La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
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Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.
2024 | Semaine 10
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Sommaire |
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Notre sélection de la semaine
Réflexions décarbonées |
Notre sélection de la semaine |
Suite de notre analyse de la proposition de loi visant à réduire l'impact de l'industrie textilePortée par Anne-Cécile Violland (Horizons) Dans la précédente gazette1, nous avions évoqué la proposition de loi (PPL) relative à la réduction de l’impact environnemental de l’industrie textile. Portée par le groupe politique Horizons et soutenue par le gouvernement, la PPL sera examinée en première lecture ce jeudi 14 mars à l’Assemblée nationale. Le texte prévoit d’inscrire une définition de la fast-fashion dans la loi, une première, pour mieux la réguler ensuite (article 1). Les parlementaires à l’initiative de ce texte entendent ainsi renforcer la responsabilisation des consommateurs lors de leurs achats à l’aide d’un affichage environnemental pour les produits de la fast-fashion. Les entreprises actives sur ce segment de l’industrie textile sont également ciblées de façon plus contraignante : d’une part, des mesures visent à augmenter l’écocontribution et les pénalités pour les produits issus de la fast-fashion (article 2) ; d’autre part, les initiateurs préconisent l’interdiction de la publicité pour la mode éphémère (article 3). Renforcer le principe du pollueur-payeur : apporter des moyens supplémentaires à la filière de responsabilité élargie du producteur textile (REP)L’industrie textile génère de nombreux déchets : plus de 92 millions de tonnes par an2. Une première réponse française à la surproduction vestimentaire a été apportée via la responsabilité élargie du producteur (REP) dès 2008. La REP désigne le mécanisme mis en place favorisant l’économie circulaire en instaurant une obligation pour les producteurs ou distributeurs de textile de prendre en charge la fin de vie des articles et la gestion des déchets. Toutes les entreprises textiles doivent pouvoir contribuer à cette obligation, soit en confiant cette mission à Re-Fashion3, un éco-organisme agréé par l’État, soit par elles-mêmes dans certains cas minoritaires. Pour financer la collecte, le tri et la valorisation des déchets textiles, les producteurs et metteurs de produits sur le marché règlent une éco-contribution versée à Re-fashion. La PPL repose en partie sur l’évolution de la filière REP textile pour impliquer la mode éphémère dans le financement de la filière à hauteur de son impact environnemental. Le texte propose ainsi de moduler davantage l’écocontribution dont s’acquittent les metteurs sur le marché selon le coût carbone et environnemental de leur produit et selon leur responsabilité en matière de fast-fashion. Une montée en puissance progressive est prévue, avec un malus écologique pour les entreprises de la fast-fashion pouvant atteindre 10 euros maximum par vêtement en 2030, dans la limite de 50% du prix de vente4. Si les éco-modulations existent déjà5, elles ne sont à l’heure actuelle pas assez incitatives ou dissuasives (en raison de quelques centimes d’euros par article)6. Ces mesures visent à transformer les modèles de production et à détourner les consommateurs des produits jetables puisque les pénalités seraient a priori répercutées sur les prix. Vers davantage de contraintes à l’égard des entreprises de mode éphémère : l’interdiction de la publicité en jeuOutre le renforcement d’un malus écologique incitant directement les producteurs à modifier leurs pratiques commerciales, la PPL prévoit d’interdire la publicité pour les produits et entreprises de la fast-fashion. Selon le Shift Project, il est nécessaire de réorienter le marketing et la publicité pour promouvoir des comportements et modes de vie sobres – à faible empreinte carbone – afin d’accompagner les changements sociétaux nécessaires pour la transition écologique7. Le niveau de contrainte à adopter à l’encontre de la publicité fait débat : si pour certains l’interdiction s’impose comme une des solutions privilégiées, d’autres préfèrent une régulation du secteur reposant sur le discernement des consommateurs avertis (à l’aide d’un affichage environnemental ou éco-score). Pour combattre l’ultra fast-fashion, qui incite constamment à la consommation de nouveaux produits et qui crée peu d’emplois en France, l’interdiction de publicité apparaît comme une solide piste pour favoriser les marques plus responsables8. La sobriété, clef de réduction de l’empreinte environnementale ?Ce texte s’inscrit dans les objectifs de décarbonation d’une industrie fortement émettrice en visant la réduction de la consommation de vêtements jetables par divers moyens. Néanmoins, il néglige en partie le débat autour de la sobriété, en s’attaquant uniquement au symbole de la fast-fashion sans remettre en cause le besoin (artificiel) d’accumulation. D’après Oxfam, près de 70% des vêtements de nos garde-robes ne seraient pas portés. La controverse suscitée par le spot publicitaire de l’ADEME « les Dévendeurs », qui interroge nos véritables besoins de consommation, démontre toutefois que la question est hautement épineuse et ce, d’autant plus dans le contexte d’inflation et de difficulté financière du secteur du prêt-à-porter français9. Il convient enfin de souligner un autre angle mort de ce texte pourtant susceptible de réduire l’empreinte carbone de nos vêtements : la relocalisation d’industries textiles en France ou en Europe. En effet, environ 1/3 des émissions indirectes importées de la France sont liées à l’extraction et la transformation des matières premières à l’étranger, notamment pour la production de biens manufacturés (dont textiles). Le plan de transformation de l’économie française prône une réindustrialisation doublée d’une électrification de certains procédés afin de réduire l’empreinte carbone française. Parallèlement, le Shift Project appelle à renforcer la filière d’Après-première vie (APV)10 pour le recyclage, la réparation et réemploi afin d’augmenter la durée de vie des produits manufacturés et de limiter leur impact environnemental. Prolonger d’une année l’utilisation d’une robe en polyester (dont l’impact carbone est de 45kg eq. CO2 lors de sa fabrication) réduit son empreinte de 28kg eq. CO211. Le développement d’une filière de réemploi et de réutilisation française est un enjeu majeur, car seuls 35% des textiles et chaussures sont collectés en France aujourd’hui12. De plus, une grande partie des gisements collectés est exportée vers des pays tiers où ils ne sont pas toujours valorisables et se transforment en déchets textiles, incinérés ou enfouis dans des décharges13. Il reste que la capacité de valorisation des textiles est encore insuffisante et ne saurait constituer une solution miracle si les quantités mises en vente progressent encore. Ainsi, une réduction durable des impacts environnementaux de l’industrie ne saurait advenir sans une diminution de la consommation de vêtements neufs14. 2 Niinimaäki et al., 2020 3 L’écoconception dans le textile, zoom sur l’éco-organisme REFASHION – ADEME 4 Contre 20 % maximum pour les autres secteurs soumis à la REP d’après le code de l’environnement. 5 D’après le code de l’environnement, les contributions peuvent être modulées, sous forme d’un bonus-malus, en tenant compte de leur forte ou faible performance environnementale (durabilité, quantité de matière et matériaux recyclés, la possibilité de réemploi et de recyclabilité…). 6 Voir les barèmes écomodulés sur Re-fashion 7 Fiche métier – Marketing – The Shift Project 8 Publicité et transition écologique – Ministère de la Transition écologique et solidaire 9 Face au Black Friday, l’Ademe dégaine ses dévendeurs – Le Point 10 Décarboner l’industrie sans la saborder – The Shift Project 11 Allonger la durée d’usage des objets : un gain pour la planète et pour le porte-monnaie – ADEME 12 Point sur la réforme de la filiere REP des textiles – Ministère de la Transition écologique et solidaire 13 Fast fashion : impacts, alternatives et moyens d’agir – OXFAM 14 L’exercice de prospective Transitions 2050 réalisé par l’ADEME identifie la baisse de la demande de biens manufacturés comme l’un des facteurs efficace pour réduire l’empreinte carbone (émissions directes et indirectes), au côté du développement de l’économie circulaire et de la relocalisation de certaines industries. |
Réflexions décarbonées |
Consultation sur la finance durable européenne : de premiers changements envisagés
Après un premier article1 sur le bilan des résultats du règlement SFDR2, le groupe Shifters in Finance3 se penche aujourd’hui plus en détail sur la consultation4 menée par l’EIOPA (Autorité européenne sur les assurances et les retraites), auprès des parties prenantes sur les différentes manières de modifier son règlement. Il s’agissait d’explorer différentes pistes d’évolution et de possibles simplifications à apporter afin d’améliorer la pertinence et l’utilité des informations publiées dans le cadre du reporting SFDR. Rappelons que le règlement SFDR vise avant tout l’appropriation par le marché de labels définis par les articles 8 et 9 et permettant de garantir la transparence et la cohérence des informations publiées par les participants à l’attention des marchés financiers autour de la durabilité de leur activité. La consultation explore de nombreuses pistes d’amélioration, regroupées en deux grandes catégories : les informations à publier à l’échelle de l’entité (i.e. le gestionnaire d’actifs) et celles à publier produit par produit. Les informations publiées à l’échelle de l’entrepriseConcernant ce premier volet, les Shifters considèrent que ces informations sont utiles notamment dans la lutte contre le greenwashing, en contribuant notamment à restreindre une certaine tendance au green lighting, i.e. la mise en avant de produits ou services ayant en réalité une faible importance au sein de l’ensemble des produits distribués par l’entité gestionnaire d’actifs. À ce propos, certains indicateurs d’impact (en anglais PAI) apparaissent essentiels, notamment les émissions de GES, ainsi que la part d’exposition aux émetteurs travaillant dans l’industrie fossile et/ou ayant un fort impact sur la biodiversité. Au-delà du nécessaire reporting, les Shifters insistent sur l’homogénéité et la continuité de ces indicateurs à des fins de comparaison entre acteurs et dans le temps. Il doit s’agir également d’aller plus loin que le simple agrégat de données en ajoutant des seuils minimaux, des objectifs d’amélioration, des engagements actifs auprès des entreprises sous-traitantes. Il convient de préciser également la politique de gestion adoptée en cas d’évolution négative. Par ailleurs, la consultation interroge sur l’intérêt et la possibilité de rationaliser les différentes réglementations ayant trait à la durabilité. Si des améliorations sont évidemment possibles, il est essentiel de considérer ces différentes réglementations comme un ensemble cohérent et interconnecté, pour améliorer la transparence des gestionnaires d’actifs et apporter aux investisseurs finaux une information de qualité. Le SFDR a donc toute sa place dans ce dispositif mais doit bien être mis en cohérence avec les réglementations concernant l’émetteur du produit financier (directive CSRD), jusqu’au distributeur de produits financiers (directive Mifid 2) en passant par la classification des activités à impact (via la taxonomie). Quelle forme doivent prendre les publications concernant les produits ?Les Shifters considèrent que ce niveau d’information est essentiel, d’autant plus s’il pouvait être mieux articulé avec les informations publiées au niveau macro. Par ailleurs, il est essentiel d’améliorer la forme adoptée dans les publications, en les rendant l’information le plus concise et factuelle possible afin de faciliter la comparabilité des produits financiers. De plus, l’ensemble des produits financiers dépassant un montant minimum d’actifs sous gestion, même en l’absence d’une affirmation commerciale de durabilité, devrait faire l’objet d’une obligation de publication d’un corpus uniforme et minimum d’informations extra-financières. Celles-ci pourraient être à la fois qualitatives et quantitatives, par exemple les émissions de GES, l’impact sur la biodiversité, la gestion des controverses, les exclusions d’investissement, la stratégie d’engagement, etc. Enfin, certains produits visant des thématiques spécifiques (par exemple la prise en compte de critères sociaux) pourraient également faire l’objet de publications supplémentaires. De plus, toujours au regard du caractère crucial des enjeux liés à la durabilité, les Shifters suggèrent fortement que l’information soit publiée de façon accessible sur les pages internet des gestionnaires, et qu’elle soit le plus complète et compréhensible possible. Ces publications ne devraient pas faire l’objet d’exceptions en fonction de régulations locales spécifiques ou de règles de confidentialité, afin que les enjeux de la durabilité prévalent sur les contraintes assez discutables de l’activité courante, mises en avant par les entreprises. Enfin, un équilibre reste à trouver dans les règles de publication, car tout en appuyant la comparabilité des produits financiers, il s’agira de tenir a minima compte des spécificités inhérentes aux différentes classes d’actifs. En définitive, toutes ces suggestions visent à contribuer à une meilleure prise en compte de ces informations par les investisseurs particuliers bien sûr, mais également à soutenir les travaux de recherche des ONG et des universitaires. Dans un souci de simplification des informations, la Commission interroge sur la pertinence de « publier certains indicateurs sous la forme d’une note fonction d’une échelle » (une sorte de nutriscore financier). Cette proposition risque cependant selon les « Shifters in Finance » d’être à l’origine d’une déperdition immédiate d’information, et de reproduire la logique de labellisation involontaire des produits déjà constatés avec les articles 8 et 9. En conclusion, les Shifters suggèrent d’élargir les critères à prendre en compte pour définir les informations, notamment certains aspects comme la taille des entreprises investies ou la nature du secteur économique considéré, et ce afin d’être plus pertinent et de ne pas pénaliser l’investissement vers des acteurs vertueux et/ou n’ayant pas la capacité aujourd’hui de transmettre des données de qualité. En revanche, en suivant la logique de la CSRD, il serait très souhaitable que les incitations soient identiques, quels que soient les pays d’origine ou le type de produit financier. Sous réserve d’un contrôle adéquat, des exceptions pourraient aussi être admises pour les investissements vers des économies émergentes, afin de ne pas en détourner les gestionnaires. 3 Shifters in Finance, groupe visant à éclairer la finance traditionnelle sur ses manquements et les nouvelles possibilités qui s’ouvrent à elle pour se régénérer. |
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