où le potentiel de réduction de certaines concentrations de polluants est fortement limité en raison des conditions géographiques et météorologiques locales. En ce qui concerne l’ozone, dans les cas où il n’existe pas de potentiel significatif de réduction des concentrations d’ozone au niveau local ou régional, une exemption à l’établissement de ces plans est prévue, à condition de fournir une justification détaillée. Les normes de qualité de l’air devront être revues par la Commission d’ici 2030 et tous les cinq ans par la suite, afin de les aligner sur les lignes directrices de l’OMS et de tenir compte des données scientifiques les plus récentes. Dans le cadre de son réexamen, la Commission devrait également évaluer d’autres dispositions de la directive, notamment celles relatives au report des délais fixés et à la pollution transfrontière. Sur la base de son réexamen, la Commission pourra proposer d’inclure d’autres polluants et de nouvelles mesures. La révision contient des dispositions visant à garantir l’accès à la justice pour les citoyens ou groupes, comme les ONG de santé publique et d’environnement, qui contesteraient sa mise en œuvre. Ces nouvelles règles imposent aux États membres de veiller à ce que les citoyens aient le droit de demander et d’obtenir réparation lorsque des dommages relatifs à leur santé ont été causés par une violation intentionnelle ou négligente des règles de la directive. Des sanctions tenant compte de la gravité et de la durée de l’infraction, de sa récurrence, des personnes et de l’environnement concernés, ainsi que des avantages économiques réels ou estimés découlant d’une infraction sont également prévus. Remise en contexteMalgré des améliorations majeures de la qualité de l’air dans l’UE au cours des trois dernières décennies, la pollution de l’air continue d’être la première cause environnementale de décès prématurés. Quasiment tous les Européens sont concernés par ce problème puisque 98% de la population de l’Union respire un air dont la pollution dépasse les recommandations de l’OMS. Cependant, il touche de manière disproportionnée les groupes vulnérables tels que les enfants, les personnes âgées et les personnes ayant des prédispositions, ainsi que les groupes socio-économiques défavorisés. Il a également un impact négatif sur l’environnement, causant des dommages aux écosystèmes et à la biodiversité. Pour comprendre l’impact des recommandations de l’OMS, prenons l’exemple des PM2.5. En l’état actuel, la concentration dans l’air de 25 µg/m³ cause une surmortalité de 16% en comparaison d’une concentration de 5 µg/m³. L’objectif de la Commission, fixé à 10 µg/m³, réduit cette surmortalité à 4%. Toute réduction ayant ainsi un impact conséquent sur le taux de mortalité, l’OMS recommande l’objectif de 5 µg/m³, ce que les co-législateurs n’ont pas décidé de suivre. L’avis des ShiftersBien que, comme tous les citoyens européens, ils soient préoccupés par la qualité de l’air et son impact sur la santé, les Shifters expriment ici leurs réserves principalement sur les implications environnementales de ce texte. En ce qui concerne la qualité de l’air, les objectifs liés à la santé et au climat convergent, comme on le voit dans la liste des sources de pollution identifiées par la Commission : le trafic routier, les sources industrielles, les ports, aéroports ou encore le chauffage résidentiel. Ainsi, ce texte devrait apporter des co-bénéfices importants pour le climat et, au-delà, pour notre cadre de vie quotidien. Ce texte contraignant est à saluer, puisqu’il fixe des objectifs chiffrés à une échéance relativement proche (2030) au regard des modifications structurelles que demande la réduction des émissions. Il prévoit par ailleurs un régime de sanctions nécessaire à sa bonne application. Cependant, il est regrettable qu’il contienne un nombre élevé de dérogations. Par les différents mécanismes de réduction des objectifs, de prolongation des délais et d’exceptions dérogatoires, le texte pourrait finalement n’avoir qu’un impact faible, au moins à court terme. Il est en effet à craindre que la justification des exceptions mobilisées soit difficile à évaluer pour la Commission, et que certains États cherchent ainsi à réduire l’objectif qui s’applique à eux. La réduction de la pollution de l’air nécessitant parfois une modification des moyens de production pour l’industrie, le coût nécessaire pourrait être une motivation importante pour déroger au texte, au bénéfice de l’économie nationale, mais au détriment de la santé des citoyens et de l’environnement. Si le texte devait être adopté tel quel, les Shifters appellent à la plus grande attention dans l’analyse des dérogations mobilisées, et à ce que les citoyens se saisissent du sujet en profitant du régime de recours prévu par le texte lorsque cela sera nécessaire. La modification des moyens de nous déplacer, de nous chauffer, de consommer ou, plus généralement, de vivre est nécessaire à l’atteinte des objectifs climatiques recommandés par le Shift Project. Ces changements peuvent avoir des répercussions positives dans bien des domaines et améliorer notre manière d’habiter le monde. Les Shifters appellent ainsi à ce que des objectifs ambitieux soient fixés, et à ce que ceux-ci soient tenus. 1 Révision de la législation de l’UE sur la qualité de l’air ambiant – Parlement Européen 2 Global Air Quality Guidelines – OMS |
La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project.
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