La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 13

Ça chauffe, ça chauffe ces dernières semaines (et pas que pour le climat !)

D’ailleurs, la présentation des groupes de travail sur le projet de loi industrie verte initialement prévue hier au Ministère de l’économie a été reportée à une date ultérieure ! Timing parfait pour proposer une analyse toute shiftée !

On en profite également pour parler de la proposition de loi sur la gestion de l’eau (ressource déjà rare à cette époque de l’année dans certaines régions) entre les communes et communautés de communes.

Bonne lecture !

Sommaire

Notre sélection de la semaine

Notre sélection de la semaine

Projet de loi "industrie verte" : pour la relocalisation et décarbonation du secteur ?

Projet porté par Le Gouvernement

Sous l’impulsion des États-Unis, l’Union européenne a fait la promotion de l’industrialisation « verte » du territoire européen afin de rester compétitive à l’échelle mondiale. Dans cette ligne, le parlement français devrait examiner à l’été 2023 un projet de loi « Industrie verte ».

Annoncé dès 2020 par le président des États-Unis, Joe Biden lors de sa campagne électorale, et entré en vigueur en janvier 20231, l’Inflation Reduction Act (IRA) est un dispositif d’aide d’un montant total d’environ 400 milliards de dollars, notamment destiné aux entreprises qui localiseraient leurs industries « vertes » aux États-Unis. Les aides sont diverses et multiples, prenant par exemple la forme de crédits d’impôts pour les investissements dans la production de véhicules électriques, dans l’éolien, le solaire, la séquestration du carbone, l’hydrogène, les biocarburants, les batteries, etc. Une aide est également prévue pour la rénovation des logements en fonction de la provenance des composants ou des matières premières2. L’objectif affiché est de réindustrialiser le pays et d’affirmer son indépendance industrielle vis-à-vis de la Chine.

L’impact a été rapide. L’engouement des industriels est marqué même outre-Atlantique, incitant l’Union européenne à réfléchir à son attractivité face aux États-Unis et à la Chine. À court terme, le programme commun d’industrialisation verte de l’Union européenne, sujet politique sensible, ne sera pas financé par elle. Il revient aux États membres de proposer leurs propres projets, dans l’attente d’un éventuel accord au sein de l’UE. Pour la France, ce sera dans le cadre du projet de loi Industrie verte à l’été 2023.

Que contient ce projet de loi ?

Le projet de loi Industrie verte fait encore l’objet de nombreuses consultations d’ONG, intercommunalités, associations, etc. Aucune proposition précise n’a pour l’instant été arrêtée par le Gouvernement. Mais deux objectifs majeurs se dégagent :

(i) Renforcer et faire de la France la pionnière dans les énergies permettant la décarbonation et (ii) accompagner dans la décarbonation l’industrie française, qui représente actuellement 19 % des émissions nationales de gaz à effet de serre3.

Le projet de loi devrait se concentrer sur cinq chantiers4 :

  1. Transformer la fiscalité pour faire grandir l’industrie verte. La réflexion portera sur les freins fiscaux et législatifs actuels au développement de l’industrie verte et sur les mécanismes à mettre en place pour les lever et accélérer ce développement. Par exemple : la prévision de crédits d’impôts et de mécanisme de suramortissement5.
  2. Accélérer l’industrialisation du territoire par l’ouverture d’usines, la réhabilitation de friches et la mise à disposition de terrains. Par exemple : la simplification au maximum des autorisations administratives permettant l’ouverture d’une usine (actuellement de 18 mois en France et de 9 mois en Allemagne) ou la limitation du recours au contentieux6.
  3. Favoriser le « Produit en France » par différents leviers dont celui de la réglementation afin de protéger et soutenir la production, la commande et la consommation françaises. Le Gouvernement encouragerait à ce titre les industries produisant sur le sol français des pompes à chaleur, batteries, semi-conducteurs, énergies renouvelables photovoltaïque et solaire. Des réflexions sur les métaux critiques nécessaires à la production de ces produits ainsi que sur le nucléaire seraient également prévues.
  4. Financer l’industrie verte française. Le Gouvernement réfléchit notamment à la création d’un produit d’épargne vert qui permettrait de diriger l’épargne des Français vers des projets soutenant la neutralité carbone.
  5. Former aux métiers de l’industrie verte3. Les pistes de réflexion consistent à ce stade à indiquer les niveaux de salaire des filières vertes au niveau du lycée professionnel et à imposer des quotas de femmes (30 % à 40 %) dans les écoles d’ingénieurs7.

Un projet de loi en résonance avec les différents travaux du Shift Project…

Ce projet de loi est à plusieurs égards en phase avec les recommandations du Shift Project8 :

  1. La fiscalité des entreprises doit effectivement, selon The Shift Project, être mise en cohérence avec des objectifs de décarbonation et de lutte contre le réchauffement climatique.
  2. La politique budgétaire est également convoquée dans le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project, par exemple pour prendre en compte des investissements climat dans le financement de la dette publique, abonder la rentabilité des entreprises investissant dans la décarbonation, accélérer la mise en place de la taxe carbone ou encore diriger l’épargne des Français vers des activités à impact climatique. À ce stade, seule la proposition de l’épargne verte a été évoquée par le Gouvernement.
  3. L’accélération de l’industrialisation verte de la France est également soutenue par The Shift Project, grâce par exemple à une impulsion étatique en faveur de grands travaux électriques (énergie nucléaire et renouvelable) ou à des mesures de décarbonation des entreprises.
  4. Enfin, The Shift Project insiste lui aussi sur la nécessité de former les citoyens aux questions environnementales liées à la double contrainte climat-énergie et de les informer dès le plus jeunes âges à la nécessité de se former aux métiers qui seront primordiaux dans un monde décarboné et sobre en énergie.

…avec des moyens cependant limités.

Le Gouvernement a annoncé que ce dispositif ne serait pas financé par de l’argent public. Or les investissements nécessaires à la transition écologique sont massifs, de l’ordre de 4 points de PIB sur une vingtaine d’années au moins, selon l’économiste Patrick Artus. Dans ce contexte, l’État aura un rôle majeur de catalyseur et de levier financier à jouer comme le souligne the Shift Project dans le PTEF.

Il est vrai également que les politiques fiscale, budgétaire et protectionniste qu’il faudrait mettre en œuvre, à l’image de l’IRA américain, ont pour la plupart des implications à l’échelle européenne. C’est donc aussi avec ses partenaires dans l’UE que la France doit négocier l’adoption de mesures suffisantes pour défendre son industrie. À suivre donc.

1 Contexte Pouvoirs. Neuf clefs pour comprendre le « Pacte vert industriel » de la Commission européenne. 2 février 2023

2 Les Échos. Qu’est-ce que l”« Inflation Reduction Act » qui inquiète tant les Européens ? 29 novembre 2022

3 economie.gouv.fr. Industrie verte : un projet de loi en co-construction à Bercy. 8 mars 2023

4 06/03/2023 – NARPoint d’étape sur les consultations dans le cadre du projet de loi « industrie verte »

5 L’usine nouvelle. Prendre en compte le coût carbone dans la commande publique, la piste du futur projet de loi industrie verte. 09 mars 2023

6 Alternatives économiques. Loi sur « l’industrie verte » : en route pour un nouvel échec ! 26 janvier 2023

7 www.bfmtv.com/economie/les-premieres-pistes-de-la-loi-industrie-verte_VN-202303080177.html

8 The Shift Project. Le Plan de transformation de l’économie française

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Gestion différenciée de la compétence « Eau et Assainissement »

Proposition portée par MM. Jean-Yves ROUX, Stéphane ARTANO et 10 autres sénateur.trice.s

Déjà débattue en 2020 à l’occasion du vote de la loi dite « NOTRe » (loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République), la répartition des compétences « eau et assainissement » entre, d’une part, les communes et, d’autre part, les communautés de communes ou d’agglomérations, fait de nouveau l’objet de débats parlementaires.

Contexte

La France connaît un épisode de sécheresse hivernale historique qui risque d’avoir des conséquences durables sur le niveau d’eau disponible. La gestion de l’eau s’impose ainsi dans l’actualité comme un enjeu majeur, notamment en matière d’usage agricole, celui-ci étant particulièrement intensif : il représente la moitié de notre consommation d’eau en France, et 80 % pendant les mois d’été1.

Objet de la proposition de loi

La proposition de loi consiste à rétablir le caractère facultatif du transfert des compétences « eau et assainissement » des communes aux communautés de communes2, qui avait été rendue obligatoire par la loi NOTRe.

Le rapport sénatorial du 1er mars 2023 précise le sens que la commission des lois entend donner à ce texte : « renforcer le dispositif proposé en renforçant la liberté des communes qui souhaitent être à nouveau titulaires des compétences eau et assainissement déjà transférées d’une part, et, en assurant un maintien et une réversibilité des délégations de ces compétences aux communes ou aux syndicats d’autre part »3.

Ce caractère facultatif du transfert des compétences répond en particulier aux attentes des élus des territoires ruraux et de montagne qui rappellent, dans le rapport précité, que « les modalités de gestion d’un service public peuvent varier d’une commune à l’autre et nécessiter de maintenir une gestion directe par la commune ou les syndicats en place afin de permettre une capacité d’intervention plus souple et efficace », et ajoutent que « la fixation du niveau d’exercice de ces compétences ne peut être uniforme et déconnectée du terrain mais doit au contraire relever de considérations matérielles et techniques propres à chaque territoire »4.

Analyse des Shifters

Aujourd’hui, la gouvernance de la planification est encore largement communale, bien que cette compétence revienne en théorie aux intercommunalités. Cela peut être un obstacle lorsque les intérêts des communes et les ambitions des EPCI divergent1.

Si la transition écologique doit être territorialisée afin de tenir compte des spécificités locales, une collectivité ne peut fixer seule ses objectifs sans se soucier de sa contribution aux objectifs régionaux et nationaux1. Aussi, l’État doit clarifier ses attentes vis-à-vis des territoires, et établir une priorisation claire de l’usage des ressources limitées et essentielles. Des objectifs régionaux négociés entre l’État et les régions, tenant compte des spécificités locales, doivent être partagés et déclinés au niveau des intercommunalités. Celles-ci devront alors s’engager à les atteindre, en conservant une grande liberté d’action5.

En effet, les intercommunalités occupent, par leur échelle et leurs compétences, une position privilégiée pour initier et coordonner les projets de résilience alimentaire locale, lesquels dépendent nécessairement d’une gestion de l’eau adaptée.

En la matière, l’ampleur de l’enjeu réclame même une coopération entre les intercommunalités et le département (voire la région). Les conflits actuels d’usage de l’eau, pour l’agriculture mais aussi le tourisme, l’industrie, la production électrique et la consommation des habitants, appellent à réinventer la gouvernance de l’eau afin de hiérarchiser collectivement les besoins.

Préconisations du Shift Project

Si une gestion de l’eau au plus proche du terrain est indispensable pour faire face aux dérèglements climatiques, il est néanmoins nécessaire de rendre notre système agricole et alimentaire davantage résilient aux épisodes de sécheresse. The Shift Project préconise notamment de généraliser les pratiques agroécologiques qui reposent sur un usage économe des ressources (eau, engrais, énergie) et meilleure protection des milieux (eau, sols, biodiversité).

À cette fin, son Plan de transformation de l’économie française (PTEF) recommande de consacrer des efforts substantiels de recherche à l’adaptation des cultures et des élevages à ces nouvelles conditions, notamment par :

  • des rotations culturales et l’optimisation de la balance entre les besoins en eau des cultures et leur contribution à la sécurité alimentaire ;
  • la présence d’arbres sur les parcelles cultivées pour atténuer les fortes chaleurs et la sécheresse ;
  • l’optimisation des stratégies locales de gestion de la ressource en eau en fonction de la nature des nappes et du régime des précipitations (stockage dans les sols ou en surface, aménagement du paysage ou des cours d’eau, etc.) ;
  • des modes de gouvernance adaptés à l’anticipation et à la gestion des conflits d’usage.

1 Les Greniers d’Abondance, « Vers la résilience alimentaire, faire face aux menaces globales à l’échelle des territoires »

2 www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/tableau_de_competences-novembre%202019_0.pdf, page 12

3 www.senat.fr/rap/l22-381/l22-381.html

4 www.senat.fr/rap/l22-381/l22-381.html

5 The Shift Project, Climat, crises : comment transformer nos territoires, octobre 2022

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