La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 21

Cette semaine à la Gazette du carbone :

  • l’analyse de la proposition de loi du Parlement sur la revitalisation des lignes ferroviaires de dessertes fines du territoire ;
  • le point de vue des Shifters sur le label HVE (Haute valeur environnementale) appliqué au mode d’agriculture.

Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Questions émissions

Notre sélection de la semaine

Mieux organiser le renouveau des petites lignes ferroviaires

Proposition portée par Hubert WULFRANC, André CHASSAIGNE et député.e.s

Le rapport du Conseil d’Orientation des Infrastructures1 de février 2023 relance le débat sur l’investissement dans les infrastructures ferroviaires et notamment les petites lignes ferroviaires alors que le réseau français est vieillissant (30 ans en moyenne contre 17 en Belgique).

Dans ce cadre, le groupe de députés du groupe Gauche Démocrate et Républicaine a porté une proposition de loi (PPL) visant à la revitalisation pérenne des lignes ferroviaires de desserte fine2. Celle-ci met en perspective le coût de la transition écologique et l’accessibilité des territoires pour les voyageurs et pour le fret. Débattue par la Commission sénatoriale du développement durable et de l’aménagement du territoire, la proposition suggère d’apporter les outils et le temps nécessaires à une décision sur le devenir de ces lignes.

Contexte

Depuis 2015, 1300 kilomètres de voies classées ont été fermées et les trois quarts des petites lignes ferroviaires sont menacées de fermeture entre 2018 et 20303 ou de dessertes réduites.

Les petites lignes ferroviaires de desserte fine constituent 17% du trafic des trains régionaux mais seulement 2% des voyageurs avec des taux de remplissage faibles, en moyenne de 30 voyageurs par train4. Leur coût d’exploitation et de remise en service est important par rapport au budget dédié au ferroviaire et au nombre d’usagers ciblés. Le rapport Philizot5, établi en 2020, estime que 16 % des concours publics destinés au secteur ferroviaire servent à financer la maintenance et l’exploitation des petites lignes, sans même inclure d’extension ou de réhabilitation d’anciennes lignes.

Pour autant, ces petites lignes sont plébiscitées par les usagers, les entreprises et les élus pour la qualité de leur usage et les services rendus. Elles constituent le support de desserte fine du territoire par le fret ferroviaire6 qui, historiquement a motivé une part importante du développement de ce maillage du territoire. Par ailleurs, si 27% de ces lignes ne transportent que du fret, leur développement est identifié par le Shift Project comme un levier important de décarbonation du fret avec un besoin de doublement de capacité d’ici 2050.

La proposition de loi promeut principalement deux dispositifs

1. La généralisation du financement d’études de potentiel sur les lignes au sein des contrats de plan État-région

Ce dispositif rejoint les conclusions des rapports successifs sur la mobilité7 et la position du Shift relatif à la nécessité d’un état des lieux des potentiels et des montants associés. Il pourrait même inclure les lignes en déclin mais encore en service.

En effet, la situation des « petites lignes » diffère fortement au plan local et requiert selon les lieux des évaluations spécifiques du potentiel, du bilan carbone et des services rendus. Le rapport du Shift Project de février 2020 présente l’impact carbone des différents types de véhicule et met en avant cette variabilité. L’impact environnemental des solutions de mobilité envisagées dépend notamment des conditions de mise en circulation : la petite ligne sera-elle électrifiée (85% ne le sont pas) ? Quel pourra être son taux de remplissage au regard de la fréquence du service ? Depuis la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, ces évaluations et plus largement la stratégie de desserte des petites lignes sont coordonnées par la Région, qui a donc la main pour prioriser les lignes et les modes de transport déployés sur son territoire. Cet échelon de suivi paraît a priori judicieux.

Les Shifters adhèrent donc à l’opportunité d’une approche granulaire locale pour distinguer les lignes en fonction de leur hausse d’attractivité résultant d’un investissement. In fine, ce premier dispositif aurait l’intérêt de remettre en avant l’intérêt des décideurs publics locaux autour de ces lignes et d’éviter ainsi qu’elles soient progressivement délaissées, sans choix politique clairement établi par la Région.
La Commission souhaiterait par ailleurs inclure l’étude d’un scénario de lignes à « vitesse intermédiaire » plutôt qu’à grande vitesse, avec un réinvestissement dans les petites lignes des gains provenant de la grande vitesse.

2. Un moratoire de 20 ans sur les opérations de déclassement, de déferrement et de cessions foncières d’emprise de voies ferrées appartenant à SNCF réseau

La Commission8 propose de le réduire à 10 ans et d’en restreindre le périmètre aux voies ferrées sur lesquelles existait un service régulier de transport ferroviaire de voyageurs au 1er janvier 2017. Cette initiative semble peu pertinente au plan économique au regard de l’analyse du Shift sur le coût des projets de LGV par rapport au train classique (coûts presque équivalents) ; elle peut cependant permettre d’étudier plus en détails les effets d’exclusion sociale et de restructuration territoriale des LGV.

En effet une partie des lignes est dans un état dégradé et un moratoire trop strict pourrait être défavorable au développement d’alternatives pour maintenir un service de mobilité lorsque le train ne peut pas être conservé, ou de libérer du foncier à d’autres usages. Reste en suspens la capacité d’adaptation du dispositif aux spécificités des territoires.

Cette proposition de loi traite de questions cruciales en matière ferroviaire, qui requièrent notamment de définir le financement des petites lignes. Le Sénat estime en effet nécessaire d’y investir 700 millions par an pour répondre aux objectifs du rapport Philizot9. Le plan du Président de la République pour le ferroviaire annoncé en début d’année 202310 permet une première réponse à cet enjeu avec 300 millions d’euros identifiés pour les petites lignes. Les discussions doivent se poursuivre pour atteindre les objectifs de décarbonation du transport de voyageurs et du fret.

1 Instance consultative placée sous l’autorité du ministre chargé des transports et réunissant différentes personnalités politiques et des experts.

2 www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-dvp/l16b1080_rapport-fond

3 Rapport Philizot, 2020.

4 Rapport Philizot, 2020.

5 www.banquedesterritoires.fr/petites-lignes-ferroviaires-le-rapport-philizot-publie-les-premiers-plans-dactions-regionaux-signes

6 www.cairn.info/revue-transports-urbains-2018-2-page-3.htm

7 Rapport Duron 2018, Rapport Philizot 2020, Rapport du Conseil d’Orientation des Infrastructures 2023

8 www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-dvp/l16b1080_rapport-fond.pdf

9 www.senat.fr/rap/r21-570/r21-57010.html

10 SNCF R. Plan de relance historique en faveur du ferroviaire.

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Questions émissions

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Une Haute valeur environnementale (HVE), vraiment ?

Portée par M. Sylvain Carrière LFI

M. Sylvain Carrière attire l’attention de M. le ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire sur le bien-fondé du label Haute valeur environnementale dit HVE. Introduit après le Grenelle de l’environnement de 2007, il vise à créer un mode d’agriculture à mi-chemin entre le conventionnel et l’agriculture biologique. Ce label, selon des rapports de l’Office Français de la Biodiversité1 (OFB) et de l’IDDRI2 (Institut du développement durable et des relations internationales), n’a que peu d’impact sur les pratiques des agriculteurs, même ceux qui rallient la démarche HVE.

M. le député demande à M. le ministre que le label HVE soit plus restrictif afin de garantir une réelle amélioration écologique dans les pratiques agricoles. Il s’agit de transparence, car pour l’instant le label trompe le consommateur selon le député. Il souhaite connaître sa position sur le sujet.

Dans sa réponse, le ministère note que la certification environnementale a connu une forte dynamique depuis les États généraux de l’alimentation de 2017. La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite EGAlim 1 de 2018, a inclus ces produits dans la part des produits de qualité en restauration collective.

Tout en reconnaissant n’avoir pu attendre le résultat final de l’étude menée par l’OFB, mais en valorisant les résultats intermédiaires qui comportent déjà l’essentiel des pistes, les autorités françaises ont mené un travail de rénovation du référentiel de la HVE de mi-2021 à mi-2022.

Les résultats finaux, présentés début juillet 2022 en commission nationale de la certification environnementale (CNCE) ont corroboré la nécessité de faire évoluer le référentiel de la HVE. La CNCE réalisera dans la durée un suivi de l’impact de la mise en œuvre de cette révision du référentiel de la HVE. Comme annoncé au lancement des travaux, une deuxième étape de révision sera ensuite menée pour continuer d’accompagner les efforts des agriculteurs dans la transition écologique et de consolider la plus-value environnementale de HVE.

Une méthodologie complexe mais, au fond, guère exigeante.

En 2007, le label visait d’abord à édicter des critères concrets pour donner corps à ce nouveau principe. Il impose un cahier des charges3 portant sur quatre domaines : biodiversité, phytosanitaire, fertilisation et gestion de l’eau. Concernant la biodiversité, la présence d’infrastructures agro-écologiques (IAE) – comparables aux Surfaces d’Intérêt Écologique (SIE) de la PAC – en linéaire ou surface est requise. Une certaine diversité de cultures est aussi demandée.

Au plan phytosanitaire, une réduction des quantités de produits utilisés doit être mesurée à travers un calcul d’Indice de Fréquence de Traitement (IFT). La fertilisation est aussi évaluée par un calcul de balance azotée. La couverture hivernale des sols, l’implantation de légumineuses sont mises en avant. Enfin, la gestion de l’eau concerne plus particulièrement les irrigants. Elle valorise une utilisation économe.

Le recours aux méthodes alternatives est certes valorisé mais l’utilisation de glyphosate ou d’engrais chimique à 100% n’empêche pas d’être HVE et de percevoir les aides afférentes pour peu que ces utilisations soient justifiées et sans excès, sans que ce dernier aspect soit très étayé au plan scientifique. Le principal atout du label HVE est d’inciter les agriculteurs à faire de nombreuses mesures de ces intrants et donc de davantage réfléchir à leurs pratiques.

Un dynamisme certain des effectifs

Mis en place finalement en 2012, le label n’a guère séduit jusqu’en 2017, mais bénéficie depuis 2018 d’un dynamisme indéniable; un élan qui selon les autorités élan résulte des crédits d’impôts consentis et de la place des produits HVE dans la part des produits de qualité en restauration collective.
Au 1er janvier 2023, les exploitations certifiées HVE représentent environ 9,3 % des exploitations agricoles françaises et couvrent 2,15 millions d’hectares, soit environ 8,0 % de la surface agricole utile (SAU) française4 . La filière viticole, par intérêt marketing certainement, représente 63 % des exploitations certifiées HVE, devant la polyculture avec élevage (17 ), les grandes cultures (8 %), l’arboriculture (5,4 %), l’élevage pur (4.2 %), le maraîchage (3,3). Les filières animales commencent à accéder au label seulement depuis 2021.

La reconnaissance de changements effectués souvent pour d’autres motivations

Comme évoqué par M. CARRIERE, deux rapports sur les bilans de ce label, l’un par l’IDDRI5 en 2021 et l’autre par l’OFB6 en 2022, sont très critiques quant à l’évolution des pratiques environnementales des nouvelles exploitations labellisées.

Selon l’IDDRI, « la prise en compte de la certification HVE pour les éco-régimes du premier pilier de la PAC (mais aussi les crédits d’impôt du plan de relance, ou l’approvisionnement de la restauration collective) doit être conditionnée à une révision profonde de son cahier des charges – faute de quoi, c’est l’ensemble du dispositif d’éco-régime français qui se trouvera décrédibilisé ». Un avantage doit être reconnu aux certifications plus robustes, en particulier l’agriculture biologique et l’agriculture à Haute Valeur naturelle (HVN) (notamment centrée sur l’élevage extensif à l’herbe).

Le rapport de l’OFB est tout aussi critique, relevant que « si les exploitants certifiés ont pu faire évoluer leurs pratiques, la plupart (trois-quarts des répondants de l’enquête) auraient effectué ces changements indépendamment de la certification HVE. D’ailleurs, une des principales motivations mises en avant pour s’engager dans la certification concerne la reconnaissance de changements de pratiques déjà effectués ». Selon le commentaire de la Commission européenne en mars 2022, le cahier des charges de la HVE était « le moins disant d’Europe ».

Une évolution tardive et insuffisante du label

L’une des grandes nouveautés de la campagne PAC 2023-2027 est l’Eco-Régime, un nouveau dispositif d’aides directes, qui vise à accompagner la transition agro-écologique en favorisant les exploitations ayant des pratiques vertueuses. Il s’articule autour de trois voies d’accès : « Pratiques de gestion agroécologique des surfaces agricoles », « Certification environnementale » et « Les éléments favorables à la biodiversité ». Il a fallu ajuster de façon réactive et dans l’urgence le cahier des charges, alors que plus de 20.000 exploitations étaient déjà embarquées dans le système. La solution privilégiée a été de faire des aménagements annuels pour les nouveaux entrants, et de laisser le temps aux « anciens » de faire évoluer leurs exploitations, en leur fixant des caps de long terme.

Ce système toujours complexe, avec des items à points, est certes plus exigeants sur sur les surfaces agroécologiques, sur les excès d’utilisations d’engrais chimiques. Mais pour beaucoup, le compte n’y est pas, dont l’ONG Générations Futures7 qui souligne que « Les agriculteurs peuvent faire certifier leurs exploitations même s’ils ont recours à des pesticides de synthèse dangereux pour la santé et l’environnement… Pas de perte de points en cas d’utilisation de CMR 2, d’insecticides de type néonicotinoïdes, de polluants des eaux…de produits persistants et bioaccumulables ». Selon l’UFC que Choisir8 , « on voit bien que la HVE, avec un référentiel aussi peu ambitieux, n’a pas comme objectif de reposer sur une performance environnementale réellement élevée… »

Le Plan de Transition de l’Économie Française recommande quant à lui une diminution de 80 % de ces engrais pour atteindre des objectifs de sobriété énergétique par exemple. On peut donc déplorer que les critères d’utilisations de produits phytosanitaires, ainsi que des engrais chimiques ne soient pas plus contraignants.

Conclusion

Même si des efforts ont été réalisés afin d’améliorer les critères d’accès au label HVE, comme le souligne la réponse ministérielle, ces conclusions paraissent excessivement positives. Outre que le label ne comprend aucun critère ou indicateur sur l’atténuation du changement climatique, ses critères relatifs à la pollution ne sont toujours pas assez exigeants pour entraîner de réels changements de pratiques chez les exploitants labellisés. Il est urgent, comme souhaité vivement par l’OFB, que les réflexions reprennent pour proposer rapidement un modèle plus en phase avec les objectifs de changements que doit opérer l’agriculture française.

1 OFB

2 www.iddri.org/sites/default/files/PDF/Publications/Catalogue%20Iddri/Propositions/202103-PB0421_HVE_0.pdf

3 Pour aller plus loin sur le cahier des charges HVE

4 Les Chiffres clés de la Haute Valeur Environnementale

5 Institut indépendant de recherche sur les politiques et plateforme de dialogue multi-acteurs, l’IDDRI identifie les conditions, et propose des outils, pour placer le développement durable au cœur des relations internationales et des politiques publiques et privées

6 L’Office français de la biodiversité (OFB) est un établissement public dédié à la protection et la restauration de la biodiversité en métropole et dans les Outre-mer, sous la tutelle des ministères chargés de l’écologie et de l’agriculture.

7 Haute valeur environnementale : certification toujours trop peu ambitieuse, notamment sur l’indicateur pesticides !

8 Le label HVE trompe le consommateur, il faut l’interdire

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