La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
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Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.
2023 | Semaine 46Chers lectrices, chers lecteurs, La nécessaire transition énergétique en France passe par des questions concrètes et spécifiques, comme nous y sommes souvent tous confrontés. Voici encore deux exemples édifiants développés par nos reporters :
Bonne lecture ! |
Sommaire |
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Notre sélection de la semaineQuestions émissions |
Notre sélection de la semaine |
Des centrales à biomasse pour décarboner l’électricité des DOM-TOM : une solution limitéePortée par M. Davy Rimane (GDR) et M. Jean-Hugues Ratenon (LFI) En juillet 2023, l’Assemblée nationale a publié un rapport d’information sur l’autonomie énergétique des outre-mer, territoires encore très dépendants des énergies fossiles. Dans ce rapport est rappelé le double objectif, national comme ultramarin, en matière d’énergie :
Le 4 octobre dernier, EDF a annoncé sa volonté de décarboner 100% de l’électricité qu’elle produit sur les territoires d’outre-mer, aussi appelés zones non interconnectées (ZNI), grâce à un projet de conversion de centrales thermiques en centrales à biomasse liquide. Si cette annonce semble de prime abord en accord avec les objectifs du Shift Projet concernant la décarbonation de l’énergie, qu’en est-il vraiment ? La promesse d’une décarbonation de la production électrique des DOM-TOMEDF-SEI (Système Énergétique Insulaire) est l’un des principaux producteurs d’énergie des territoires d’outre-mer français. À ce jour, l’opérateur dispose de 4 centrales thermiques en Corse, Martinique, Guadeloupe et à La Réunion. En accord avec la récente loi d’accélération de la production des énergies renouvelables, EDF a débuté l’an dernier un programme de conversion de ses centrales thermiques au fioul en centrales à biomasse liquide (principalement de l’huile de colza). Ce scénario devrait permettre, selon EDF, l’économie d’ici 2030 de 2,5 Mt de CO2/an (RCI). À noter que la Corse ne serait pas incluse dans ce projet de conversion car elle est actuellement connectée au réseau de la Sardaigne et de la Sicile, étroitement dépendantes des énergies fossiles. Cette conversion a démarré avec la centrale de Port Est à La Réunion, dont la puissance est de 212 MW et qui assure 40% de l’électricité consommée sur l’île. Cette conversion, une première mondiale pour une centrale d’une telle puissance, va nécessiter un investissement de près de 10 M€. Ce projet devrait ainsi permettre aux territoires insulaires français de bénéficier d’une production d’électricité quasiment 100% renouvelable, mais reste à savoir comment l’approvisionnement en biomasse sera assuré. Un approvisionnement en biomasse qui fait polémiqueD’où proviendra la biomasse utilisée par ces centrales converties ? La centrale en cours de conversion de de Port Est est à ce jour approvisionnée en huile de colza acheté par Saipol, filiale du géant Sofiprotéol-Avril (acteur important de la filière huiles végétales), importée d’Europe. L’autonomie énergétique n’est donc pas assurée par ce projet, bien qu’il permette de passer d’une dépendance à l’étranger (fioul) à une dépendance métropolitaine voire continentale avec une meilleure maîtrise des flux (biomasse agricole). À titre de second exemple, en Martinique, la centrale Galion 2 exploitée par Albioma Galion, fournissant 15% de la consommation électrique du territoire martiniquais, a été obligée de revoir à la baisse les volumes cibles de biomasse locale valorisée (délibération 2023-180 de la CRE). En effet, malgré plusieurs études et essais encadrés par l’ADEME, les cultures énergétiques étaient inadaptées au contexte ; de même que l’exploitation des bois d’éclaircie sur les terrains forestiers, qui s’est révélée plus difficile que prévu. L’emploi de biomasse énergétique suscite également des controverses en raison de l’impact environnemental lié aux conditions de culture. La directive européenne RED II (en cours de révision) fixe ainsi des critères pour garantir la durabilité de la biomasse employée. En l’occurrence, le projet d’EDF est en accord avec ces critères de durabilité. À titre d’exemple, le projet de conversion de la centrale de Port-Est permettra la réduction de 67% des émissions produites par le fioul jusque là utilisé, soit 3,3 Mt de CO2 sur treize ans y compris en prenant en compte les émissions indirectes1. On notera que la directive RED II impose un seuil maximum d’incorporation de 7% de biocarburants issus de cultures alimentaires dans la consommation du secteur des transports, mais ne fixe pas de tel plafond pour la production d’électricité. Enfin, le coût de la conversion de la centrale est élevé et fait l’objet de critiques : 1 Md€ sur treize ans pour le projet de Port-Est, soit 74 M€ supplémentaire par an à la charge des contribuables, et cela en prenant en compte une économie du coût carbone d’environ 400 M€2. Le budget de l’État dédié au financement des énergies en ZNI est ainsi passé de 2,2 Md€ en 20213 à 2,9 Md€ aujourd’hui pour ce seul projet. Les recommandations du Shift ProjectDans son rapport sur la transformation des territoires, le Shift Project aborde la transition énergétique sur les territoires d’outre-mer et préconise la priorisation de l’énergie solaire pour décarboner l’électricité de ces îles. En effet, le potentiel de production photovoltaïque est important en outre-mer : 5,8% de la surface déjà artificialisée de ces territoires serait suffisante pour combler leurs besoins électriques actuels. Pour éviter les contraintes liées à l’artificialisation des sols, le rapport priorise le développement du solaire sur bâtiments, où les coûts sont approximativement deux fois plus élevés qu’au sol4, et où le temps de développement est rallongé par le morcellement des projets. Compte tenu de ces difficultés, le photovoltaïque fait l’objet d’un important retard de développement en outre-mer, où il atteint rarement plus de 5% du mix électrique5. Toutefois, l’énergie photovoltaïque présente l’inconvénient majeur d’être intermittente avec, faute de stockage, un apport concentré sur certaines périodes de la journée. Or les ZNI ne bénéficient d’aucun raccordement externe ; contrairement à la métropole où il est possible d’importer de l’électricité depuis le réseau européen, une défaillance sur un réseau ultramarin se traduit automatiquement par des coupures. Il est donc nécessaire de développer en parallèle des centrales pilotables et décarbonées. Concernant la conversion de centrales thermiques en centrales à biomasses liquides et/ou solides, le Shift Project précise que cette conversion devra reposer sur des ressources locales, et que les puissances des centrales à biomasse devront être calibrées selon les capacités de productions durables locales. Une solution transitoireEn résumé, les centrales thermiques à biomasse agricole génèrent des externalités négatives importantes : conflit d’usage avec l’alimentation, importation via des transports carbonés, changement d’affectation des sols, surcoût important pour la collectivité. Il ne s’agit pas d’une solution viable sur le long -terme dans une société décarbonée et fondée sur l’économie circulaire. Ce type de projet présente néanmoins l’avantage d’une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre dans une période critique pour l’action climatique. Aussi, comme le recommande la Commission de régulation de l’énergie (CRE)6, il fait office de solution transitoire dans des territoires peu équipés face aux changements à opérer. Le développement de ces projets ne doit toutefois pas faire obstacle à l’investissement dans des solutions plus locales et plus durables à long terme, voire à une étude d’opportunité sur l’implantation de petits réacteurs atomiques (SMR) dans le cadre du projet Nuward7 d’EDF, pour lequel les premières constructions seraient lancées d’ici 2030 . 1 Délibération de la CRE du 3 novembre 2022 2 Les centrales au fioul sont soumises à une taxe carbone à hauteur d’environ 90 €/ par tonne de tCO2 émise. En prenant en compte l’inflation prévisionnelle, la CRE en a déduit une économie de 400 M € sur 13 ans, puisque les centrales biomasse n’émettent pas de CO2 au sens de la tarification du carbone. 3 La transition énergétique dans les ZNI, CRE 4 Photovoltaïque : coût et rentabilité 5 La transition énergétique dans les ZNI, CRE 6 Ibid. : « la conversion des centrales thermiques au bioliquide et à la biomasse solide, en partie importées, et telle que prévue dans les PPE en vigueur ou en cours de rédaction, apparaît comme une solution transitoire intéressante. » |
Questions émissions |
Plus de bornes de recharge électrique dans les établissements de santéPortée par Thibault Bazin (Les Républicains) Le député des Républicains, Thibault Bazin a interrogé le ministre de la santé et de la prévention sur la nécessité de développer un parc de bornes de recharges électriques de grande puissance dans les établissements de santé. Contexte de la politique de déploiement des bornes électriquesLe gouvernement a annoncé débloquer 200 millions d’euros pour encourager le déploiement des bornes électriques le 27 octobre dernier1. La France envoie un signal fort, elle souhaite passer la vitesse supérieure et rattraper son retard sur la voiture électrique. La transition de notre parc de voitures thermiques vers l’électrique devra nécessairement s’accompagner d’un déploiement massif des bornes de recharges sur les autoroutes, dans des hubs urbains, en ville et dans le domicile des particuliers. La société doit être repensée dans son ensemble pour adopter ce nouveau mode de transport sans pénaliser les usagers et sans perdre en qualité de service. Le problème lié au verdissement de la flotte des établissements de santéPrès de 14 800 ambulances et 14 000 véhicules sanitaires légers sont utilisés quotidiennement par les établissements de santé et sont, pour la plupart, équipés de moteur thermique. Afin d’encourager le déploiement de véhicules électriques, il est essentiel d’équiper les établissements de santé d’infrastructures de recharge de grande puissance aux abords des établissements hospitaliers. En effet, après avoir transporté un patient vers un hôpital, une ambulance doit pouvoir se recharger sur place et rapidement pour la continuité du service public et la sécurité des patients hospitaliers. La question interpelle le gouvernement quant à son plan d’action visant à permettre le déploiement rapide de ces bornes de recharges rapides. La nécessité de planifier les investissements à venirLe transport sanitaire représente 11% des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé soit 5 MT CO2. Le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project dans sa partie intitulée « décarboner la santé »2 souligne donc la nécessité de remplacer les véhicules thermiques par des véhicules électriques. Cela implique une réflexion d’ensemble sur la mise en œuvre de cette transition sans dégrader notre service public. Le PTEF prévoit par exemple de « co construire, rédiger et déployer un plan de mobilité de l’établissement sanitaire ». Certes, des investissements considérables seront inévitables. Toutefois, même dans le contexte actuel marqué par l’augmentation de la dette publique et les contraintes pour finaliser un budget équilibré, il est impératif de ne pas négliger le financement des infrastructures relatives à la transition écologique. Ces investissements sont orientés vers l’avenir, et leur coût est potentiellement susceptible de générer des économies substantielles à long terme, par exemple en atténuant l’impact des fluctuations des prix des carburants. La continuité des services publics est également un impératif important qui devrait peser dans la balance. Par ailleurs, les flottes d’administrations publiques ou d’entreprises doivent constituer une cible prioritaire pour l’électrification compte tenu de leurs caractéristiques. Leurs parcours quotidiens sont assez limités, même en additionnant leurs différents trajets: elles n’ont pas besoin d’une autonomie élevée et peuvent recharger la nuit. Elles évoluent dans des environnements en général urbains, dans lesquels l’atténuation de de la pollution aux particules fines et gaz d’échappement s’ajouterait aux bénéfices de la décarbonation. Il est également possible de solliciter le financement par des investisseurs privés notamment par le modèle du contrat de concession utilisé pour les autoroutes. Le levier européenL’Union Européenne encourage le déploiement de la mobilité électrique et donc des bornes de recharge. Elle a adopté, le 25 juillet 20234, un règlement sur le déploiement d’infrastructures pour carburants alternatifs, s’inscrivant dans le paquet « Ajustement à l’objectif 55 ». Pour rappel, celui-ci permet à l’UE de réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici 2030 par rapport à 1990. Le règlement incite au déploiement de bornes de recharge rapides de 150 KW et autorise les États à s’affranchir des règles européennes de concurrence, en admettant les aides d’État pour soutenir la filière jusqu’à ce qu’un marché soit créé. Pour aller plus loin…Le PTEF prévoit d’aller plus loin pour décarboner le transport dans le domaine de la santé, notamment en considérant les modes de transport des professionnels dans leurs déplacements. La mobilité implique un plan d’action soutenant l’utilisation du vélo et de la marche à pied par l’adaptation du bâti à ces usagers l’accès au bâtiment pour les piétons et les vélos. Des dispositions telles qu’un local vélo, des douches et des vestiaires dans ces établissements ou encore un système d’indemnités kilométriques afin d’encourager les modes de transports décarbonés peuvent être rapidement déclinés. Le PTEF encourage également le développement des transports en commun et l’incitation au covoiturage. Cette réflexion s’inscrit dans un plan d’ensemble prenant en compte l’aménagement des horaires de travail et le développement de la télémédecine lorsque cela apparaît approprié au service public. Il propose également de mettre en place l’autopartage d’une flotte de véhicules avec d’autres entreprises, ainsi qu’un point mobilité dans les établissements et sur leurs sites internet pour informer les usagers et les salariés des avantages et inconvénients de chaque mode de transport. 2 Décarboner la santé pour soigner durablement 3 Contrat dans lequel l’État qui lui confie le financement, la conception, la construction, l’entretien, l’exploitation et la maintenance des autoroutes à des sociétés concessionnaires pour une durée prédéfinie en contrepartie, pour ces sociétés, du droit à percevoir un péage auprès des usagers. autorite-transports.fr |
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