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septembre 2023

Chers lectrices, chers lecteurs,

Les travaux des institutions européennes ont désormais bien repris pour ce qui va être la dernière année de l’actuelle législature, ce qui distille progressivement un relatif sens de l’urgence dans ces instances. Les enjeux qui sont poussés n’en restent pas moins stratégiques et parfois d’une grande ampleur. C’est le cas de la révision du réseau transeuropéen de transport dont l’impact sur la décarbonation n’est pas mince.

Découvrez les modifications en jeu et les tactiques qui se déploient.

Sommaire

Révision du réseau transeuropéen de transport et décarbonation

En décembre 2021, la Commission européenne a publié une proposition de révision du règlement sur les orientations de l’Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport (RTE-T)1. Le règlement initial, en vigueur depuis 20132, visait à faciliter le développement des échanges, notamment par interopérabilité des réseaux terrestres, fluviaux, et aériens, à augmenter la part des modes de transport les plus respectueux de l’environnement, et à accélérer l’intégration des nouveaux pays membres.

Le règlement RTE-T révisé s’inscrit dans le Pacte vert européen, qui a pour ambition de réduire les émissions du secteur des transports de 90 %. Il répond à la nécessité d’accroître la connectivité dans toute l’Europe, de renforcer la résilience du système de transport, d’orienter davantage de passagers et de marchandises vers des modes de transport durables et de se concentrer davantage sur la mobilité urbaine durable.

Le réseau transeuropéen de transport actuel

L’Union européenne n’a pas de compétence exclusive pour la conception, le financement et la construction des infrastructures ; les États membres en restent les principaux responsables. Sa contribution porte cependant sur le développement de ces réseaux en agissant comme catalyseur et en soutenant financièrement les infrastructures d’intérêt général européennes (ou à valeur ajoutée européenne).

Le RTE-T actuel est constitué d’une structure à deux échelons :

  • le réseau global (comprehensive network) qui assure des connexions efficaces vers toutes les régions de l’Union. Il doit être achevé en 2050.
  • le réseau central (core network), composé des éléments du réseau global les plus importants sur le plan stratégique, qui doit être finalisé pour 2030.

En complément, neuf corridors multimodaux principaux (voir la carte de la Commission3) ont été établis en tant que nouvel instrument politique visant à faciliter la mise en œuvre coordonnée de projets situés sur le réseau central. Ces corridors ont pour objectif de rassembler des acteurs publics et privés pour qu’ils mettent leurs ressources en commun au service du développement du réseau central. Chaque corridor est supervisé par un coordinateur européen chargé de veiller à son application efficace.

Enfin, ces couloirs sont complétés par deux “priorités horizontales” :

  • L’autoroute de la mer vise à connecter l’ensemble du réseau aux ports et aux infrastructures maritimes.
  • Le système de gestion du trafic ferroviaire européen (ERTMS) est un dispositif unique de contrôle, de signalisation et de commande de trains à travers l’Europe qui doit remplacer les 20 différents systèmes existant aujourd’hui à travers l’UE. Composé d’un système de contrôle européen des trains (ETCS) gérant en permanence la vitesse des trains, et d’un système de communication mobile (GSM-R) facilitant la transmission de données, c’est un vecteur important d’unification.

Ce qu’apporte la révision proposée par la Commission

Le règlement révisé prévoit une nouvelle étape pour l’achèvement du réseau, dorénavant découpé en trois phases : 2030 pour le réseau central, 2040 pour le réseau central étendu — introduit par la révision — et 2050 pour le réseau global. Le réseau central étendu intègre certains éléments du réseau global : ceux-ci sont donc liés aux mêmes exigences que celles du réseau central, à l’échéance de 2040.

D’autres éléments nouveaux prévoient, notamment, un temps d’arrêt moyen aux points de passage frontaliers, une limitation du retard à l’arrivée à destination des trains de marchandises, l’augmentation de la vitesse des trains sur le réseau central et le réseau central étendu, le déploiement d’infrastructures de recharge et de ravitaillement nécessaires pour les carburants alternatifs, davantage de plateformes de transbordement et de terminaux multimodaux de passagers dans les villes, et le raccordement des grands aéroports au réseau ferroviaire4.

En réaction à la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, la Commission a présenté une proposition modifiée en juillet 2022. Quatre corridors de transport européens sont étendus à l’Ukraine et à la Moldavie. La proposition supprime par ailleurs la Russie et la Biélorussie de la carte du RTE-T, et déclasse les derniers kilomètres de toutes les connexions transfrontalières entre l’UE et ces deux pays, passant du « réseau central » au « réseau global ». L’écartement des voies ferrées ukrainiennes, différent de celui trouvé dans l’UE, est également abordé : elle constitue un obstacle énorme à l’interopérabilité. La migration vers l’écartement des voies standard européen est donc prévue.

Ce qu’en pensent les Shifters

L’idée générale du texte est de provoquer un choc de report modal vers les modes décarbonés (en premier lieu le rail, puis le fluvial / maritime) pour le transport de passagers et marchandises.

Prenons pour exemple le report modal vers le ferroviaire pour le fret : le réseau doit pouvoir supporter une vitesse de 100 km/h, être perlé de suffisamment de plateformes multimodales, respecter certains délais pour les transferts transfrontaliers, et utiliser un même signal ERTMS (Cf plus haut).

Ces nouvelles orientations données au RTE-T vont dans le sens des recommandations du Shift Project, en promouvant le report modal et le développement de mobilités moins carbonées, notamment pour le fret.

Mais il sera également nécessaire de réserver et sécuriser des créneaux sur le réseau pour le transport de marchandises (qui ont généralement une priorité moindre que celui de passagers), respecter certaines contraintes comme une certaine charge à l’essieu (22,5 tonnes), longueur de trains (740 m), hauteur de tunnels (P400) — l’idée étant d’harmoniser la grande hétérogénéité des réseaux des États membres pour permettre à un même train de marchandises partant de Lisbonne d’arriver à Tallinn, ou de Brest à Bucarest.

Par ailleurs, le texte est encore loin d’être adopté en l’état…

Des négociations cruciales…

Les critiques sur la révision du règlement proviennent des États membres. Leur position (décrite dans l’Approche générale du Conseil5) vise à amoindrir sensiblement la proposition de la Commission et ses évolutions positives et à même inséré des dispositions en deçà du règlement de 2013 actuellement en vigueur.

À vrai dire, les États membres envisagent le règlement RTE-T davantage comme un texte de droit souple que comme un texte contraignant ; et ceci pour plusieurs raisons :

  • budgétaire, le coût des investissements est à l’évidence significatif en cette période de contraintes budgétaires et de taux élevés;
  • de gouvernance, les États membres estiment que l’Union n’a pas à interférer dans l’aménagement de leur territoire, ce qui perd de vue l’échelle globale du territoire de l’Union;
  • socio-économique et même protectionniste, car faciliter ainsi la circulation de compagnies ferroviaires étrangères augmentera la concurrence à l’égard les opérateurs historiques, comme la SNCF dans le cas français. À cet égard, on ne peut que regretter que la France soit l’un des États membres qui bloque le plus les discussions et amoindrit les ambitions du texte. Pourtant la timide ouverture du réseau ferroviaire français à la Renfe et Trenitalia aiguillonne favorablement notre opérateur national et introduit un léger vent nouveau.

Fort heureusement, le Parlement européen a une position visant à renforcer les dispositions de la proposition, voire à inclure de nouveaux éléments intéressants, tels que :

  • le concept de mobilité militaire;
  • l’obligation de faire de la maintenance lors des phases d’élaboration des projets de transport pour l’obtention des fonds européens;
  • un renforcement de la gouvernance pour réaliser les axes transfrontaliers,
  • un plan pour relier toutes les capitales européennes par de la grande vitesse,
  • la mise en place de tests de vulnérabilité climatique et environnementale obligatoires sur les infrastructures stratégiques.

Dans le trilogue en cours entre ces parties prenantes, le calendrier est d’une importance cruciale. Le Parlement espère obtenir un accord avec le Conseil d’ici la fin de l’année, afin que celui-ci puisse être validé par les co-législateurs sous cette mandature pour une entrée en vigueur rapide du texte. Faute d’un accord avant février 2024, l’entrée en vigueur serait retardée d’au moins 18 mois, le temps de la mise en place d’un nouveau Parlement, et la reprise des travaux de négociations. Le texte entrerait alors en vigueur vers 2025 ou 2026, alors que les objectifs de réalisation du réseau central sont fixés pour 2030… Tenir ces délais paraîtrait excessivement ambitieux. Sans compter que, selon certains observateurs politiques, le futur Parlement européen pourrait davantage inclure de composantes plus sensibles aux intérêts nationaux qu’à une perspective européenne, et donc remettre en cause la position parlementaire actuelle. Retarder l’issue des négociations pourrait donc être tentant pour certains États membres.

Il faut espérer que les négociations tendues en cours dans le cadre du trilogue permettent de maintenir une large partie de l’ambition initiale du texte.

1 eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52021PC0812

2 eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32013R1315

3 ec.europa.eu/transport/infrastructure/tentec/tentec-portal/map/maps.html

4 transport.ec.europa.eu/transport-themes/infrastructure-and-investment/trans-european-transport-network-ten-t/ten-t-revision_en

5 www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2022/12/05/trans-european-transport-network-ten-t-council-adopts-its-position-to-ensure-sustainable-connectivity-in-europe/

▲ Sommaire

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