La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 41

Amies lectrices, amis lecteurs,

Les chaleurs fort inhabituelles de ce mois d’octobre n’incitent pas à penser déjà à la saison de chauffe. Et pourtant, c’est un sujet lourd et structurant compte tenu du poids de l’habitat et des locaux tertiaires dans les émissions carbone. Un sujet qui a pris une place toute spéciale dans les annonces gouvernementales sur la planification écologique de la semaine dernière :

  • Faut-il arrêter la vente de chaudières à gaz ?

Pour savoir s’il vous faudra couper des stères de bois pour cet hiver et combien, n’hésitez pas à découvrir le fruit de nos enquête et analyses.

Bonne lecture

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Questions émissions

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en partenariat avec Logo Dixit

Faut-il arrêter la vente de chaudières à gaz ?

Portée par David Taupiac (Parti Socialiste)

M. David Taupiac interroge M. le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique sur le projet du Gouvernement d’interdire à brève échéance les chaudières à gaz à très haute performance énergétique. Les conséquences d’une telle interdiction en milieu rural suscitent les inquiétudes des acteurs économiques et des collectivités. L’interdiction des chaudières à gaz reviendrait à imposer le déploiement de pompes à chaleur sur l’ensemble du territoire, sans prise en compte des spécificités locales. Or près de 9 communes sur 10 sont situées en zone rurale, où le réseau de distribution d’électricité est bien plus fragile qu’en milieu urbain (taux d’enfouissement deux fois moindre qu’en zone urbaine, persistance de réseaux aériens en fils nus, etc.).

L’atteinte de la neutralité carbone exige de ne plus consommer d’énergie fossile en 2050. Avec 18% des émissions de CO2, le secteur du bâtiment représente une part importante des émissions françaises1. Le 13 juin dernier, la Gazette du carbone analysait déjà ce sujet à l’occasion de la mise en place d’une consultation publique organisée par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et de nombreuses interventions au sujet de la fin de la chaudière gaz ont été enregistrées dans les médias2. C’est finalement contre son interdiction que s’est positionné le président Macron dans une interview donnée à la chaîne TF1 le 24 septembre dernier3.

Évolution récente des installations de chauffage : les chiffres clés

En analysant les données4 relatives à l’installation des différents modes de chauffage sur les dernières années, on peut observer les tendances suivantes. Concernant les chaudières à fioul, entre 2016 et 2021, le parc de logements équipés s’est réduit de 15% entre 2016 et 2021. Cette tendance devrait se poursuivre avec l’interdiction de leur installation depuis le 1er juillet 2022.

En revanche, poussé par la norme de construction RT2012 très favorable au gaz, et des subventions à la pose (TVA à taux réduit) ou à l’achat (CEE), le nombre de logements équipés en chaudière fonctionnant au gaz a progressé de 8%. Toutefois, on constate un ralentissement de cette tendance, peut-être en partie dû à la mise en œuvre de la réglementation RE2020 qui favorise les modes de chauffage renouvelable dans les nouveaux bâtiments.

Au final, en 2021, près de 47% des chaudières installées dans les logements (maisons et appartements confondus) fonctionnaient à partir d’énergie fossile (fioul 9% ; gaz 36% ; GPL 1%). Concernant les chaudières fonctionnant à partir d’une énergie renouvelable, le parc de logements équipés de pompes à chaleur (PAC) a été multiplié par plus de 2,5 en 5 ans, alors que le nombre de logements équipés de chaudières à bois a progressé de 16%. En revanche, le nombre de logements utilisant des convecteurs électriques a baissé de 10%.

En résumé, entre 2016 et 2021, afin d’équiper les nouveaux logements (1 374 000) et de remplacer les chaudières au fioul (439 000) ainsi que les convecteurs électriques (1 000 000), nous avons utilisé principalement des pompes à chaleur (50%), suivies des chaudières au gaz (30%) et des chaudières à bois (15%).

La fin des chaudières à gaz signifie-t-elle le déploiement des pompes à chaleur ?

Cette tendance va en partie dans le sens des transformations nécessaires d’ici 2050 selon le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project5. L’objectif est d’arriver à l’abandon des modes de chauffage au fioul d’ici 2040, mais aussi de réduire drastiquement le recours au gaz naturel fossile, si on souhaite tenir les engagements de décarbonation de l’Accord de Paris. Parmi les leviers proposés, le plan prévoit la massification de l’installation de pompes à chaleur afin d’en faire le mode de chauffage majoritaire sur le territoire. Cependant, il ne s’agit pas d’une solution passe-partout, un tel développement demande des arbitrages et des adaptations à différents niveaux selon le type de bâtiment et de territoire.

Concernant les maisons individuelles, si la pompe à chaleur constitue à ce jour la meilleure alternative au gaz fossile, elle doit s’accompagner d’une rénovation globale dans l’éventualité d’une maison mal isolée. Toutefois, le bois ou la chaudière à gaz fonctionnant, à terme, avec du gaz renouvelable pourraient également constituer des solutions pertinentes. Cependant, en raison du potentiel limité de la biomasse, il est préférable de réserver celle-ci à des secteurs où il n’existe pas d’alternative crédible6. Selon le Shift Project, il serait possible de sortir du chauffage au gaz pour les maisons individuelles d’ici 2050 et de réserver la biomasse aux logements collectifs impossibles à raccorder à un chauffage urbain.

S’agissant du logement collectif, il y a plusieurs options selon les particularités du bâti : raccordement au chauffage urbain (RCU) en cas de proximité au réseau, pompes à chaleur pour les petites collectivités, chaudière bi-énergie PAC et gaz en cas de volume à chauffer trop important.

Enfin, la question des inégalités territoriales et de la situation du monde rural est centrale pour comprendre les enjeux économiques et sociaux de la décarbonation du logement. Les travaux récents du Shift Project sur la résilience des territoires montrent les spécificités de la décarbonation à la campagne, qui cumule à la fois chauffage à énergie fossile, grandes surfaces et absence d’isolation thermique :

« Les passoires thermiques sont surreprésentées parmi les résidences principales en zone rurale où elles atteignent 22,1% du parc. Pour les maisons équipées de chaudières au fioul, surreprésentées en zone rurale, la part des passoires thermiques atteint 44,4%. La surface de logement par habitant est en moyenne plus élevée en zone rurale rendant également plus délicate la gestion du chauffage. La hausse rapide des prix de l’électricité, du gaz et du fioul fragilise un grand nombre de ménages ruraux, les plus pauvres n’ayant pas les moyens d’entreprendre des travaux de rénovation énergétique. »

Par conséquent, le PTEF préconise un meilleur accompagnement pour les ménages les plus modestes dans leurs travaux de décarbonation, que ce soit l’isolation thermique ou le changement de chaudière. Ce dernier ne pourra relever d’une démarche unique, ces travaux nécessitant des adaptations locales. Il existe différentes alternatives au gaz fossile, au sein desquels la pompe à chaleur représente souvent la plus pertinente.

Quel est l’impact sur le système électrique ?

L’impact de l’installation massive de pompes à chaleur sur la pointe de consommation électrique a fait l’objet de nombreux débats. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) avertit que « la conversion, sans action de rénovation concomitante, de l’ensemble des consommateurs disposant d’une solution de chauffage individuelle et de la moitié des consommateurs disposant d’un système de chauffage collectif augmenterait la pointe électrique d’environ 35 GW »7.

L’inquiétude quant à la charge supplémentaire sur le réseau semble cependant à nuancer en regardant l’augmentation des pompes à chaleur comme un élément d’une politique plus globale. D’abord, les pompes à chaleur doivent remplacer non seulement les chaudières fossiles, mais également les convecteurs électriques dans le but de réduire la consommation électrique. Ensuite, le gestionnaire du Réseau de transport d’électricité français (RTE) prévoit un déploiement des PAC combiné à une baisse de la consommation d’autres usages : « […] la pointe de consommation du chauffage électrique augmente d’environ 6 GW en 2030 et de l’ordre de 4 GW en 2035 (par rapport à 2019). Cette augmentation sera en partie compensée par des baisses sur d’autres usages grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique »8. Dès lors, un déploiement massif des pompes à chaleur doit s’analyser dans le cadre d’une politique de décarbonation globale.

Le problème de la gestion des pointes de consommation n’est donc pas un argument suffisant contre le déploiement massif des PAC. De même, la dépendance au réseau électrique et l’exposition aux intempéries des lignes non enterrées ne peuvent être considérées comme des freins à ce mode de chauffage. En effet, une chaudière à gaz ayant besoin d’électricité pour fonctionner, le consommateur reste tout aussi vulnérable aux coupures et aux incidents sur le réseau. La vulnérabilité des systèmes électriques locaux, due en particulier à un taux plus faible d’enfouissement des lignes, aura donc le même impact sur le consommateur avec une chaudière à gaz ou une PAC.

Faut-il arrêter la vente de chaudières à gaz ?

L’interdiction de la vente et de l’installation de chaudières gaz, un temps évoqué, n’est plus prévue. Toutefois, il est nécessaire de ne pas inciter à la consommation d’énergie fossile. En ce sens, la récente suppression des aides à l’installation de chaudières à gaz très haute performance énergétique (THPE) ou à condensation10 est encourageante. Il est indispensable de stopper toute subvention pour des chauffages à énergie fossile si on souhaite être cohérent avec les objectifs de transition énergétique. Mettre fin à la TVA à taux réduit pour l’installation des équipements au gaz9 serait un autre pas dans la bonne direction.

Cependant, à terme, si le potentiel de biomasse se révèle effectivement limité, il n’y aura pas d’autres choix que d’interdire leur installation. Dans le cas contraire, le gaz fossile sera nécessaire pour alimenter les chaudières et il ne sera pas possible de décarboner complètement le bâtiment.

En conclusion, l’annonce de l’augmentation de la production de pompes à chaleur11 est un pas dans la bonne direction pour la décarbonation du secteur du logement. Cependant, pour réussir cette transition, il faudra jongler avec plusieurs calendriers simultanément. Il est impératif de combiner cette augmentation avec des initiatives ambitieuses d’isolation thermique pour soutenir la stabilité du réseau électrique, promouvoir la sobriété d’utilisation afin de prévenir tout effet rebond, et mettre en place des mesures spécifiques pour soutenir les territoires ruraux, plus vulnérables dans ce processus de changement.

1 Dossier de concertation sur la décarbonation du bâtiment, p. 3

2 Par exemple, Bruno Lemaire sur LCI le 9 juillet

3 Interview d’E. Macron à TF1

4 Sauf mention contraire, toutes les données de ce paragraphe proviennent des données SDES-CEREN 2023.

5 The Shift Project – Climat, crises : Le plan de transformation de l’économie française

6 Document de travail du SGPE sur la planification écologique (12/06/23), p. 14-15

7 Rapport du CRE sur l’avenir des infrastructures gazières (04/04/23), p. 11

8 RTE, Futurs Énergétiques 2050 – Bilan prévisionnel 2023, p. 83

9 À date, le projet de loi de finance tel que publié ne prévoit pas la fin de la TVA à taux réduit pour les chaudières gaz.

10 Il était question depuis juillet dernier de supprimer ces aides pour le chauffage au gaz, cependant plusieurs rebondissements avaient laissé penser que l’abrogation ne serait pas actée. C’est le 6 octobre que le gouvernement a publié un arrêté supprimant cette aide au 1er janvier 2024.

11 Dans son discours du 25 septembre, Emmanuel Macron a annoncé vouloir produire un million de pompes à chaleur par an et former 30 000 installateurs.

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