La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 14

Chers lectrices et lecteurs de la Gazette,

Cette semaine, nous nous retrouvons dans un nouveau numéro qui traite des problématiques de la filière biologique vis-à-vis de la conjoncture actuelle et de la technologie « vehicule-to-home » qui consiste à réinjecter l’électricité stockée dans les batteries électriques des véhicules électriques dans son foyer.

Bonne lecture !

Sommaire

Questions émissions

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en partenariat avec Logo Dixit

Soutien à la filière bio

Portée par Mme Murielle Lepvraud (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale - Côtes-d'Armor)

La députée Murielle Lepvraud interpelle le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire à propos des difficultés rencontrées par la filière du bio et du besoin d’un soutien d’urgence de la part de l’État.

Après une décennie de forte croissance, le marché du bio se heurte depuis deux ans à une baisse de la demande liée notamment à la perte de pouvoir d’achat des consommateurs, qui réduisent leurs achats alimentaires et se tournent vers des produits conventionnels moins coûteux. Le marché de l’alimentaire bio a régressé pour la première fois en 2021, avec une contraction des ventes de 1,3%1. Elle s’est accentuée en 2022, avec une baisse de 7,4% des volumes de vente sur le premier semestre2. Cette baisse de la demande a engendré une surproduction sur certaines filières et un déclassement des produits bio, vendus au même prix que leurs homologues conventionnels. C’est par exemple le cas aujourd’hui pour un litre de lait bio sur trois3. Les agriculteurs qui se sont convertis au bio se trouvent pris en tenaille entre des revenus qui s’amenuisent et des coûts de production en hausse, ce qui peut laisser craindre une accélération des cessations d’activité sur certaines filières. Côté distributeurs, ces difficultés se sont matérialisées par la fermeture de nombreux magasins bio, dont plusieurs de l’emblématique coopérative Biocoop.

La Cour des comptes pointe un soutien trop faible de l’État

Face à ce constat, de nombreux acteurs de l’agriculture biologique dénoncent un manque de soutien de l’État, sous la forme d’aides directes aux producteurs pour résister à la crise, mais aussi de politiques structurelles pour permettre le changement d’échelle de la filière et accélérer la transition agroécologique française. Dans un rapport publié en juin 20224, la Cour des comptes note ainsi l’insuffisance des politiques de soutien à l’agriculture biologique, qui n’ont pas permis d’atteindre les objectifs de 15% des surfaces agricoles utiles en bio5 et de 20% de produits bio dans la restauration collective publique en 20226. La Cour des comptes met directement en cause l’action du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui ne serait pas à la hauteur des ambitions affichées. Elle cite par exemple le manque de communication sur les impacts bénéfiques du bio, qui explique la perte de confiance des consommateurs, notamment face à la multiplication de labels « verts » concurrents et souvent moins exigeants, comme la mention « Haute valeur environnementale » (HVE), soutenue par le Ministère au même titre que le bio.

De plus, les aides de la PAC (politique agricole commune) affectées par la France à la rémunération des services environnementaux des exploitations bio ont été supprimées en 2017, et un quart d’entre elles ne touchent pas d’aide de la PAC. La Cour des comptes note également l’insuffisance du soutien apporté au reste de la filière, notamment la recherche et les industries agroalimentaires bio.

Afin d’atteindre les nouveaux objectifs de développement du secteur, notamment celui de 18% des surfaces agricoles françaises en bio dès 2027, le rapport identifie différents leviers d’action : soutenir la demande grâce à une communication claire sur l’impact environnemental et sanitaire du bio, réorienter les soutiens publics français et européen vers l’agriculture bio et favoriser la création de valeur au sein de la filière par une juste rémunération des services rendus.

Ce qu’en pensent les Shifters

Dans ses travaux consacrés à l’agriculture et l’alimentation, The Shift Project rappelle que le développement de pratiques agricoles durables est essentiel dans la transition vers une économie bas carbone et appelle à une généralisation des pratiques agroécologiques. L’agriculture biologique, qui vise à se passer de pesticides, peut constituer une des bases de cette transformation, même si elle n’est pas généralisable à une part majoritaire de la production. En tout état de cause, les formes que prend le soutien de l’État à l’agriculture devraient être adaptées pour assurer le développement de modèles agroalimentaires résilients, plus respectueux de l’environnement et de la santé des consommateurs.

1 L’Agence Bio. Le marché alimentaire bio en 2021. Édition 2022

2 IRI. Le bio en grandes surfaces alimentaires

3 D’après le CNIEL dans Les Échos

4 Cour des comptes. Le soutien à l’agriculture biologique. 30 juin 2022

5 Objectif fixé dans le programme « Ambition Bio 2022 »

6 Objectif fixé dans la loi Egalim de 2018

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Le pilotage de recharge électrique du véhicule électrique

Portée par député Ian Boucard Les Républicains - Territoire de Belfort

Le député Ian Boucard appelle l’attention de la ministre de la Transition énergétique sur l’introduction souhaitable en France de la norme V2H (Vehicle-To-Home), qui permet aux véhicules de réinjecter l’électricité stockée dans leurs batteries dans le réseau électrique ou directement dans leur foyer. Ces batteries pourraient compenser les pics de consommation ou fournir de l’énergie en situation d’urgence.

La réponse de la ministre reste très générale, rappelant que l’électromobilité constitue une des priorités du Gouvernement et que, pour atteindre la neutralité carbone en 2050, l’État engage résolument la transition pour tous les modes de transports, notamment le développement des véhicules électriques nécessitant l’installation de bornes de recharge. Elle cite plusieurs études, dont celles de RTE et d’ENEDIS, confirmant que l’adaptation nécessaire du réseau restera contenue d’ici 2035 et au-delà, moyennant de simples mesures de pilotage telles que les recharges de nuit, qui permettront d’en limiter l’impact sur le réseau. Elle admet que les technologies de recharge bidirectionnelle appelées V2X (V2H, V2B et V2G, Vehicle to Home, Build et Grid) apportent encore plus de flexibilité aux réseaux électriques et que des projets de recherche et développement sont en cours pour les améliorer, en particulier le projet EVVE porté par DREEV, filiale d’EDF. Le Gouvernement est favorable à l’utilisation des technologies de recharge bidirectionnelle dès lors que les normes et protocoles de communication sécurisés seront définis.

Le pilotage de recharge électrique du véhicule électrique

Dans son rapport de 2019 sur les « enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique1 », RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité français, indiquait qu’un véhicule particulier était utilisé seulement 4 % du temps et que moins de 10 % du parc de véhicule était en circulation même lors des périodes de trafic routier les plus chargées. Dès lors, un véhicule est majoritairement un objet statique et, à de rares exceptions près comme un trajet long sur autoroute, la recharge des véhicules électriques peut être pilotée sans impact sur la mobilité. Les véhicules électriques offrent donc bien une solution de flexibilité au système électrique.

On appelle « pilotage de la recharge » le fait de moduler la puissance de manière dite « intelligente » :

  • La recharge sur signal tarifaire consiste à l’asservir à des tarifs avantageux, en l’effectuant par exemple de nuit plutôt qu’en journée.
  • La recharge unidirectionnelle (V1G) peut être modulée dans le temps ou programmée sur un signal dynamique. Par exemple celui des émissions de CO2 de la production électrique en temps réel, la recharge s’interrompant lorsque le recours aux énergies fossiles dépasse un certain seuil.
  • Recharge bidirectionnelle (V2G – Vehicule to Grid / V2H – Vehicule to Home / V2B – Vehicule to Building ou V2X pour couvrir l’ensemble des possibilités) : la batterie peut prélever de l’électricité sur le réseau mais également en réinjecter sur le réseau public (V2G) ou sur le réseau électrique de la maison (V2H) ou de l’immeuble (V2B).

Intérêt de piloter la recharge

Pour le système électrique, RTE estime que l’électrification du secteur des transports induirait une consommation électrique de l’ordre de 40 à 65 TWh à l’horizon 2035 dans l’hypothèse d’un parc de 15 millions de véhicules électriques, puis 80 TWh en 20501. Cet accroissement de consommation serait significatif mais ne représenterait que 8 % à 10 % de la consommation d’électricité. En revanche, l’appel de puissance pourrait être important en cas de recharges simultanées significatives notamment le soir entre 19 h et 21 h. Dans ce contexte, un décalage de la charge de 3 h sera nécessaire pour lisser les pointes de consommation.

Sur la facture du consommateur, RTE estime qu’un simple pilotage tarifaire pourrait conduire à une réduction de 30 % à 35 % du coût annuel de la recharge, soit de 60 € à 170 € par an selon les profils de mobilité considérés1. En revanche, la réduction de facture additionnelle résultant de l’utilisation de pilotage plus complexe (V1G, V2G, V2H) est plus incertaine.

Sur les émissions de gaz à effet de serre, le pilotage de la recharge aurait, d’après RTE, une influence significative sur le contenu CO2 de la consommation des véhicules électriques par moindre recours à l’énergie fossile. Elle serait remplacée par une plus forte utilisation de la production renouvelable qui aurait moins besoin d’être écrêtée dans les périodes d’insuffisance de débouchés et enfin, grâce à une substitution aux énergies fossiles par de l’électricité renouvelable stockée. Ainsi, RTE estime que près de 5 MtCO2 par an1 pourraient être évitées avec une généralisation du pilotage de la recharge, dont une partie proviendrait d’une moindre sollicitation du parc thermique des pays frontaliers.

À ces perspectives il faudrait ajouter la diminution des investissements nécessaires à la flexibilité dans l’utilisation des énergies renouvelables2 (batteries stationnaires3), les véhicules électriques pouvant faire office de « stockage diffus ». Dans son livre blanc de 2020 sur le smart charging, l’AVERE4 estime que l’agrégation de toutes les batteries de véhicules électriques en France constituerait rapidement un stockage supérieur aux stations de transfert d’énergie par pompage (STEP)5.

Situation actuelle et analyse critique

En 2019, la recharge des véhicules électriques n’était encore décalée que par 30 % à 40 % de leurs propriétaires et pratiquement aucune entreprise selon l’AVERE5.

Concernant le V2X, aujourd’hui seuls les véhicules électriques dotés du standard de charge japonais «CHAdeMO» peuvent réinjecter de l’électricité dans le réseau. Nissan est le seul constructeur automobile à avoir une gamme de véhicules électriques dotés de capacités bidirectionnelles.

La publication en avril 2022 de la norme ISO 15118-206 a constitué une étape importante dans le développement de la charge bidirectionnelle car elle décrit le protocole d’échange d’informations entre le véhicule et la borne de recharge et intègre la fonctionnalité V2G. Cette norme s’applique bien aux prises privilégiées en Europe7 et devrait être prochainement être généralisée, alors que les prises CHAdeMO ne permettent pas son implantation8.

Il convient de rappeler que les Shifters considèrent que la voiture électrique ne doit pas constituer le moyen privilégié pour décarboner les transports. La priorité doit être donnée au transport collectif et aux « modes actifs » : vélo, marche, etc. Par ailleurs, lorsque la voiture reste indispensable, elle devra être moins lourde qu’actuellement. Il reste que le pilotage de la charge des véhicules électriques est un moyen complémentaire pour réduire encore leurs émissions de CO2, quitte à reverser à leur propriétaire une part plus importante des économies de moyens alternatifs de stockage que le V2X permet de réaliser.

1 RTE. Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique (p14, 30, 59, 60, 67). Mai 2019

2 RTE. Futurs énergétiques 2050. Chapitre 7 : La sécurité d’approvisionnement (p328). Juin 2022.

3 À ce jour, à la connaissance des contributeurs de cet article, il n’existe aucune estimation publique pour évaluer cette diminution.

4 Pôle d’information, d’échange et d’expertise, l’AVERE-France est une association professionnelle nationale créée en 1978. Elle rassemble les acteurs de l’écosystème de la mobilité électrique, dans les domaines industriel, commercial, institutionnel ou associatif.

5 AVERE France. Note de position SUR LE SMART CHARGING ET LE V2X (p11 et 13)

6 ISO. Véhicules routiers — Interface de communication entre véhicule et réseau électrique — Partie 20: Exigences des couches réseau et application de 2e génération

7 L’article du décret 2017-26 qui transpose des mesures de la Directive 2017/94/UE exige seulement qu’un point de recharge à haute puissance en courant continu ouvert au public dispose au minimum d’un connecteur de type Combo2 (CCS – Combined Charging System ou Combo)

8 AVERE France. Norme ISO IEC 15118 pour la recharge des véhicules électriques : quels avantages et quels enjeux ? 14 juin 2018

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