La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2024 | Semaine 06

Chère lectrice, cher lecteur,

Cette semaine, la Gazette vous entraîne dans la filière agricole et alimentaire, les deux pieds dans la glèbe, actualité oblige :

  • Quels revenus agricoles dans la transition énergétique ?
  • Pourquoi trier les biodéchets à la source

Bonne lecture

Sommaire

Questions émissions

Réflexions décarbonées

Questions émissions

en partenariat avec Logo Dixit

Pourquoi trier à la source les biodéchets

Portée par Jean-François Lovisolo (Renaissance)

M. Jean-François Lovisolo, député Renaissance de la 5e circonscription du Vaucluse, s’inquiète de la gestion par les collectivités du tri à la source des biodéchets1 – rendue obligatoire par la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire dite « AGEC » au 1er janvier 2024, en conformité avec la législation européenne – et demande à l’État la mise en place de diverses mesures d’accompagnement (soutien financier, incitations fiscales, communication auprès des populations, etc.). Cet article n’entend pas faire état de la pertinence de chacune des mesures demandées mais plutôt éclairer sur les apports du tri à la source des biodéchets à l’atténuation du changement climatique.

En France, le secteur des déchets est responsable de 3,7 % des émissions de GES2, qui sont dans leur très grande majorité dues à la décomposition en décharge des biodéchets. En effet, lorsque ce type de déchets est enfoui, il se dégrade en milieu anaérobie (en absence d’oxygène), ce qui provoque la libération de méthane, un gaz dont le pouvoir de réchauffement global est 25 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone (CO2). La mise en décharge étant à elle seule responsable de 21 %2 des émissions de méthane françaises, le tri à la source des biodéchets est un levier fort de réduction des émissions de ce gaz car il facilite la valorisation de ces déchets :

  • Soit par compostage : cette dégradation en milieu aérobie (ce qui suppose un brassage régulier du compost) produit certes du CO2, mais dans des quantités entraînant un pouvoir de réchauffement bien moindre que la mise en décharge ;
  • Soit par méthanisation : le biogaz issu de la décomposition est capté. Il peut ensuite être purifié en biométhane pour être utilisé comme carburant, être injecté dans le réseau de gaz naturel ou encore permettre la production d’électricité et de chaleur (cogénération). Cette voie de valorisation nécessite cependant plus d’investissement que celle du compostage.

Le potentiel de réduction des émissions de GES ne s’arrête pas à la diminution des émissions liées à l’enfouissement. D’une part, près du tiers des déchets est actuellement incinéré3. Or, les biodéchets étant composés à 80 % d’eau, les incinérer est énergivore : les exclure des ordures ménagères résiduelles permet d’augmenter le rendement de l’incinération avec récupération d’énergie.

D’autre part, le compost obtenu peut limiter des apports en engrais de synthèse dans le secteur agricole, ce qui a un impact non négligeable sur l’empreinte carbone du secteur agricole. D’après une étude publiée en février 2023 dans la revue Nature4, les engrais minéraux représentent environ 5 % des émissions de GES mondiales. Les deux tiers de ces émissions proviennent de leur utilisation dans les champs, le tiers restant étant émis au cours de la production des engrais minéraux, qui requiert de synthétiser de l’ammoniac au cours d’un processus particulièrement énergivore, ainsi que de l’hydrogène, aujourd’hui principalement produit par reformage du méthane issu d’énergies fossiles. Dans le cadre de la planification écologique, le gouvernement s’est fixé pour objectif une baisse de 30 % (soit -6MtCO2eq) de la consommation d’azote minéral en 2030 sans pour autant faire un lien avec la ressource que constituent les biodéchets.

En contrepartie, mettre en œuvre un tri à la source et des filières de valorisation des biodéchets nécessite des moyens supplémentaires : installations de valorisation, et transport pour la collecte si une valorisation ne peut être organisée en proximité par exemple via du compostage individuel ou de quartier. Mais ces moyens supplémentaires peuvent être partiellement contrebalancés par :

  • Des investissements moindres dans les installations de stockage des ordures résiduelles (déchetteries) : le tiers des ordures ménagères résiduelles (OMR) est constitué de biodéchets5, le volume à stocker peut être réduit d’autant, entraînant ainsi un besoin moindre pour ce type d’installations ;
  • Une optimisation de la collecte des OMR et de celle des biodéchets en fonction des caractéristiques du territoire : moins de déchets dans la poubelle « grise », en particulier des déchets putrescibles tels que les matières organiques, c’est également un besoin moindre de collecte.

À titre d’exemple, la communauté de communes de Thann-Cernay6 collecte les biodéchets de façon séparée depuis 2010 : en permettant d’alléger la poubelle grise de 60 kg par habitant et par an, l’une des tournées de ramassage des OMR a été supprimée pour être remplacée par celle des biodéchets. L’impact du tri à la source des biodéchets sur les finances de la collectivité a ainsi pu être contenu, tout comme les besoins en transports pour la collecte.

En conclusion, même s’il n’est pas possible d’établir à l’heure actuelle un bilan précis des émissions évitées grâce au tri à la source des biodéchets – celui-ci dépendant du respect des consignes de tri par la population et des modalités de collecte et filières de valorisation retenues par chaque collectivité – celui-ci sera certainement positif : selon le gouvernement7, ce sont 800 000 tonnes de GES qui pourront être évitées par grâce à cette nouvelle mesure.

Tous ces éléments mettent en évidence la pertinence de déployer le tri des biodéchets en France. The Shift Project, dans les Cahiers de la résilience des territoires8, voit cette nouvelle obligation de tri comme une opportunité de restaurer le lien entre ville et campagne autour des biodéchets. Dans cette optique, il recommande de valoriser 100 % des biodéchets pour la transition agroécologique via notamment 3 leviers d’actions : le développement des partenariats locaux de réduction et de valorisation des biodéchets, le fait d’encourager le compostage à domicile comme premier pas vers l’autoproduction des citoyens et enfin, l’expérimentation de la collecte et la valorisation des excrétas humains.

1 L’article L. 541-1-1 du code de l’environnement définit les biodéchets comme : « Les déchets non dangereux biodégradables de jardin ou de parc, les déchets alimentaires ou de cuisine provenant des ménages, des bureaux, des restaurants, du commerce de gros, des cantines, des traiteurs ou des magasins de vente au détail, ainsi que les déchets comparables provenant des usines de transformation de denrées alimentaires ».

2 Bilan des émissions en France de 1990 à 2022 – Rapport d’inventaire SECTEN

3 Données : ADEME, enquêtes collecte et traitement, filières REP. Traitement : Service des données et études statistiques (SDES) du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires

4 Agriculture et climat : le bilan carbone des engrais peut être réduit de 80 % d’ici 2050 – France 24

5 Tri à la source des biodéchetsADEME

6 Tri des biodéchets : pourquoi s’y préparer dès maintenant ?ADEME

7 Tri à la source des biodéchets : comment va-t-il se mettre en place à partir du 1er janvier 2024

8 Voir Les cahiers Comment transformer nos territoires et le rapport Focus sur l’agriculture et l’alimentation

▲ Sommaire

Réflexions décarbonées

Quels revenus agricoles dans le cadre de la transition écologique ?

Les dernières semaines ont été marquées par de nombreuses manifestations des agriculteurs, signe d’un mécontentement général qui s’était d’abord traduit en fin d’année 2023 par une opération « On marche sur la tête » lancée à l’initiative du syndicat majoritaire des agriculteurs, la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) et du syndicat JA (Jeunes Agriculteurs), initiative matérialisée par des panneaux retournés à l’entrée des communes.
Les revendications affichées sont multiples, la première d’entre elle étant la demande d’un « revenu digne ».

Si l’impératif de la transformation du secteur agricole est de plus en plus documenté (pour rappel, il représente 19% des émissions nationales de gaz à effet de serre en 20211), , tant la trajectoire à emprunter que les moyens à déployer sont loin de faire consensus.

Cet article présente les mesures prises récemment par le gouvernement en lien avec le revenu agricole et rappelle les propositions du Shift Project sur les enjeux économiques et sociaux de la transition agricole, propositions qui feront d’ailleurs l’objet d’un approfondissement dans le cadre du projet « Agriculture », lancé en juillet 2023 et dont le premier rapport est attendu en juin 2024.

Retraits, pauses, aides financières… point sur les mesures gouvernementales

Le premier volet de mesures date du 5 décembre dernier, avec l’annulation de deux dispositions prévues dans le projet de Loi de finances 2024, d’une part la hausse de la redevance pour pollution diffuse (RPD) perçue sur les ventes de pesticides, d’autre part la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau.

Devant la généralisation du mécontentement, 10 mesures complémentaires ont été annoncées le 26 janvier, d’application à court terme. Il s’agissait notamment :

  • d’annuler la hausse du Gazole Non Routier agricole (GNR),
  • de débloquer des fonds d’urgence pour aider à la fois les éleveurs bovins face à la maladie hémorragique épizootique, la filière biologique et les viticulteurs,
  • de renforcer les contrôles du respect par les industriels et distributeurs de la loi dites Egalim 1 (2018) pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire/

La colère ne faiblissant pas, un nouveau paquet de mesures a été adopté le 1er février impactant plus indirectement le revenu agricole.

Les recommandations du Shift Project sur l’agriculture

Le Shift Project a établi une feuille de route en 2021 ciblant 5 points dans son Plan de Transformation de l’Économie Française2.

  • Accompagner l’installation et le renouvellement de la population agricole (divisée par 4 depuis 1980) en généralisant les pratiques agroécologiques.
  • Réduire les produits d’origine animale tout en rémunérant mieux les éleveurs.
  • Diminuer le gaspillage et les emballages ainsi que la déforestation importée (le soja importé ayant peu à peu supplanté la luzerne française dans l’alimentation des animaux d’élevage par exemple).
  • Raccourcir les chaînes d’approvisionnement (circuits courts, production locale, autonomie fourragère, etc.) et recycler les nutriments.
  • Planifier une filière biocarburants pour les besoins restants de l’aviation et les usages critiques.

Comment mettre en place la transition selon le Shift et pour quelle rémunération des agriculteurs ?

Le Shift Project a estimé que l’agriculture verrait la plus forte hausse nette d’emplois d’ici à 2050, avec près de 500 000 emplois supplémentaires sur les trente prochaines années. La hausse résulterait notamment de la relocalisation de la production de fruits et légumes (+ 366 000), de la généralisation des pratiques agroécologiques (+ 133 000), et de l’intégration d’activités de valorisation par les producteurs (+ 42 000). Ces nouveaux emplois compenseront la baisse de la transformation de produits animaux et du négoce (- 79 000), liée à la relocalisation des systèmes agricoles. Pour que cette hausse soit effective, il est nécessaire que le métier d’agriculteur soit attractif et donc rémunérateur.

Le Shift Project propose de garantir une rémunération correcte des actifs agricoles tout en gardant un prix de l’alimentation accessible pour les consommateurs. S’agissant de la production agricole, une diminution importante doit donc être recherchée sur les charges liée à l’adoption de pratiques agroécologiques (notamment la moindre utilisation des engrais minéraux) ainsi qu’une augmentation du prix payé à l’exploitant agricole liée à un partage plus équitable de la valeur ajoutée jusqu’au consommateur. S’agissant du consommateur, son assiette moyenne devra être modifiée en faveur des végétaux qui limitera la hausse des coûts de l’alimentation. Ces approches font l’objet d’approfondissements par le Shift Project d’ici à juin 2024.

Une meilleure rémunération des agriculteurs est déterminante afin de rendre attractif les métiers agricoles nécessaires à la transition écologique du secteur. A cet égard, les mesures des lois Egalim relatives à l’encadrement des négociations commerciales répondent à l’enjeu de juste répartition de la valeur ajouté des produits agricoles. Les mesures sectorielles d’urgence semblent nécessaires mais ne permettent pas de planifier la transition du secteur.
Il est également nécessaire de ne pas mettre en place des mesures allant à l’encontre de cette transition. L’abandon de la fin des avantages fiscaux du secteur agricole concernant la taxe sur l’importation et la consommation de produits énergétiques (TICPE),du Gazole Non Routier agricole (GNR) en est un exemple (cf. La Gazette 38 de septembre 2023)3.

Ces manifestations illustrent la complexité de la transition écologique du secteur agricole. Les travaux approfondis du Shift sur le sujet permettront d’apporter un cadrage objectif afin qu’il puisse ensuite servir à associer un maximum de parties prenantes du secteur agricole dans ce projet de transition ce qui limitera les blocages.

1 Bilan des émissions en France de 1990 à 2022 – Rapport d’inventaire SECTENCITEPA

2 Plan de Transformation de l’Économie Française – The Shift Project

3 Sujet traité précédemment dans la Gazette en septembre 2023

▲ Sommaire

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