La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2023 | Semaine 05

Bon matin, lectrices et lecteurs de la Gazette !

Parce que nous sommes tous un peu givré⋅e⋅s ces derniers jours, nous nous plaçons au cœur du débat et vous proposons l’analyse du projet de loi pour l’accélération du développement du nucléaire.

Ensuite, nous évaluerons les réponses proposées par la consultation nationale sur le thème 2 de la SFEC, au prisme des travaux du Shift Project, notamment du Plan de transformation de l’économie française (PTEF).

Bonne lecture !

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Projet de loi relatif à l'accélération du développement du nucléaire

Projet porté par Le Gouvernement

Le Sénat a examiné les 17, 18 et 19 janvier 2023 en procédure accélérée un projet de loi visant à « accélérer les procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes »1 . Déposé en première lecture le 2 novembre 2022, étudié, le texte doit être ensuite discuté et voté par l’Assemblée nationale au printemps.

Le contexte

Ce texte correspond à la volonté du président de la République de relancer l’industrie nucléaire avec l’ambition de construire rapidement six EPR et de lancer les chantiers de huit autres. Il s’agit là d’un virage important. En effet, sous la présidence Hollande (2015), la France s’était fixé, un objectif de forte diminution du nucléaire, en volume et en pourcentage2 . La justification de ce nouveau plan repose sur les objectifs de décarbonation et de baisse des rejets de CO2 de 55 % par rapport à 1990 (objectif de l’Union européenne).

Pour ce faire, la France mise sur une électrification de sa consommation énergétique et un accroissement massif et rapide de la production d’électricité décarbonée. Après la loi visant à l’accélération des projets de production d’énergies renouvelables votée à l’Assemblée début janvier, c’est l’autre pan de cette politique, le développement du nucléaire, qui est examiné dans la perspective de revenir sur le plafonnement antérieur. À noter que ce déplafonnement emblématique faisait l’objet d’une proposition de loi3 et devait être pour le gouvernement discuté cet été 2023, dans la loi de programmation Énergie Climat après concertation publique. Il a d’ores et déjà été introduit par le Sénat dans le présent texte qui devait être plutôt technique.

Le contenu

Le projet de loi a pour objectif de réduire le délai des procédures « de droit commun » d’aménagement et d’urbanisme pour les projets de construction de centrales nucléaires. Cette accélération concerne en premier lieu la mise en compatibilité des documents d’urbanisme.

Ainsi, la déclaration d’intérêt général ou l’adoption d’un projet seront effectuées par décret, le plus souvent en Conseil d’État pour lesquels les recours sont limités (art. 2). Il en est de même pour l’autorisation environnementale (art. 4). Certains travaux préparatoires pourront être engagés sans autorisation d’urbanisme (art. 3). La vérification de leur conformité aux règles de fond s’effectuera lors de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale. La construction de centrales dans la zone littorale pourra s’effectuer par dérogation (art. 5) dans le périmètre des centrales existantes ou « à proximité immédiate », la concession d’usage du domaine maritime public étant accordée par un décret pris en Conseil d’État (art. 6). Les constructeurs de centrales pourront recourir à une procédure de prise de possession immédiate du sol (art. 7). Enfin, la fermeture définitive d’une centrale au bout de deux ans d’arrêt n’est plus systématique.

L’analyse

L’accélération des procédures devrait être significative. Ainsi, le délai de révision des schémas de cohérence territoriale ou des plans locaux d’urbanisme, aujourd’hui excessivement long, de 3 à 6 ans, serait réduit à un an (hors contentieux). La procédure proposée vise un délai d’un an et demi entre l’accusé de réception du dossier de demande d’autorisation de création du réacteur électronucléaire et le début des travaux.

Peut-on éviter la marche forcée vers le nucléaire ?

Sur le fond, cette accélération va dans le sens des exigences de décarbonation telles que développées dans le Plan de transformation de l’économie française (PTEF)4. En effet, pour diminuer très rapidement les émissions de gaz à effet de serre (GES), les énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque…) ne sauraient suffire quantitativement et ne fournissent pas un approvisionnement pilotable. Outre les indispensables efforts de sobriété, le nucléaire doit être relancé en urgence puisque 80 % du parc actuel aura 60 ans au cours de la décennie 2040 (s’il est autorisé à fonctionner jusque-là). Le lancement de nouveaux réacteurs ne pourra intervenir avant 2035.

Le projet de loi couplé à un déplafonnement du nucléaire représente une partie de la réponse. Selon les propositions du PTEF à l’horizon plus lointain de 2050, le nucléaire et l’hydroélectrique ne représenteront que les 2/3 de la consommation électrique, 1/4 de l’électricité restant à arbitrer4 .

L’acceptabilité sociale de la loi

Cette procédure accélérée interroge toutefois sur les conditions d’une décarbonation de la société. En effet, elle risque de nuire à la qualité des concertations et de l’information du public. Or une diminution réussie des rejets de GES repose tout autant sur des considérations sociales et politiques que techniques. La décarbonation des territoires suppose des pratiques et attitudes résumées par quelques mots clés essentiels dans le PTEF : connaissance, partage, solidarité, audace, cohérence, coopération, responsabilité (p. 218-220). Elle ne se fera pas sans la population, et encore moins contre.

Certes, les sondages soulignent un basculement net de l’opinion en faveur du nucléaire5. Pour autant, il paraît essentiel d’intégrer à la démarche un temps de pédagogie et de débats, dont la qualité doit compenser la brièveté pour éviter de provoquer un rejet. Des mesures d’association des populations à la conception et au partage financier des fruits du projet, tel qu’évoquées dans la récente loi sur l’accélération des énergies renouvelables, paraissent tout autant souhaitables en matière de nucléaire.

1 www.senat.fr/leg/pjl22-100.html . NB : l’analyse porte sur le texte initial et n’intègre pas les modifications en cours qui, par définition, ne seront valides que si l’AN les vote.

2 www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000031044385

3 Texte renvoyé devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale – www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0255_proposition-loi#D_Article_1er

4 The Shift Project, Climat, crises. Le Plan de transformation de l’économie française, Paris, Odile Jacob, 2022

5 En 1999, 11 % en accord avec la nécessité de construire des centrales, 64 % contre. En 2020, 44 % pour, 29 % contre – www.lemondedelenergie.com/pourquoi-opinion-nucleaire-bascule/2022/09/09/

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SFEC : Comment satisfaire nos besoins en électricité et plus largement en énergie tout en assurant la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles ?

Réponse des Shifters à une Consultation Publique mise en ligne par le Gouvernement

Le [second] thème vise à identifier les modes de production d’énergie les plus adaptés pour répondre aux besoins énergétiques résultant des différents comportements évoqués dans les questions du thème 1 :
  • Le mix électrique
  • La production électrique d’origine nucléaire
  • Le développement de l’éolien terrestre et en mer et du photovoltaïque
  • Le développement de l’hydroélectricité
  • La chaleur renouvelable

Avant d’évoquer le dimensionnement des moyens de production, il faut passer en revue nos besoins. La Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) évoque une diminution de la consommation d’énergie finale de 40%1 pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Cela signifie une baisse drastique de la consommation d’énergie. La sobriété contribuera évidemment de façon importante à cet objectif, passant notamment par la moindre utilisation de matériaux, le changement de mode de transport, une efficacité énergétique accrue, une électrification de certaines consommations énergétiques.

La transition énergétique reposera sur une sobriété en combustibles fossiles et une électrification de notre mode de vie, à partir de source d’énergie décarbonée. Selon le PTEF, « les grands objectifs du système énergétique de demain seront le fait d’accompagner la transition et de soutenir nos modes de vie, sans énergie fossile, de manière sobre en matériaux et en emprise au sol, y compris en temps de crise ». Il est donc important d’impulser les grands travaux nécessaires au développement de ce futur système énergétique majeur.

1. Mix électrique :

La part du nucléaire dans le mix électrique proposée par le PTEF correspond au scénario N032 publié en 2021 dans les Futurs énergétiques en 2050 de RTE. Dans cette hypothèse, la production électrique proviendrait alors à moitié d’énergie nucléaire et d’énergies renouvelables.

Ce scénario implique la construction de 14 nouveaux EPR et le développement de quelques SMR (petits réacteurs modulaires). Le futur nucléaire repose sur :

  • la fiabilité et disponibilité du parc nucléaire actuel (et des opérations de démantèlement en toute sécurité),
  • la capacité à maîtriser les coûts et les délais de livraison des nouveaux réacteurs.

2. Production d’électricité d’origine nucléaire

L’indépendance énergétique de la France passe par une maîtrise globale de la production nucléaire, de l’extraction minière jusqu’à la gestion des déchets, en passant par la conversion, l’enrichissement de l’uranium, la création de combustible MOx3 par le recyclage. Les pouvoirs publics doivent assurer à l’industrie nucléaire un environnement stable et pérenne, économique (maîtrise des coûts et délais), social (bassin d’emploi à recréer) et environnemental (source de production bas-carbone).

L’avenir du nucléaire français dépend de divers facteurs :

  • la maîtrise du risque de défaut générique (exemple : corrosion sous contrainte des paliers N4, P’44) ;
  • la tenue des délais pour les grands carénages5 à venir (50 et 60 ans) ;
  • le lancement rapide de productions en série afin de dégager des synergies ;
  • la maîtrise de l’artificialisation des sols et de l’impact sur les paysages.

3. Production d’électricité des énergies renouvelables

Les scénarios étudiés par RTE montrent que le parc photovoltaïque (PV) doit atteindre une capacité minimale de 70GW d’ici 2050 (7 fois le parc actuel existant). Les deux enjeux pour les parcs au sol sont l’occupation au sol et la biodiversité.

Sans analyse préalable, la mise en place de grands parcs photovoltaïques peut causer une réduction des puits de carbone naturels. En outre, cette occupation peut entrer en concurrence avec les besoins grandissant en surfaces cultivées, à cause des pertes de rendements liés à la fin de l’utilisation des énergies fossiles et aux aléas climatiques. Or la neutralité carbone implique notamment le doublement des puits de carbone6 en 2050. L’installation de panneaux PV doit donc se faire sur les infrastructures existantes : grandes surfaces, parkings, industries, habitat collectif et individuel, routes, hangars agricoles. Si des projets voient le jour, ils doivent être de petites tailles avec une étude du rendement escompté par rapport à l’artificialisation des sols.

Concernant l’énergie éolienne, RTE prévoit au minimum une augmentation des capacités installées de 19GW en 2021 à 43GW en 2050. Les enjeux concernent la biodiversité et l’acceptabilité des riverains : participation obligatoire des collectivités locales ou des citoyens à la gouvernance du projet. L’éolien en mer doit suivre la même cadence avec une augmentation de sa capacité pour atteindre au minimum 22GW en 20502.

4. Hydroélectricité

La production hydroélectrique8 ne pourra pas connaître un développement similaire à celle des autres énergies renouvelables car les sites potentiels sont déjà largement exploités (2400 installations pour une capacité de 25,5 GW). Bien que faiblement impactant sur une production nationale d’électricité, le développement du mini/micro/pico hydraulique peut être une solution pour alimenter des sites isolés à une échelle très locale.

5. Chaleur renouvelable

Enfin, la chaleur renouvelable est un élément incontournable de la transition énergétique française, permettant de limiter notre consommation de gaz. L’enjeu est de déployer des filières énergétiques secondaires localisées stratégiquement. Le bois, la biomasse agricole, ainsi que la chaleur distribuée par réseau seront essentiels pour le chauffage du secteur tertiaire et résidentiel9. Un point d’attention doit être porté sur les gisements de biomasse : leur exploitation ne doit pas rentrer en conflit avec d’autres usages, et avoir une empreinte au sol conséquente.

La mise en place accrue de pompes à chaleur, la valorisation des pertes thermiques des entreprises (par réinjection dans un réseau de chaleur local), permettront également une baisse des émissions de gaz à effet de serre.

Cependant, l’enjeu principal est le développement de réseau de chaleur dont l’importance de l’infrastructure devra être définie par l’échelle de production choisie.

Conclusion

Satisfaire nos besoins en électricité, plus largement en énergie, tout en assurant une sortie de notre dépendance aux énergies fossiles dépend d’une planification de la transition énergétiques. Comportant une dimension politique évidente, elle exige une gouvernance de la transformation de notre système énergétique. Toute l’économie est concernée, nécessitant une anticipation et une coordination d’ensemble. La pérennité d’une telle entreprise relève d’une planification à décliner aux différents niveaux de responsabilité des acteurs politiques. C’est l’enjeu d’une France désireuse de se réindustrialiser, sobre en énergie fossiles, et résiliente devant le changement climatique.

1 Ministère de la transition écologique et solidaire. Stratégie nationale bas carbone. Mars 2020 – www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2020-03-25_MTES_SNBC2.pdf

2 RTE. Rapport “Futurs Énergétiques 2050”. Octobre 2021 – assets.rte-france.com/prod/public/2021-10/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats_0.pdf

3 MOx pour “mélange d’oxydes”, combustible mélangeant du plutonium et de l’uranium appauvri.

4 Les réacteurs sont classés selon leur modèle (palier) et selon la puissance électrique. Les 20 réacteurs de 1 300 MWe se subdivisent en deux paliers : le palier P4 avec 8 réacteurs (4 à Paluel, 2 à Saint-Alban et 2 à Flamanville) et le palier P’4 avec 12 réacteurs (2 à Belleville sur Loire, 4 à Cattenom, 2 à Golfech, 2 à Nogent sur Seine et 2 à Penly). Les réacteurs de 1 450 MWe sont 4 du palier N4 (2 à Chooz et 2 à Civaux) – www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-centrales-nucleaires/reacteurs-nucleaires-France/Pages/0-sommaire-parc-reacteurs-nucleaires-France.aspx

5 « Elle désigne en France un vaste projet et programme industriel de renforcement des installations de production d’électricité nucléaire, visant à allonger la durée d’exploitation possible des centrales nucléaires » – Source : Wikipedia

6 Un puit de carbone correspond à un réservoir stockant le carbone. Cela peut correspondre à des écosystèmes naturels (forêts, tourbières, prairies, océans, …) et artificiels (séquestrations CCS).

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