La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 48

Chères lectrices, chers lecteurs,

C’est un grand article que vous proposent nos rédacteurs cette semaine sur la rénovation énergétique des logements, ses conditions et son obligation éventuelle.

Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Notre sélection de la semaine

Comment financer efficacement la rénovation énergétique des bâtiments ?

Portée par M. Gabriel Amard

La proposition de loi a pour but d’imposer aux personnes propriétaires et propriétaires bailleurs :

  • de procéder à l’isolation thermique de leur bien lorsque celle-ci est insuffisante ;
  • de réaliser une installation de chauffage solaire thermique ;
  • Les conditions d’application de la loi permettent de financer la totalité des travaux à entreprendre.

L’isolation thermique mentionnée dans la loi consiste à exécuter des travaux portant sur la toiture ou les combles perdus, les murs extérieurs et les portes et fenêtres. L’obligation d’entreprendre ces travaux est conditionnée par un certain niveau de performance thermique du bâtiment concerné (déterminé par un diagnostic de performance énergétique). Le texte prévoit également l’obligation de faire une étude pour déterminer la pertinence d’une installation de chauffage solaire thermique, et de la réaliser le cas échéant. Pour financer ces travaux, la proposition de loi prévoit la création d’un fond de financement à part entière ayant pour but de piloter le dispositif dans sa totalité.

Les dispositifs légaux existants

L’État, par le ministère de la Transition écologique, propose à ce jour un ensemble d’aides. Pour les logements, le dispositif MaPrimeRénov’, en vigueur depuis 2020, propose des aides pour les foyers les plus modestes, mais surtout un accompagnement dans le parcours de rénovation, que ce soit pour des travaux dits « par geste » ou des rénovations globales. En 2022, 669 890 logements ont été rénovés grâce à MaPrimeRénov’ dont 65 939 rénovations globales1. Le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE) constitue une aide pour des travaux visant à réaliser des économies d’énergies par le biais par exemple de changement de mode de chauffage2.

Pour les copropriétés, la loi Climat et résilience de 2021 rend obligatoire la réalisation d’un diagnostic de performance énergétique (DPE) à l’échelle de l’immeuble et un plan de travaux sur dix ans. Pour les bailleurs sociaux, des prêts à taux zéro (Eco-PLS) fournissent des aides pour les travaux de rénovation énergétique. L’équivalent pour les particuliers est l’Eco-PTZ, qui permet de financer à hauteur de 30 000 € des travaux du même type3. En ce qui concerne les bâtiments tertiaires, plusieurs outils ont également été mis en place ces dernières années.

Depuis 2020, l’État a lancé le programme ACTEE 2, une dotation de 100 M€ permettant d’accompagner les collectivités locales dans la rénovation de leur parc immobilier4. Dans le domaine de la Santé, un plan d’investissement dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et dans l’habitat inclusif, lancé en 2020 à la suite du Ségur de la santé, permet d’accompagner les structures dans leurs démarches de rénovation.5

D’autres plans de relance pour accompagner la rénovation des bâtiments publics ont été instaurés ces dernières années :

  • Le plan de rénovation énergétique des bâtiments publics, 4 Md€ répartis entre les collectivités territoriales et l’État6 ;
  • Le plan de rénovation thermique des bâtiments des établissements publics affectés aux missions d’enseignement supérieur, de recherche et aux œuvres universitaires et scolaires, lancé fin 20207 ;
  • Le plan de relance « Rénovation énergétique des équipements sportifs » de l’Agence nationale du sport8 ;
  • Le crédit d’impôt rénovation énergétique des TPE-PME.

L’ensemble des mesures exposées ci-avant ont été adoptées au cours des 3 dernières années et sont reprises dans les chantiers de la planification écologique publiés en juin dernier. Cette feuille de route rappelle les objectifs de réduction de GES par secteur et les moyens de les atteindre dans les différents secteurs. Elle fait également le point sur les chiffres relatifs aux rénovations réalisées depuis le déploiement des aides.9

Intérêt d’une loi enveloppe

De nombreux dispositifs de financement ont été créés ces dernières années. Pour les particuliers, ces aides sont plutôt concentrées sur les foyers aux revenus modestes, dans le but de les aider à financer des travaux d’amélioration de la performance énergétique, qui peuvent à la fois valoriser leur bien mais également faire baisser les dépenses de consommation. Cependant, malgré les avantages manifestes de ces aides, leur portée semble limitée.

Prenons comme exemple deux objectifs de la planification écologique dans les bâtiments : la sortie du fioul et la diminution de la consommation de gaz dans les logements. En 2022, 130 000 chaudières au fioul ont été supprimées ; il en reste environ 2,8 millions. L’objectif est d’avoir supprimé 75 % des chaudières au fioul en 2030. Au rythme actuel, il faudra plus de 20 ans pour y arriver !

Prenons maintenant le gaz : en 2022, environ 83 000 chaudières gaz ont été supprimées ; il en resterait environ 12,5 millions dans le parc. L’objectif à 2030 est d’en supprimer environ 20 %. Cela fait grossièrement 350 000 chaudières gaz à supprimer par an, soit 4 fois plus. Le seul exemple de l’aide MaPrimeRénov’ montre qu’il ne suffit pas d’avoir une aide pour que celle-ci soit utilisée. De nombreux freins à la réalisation de travaux subsistent, comme la méconnaissance des dispositifs existants, la difficulté à trouver des entreprises bénéficiant des qualifications nécessaires, le reste à charge toujours important pour des foyers qui ont déjà du mal à payer les dépenses courantes. En ce qui concerne les foyers qui ne sont pas éligibles à des aides, l’intérêt de réaliser des travaux dont le retour sur investissement est très long semble limité.

Il semble donc qu’une loi concernant absolument tout le monde, à caractère obligatoire et permettant un financement total permettrait de mettre le coup d’accélérateur dont nous avons besoin pour remplir les objectifs que l’État s’est fixés dans sa planification écologique.

Des objectifs ambitieux mais incomplets

La proposition de loi se donne pour objectif de sortir les foyers les plus modestes de la précarité énergétique tout en accélérant la décarbonation du secteur. Cependant, il semble que les obligations fixées fassent l’impasse sur plusieurs objectifs.

En effet, si le but est de faire une loi globale pour la rénovation énergétique des bâtiments, simplifiant ainsi les démarches à entreprendre, pourquoi ne pas intégrer le remplacement des modes de chauffage dans le projet (cette obligation est évoquée dans la loi mais de manière contestable, voir plus loin) ? Quid des installations de ventilation ? De nombreuses études démontrent que la rénovation énergétique des bâtiments est optimale lorsqu’elle est globale10. Une loi « enveloppe » permettant d’accompagner les propriétaires dans une rénovation complète semble donc être une solution très efficace11.

Pour autant, une loi rendant obligatoire l’isolation des bâtiments sans prendre en compte les autres aspects de la rénovation énergétique incitera à une rénovation « par geste » et par conséquent fera perdre un temps considérable.

Par ailleurs, le texte mentionne l’obligation « quand cela est pertinent », de réaliser une installation de chauffage solaire thermique. Or il existe différents modes de chauffage décarbonés (qui donnent accès également à un certain nombre d’aides, mentionnées au début de cet article) parmi lesquels le solaire thermique est quasiment anecdotique. S’il n’est pas question ici de comparer les différentes solutions existantes, on peut s’étonner que le texte limite sa portée à une solution de chauffage très peu utilisée et ne mentionne pas les autres types de chauffage : il serait donc obligatoire d’installer un chauffage solaire thermique si c’est techniquement possible, mais pas une pompe à chaleur ? Face à une très forte demande potentielle, on peut également douter de la disponibilité de la main d’œuvre pour un mode de chauffage qui ne concerne aujourd’hui même pas 1 % des logements12.

Les recommandations du Shift Project

Dans son rapport « Habiter dans une société bas carbone » publié en 2021, The Shift Project rappelle qu’au vu des objectifs ambitieux (mais nécessaires) fixés pour réduire nos émissions de G.E.S., l’heure n’est plus au choix entre l’isolation des logements et le changement du mode de chauffage, mais qu’il est bien indispensable de tout mener de front13.

Les principales recommandations en la matière sont les suivantes :

  • imposer de manière conditionnelle la rénovation, déclenchée par l’étiquette DPE. Le seuil de déclenchement se renforce progressivement selon un calendrier annoncé très à l’avance ;
  • modifier le système d’aides financières de manière à pousser au regroupement des travaux ;
  • développer fortement le ciblage et l’accompagnement des logements à rénover en priorité ;
  • faire appliquer le décret Travaux embarqués14 ;
  • envisager la possibilité d’un congé pour rénovation à l’image des congés pour déménagement prévus par certaines conventions collectives.

Le constat est que les outils de subvention et d’incitation se sont révélés insuffisants jusqu’à présent et qu’ils ne permettent pas d’amorcer la nécessaire massification des rénovations. Or, sans un système d’aide orientant vers des travaux efficaces, comment convaincre les particuliers de se lancer dans des travaux aux coûts très élevés et au résultat incertain ? Comme le rapport l’indique, « seuls 6 % des travaux de rénovation de maisons individuelles en 2019 permettaient un saut de deux classes ou plus de DPE ».

C’est pourquoi, en termes de financement et d’accompagnement, The Shift Project préconise les mesures suivantes.

  • Rehausser les plafonds des aides pour réduire le reste à charge, en ciblant spécialement les ménages modestes. Actuellement, les règles limitent le financement des projets de rénovation globale et performante.
  • Simplifier et orienter les aides vers la rénovation globale. Modifier les aides actuelles pour encourager des rénovations globales plutôt que des rénovations partielles, qui sont moins efficaces.
  • Faciliter l’accès à des crédits adaptés. Proposer des conditions plus favorables pour l’éco-prêt à taux zéro, surtout pour les rénovations performantes, permettant un amortissement plus progressif du prêt en adéquation avec la durée de vie des travaux.
  • Améliorer la distribution des prêts subventionnés. Augmenter l’accessibilité de l’éco-prêt à taux zéro en simplifiant les procédures et en encourageant la concurrence entre les banques.
  • Rehausser la qualité des travaux et les contrôles. Accroître les exigences de qualité pour les travaux de rénovation et renforcer les contrôles, en coordination avec la formation accrue des professionnels du secteur.
  • Expérimenter un nouveau modèle de financement. Tester un système où des opérateurs financent les travaux de rénovation et se remboursent via les économies d’énergie réalisées, tout en développant un service public d’information neutre pour soutenir ce modèle.

The Shift Project envisage un futur où tous les logements ont une étiquette DPE « C » ou mieux. Le rapport admet que le coût sera élevé et que « les ménages seront globalement davantage endettés » mais il met en avant certains avantages économiques (baisse des dépenses en chauffage) et sanitaires (utilisation de matériaux moins néfastes pour la santé et systématisation de la ventilation).

Conclusion

Une obligation de rénover serait une avancée majeure dans la décarbonation du parc immobilier français, sous certaines conditions permettant de s’assurer du caractère effectif et réalisable de cette obligation. Certes, les aides et les accompagnements mis en place jusqu’à présent ne semblent pas permettre de tendre vers le rythme de rénovation annuel nécessaire à l’atteinte des objectifs fixés par l’État dans sa planification écologique.

Pour autant, les conditions de cette obligation doivent tout d’abord s’assurer que ces travaux seront efficaces, donc rentables financièrement et donc finançables. Il faut donc utiliser tous les leviers possibles pour accélérer la transformation des logements, en encourageant au maximum des rénovations globales, et en favorisant tous les modes de chauffages décarbonés efficaces à notre disposition. Dernière condition et pas des moindres, il convient de mettre en place un système de financement attractif pour l’ensemble des français, en priorisant les logements au bilan énergétique les plus mauvais.

Le temps nous est compté et les investissements considérables à mettre en place doivent être parfaitement maîtrisés. Cela conditionne l’adhésion du plus grand nombre aux efforts demandés.

1 Rapport d’activité de l’Agence nationale pour l’habitat

2 Dispositif des Certificats d’économies d’énergie

3 Éco-prêt à taux zéro

4 l’Action des Collectivités Territoriales pour l’Efficacité Energétique

5 Plan d’investissement dans le secteur des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et l’habitat inclusif

6 Rénovation énergétique des bâtiments publics

7 Plan de rénovation thermique des bâtiments des établissements publics affectés aux missions d’enseignement supérieur, de recherche et aux œuvres universitaires et scolaires

8 Rénovation énergétique et modernisation des équipements sportifs par l’Agence nationale du Sport

9 La Planification écologique dans les bâtiments

10 La rénovation performante par étapes – Rapport Final

11 Vers une Offre Universelle de Financement

12 Consommation d’énergie par usage du résidentiel

13 Habiter dans une société bas carbone

14 Décret relatif aux travaux d’isolation en cas de travaux de ravalement de façade, de réfection de toiture ou d’aménagement de locaux en vue de les rendre habitables

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
N’hésitez pas à faire suivre largement le lien d’abonnement de cette publication à tout⋅e personne intéressé⋅e et/ou susceptible d’influencer le débat parlementaire !

Pour réagir au contenu, demander des précisions, proposer des évolutions, contribuer à notre action vers les décideurs, une seule adresse : gazette@theshifters.org !

Vous pouvez également découvrir The Shift Project et devenir membre de l'association.

Se désinscrire de la gazette du carbone