La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 25

À la suite des Accords de Paris et de la Convention citoyenne pour le climat, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, aussi appelée « loi Climat et résilience » a été promulguée le 21 août 2021. Cette loi a pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030 en France sur la base des cinq thématiques suivantes : consommer, produire et travailler, se déplacer, se loger et se nourrir.

Dans le cadre de ses prérogatives, la commission parlementaire du développement durable et de l’aménagement du territoire a nommé deux rapporteurs pour l’informer sur la mise en application concrète de la loi.

Sommaire

Réflexions décarbonées

Réflexions décarbonées

Focus n°1 sur la vente en vrac - loi portant lutte contre le dérèglement climatique

Le rapport d’information de Mme Laurence Maillart-Méhaignerie et M. Sylvain Carrière se concentre sur les articles de la loi relatifs à la consommation d’une part et aux transports terrestres et aériens d’autre part, soit un total de 73 articles, dont une trentaine portent des mesures réglementaires.

Nous vous présentons dans cet article, l’analyse du rapport d’information qui concerne les dispositions relatives à la consommation.

Application des mesures liées à la consommation et plus particulièrement à la vente en vrac

L’article 23 de la loi Climat et résilience introduit, pour les commerces alimentaires et non alimentaires de plus de 400 mètres carrés, un objectif au 1er janvier 2030 de 20 % de surface consacrée à la vente en vrac. Un décret prévu par la loi devait préciser les objectifs à atteindre en fonction des catégories de produits, des exigences sanitaires et de sécurité ainsi que des spécificités des réseaux de distribution.

La vente en vrac est définie, depuis la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire dite loi « AGEC »1, comme la vente de produits présentés sans emballage, en quantité choisie par le consommateur, dans des contenants réutilisables. D’après la loi AGEC, tout produit de consommation courante peut être vendu en vrac, sauf exceptions à définir par décret également, décret pas encore paru, ce qui n’interfère pas pour autant avec la publication du décret relatif aux surfaces consacrées à la vente en vrac.

C’est à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) , administration rattachée au ministère de l’Économie en charge notamment de la protection des consommateurs, qu’est échue la responsabilité des deux projets de décret. Elle a conduit début 2022 une consultation auprès des professionnels d’où il ressort que la majorité des professionnels devraient être en mesure d’atteindre l’objectif de 20 % d’ici 2030. Mais il sera plus problématique pour certaines filières, notamment pour des raisons de conservation (par exemple, le vin s’oxyde dans des distributeurs) ou sanitaires (comme pour les cosmétiques). Il faut espérer que des innovations (stockage du vin sous atmosphère de gaz rares non oxydants par exemple) permettront des progrès.

Dans ce cadre, les deux députés en charge de l’évaluation recommandent (sauf dans les situations plus difficiles mentionnées) de prévoir un système de sanctions en cas de non-respect de l’objectif de 20 % à horizon 2030, ainsi qu’une campagne de sensibilisation à destination du grand public sur la vente en vrac et les bonnes pratiques à adopter.

Mais quel est au juste le rapport entre carbone et vente en vrac ?

La vente en vrac est un levier intéressant car elle permet d’une part de lutter contre le gaspillage alimentaire, d’autre part de diminuer la production de déchets liés aux emballages.

Dans ses « Neuf propositions pour que l’Europe change d’ère »2, The Shift Project indique que l’alimentation est responsable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne et recommande de réduire de moitié le gaspillage alimentaire. En ce qui concerne la France, l’ADEME évaluait qu’en 2016 l’impact carbone des pertes et gaspillages était de 15,3 millions de tonnes équivalent CO2, soit 3 % de l’ensemble des émissions de l’activité nationale, et qu’un tiers des pertes avait lieu au niveau du consommateur final3. Permettre au consommateur, grâce à la vente en vrac, de n’acheter que la quantité dont il a besoin, contribue ainsi à réduire son empreinte carbone.

Quant à la réduction des déchets, si l’impact en termes d’émissions est moins bien quantifié, il n’en reste pas moins qu’en 2020, en France, 310 millions de tonnes de déchets ont été produites : les « déchets ménagers et similaires », cibles des mesures relatives à la vente en vrac et produits à 78 % par les ménages, représentaient 21 millions de tonnes4.

Les déchets sont responsables en France de 3,8 % des émissions de GES5, et ce sans prise en compte des émissions liées au transport et aux processus de recyclage. La mise en décharge représente par exemple en France 16 % des émissions de méthane, principalement dues à la décomposition des matières organiques – notamment issues du gaspillage alimentaire. Si la diminution des emballages jetables n’aurait vraisemblablement que peu d’effets sur les émissions de méthane, elle aurait certainement un impact non négligeable sur les émissions liées à la collecte des déchets, effectuée aujourd’hui par des véhicules thermiques, en permettant de diminuer les volumes collectés.

Des emballages réutilisables contribuent à diminuer la production d’emballages, une activité qui émet du carbone. On estime que le recyclage des emballages évite aujourd’hui l’émission de 2,2 millions de tonnes de CO26 par an. Bien que le taux global de recyclage des emballages ménagers soit globalement important (72 %), il varie fortement en fonction du matériau considéré : les emballages en plastique hors bouteilles ne sont ainsi recyclés qu’à 11 %.

En conclusion, limiter la production de déchets – via notamment la lutte contre le gaspillage alimentaire et la diminution des emballages ménagers – s’inscrit pleinement dans la Stratégie nationale bas carbone, qui en a fait une recommandation phare. Les Shifters soulignent donc la cohérence des derniers textes législatifs et souhaiteraient que, au-delà de la vente en vrac, davantage de mesures relatives au suremballage soient prises, alors qu’elles se limitent aujourd’hui aux fruits et légumes frais en petit conditionnement.

1 Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (1) – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

2 decarbonizeurope.org/wp-content/uploads/2016/11/9-Alimentation-version-longue.pdf

3 librairie.ademe.fr/cadic/2444/pertes-gaspillages-alimentaires-etat-lieux-201605-synt.pdf

4 statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2022-11/datalab_essentiel_293_dechets2020_novembre2022.pdf

5 www.citepa.org/fr/secten/

6 Citeo, « Tri et recyclage des emballages ménagers : chiffres clés 2021 »

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Focus n°2 : le transport aérien et la « loi Climat et résilience »

L’une des 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) consistait à limiter les effets néfastes du transport aérien en « organisant progressivement la fin du trafic aérien sur les vols intérieurs d’ici 2025, uniquement sur les lignes où il existe une alternative bas carbone satisfaisante en prix et en temps (sur un trajet de moins de 4h) »1. Cette mesure se rapproche de la préconisation du Shift Project énoncée dans le rapport « Pouvoir voler en 2050 »2 visant à supprimer progressivement les voyages intérieurs en avion sur les lignes où il existe une alternative ferroviaire en moins de 4h30, y compris pour les vols internationaux (sauf correspondance).

En effet, pour le même trajet, un voyage en train émet en moyenne entre 30 et 40 fois moins de CO2 qu’un voyage en avion. Ce ratio s’entend certes une fois les infrastructures construites mais à l’exception de métropoles comme Toulouse ou Nice, les villes françaises ayant un aéroport à proximité sont souvent déjà desservies par des lignes à grande vitesse.

Cette ambition a été sensiblement réduite dans la loi Climat et résilience : les parlementaires ont choisi dans l’article 145 d’interdire uniquement les vols domestiques (intra-métropole) quand une alternative en train existe en moins de 2 h 30. Le projet de décret d’application5 précise les conditions nécessaires pour qu’une liaison ferroviaire de moins de 2 h 30 soit considérée suffisamment performante : la liaison entre les villes doit être directe, avec une fréquence et des horaires « suffisants » et permettant de passer dans la ville de destination au moins 8 h dans la journée.

Ces précisions sont de taille car, là où 47 liaisons aériennes (36 domestiques et 11 internationales) avaient été identifiées par The Shift Project, seules 3 ont été effectivement supprimées en France par les services de la DGAC en 2023 : entre Paris-Orly et Bordeaux, Nantes et Lyon4. Bien que cet article de loi ne soit aujourd’hui pas suffisamment ambitieux au regard des ambitions climatiques, il a le mérite de mettre en lumière certains manques actuels des liaisons ferroviaires et permet de fixer des objectifs pour le développement de la mobilité longue distance bas carbone.

  • L’augmentation des cadences ferroviaires, notamment le matin et le soir, permettrait de promouvoir des liaisons ferroviaires dont le temps de trajet est compétitif (exemple de Lyon-Marseille ou Rennes-Paris CDG). Cette mesure est d’ailleurs évoquée dans le rapport d’information de la commission parlementaire.
  • La création de liaisons ferroviaires directes entre deux villes de province sur des infrastructures existantes (voir carte ci-dessous) quand le temps de trajet serait amélioré par rapport à un passage par Paris, par exemple pour les trajets Angers-Bordeaux (moins de 2 h 30) ou Nantes-Bordeaux (moins de 3 h).

De futures suppressions de liaisons aériennes en application de cet article de loi pourront donc passer dans un premier temps par des mesures ne nécessitant pas la création de nouvelles infrastructures mais une meilleure utilisation des infrastructures existantes. Le même article 145 de la loi Climat et résilience vise la décarbonation du secteur aérien6, en particulier pour les liaisons n’ayant pas d’alternative ferroviaire en moins de 2 h 30. Rappelons que The Shift Project développe le même point78.

Cette volonté de décarbonation vient d’ailleurs d’être réaffirmée au sommet de l’État par des investissements et une feuille de route ambitieuse devant permettre le développement en France d’un avion zéro émission d’ici 20309. Cet espoir technologique demeure cependant pour le moins aléatoire au vu du stade expérimental de la technologie, bien loin donc d’un déploiement industriel rapide.

Du fait de l’urgence – objectif de -40 % d’émissions de GES en 2030 –, le report sur le ferroviaire est prioritaire. La décarbonation du secteur aérien ne peut être que complémentaire et serait probablement limitée par les surfaces agricoles dédiées aux bio-carburants, ou par la production électrique transformée en hydrogène, sauf essor très aléatoire à ce stade des gisements souterrains d’hydrogène natif.

1 propositions.conventioncitoyennepourleclimat.fr/se-deplacer-2/

2 theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/03/Pouvoir-voler-en-2050_ShiftProject_Rapport-2021.pdf

3 www.vie-publique.fr/consultations/287498-projet-decret-interdiction-vols-interieurs-si-trajet-en-train-moins-2h30

4 À noter que les liaisons entre ces villes et l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle sont toujours maintenues car le temps de trajet considéré pour le train est jusqu’à la gare de l’aéroport (et non les gares parisiennes intra-muros), avec un temps de trajet rallongé ou avec des horaires non suffisants. Cela dans la volonté de ne pas pénaliser les voyageurs effectuant des correspondances

5 Le dernier paragraphe de l’article exprime que les liaisons aériennes fonctionnant avec des transports aériens décarbonés pourront avoir une dérogation vis-à-vis de l’application de l’article 145. Il n’est cependant pas précisé à ce stade les niveaux d’émissions de CO2/pax pouvant rentrer dans ce cadre.

6 Le 6e axe « Mettre l’innovation technologique au service des enjeux et des contraintes amenés par le changement climatique » avec notamment le développement des carburants alternatifs fait d’ailleurs partie de l’ambition de l’État d’ici 2030 : www.lemonde.fr/economie/article/2023/06/16/le-plan-de-macron-pour-developper-un-avion-moins-polluant_6177895_3234.html

7 Le dernier paragraphe de l’article exprime que les liaisons aériennes fonctionnant avec des transports aériens décarbonés pourront avoir une dérogation vis-à-vis de l’application de l’article 145. Il n’est cependant pas précisé à ce stade les niveaux d’émissions de CO2/pax pouvant rentrer dans ce cadre.

8 www.ouest-france.fr/economie/transports/train/rennes-nantes-bordeaux-le-train-va-lancer-des-tgv-regionaux-dans-le-grand-ouest-en-2023-0192006e-e8a9-11ec-9353-88b2d5bf4dee et www.sncf-reseau.com/fr/carte/lignes-grande-vitesse-rfn

9 www.lemonde.fr/economie/article/2023/06/16/le-plan-de-macron-pour-developper-un-avion-moins-polluant_6177895_3234.html

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