La gazette du carbone

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The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

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Une fois par mois, la Gazette voyage à Bruxelles pour y apporter l'expertise du Shift Project et intégrer cette dernière au débat parlementaire européen.

décembre 2023

Chère lectrice, cher lecteur,

Pour terminer l’année 2023 aussi bien que possible, la Gazette vous propose trois articles sur :

  • les priorités de la Présidence belge de l’UE pour le premier semestre de 2024,
  • le Règlement européen sur les emballages et déchets d’emballage (PPWR),
  • l’adoption des 12 premières normes européennes de reporting sur la durabilité CSRS.

Nous vous souhaitons par ailleurs d’excellentes fêtes de fin d’année et nous réjouissons de vous retrouver en janvier après cette période de vacances.

Excellente lecture et Joyeux Noël !

Sommaire

Les priorités de la présidence belge

La présidence belge du Conseil de l’UE débutera le 1er janvier 2024 pour une durée de 6 mois, suite de la présidence espagnole. Ce rôle, que chacun des États Membres est amené à tenir, a un impact direct sur les travaux législatifs européens. En décidant de l’agenda du Conseil de l’UE, la présidence choisit les sujets prioritaires de l’institution et ainsi les travaux qu’elle mènera. Six thématiques ont été priorisées par la présidence belge dans son programme1 :

  1. Défendre l’état de droit, la démocratie et l’unité
  2. Renforcer notre compétitivité
  3. Poursuivre une transition écologique et juste
  4. Renforcer notre agenda social et sanitaire
  5. Protéger les personnes et frontières
  6. Promouvoir une Europe mondiale

En ce qui concerne la transition écologique, alors que la présidence espagnole est parvenue à de nombreuses avancées sur des textes clés, le programme de la présidence belge souligne l’importance d’une action décisive et systémique et indique placer la transition énergétique et climatique au cœur de ses priorités. Afin de réduire les vulnérabilités au changement climatique, elle souhaite renforcer l’économie circulaire de l’Union et ses capacités d’adaptation et de préparation. Elle mentionne également l’importance d’une gestion durable de l’eau, de la fourniture d’une énergie abordable aux citoyens et aux entreprises et d’une sécurité d’approvisionnement solide et fiable. De plus, sont prévus des investissements accrus pour mettre en place un réseau énergétique européen « flexible et intégré ».

Plus précisément, la présidence belge espère finaliser les négociations sur le cadre de certification des techniques d’absorption du carbone2, ainsi que la révision des normes d’émission pour les véhicules utilitaires lourd3. Elle entend également poursuivre les négociations sur plusieurs autres textes dont la proposition de règlement sur les emballages et déchets d’emballages4, la révision de la directive sur la qualité de l’air5, ou encore la directive sur le traitement des eaux urbaines résiduelles6.

En complément de ce programme, la présidence belge sera amenée à poursuivre les travaux actuels du Conseil, parmi lesquels figure la révision à mi-parcours du Cadre Financier Pluriannuel 2021-2027 [7], l’outil de planification budgétaire de l’UE. Ce dossier d’ampleur devra trouver un accord (comme nombre d’autres) avant les élections européennes de juin 2024, alors que des divergences importantes existent, notamment entre l’Allemagne, en faveur de la réduction de la dette, et la France, en faveur de l’investissement public. De plus, si un terrain d’entente est trouvé, il restera soumis à l’approbation du Parlement avant son adoption définitive…

Le programme proposé semble ambitieux et conforme aux attentes du Shift Project sur de nombreux points. Toutefois, l’implémentation de ce plan d’action pourrait rencontrer des difficultés, notamment en raison du contexte politique européen, de la guerre en Ukraine, et des autres objectifs de la présidence. Le sujet de la transition écologique pourrait en effet passer au second plan devant les 150 textes mis au programme de la présidence… La rubrique UE de la gazette gardera un œil attentif au maintien de ce niveau d’ambition pour l’année 2024 !

1 Programme de la présidence belge du Conseil de l’EU

2 La certification des techniques d’absorption du carbone

3 Révision des normes d’émission pour les véhicules utilitaires lourd

4 Proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif aux emballages et déchets d’emballages

5 Proposition de révision de la directive sur la qualité de l’air

6 Directive sur le traitement des eaux urbaines résiduelles

7 Le budget à long terme de l’UE

▲ Sommaire

Règlement européen sur les emballages et déchets d’emballage (PPWR)

Le 22 novembre 2023, le Parlement européen a voté en plénière un texte pour réduire, réutiliser et recycler les déchets d’emballages. En 2021, un Européen générait en moyenne 188,7 kg de déchets d’emballage par an1. Ce nouveau règlement a pour objectif de réduire le volume d’emballage dans l’ensemble de l’Union européenne (UE).

En UE, les déchets d’emballages ont augmenté de 20% en dix ans et, sans nouvelle mesure, atteindront 19% supplémentaires en 2030. Le 30 novembre 2022 la Commission a donc fait une proposition de règlement relatif aux emballages et déchets d’emballages (PPWR) avec l’objectif que tous les emballages soient recyclables d’ici 2030 et que le volume de déchets soit réduit de 15% par habitant d’ici 2040 (par rapport à 2018).

Réduire, réutiliser, recycler

Le texte fixe plusieurs ambitions : l’obligation d’atteindre une quantité minimum de contenu recyclé dans les emballages d’ici 2025, le caractère recyclable de tous les emballages dès 2030 et recyclés dès 2035, un étiquetage harmonisé et QR code sur les emballages pour donner des informations sur la composition et le tri, un niveau contraignant de réemploi des emballages pour chaque secteur, un système de consigne dans chaque État pour les bouteilles en plastique et les cannettes d’ici 2029 et l’objectif général de réduire les déchets d’emballage de 5% d’ici à 2030, de 10% d’ici à 2035 et de 15% d’ici à 2040.

Lors du vote en plénière, une grande part des objectifs de la proposition de la Commission ont été conservés mais des exceptions ont été négociées. Les députés Renew ont déposé un amendement pour obtenir une exception à l’interdiction des emballages à usage unique sur le bois et la cire. Les boîtes de camembert ne disparaîtront donc pas.

En amont du vote, les députés de la commission Environnement du Parlement européen avaient trouvé un accord soutenant la rapporteuse Frédérique Ries (PPE) qui mettait en avant l’importance du réemploi plutôt que de la recharge. Elle a mentionné l’importance d’un changement au niveau de l’industrie plutôt que d’en laisser la responsabilité au consommateur.

Réduire…

En Europe, les emballages sont une source croissante de déchets : ils représentaient 66 millions de tonnes en 2009 contre 84 millions en 2021. Le vote d’un objectif de réduction des déchets de 15% par personne d’ici à 2040 est donc une victoire.

40% de ces déchets d’emballage sont en papier et carton et 19% sont en plastique. L’industrie du papier et du carton représente 0,6% de la part des émissions de GES en France2. Trois milliards d’arbres sont coupés chaque année pour répondre à la demande toujours grandissante3 alors même qu’ils sont d’essentiels puits de carbone. Par ailleurs, les emballages en plastique participent à notre dépendance aux énergies fossiles. Ils représentent 39% des plastiques utilisés en Europe et 65% d’entre eux terminent en décharge ou en incinérateur où ils continuent à polluer4.

…Recycler et réutiliser

Les eurodéputés ont aussi permis une avancée sur la consigne de certains contenants. La mise en place de consigne généralisée pour les bouteilles en plastique et les cannettes d’ici 2029 encourage au recyclage et fixe des orientations pour tous les États membres. Mais elle est conditionnée par un taux de collecte inférieur à 85%.

On soulignera également la fin des colis surdimensionnés avec un maximum de 40% d’espace vide entre l’emballage et le produit, l’interdiction de substances dangereuses comme les PFAS (polluants éternels) et le bisphénol A (perturbateur endocrinien) ou l’interdiction des sacs plastiques très légers..

Des ambitions sapées par un lobbying intensif

Les lobbies ont été influents lors des négociations. Leurs objectifs d’attaquer les interdictions sur les emballages à usage unique et les contraintes de réemploi proposées initialement par la Commission ont été atteints. Le modèle du recyclage et du jetable s’est imposé.

Le lobby de la restauration rapide gagne sa bataille

En 2018, le secteur de l’emballage représentait 355 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans l’UE et son industrie a pesé dans les négociations. Les stratégies des groupes d’intérêt ont influencé la commission Industrie et la commission Agriculture, qui ont affaibli le texte en supprimant les objectifs de réemploi pour 2040 [5].

Sur l’interdiction de la vaisselle à usage unique pour les aliments et boissons dans la restauration sur place, le lobbying a été puissant. Foodservice, qui représente notamment McDonald’s et Starbucks, est allé jusqu’à enfreindre des règles de transparence en déposant des flyers aux portes des eurodéputés vantant les mérites du carton recyclable6.

Les lobbies de la restauration et du papier défendaient l’idée selon laquelle le réemploi est plus gourmand en ressources d’énergie et d’eau que le carton recyclable issu de forêts gérées durablement. Cependant, le réemploi reste la solution la moins carbonée. Selon l’Agence fédérale allemande pour l’environnement7, les émissions de CO2 des emballages cartons sont deux fois plus élevées que les contenants réutilisables. Certains députés ont cédé aux pressions et la vaisselle jetable restera donc autorisée, seule une obligation d’accepter les contenants apportés par les clients sera mise en place.

Les députés italiens vent debout contre la réduction des emballages et le réemploi

Par ailleurs, les députés italiens de la droite et du centre, surreprésentés dans des positions clés dans les commissions, ont tenté d’influencer la rapporteuse Frédérique Ries pour diminuer l’ambition du texte sur la réduction des emballages à usage unique et le réemploi8. Se réappropriant les arguments des lobbies, les députés italiens ont mis en avant le risque de perte d’emploi pour 6,3 millions de personnes, alors qu’en réalité l’industrie du papier réduit depuis des années son nombre de salariés et délocalise ses usines en Amérique latine9.

La rapporteuse a proposé un compromis qui supprime des obligations de réemploi prévues pour les emballages de vente à emporter de boissons et aliments. Si tous les secteurs se voient imposer des niveaux de réemploi, la restauration y échappe. Mais sans taux minimal obligatoire, les emballages à usage unique resteront la norme.

Sur l’interdiction des emballages à usage unique, une liste en annexe du texte détaille les produits concernés dont les flacons miniatures dans les hôtels, les emballages sur des produits emballés eux-mêmes, les emballages à usage unique de condiments, sauces, crèmes et café. Les emballages des fruits et légumes ne seront finalement pas interdits. Une exception porte sur les interdictions si un taux minimum de collecte pour recyclage est atteint. Cette mesure est critiquée par certaines associations car elle n’encourage pas à la réduction des emballages.

Le recyclage préféré au réemploi

Plus généralement, le recyclage a été plus soutenu que la réduction et le réemploi, sous l’influence du lobbying de l’industrie. L’association Zéro Waste France affirme que « si le soutien aux mesures visant à rendre tous les emballages recyclables contribuera à relancer les niveaux de recyclage stagnants dans l’Union, il ne fera rien pour réduire les niveaux records de production de déchets »10.

Le rapport du Shift Project sur l’industrie11 soulève l’importance d’une filière d’après première vie (APV) et encourage la réparation et la réutilisation. Quel que soit l’intérêt du recyclage, réduire les emballages et améliorer la durée de vie d’un bien restent les leviers principaux pour la réduction des pollutions et émissions GES. D’une part, le recyclage est souvent impossible pour des produits qui ont plusieurs couches et contiennent des additifs chimiques. D’autre part, il demande de grandes ressources en énergie, rarement décarbonée. Faire fondre le verre pour le recycler en une nouvelle bouteille demande plus d’énergie que de la réutiliser et une bouteille réemployable en PEHD (ens des initiales) émet 65 % d’émissions de GES de moins que son équivalent à usage unique12.

Les députés s’accordent à dire que le lobbying des industriels a été puissant lors des négociations et du vote du règlement sur les emballages. Les ambitions ont été revues à la baisse mais des points positifs peuvent quand même être dégagés, notamment sur les objectifs de réduction des déchets et l’interdiction de substances chimiques.

Les prochaines étapes

Le règlement a maintenant été renvoyé au Conseil qui poursuit les négociations. Les États membres sont divisés avec la France, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, l’Autriche, la Suède en faveur d’un texte ambitieux, contre un groupe mené par l’Italie et la Finlande. L’Allemagne garde un positionnement ambigu. Les questions du réemploi et des restrictions d’usage des emballages seront négociées ce mois-ci.

11 ONG dont Surfrider fondation et Zéro Waste appellent le ministre de l’Environnement, Christophe Béchu, à défendre les acquis de la loi Agec, notamment sur le maintien de l’interdiction des emballages à usage unique dans la restauration sur place13. Le Conseil pourrait décider de laisser une certaine flexibilité aux États et ainsi leur permettre d’aller plus loin que le règlement européen.

1 L’augmentation record de production de déchets d’emballage dans l’UE

2 The Shift Project, « Décarboner l’industrie sans la saborder »

3 Fern (2023), « Le coût humain du suremballage »

4 Zéro Waste France (2023) « Qu’attendre du futur règlement européen sur les emballage ? »

5 EEB (2023) « Industry Committee attempt to undermine new EU packaging law »

6 Euractiv (2023) « Le lobbying sur la loi relative aux emballages enfreint les règles de transparence du Parlement européen »

7 Rethink plastic alliance (2023) « Fact sheet : Reusable Take-away Packaging »

8 Euractiv (2023) « Règlement sur les emballages : les eurodéputés italiens font pression pour assouplir la législation »

9 Environmental Paper Network (2023) « Paper packaging industry myth busting »

10 Zero Waste France (2023) « Règlement Européen Emballages et Déchets d’Emballage
Réaction des ONG environnementales »

11 The Shift Project, « Décarboner l’industrie sans la saborder »

12 Zero Waste Europe (2020) « Reusable vs single-use packaging »

13 Nouvel Obs (2023) « Réduction des emballages : dernière chance pour la France de relever l’ambition européenne »

▲ Sommaire

CSRS : adoption des 12 premières normes européennes de reporting sur la durabilité

Le Parlement européen a adopté le 18 octobre dernier l’acte délégué relatif à un premier jeu de 12 normes européennes de reporting sur la durabilité1, déjà adopté le 31 juillet par la Commission européenne2. Ces “European Sustainability Reporting Standards” (ESRS) établissent un standard commun à toutes les entreprises européennes en matière de déclarations extra-financières concernant les enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance (ESG) liés à l’activité de l’entreprise, et entreront en vigueur à partir de 2024.

Objectifs : amener ces informations au même niveau de standardisation et de rigueur que les informations financières, permettre aux investisseurs et autres parties prenantes (citoyens, autres entreprises etc.) de prendre en compte ces informations extra-financières dans leurs décisions économiques, et inciter ainsi l’orientation des flux financiers privés vers des activités plus durables, ou plus favorables à la transition écologique et énergétique.

Contexte

Les standards ESRS découlent de normes déjà existantes3 : en 2014, la Commission européenne introduisait une obligation de Déclaration de Performance Extra-Financière4 (DPEF, pour Non-Financial Reporting Directive, NFRD). Celle-ci laissait le champ libre aux entreprises quant au choix de la méthodologie de reporting qu’elles suivraient. Malgré la publication de consignes supplémentaires en 2017 et 20195, les obligations de déclarations demeuraient jusque là peu claires et peu contraignantes.

En 2022, la Commission européenne a en conséquence adopté la directive CSRD6 (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui étend le nombre d’entreprises soumises à obligation de déclarations, lesquelles devront désormais être faites dans une section dédiée du rapport de gestion et vérifiées par un commissaire aux comptes ou un auditeur extérieur7. Cette directive prévoyait d’établir des standards de reporting extra-financier communs auxquels les entreprises devraient se conformer : c’est là qu’interviennent les ESRS, qui ont vocation à encadrer strictement ces informations de durabilité des entreprises.

CSRD et ESRS constituent des piliers de la stratégie de finance durable de l’Union européenne. Elles s’intègrent dans le Pacte vert européen, qui vise à faire de l’Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d’ici à 2050. Elles font partie d’un arsenal juridique comprenant d’autres mesures visant à améliorer la transparence et la fiabilité de l’information extra-financière, comme par exemple la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), sorte de contrepartie de la NFRD pour les actifs financiers.

La directive CSRD et les normes ESRS s’appliqueront progressivement entre 2024 et 2028, en commençant par les grandes entreprises européennes et en terminant par les PME cotées. À terme, 50 000 entreprises seront concernées à l’échelle de l’UE8.

Présentation des ESRS

Les ESRS ont été élaborés par l’EFRAG9, qui les a amendés et simplifiés au terme d’un processus consultatif, en alignement avec les autres grandes initiatives internationales10, afin d’éviter la multiplication des reportings et ainsi faciliter la mise en application pour les entreprises.

Un élément central des ESRS est le principe de double matérialité : les entreprises doivent rapporter à la fois l’impact des sujets ESG sur leur activité, mais aussi l’impact de leurs activités sur des problématiques environnementales et sociales définies.

Les normes transversales posent les principes généraux et fournissent des informations générales sur les publications attendues des entreprises. Ensuite viennent cinq normes portant sur l’environnement, chacune sur une thématique :

  • changement climatique ;
  • pollution ;
  • eau et ressources marines ;
  • biodiversité et écosystèmes ;
  • gestion des ressources et économie circulaire

S’y ajoutent quatre normes sociales :

  • main d’œuvre de l’entreprise ;
  • employés de la chaîne de valeur ;
  • communautés concernées ;
  • consommateurs et utilisateurs.

Une norme sur la gouvernance clôt cet ensemble de normes.

À titre d’exemple, la norme ESRS E1 portant sur le changement climatique requiert que l’organisation publie un plan de transition pour atténuer les effets du changement climatique (alinéa 13 de la norme) incluant : des objectifs de réduction d’émissions de GES et une explication de leur alignement avec l’Accord de Paris ; les leviers de décarbonation identifiés et les actions planifiées ; les moyens consacrés au plan de transition de l’entreprise.

L’alinéa 17 de cette norme exige quant à lui une analyse de résilience et la publication de la consommation énergétique de l’organisation par type d’énergie (charbon, pétrole, électricité, voir al. 33) et des émissions de GES en équivalent CO2 en scopes 1, 2 et 3 (al. 41). Une méthodologie de comptabilité des émissions est fixée, avec notamment l’application du GHG Protocol Corporate Standard.

Les normes ESRS établissent des critères exhaustifs pour évaluer les impacts et l’exposition aux problématiques ESG d’une organisation et de ses activités. Elles reposent également sur une méthodologie rigoureuse et unifiée pour produire les informations publiées. Par leur rigueur et leur exhaustivité, ces normes visent à rendre l’information extra-financière aussi complète et fiable que l’information financière, bien que la première soit majoritairement qualitative là où la seconde est quantitative. Cette approche est indispensable à la fiabilité et donc l’utilisation de ces critères.

Analyse des Shifters

L’augmentation des obligations de reporting de durabilité pour les entreprises va dans le sens des préconisations du Shift Project. Le Plan de transformation de l’économie française11 préconise que “L’État français12 définisse les grandes lignes d’un chantier que les entreprises doivent interpréter comme inévitable et garanti. Cette assurance peut passer par de nouvelles normes et réglementations qui forcent les entreprises à revoir les biens et les services qu’elles proposent”13. C’est bien le cas pour les normes ESRS qui requièrent des entreprises une information rigoureuse (bien que qualitative) et uniformisée, à la fois sur l’historique et dans la prospective.

La plus grande exigence en matière de transparence, de fiabilité et de comparabilité des données, et l’interopérabilité avec les grands référentiels internationaux sont également à saluer. Il s’agit pour les Shifters d’une condition nécessaire pour “réorienter massivement l’investissement privé vers la transition écologique”.

Concernant les entreprises couvertes par les normes, les 50 000 concernées à terme sur les quelque 30 millions que compte l’UE14, soit 0,2 % des entreprises, correspondent plus ou moins à la catégorie “grandes entreprises” d’EuroStat (+ de 250 employés). Celles-ci produisent près de la moitié de la valeur ajoutée en UE15. Bien que ne ciblant que très peu d’entreprises, la portée des normes ESRS est donc très significative.

Conclusion

L’impact environnemental et social très négatif de certaines grandes sociétés ne les a pas empêchées de bénéficier d’importants flux de capitaux. Les levées de capitaux privés par les entreprises d’énergies fossiles ont ainsi atteint des sommets en 202216, et les géants de la tech bénéficient toujours de cours de bourse attractifs malgré leurs émissions de GES17 et de pollution. À l’inverse, la labellisation ISR connaît un certain succès puisque les produits financiers en bénéficiant concentrent en 2021 plus de la moitié des nouveaux investissements dans des fonds18. L’information extra-financière influe de plus en plus sur les décisions d’investissement : il est donc essentiel de renforcer sa fiabilité.

Il faut saluer la rigueur et la portée des normes ESRS, dont il est probable qu’elles amènent à un bond significatif de la qualité et de la diffusion de l’information extra-financière des entreprises, et donc un recul des tentations de greenwashing.

1 Acte délégué sur l’adoption des normes européennes de reporting sur le développement durable, adopté le 31 juillet 2023 par la Commission européenne

2 Commission Européenne, The Commission adopts the European Sustainability Reporting Standards, juillet 2023

3 Commission Européenne, Corporate sustainability reporting, voir section Policy Making Timeline

4 Commission Européenne, Directive 2014/95/EU sur les déclarations extra-financières

5 Commission Européenne, Commission guidelines on non-financial reporting, 2017

6 Commission Européenne, Directive 2022/2464 sur les déclaration extra-financières des entreprises

7 Autorité des Marchés Financiers, La nouvelle directive CSRD sur le reporting de durabilité des sociétés, janvier 2023

8 Autorité des Marchés Financiers, Le reporting de durabilité CSRD : se préparer aux nouvelles obligations, juin 2023

9 European Financial Reporting Advisory Group, Groupe consultatif européen sur l’information financière

10 Comme la GRI ou les recommandations de la TCFD

11 Shift Project, Site web du Plan de Transformation de l’Économie Française

12 ou, dans le cas qui nous intéresse ici, la Commission Européenne

13 Shift Project, Plan de Transformation de l’Économie Française, Vision globale)

14 Eurostat, Early 2021 data on business more detailed

15 EutoStat, Structural business statistics overview, 2020

16 S&P Global, Private equity investment in European energy soars in 2022, octobre 2022

17 ElectronicsHub, The Carbon Emissions of Big Tech, 2023

18 Observatoire Quantalys de la gestion ISR, Synthèse, juin 2021

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
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