La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
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Supplément consacré à l'actualité de l'Union EuropéenneUne fois par mois, la Gazette voyage à Bruxelles pour y apporter l'expertise du Shift Project et intégrer cette dernière au débat parlementaire européen. avril 2023
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Le Règlement sur les matières premières critiquesDécision du Parlement et Conseil européen La Commission européenne a présenté jeudi 16 mars les grandes lignes de son plan industriel, partie intégrante du Green Deal, qui avait été annoncée par Ursula Van Der Leyen en février dernier. La stratégie proposée devrait permettre à l’industrie européenne de rivaliser avec les États-Unis et la Chine dans la fabrication de produits issus des technologies propres et l’accès aux matières premières nécessaires à la transition écologique. La Commission européenne a présenté, le jeudi 16 mars, les grandes orientations d’une proposition de Règlement sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act). L’objectif annoncé est d’assurer “un approvisionnement sûr, diversifié, abordable et durable”1 via l’augmentation de la production de ces matières et la diversification des sources d’approvisionnement. L’importance de ces matières tient notamment au fait qu’elles sont nécessaires aux technologies bas-carbone, et donc indispensables pour réaliser la transition énergétique de l’Union européenne. Ces matières sont aussi essentielles pour la digitalisation de l’économie, la défense ou encore l’aérospatial. A titre d’exemple, elles sont utilisées dans les batteries électriques (lithium, cobalt, graphite, manganèse, molybdène, nickel), les véhicules électriques (cobalt, cuivre, lithium, nickel, terres rares), l’éolien (aluminium, cuivre, nickel, terres rares pour le offshore) ou encore le photovoltaïque (aluminium, argent, cuivre, silicium)2 . 1° Comment définir une matière première critique ?Les États établissent des listes de classification des matières premières critiques qui leurs sont propres et qui évoluent au fil des années. Le règlement présenté par la Commission introduit une liste de 34 matières premières critiques parmi lesquelles on peut citer l’antimoine, le béryllium, le cobalt, le gallium, les terres rares légères, etc.3 Il distingue les matières premières stratégiques et celles critiques :
2° Quels sont les enjeux liés à l’approvisionnement en matières premières critiques ?Quelques pays seulement concentrent la production des matières premières critiques, induisant une dépendance pour l’Union européenne. A titre d’exemple, la Russie domine la production d’antimoine (22%), de vanadium (17%) ou encore de platinoïdes (25%). L’Australie, elle, produit du lithium (55%), du bauxite (28%), du zirconium (33%), etc. La Chine détient au moins 30% de la production mondiale sur 8 matières premières critiques différentes, dont celles d’antimoine (65%), de silicium (65%), de terres rares (72%), de tungstène (82%), etc. Par ses multiples investissements directs à l’étranger, elle détient aussi plus de 50 % de la production de cobalt, plus de 60 % du lithium, plus de 80 % du magnésium et plus de 70 % du graphite4 . Elle est également un acteur central du raffinage des matières premières critiques. D’autres pays occupent un rôle central dans l’extraction mondiale de certaines matières critiques comme la République Démocratique du Congo (70% du cobalt) ou encore le Brésil (88% du niobium). Actuellement, l’Union européenne est dépendante, entre autres, du Chili pour 78% de son approvisionnement en lithium, de la Chine pour 98% des terres rares ou encore de l’Afrique du Sud pour 71% du platine. [5] Pour éviter que ces dépendances n’entrent en conflit avec les autres intérêts de l’UE, comme ce fut le cas de la dépendance aux énergies fossiles russes lors de la guerre en Ukraine, il est primordial qu’elle se dote rapidement d’une législation ambitieuse sur le sujet. 3° Quelles sont les propositions du Règlement ?Le texte s’articule autour de plusieurs thématiques :
La proposition de la Commission propose des objectifs à l’horizon 20306 :
4° Analyse critiqueL’Union européenne est fortement dépendante des matières premières critiques importées. Or l’extraction et le raffinage des métaux sont concentrés au sein d’un petit nombre d’États, dont la Chine qui occupe une place centrale sur ces deux maillons de la chaîne. Afin d’anticiper de futures crises d’approvisionnement et d’y faire face le moment venu, il était temps que l’Union européenne se dote d’une politique concernant les matières premières critiques afin de regagner en autonomie stratégique. La présentation du Règlement sur les matières premières critiques va dans le bon sens en abordant aussi bien l’extraction, le raffinage et le recyclage de ces matières que la limitation de la dépendance à certains pays par les importations. Une attention devra être portée à une effectivité de cette politique. S’agissant de la diversification des pays-tiers fournisseurs des matières premières critiques, il conviendra de s’assurer de son respect à toutes les étapes de la chaîne de valeur. Diversifier les pays d’extraction sans diversifier les pays qui les raffinent n’aura que peu d’impact sur la sécurité d’approvisionnement. Ensuite, la relance des projets d’extraction des matières premières critiques et du raffinage au sein de l’Union européenne devra se faire avec le concours de citoyens afin d’en faciliter l’acceptabilité. Il faudra également veiller au respect des réglementations environnementales pour ces projets, qui sont fortement énergivores, consommateurs d’eau et de produits chimiques. A cet égard, il conviendrait d’approfondir les techniques de recyclage et les études d’impact environnemental. Enfin, l’Union européenne devrait promouvoir la sobriété à tous les niveaux pour réduire les dépendances à ces matières et développer une réflexion sur la réalité des risques concernant l’approvisionnement en matériaux nécessaires pour la mobilité électrique (lithium, cuivre, nickel…), ou encore sur le jetable et l’obsolescence programmée. 1 ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_23_1661 2 legrandcontinent.eu/fr/2023/03/21/10-points-sur-les-metaux-strategiques/ 3 eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52023PC0160 4 legrandcontinent.eu/fr/2023/03/21/10-points-sur-les-metaux-strategiques/ |
Le Règlement sur l’industrie à zéro émission netteDécision du Parlement et Conseil européen Le règlement sur l’industrie à zéro émissions nettes (ou nette zéro) a été présenté en parallèle du règlement sur les matières critiques le 16 mars 2023 et fait office de réponse à l’Inflation Reduction Act, américain, promulgué le 16 août 2022. L’UE se fixe de produire d’ici 2030 au moins 40 % des produits nécessaire aux technologies « net zéro ».1 Huit secteurs technologiques ont été retenus: le solaire photovoltaïque et thermique, l’éolien terrestre et offshore, les batteries et les stockages électriques, les pompes à chaleur et la géothermie, les électrolyseurs et les piles à combustible, le biogaz et le biométhane, les réseaux, la capture, l’utilisation et le stockage du carbone. Le choix de ces technologies est fondé sur trois critères : état d’avancement, niveau et contribution à la décarbonation, la compétitivité et la sécurité d’approvisionnement. Ces huit secteurs font l’objet d’objectifs spécifiques, par exemple la réalisation de 40 % du déploiement annuel de l’énergie solaire photovoltaïque, de 50 % du déploiement des électrolyseurs et de 60 % du déploiement des pompes à chaleur à partir de produits fabriqués dans l’UE d’ici à 2030. Pour les batteries et l’énergie éolienne, l’objectif s’élève à 85 % d‘ici à 2030.2 La proposition de règlement doit maintenant être examinée et approuvée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne avant son adoption officielle et son entrée en vigueur. Se poseront alors notamment la question de l’inclusion des technologies nucléaires, débat clivant entre les pays membres et les groupes politiques représentés au sein du Parlement européen. Un cadre favorable au déploiement des technologiesPour atteindre ces objectifs, le texte propose notamment une simplification des démarches administratives (délais raccourcis, rationalisation des procédures, simplification de l’octroi des permis de construire) et de développement des compétences (identification des besoins, construction des programmes et déploiement rapide à grande échelle). Une réponse structurelle aux besoins d’investissement devrait être apportée plus tard par le Fonds européen de souveraineté (défendu par la France) pour mobiliser les investissements privés. Par ailleurs, afin de stimuler la diversification de l’approvisionnement en technologies net-zéro, le texte prévoit que les autorités publiques prennent en compte les critères de durabilité et de résilience pour les technologies net-zéro dans les marchés publics ou les ventes aux enchères. Le débat autour du nucléaireL’inclusion des technologies nucléaires a été une pomme de discorde entre les commissaires européens lors de la rédaction de la proposition. Au final, les technologies pour produire de l’énergie à partir de processus nucléaires avec un minimum de déchets du cycle du combustible, les petits réacteurs modulaires, et les meilleurs combustibles connexes seront soutenus par les mesures de la loi. Toutefois, les technologies nucléaires existantes, telles que les réacteurs à eau pressurisée de deuxième génération que la France souhaite développer, sont exclues du texte. Plus important encore, le nucléaire n’apparaît pas dans l’annexe du règlement qui définit les « technologies stratégiques net-zéro » bénéficiant d’un soutien particulier et soumises au critère de 40 % de production nationale.3 La situation peut toutefois évoluer au cours des prochains mois, car le projet de législation actuel pourrait être modifié par le Parlement européen (en particulier par le groupe parlementaire Renew) et les États membres. La question du captage carboneLes technologies de captage, stockage et utilisation du carbone (CCUS) sont incluses dans la proposition. Coûteuses et limitées aujourd’hui, elles pourraient devenir plus rentables et prendre le pas sur les techniques naturelles dans les années 2030-20404 . Ce développement, aujourd’hui encore très limité, est loin d’atteindre les résultats attendus, et devrait ainsi pouvoir être en partie propulsé par le texte. Bien que moins débattu dans le cadre de la proposition de loi que le nucléaire, car déjà ancré dans la politique de transition écologique de l’Union depuis plusieurs années5, le recours aux technologies de captage, stockage et utilisation du carbone (CCUS) est également un sujet clivant. De nombreuses zones d’ombres demeurent :
D’autre part, ces technologies font l’objet de critiques plus fondamentales :
1 eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52023PC0161 2 eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52023PC0161 3 justclimate.fes.de/e/key-provisions-eus-net-zero-industry-act 4 www.energy-transitions.org/publications/carbon-capture-use-storage-vital-but-limited/#download-form 5 setis.ec.europa.eu/implementing-actions/ccs-ccu_en 6 www.cnbc.com/2022/01/24/shell-ccs-facility-in-canada-emits-more-than-it-captures-study-says.html |
Actualités juridiques UE – Avril 2023Décision du Parlement et Conseil européen Quelques accords notables en trilogue fin mars ont clôturé les travaux sur les principaux éléments du paquet législatif « Fit for 55 »:
Avis aux amateurs, plusieurs consultations sont lancées ces dernières semaines et toujours en cours :
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