La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Supplément consacré à l'actualité de l'Union Européenne

Une fois par mois, la Gazette voyage à Bruxelles pour y apporter l'expertise du Shift Project et intégrer cette dernière au débat parlementaire européen.

juin 2023

Bonjour chères lectrices et chers lecteurs.

Pour rythmer ce mois de juin pluvieux, nous décryptons les dessous de la Taxonomie européenne (pour une finance durable).

Bonne lecture & stay funky !

Sommaire

La taxonomie européenne, mise en place des bases de la finance durable

Règlement du Parlement européen et du Conseil Européen

Constatant que l’absence de capitaux entrave l’action climatique, l’Union Européenne a publié en 2018 un plan d’action pour financer la croissance durable et atteindre ses objectifs de neutralité carbone à horizon 2050 . Pour la France, les estimations tournent aux alentours de 34 milliards d’euros par an pour réduire de 55% les émissions de CO2 d’ici 20301.

Le plan d’action européen a pour objectif de rediriger les flux de capitaux vers les activités durables. Très vite, un écueil de taille a surgi, l’absence de définition de ce qu’est une activité économique durable.

Un groupe d’experts techniques sur la finance durable a donc été mandaté par la Commission Européenne sur quatre sujets :

  • un cadre commun de définition des activités économiques considérées comme durables : la Taxonomie européenne, parfois appelée Taxonomie verte ;
  • la définition d’un standard concernant l’émission des obligations vertes ;
  • une méthodologie de réalisation de benchmarks, notamment sur les sujets climatiques ;
  • un guide d’amélioration des procédures de communication d’informations environnementales par les entreprises.

Issue de ces travaux, la Taxonomie européenne a été présentée au journal de l’Union Européenne le 22 juin 20202 , pour une entrée en vigueur au 12 juillet 2020.

Qu’est-ce que la taxonomie ?

Elle identifie six objectifs environnementaux :

  • l’atténuation du changement climatique ;
  • l’adaptation au changement climatique ;
  • l’utilisation durable et la protection des ressources marines ;
  • la transition vers une économie circulaire ;
  • la prévention et le contrôle de la pollution ;
  • la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Les activités économiques sont listées par code NACE3 selon le secteur d’activité (ex : arts, divertissement et récréation / énergie / activités de santé et sociales / transport). De nouvelles activités non encore répertoriées pourront entrer par la suite dans la Taxonomie. Une activité est dite éligible (et donc a priori durable) dès lors qu’elle se retrouve dans la liste fournie dans les annexes de la Taxonomie.

Les activités sont réparties en trois catégories4 :

  • celles considérées bas-carbone et compatibles avec l’Accord de Paris;
  • celles contribuant à la transition vers une économie à faibles émissions d’ici 2050 bien que fortement émettrices ;
  • les activités habilitantes permettant la réduction d’émissions d’autres activités économiques, telles que la captation carbone.

Pour qu’une activité soit considérée comme durable, elle doit respecter les trois critères suivants :

  • Contribuer de manière significative à un des six objectifs environnementaux de la Taxonomie. L’évaluation de la contribution significative se fait grâce aux critères d’examen techniques définis par le groupe d’expert pour chaque activité. Par exemple, pour le bâtiment, le critère doit être un DPE de classe A.
  • Ne pas nuire aux cinq autres objectifs (DNSH pour Do Not Significantly Harm). L’activité économique ne doit pas contribuer à un objectif au détriment des autres.
  • Respecter les droits humains et du travail.

Quel est l’intérêt d’être informé.e sur une activité éligible ou alignée avec la Taxonomie ?

La Taxonomie fournit les fondations du Plan européen pour la finance durable. Elle constitue le cadre de référence sur lequel d’autres réglementations viendront s’appuyer comme par exemple le standard concernant les obligations vertes ou bien encore la réglementation imposant des exigences de transparence aux acteurs financiers en matière de risques de durabilité et les produits vendus dits « durables » (SFDR : Sustainable Finance Disclosure Regulation).

Les acteurs sont amenés à fournir des informations chiffrées sur leurs activités éligibles et alignées, en particulier le pourcentage de leur chiffre d’affaires provenant d’activités éligibles et alignées. La Taxonomie ne fournit aucun seuil à respecter, elle en laisse le jugement aux investisseurs.

La Taxonomie, n’étant qu’un cadre de référence pour la communication de nouvelles informations, ses effets ne sont pas encore clairement identifiés. Mais, de plus en plus au fait de cette réglementation, les investisseurs poussent les acteurs financiers à collecter et consolider les données et à s’assurer de leur fiabilité. Certains peuvent ainsi orienter leurs décisions d’investissement.

Et après ?

Les acteurs européens se familiarisent progressivement avec la Taxonomie, et les sociétés de toutes tailles publient leur part d’activités éligibles ou alignées, avec plus ou moins de facilités. L’enjeu majeur de cet exercice réside dans la collecte de l’information, qui peut être fournie par des prestataires externes ou des organismes spécialisés, avec chacun leur degré d’interprétation de Taxonomie, compliquant l’exercice de consolidation des entreprises.

Au fur et à mesure de l’intégration de ces exigences, d’autres réglementations viendront, dans un futur plus ou moins proche, définir le paysage de la finance durable. Des discussions, abandonnées à l’heure actuelle, évoquaient même la mise en place d’une Taxonomie sociale.

Les points positifs :

  • intégration des exigences de la réglementation dans l’activité des acteurs financiers en moins de deux ans (compréhension des textes, mise en place de processus de collecte des information et publication des données) ;
  • augmentation de la transparence pour les investisseurs ;
  • utilisation d’une définition commune de l’activité durable.

Les axes d’amélioration :

  • vulgarisation du sujet pour le grand public,
  • vulnérabilité des décisions de la Commission européenne face aux lobbies,
  • inclusion controversée des investissements dans des centrales nucléaires et au gaz .

En complément : exemples d’activités économiques reprises par la Taxonomie

La liste complète est à retrouver dans le rapport des experts sur la Taxonomie5.

Exemples d’activités bas-carbone6
  • Activités de reboisement
  • Gestion de groupements forestiers existants
  • Activités de conservation forestière
  • Culture de plantes pérennes
  • Cultures de plantes non-pérennes
  • Élevage
  • Fabrication de ciment
  • Fabrication d’aluminium
  • Fabrication de fer et d’acier
  • Fabrication d’hydrogène
  • Transports publics
  • Construction de nouveaux bâtiments
  • Rénovation de bâtiments existants
  • Traitement des données, l’hébergement et les activités connexes
  • etc.
Exemples d’activités contribuant à la transition
  • Culture de plantes pérennes
  • Cultures de plantes non-pérennes
  • Élevage
  • Fabrication de ciment
  • Fabrication d’aluminium
  • Fabrication de fer et d’acier
  • Fabrication d’hydrogène
  • etc.
Activités habilitantes
  • Captage de CO2 directement dans l’air

1 Par rapport aux émissions émises en 1990 (année de référence). Estimations réalisées par l’économiste Jean Pisani-Ferry. FranceInfo, 2023.

2 eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?toc=OJ%3AL%3A2020%3A198%3ATOC&uri=uriserv%3AOJ.L_.2020.198.01.0013.01.ENG

3 Nomenclature générale des activités économiques dans les Communautés Européennes.

4 Cf. Annexe pour la liste complète des activités couvertes

5 finance.ec.europa.eu/system/files/2020-03/200309-sustainable-finance-teg-final-report-taxonomy_en.pdf à partir de la p. 56

6 Si ces activités respectent les critères de la Taxonomie

▲ Sommaire

Actualités juridiques UE – Juin 2023

Présidence de l’UE1

L’Espagne assumera la présidence au second semestre 2023, du 1er juillet au 31 décembre. La « transition écologique et l‘’adaptation environnementale » figurent parmi ses quatre priorités avec la réindustrialisation et l’autonomie stratégique, la justice sociale et économique, et l’unité européenne. Les dossiers législatifs du Fit for 55 tels que le paquet Gaz et Hydrogène, et les règlements en matière d’efficacité énergétique seront accélérés. Le design de produits durables, la production de carburants verts ainsi que les mesures visant à réduire les déchets et les microplastiques sont encouragées. La réforme du marché de l’électricité restera sur la table des négociations.

« Pacte financier mondial »2 pour faciliter la transition écologique dans les pays du Sud

Annoncé en mai par Emmanuel Macron lors du sommet du G7, ce nouveau pacte financier se tiendra à Paris les 22 et 23 juin avec l’idée de réformer le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pour permettre aux pays émergents de mieux répondre aux défis du réchauffement climatique. Ces deux institutions par leurs règles inadaptées ne sont pas en mesure de répondre aux besoins estimés à 1.000 milliards par an alors que le G7 est arrivé à se mettre d’accord sur 100 milliards par an entre 2020 et 2025, mais les fonds n’ont pas encore été déboursés, semble-t-il. Entre-temps, la Chine de devenir de loin le premier créditeur des pays du Sud, avec le montant des prêts de la Chine à ces pays dépassant celui des institutions internationales et des pays développés tout confondu.

Objectifs à 2040 pour l’UE3 : réduction des émissions nettes de 90% à 95% (par rapport à 1990)

Le conseil scientifique consultatif européen sur le changement climatique, créé par la loi européenne sur le climat et constitué par 15 scientifiques indépendants, le préconise dans un rapport publié le 15 juin 2023 après avoir identifié sept scénarios (parmi plus de mille) qui permettent d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et de limiter le réchauffement à 1,5°C. Une telle réduction nécessite de maintenir les émissions cumulées de l’UE dans une limite de 11 à 14 milliards tonnes équivalent CO2 durant la période 2030-2050. L’arrêt progressif des centrales à charbons et au gaz d’ici à 2030 et 2040, le déploiement massif des énergies éolienne, solaire et hydroélectrique, et une diminution importante de la consommation finale d’énergie sont les traits communs de ces scénarios avec aussi l’absorption du carbone, mais pas le recours au nucléaire. Comme le prévoit la loi climat, la Commission européenne devra tenir compte des recommandations du conseil consultatif pour sa proposition d’un objectif climatique à horizon 2040 prévue pour le premier semestre 2024.

Règlement sur la restauration de la nature en sursis4

Pilier du Pacte vert européen, ce règlement fixe des objectifs chiffrés de restauration des écosystèmes dégradés et doit permettre de mettre fin à la perte de biodiversité sur le continent d’ici à 2050. Après le rejet du texte par les commissions Agricultures et Pêche du Parlement européen, la Commission Environnement n’a pas su trancher lors de la session du 15 juin avec 44 eurodéputés, principalement la droite (PPE), les ultraconservateurs (CRE), l’extrême droite (ID ) et une partie des libéraux (Renew) votant pour les amendements de rejet et 44 eurodéputés, progressistes (une partie de Renew, le S&D , Les Verts et La Gauche ) votant contre. Fait rarissime, le vote a finalement été reporté au 27 juin et l’issue du scrutin reste incertaine et pourrait affecter le Pacte vert dans la durée..

1 spanish-presidency.consilium.europa.eu/fr/

2 lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/climat-pour-un-nouveau-pacte-financier-entre-le-nord-et-le-sud-1952281

3 climate-advisory-board.europa.eu/reports-and-publications/scientific-advice-for-the-determination-of-an-eu-wide-2040

4 fr.euronews.com/my-europe/2023/06/15/la-loi-sur-la-restauration-de-la-nature-survit-au-premier-vote-du-parlement-europeen

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