La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 48

Bon matin !
Une première question nous taraude en cette période de Noël, où les centres-villes sont mis à l’honneur : comment préserver le patrimoine architectural et le charme de nos centres-villes tout en assurant leur revitalisation et leur contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Nous tentons de répondre à cette question dans le premier article de la Gazette.
Et puis parce que nous essayons toujours de rester « in« à la Gazette, nous attirons votre œil de lecteur sur l’impact environnemental de cette nouvelle tendance : les cigarettes électroniques jetables.
Bonne lecture !

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Questions émissions

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Adapter les « Bâtiments de France », un enjeu important pour la transition des centres-villes

Portée par Philippe Vigier (Député Démocrate - MoDem et Indépendants - Eure-et-Loir)

M. Philippe Vigier attire l’attention du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sur les fréquents refus des demandes d’autorisation d’urbanisme et les préconisations des architectes des Bâtiments de France (ABF) face aux projets des particuliers ou des collectivités visant à réduire la consommation énergétique du bâti ou à installer des dispositifs de production d’énergie renouvelable sur des structures existantes. Ainsi, il s’interroge sur l’opportunité de faire « évoluer les règles et les délais encadrant les avis des ABF pour permettre la réalisation des prescriptions liées au climat et au développement durable ».

Les architectes des Bâtiments de France (ABF) : un peu de contexte

Depuis le décret du 21 février 1946, les ABF représentent une centaine de fonctionnaires du ministère de la Culture, dont la mission1 est notamment de veiller à la bonne insertion des constructions neuves et des transformations aux abords des monuments protégés et des secteurs sauvegardés2. L’avis de l’ABF est obligatoire pour toute autorisation d’urbanisme (permis de construire et déclaration préalable de travaux) dans des périmètres délimités par arrêté préfectoral, et ce pour tout bâtiment situé à moins de 500 mètres d’un monument historique, ou s’il existe une covisibilité3.

Ce dispositif paraît certes important pour protéger et mettre en valeur le patrimoine architectural français, mais il ne faudrait pas sous-estimer son impact. La protection des abords des monuments historiques classés et inscrits concerne aujourd’hui près de 17 000 communes sur l’ensemble du territoire, représentant 20 % des demandes d’autorisation d’urbanisme4. Les 120 ABF ont donc du mal à faire face aux demandes des 30 000 architectes libéraux et à celles des particuliers, pour lesquels le recours à un architecte n’est pas nécessaire. Les rendez-vous préalables de concertation, fortement conseillés, sont accordés au compte-goutte. Enfin, si les avis conformes défavorables ne représentaient selon le ministère de la Culture que 6 % des 500 000 avis délivrés en 2008, la plupart des avis positifs sont assortis de prescriptions techniques très détaillées.

Et la transition énergétique dans tout cela ?

Le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) souligne qu’il est essentiel de viser la décarbonation totale de l’usage des bâtiments d’ici 2050 car la consommation d’énergie nécessaire à leur exploitation représente une part importante des émissions de gaz à effet de serre. En effet, le secteur du logement constitue l’un des principaux consommateurs d’énergie (29 % de l’énergie finale) et contribue à 12 % des émissions nationales. Les travaux du Shift Project indiquent que, pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, il est nécessaire de massifier la rénovation énergétique du parc immobilier, à hauteur d’un million de logements par an.

Le PTEF précise également qu’il est important de tenir compte des particularités du bâti vernaculaire, de la morphologie, des obligations liées au patrimoine. Il est donc entendu, par exemple, qu’une isolation par l’extérieur des façades sur rue d’immeubles collectifs haussmanniens et assimilés, ou de maisons rurales avec façade à caractère patrimonial n’est pas envisagée car techniquement difficile. La rénovation doit donc être modulée en fonction du bâti tout en conservant une exigence d’isolation élevée pour tenir l’objectif de décarbonation du secteur en 20505 prévu par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC).

Il est également primordial d’avoir recours aux énergies bas carbone, notamment pour le chauffage, et donc de transformer en profondeur le système énergétique actuel pour aller vers un système électrique basé sur des énergies renouvelables. Selon le PTEF, le photovoltaïque constitue une technologie de production d’électricité pertinente à développer, toute proportion gardée, en complément des infrastructures énergétiques majeures6.

Or le souci exclusif de protection du patrimoine architectural des ABF ne paraît guère aligné sur les évolutions législatives en cours visant à favoriser la transition énergétique.

Révisée en 2022, la loi Climat et résilience dispose ainsi qu’à partir du 1er janvier 2023 les nouveaux bâtiments et entrepôts, industriels, commerciaux, artisanaux de plus de 500 m², ainsi que les nouveaux bâtiments de bureaux de plus de 1000 m² devront végétaliser ou « solariser » 30 % de leur surface. La Commission européenne a annoncé une prochaine directive imposant l’installation de panneaux solaires sur les toits des bâtiments commerciaux et publics d’ici 2025, et sur les toits des bâtiments résidentiels d’ici 20297. La Commission souligne que l’accélération de la délivrance des autorisations relatives aux projets d’énergie renouvelable jouera un rôle essentiel dans la réalisation de cet objectif.

Il faudra donc tôt ou tard mettre fin aux injonctions contradictoires, potentiellement bloquantes, qui pèsent sur la rénovation et la revitalisation des centres-villes. Le plus tôt sera le mieux compte tenu de l’impact de l’habitat et de l’urgence de réduire les émissions carbone. À cet égard, une rénovation efficace et fluide des centres-villes doit être priorisée car elle est beaucoup plus sobre que la construction neuve, a fortiori dans des périphéries toujours plus éloignées. Le Shift Project insiste sur le fait qu’il est urgent de mettre fin à l’étalement urbain qui, outre son effet délétère d’artificialisation des sols, entretient une activité de construction nettement plus émissive que celle de la rénovation complète des bâtiments existants.

En synthèse, il paraît opportun :

  • d’ajouter, à l’article L. 621-30 du Code du patrimoine, les impératifs de sobriété et de rénovation énergétique aux considérations que les ABF doivent prendre en compte dans leur décision ;
  • d’augmenter la formation initiale et continue des ABF d’une part importante liée aux impératifs d’un parc immobilier bas carbone ;
  • de soutenir un dialogue interministériel entre la Culture et la Transition écologique, notamment dans le cadre groupe de travail « Rénovation énergétique et patrimoine » ;
  • d’étudier les modalités d’un double rattachement ministériel des ABF.

1 Ministère de la Culture. Rôle et missions des architectes des Bâtiments de France : www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Occitanie/La-Drac/La-Drac-et-ses-services/Patrimoines-et-architecture/Espaces-proteges-Udap/Udap-31/Notre-service/Role-et-missions-des-architectes-des-Batiments-de-France

2 Loi du 23 février 1943, reprise aujourd’hui à l’article L. 621-30 du Code du patrimoine.

3 Dans l’hypothèse où une covisibilité est établie, l’avis de l’ABF est dit conforme, c’est-à-dire liant de droit. Ce dernier est susceptible de recours devant la commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS) présidée par le préfet de région, mais la procédure est longue et reste peu utilisée.

4 Selon l’Insee (25 août 2020), les villes occupent 22% du territoire et regroupent 77,5% de la population. Selon le ministère de la Culture (réponse parlementaire 2008), les espaces protégés (principalement urbains) couverts par les ABF représentent 3 % du territoire national dans 17 000 communes.

5 Le Shift Project indique que le niveau BBC est atteint en moyenne en rénovant environ 80 % du parc actuel même si tous les logements rénovés n’atteignent pas individuellement le niveau BBC (C. Arquin, J. Parc, et J. Daunay, « Neutralité et logement », Pouget Consultant – Carbone4, Synthèse d’étude, janv. 2020)

6 Même en privilégiant un scénario maximisant le recours au nucléaire, le PTEF estime qu’il faudrait affecter 2100 ha chaque année au PV, à comparer à l’artificialisation totale actuelle qui est d’un ordre de grandeur supérieur (environ 25 000 ha/an, dont les deux tiers pour la construction de logements)

7 Solar Rooftops Initiative incluse dans le programme REPowerEU.

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Cigarettes électroniques jetables : une idée fumeuse

Portée par M. Stéphane Viry (Les Républicains), Mme Élodie Jacquier-Laforge (Démocrate), M. Vincent Seitlinger (Les Républicains), Mme Hélène Laporte (Rassemblement National - Lot-et-Garonne), M. Bruno Studer (Renaissance - Bas-Rhin)

De nombreux députés de tous bords ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’essor des cigarettes électroniques jetables, les « puffs », notamment parmi les plus jeunes, clairement ciblés par les industriels. Ces questions écrites en plein « mois sans tabac » sont l’occasion pour les Shifters de revenir sur l’articulation entre une politique sanitaire ambitieuse et l’impératif écologique.

Contexte

En France, un quart des 15-75 ans fument quotidiennement, et 2,5% vapotent1. La cigarette électronique (ou vapoteuse) a parfois été perçue par les pouvoirs publics comme une opportunité de poursuivre la baisse du nombre de fumeurs, mais le lien de corrélation n’est pas établi à ce jour2. Celle-ci reste proscrite dans un certain nombre de lieux et sa vente est d’ores et déjà interdite aux mineurs3. Autorisé, son format jetable dit « puff » rencontre un certain succès chez les plus jeunes : 13 % des 13-16 ans l’ont déjà testé4. Alors que le ministre de la Santé François Braun s’est engagé « à [s]“attaquer à ces produits » et que le Sénat a voté la mise en place d’une taxe dissuasive, certains députés ont demandé l’usage d’un paquet neutre, l’interdiction de la vente en grande surface, voire son interdiction complète.

Qu’en pensent les Shifters ?

Il convient de regarder le problème environnemental du tabagisme sous ses deux aspects : le cycle de vie des cigarettes classiques ou électroniques – de la production aux déchets induits – et les efforts de santé curative en aval – eux-mêmes générateurs d’émissions.

Concernant le cycle de vie, aucune étude n’a comparé l’impact environnemental des types de cigarettes. L’OMS estime qu’en amont la production de cigarettes représente 5 % de la déforestation mondiale5. Le problème en aval réside dans les mégots et la pollution de l’eau. Sur ce point, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC) a lancé en juillet 2021 une filière de responsabilité élargie des producteurs de tabac. Celle-ci ne concerne pas les vapoteuses, pourtant génératrices de déchets dangereux (batterie au lithium, plastique ou verre contaminé, cartouche, atomiseur, etc.) qui finissent rarement dans les filières de recyclage existantes.

Sur le plan sanitaire, le rapport Santé du PTEF rappelle que le tabac génère 80 000 décès par an en France et que le secteur de la santé « représente 8 % des émissions de GES », invitant à renforcer les politiques préventives de santé plutôt que curatives. Le caractère récréatif de la puff pourrait compromettre les efforts de prévention engagés depuis des années contre le tabagisme.

Si le volume de puffs n’est pas significatif, le principe de l’électronique jetable qu’elles instillent d’une part, et le caractère récréatif du vapotage qu’elles suggèrent aux plus jeunes d’autre part, constituent deux arguments importants pour leur interdiction.

Liste des députés ayant porté le sujet :

  • QE 3081, M. Stéphane Viry (Les Républicains) – Vosges, 15/11/2022
  • QE 2909, Mme Élodie Jacquier-Laforge (Démocrate) – Isère, 8/11/2022
  • QE 2681, M. Vincent Seitlinger (Les Républicains) – Moselle, 01/11/2022
  • QE 2842, Mme Hélène Laporte (Rassemblement National – Lot-et-Garonne), 01/11/2022
  • QE 2678, M. Bruno Studer (Renaissance – Bas-Rhin), 01/11/2022

1 Santé Publique France, Consommation de tabac et usage de cigarette électronique en France, publié le 1er juin 2018, mis à jour le 6 septembre 2019 : www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/tabac/documents/article/consommation-de-tabac-et-usage-de-cigarette-electronique-en-france

2 Pasquereau A, Guignard R, Andler R, Nguyen-Than V. Electronic cigarette, quit attempts and smoking cessation: a 6-month follow-up. Addiction. In press. doi: 10.1111/add.13869 [Epub ahead of print]

3 Article L3513-5 du code de la santé publique : www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033678343/2022-09-02

4 BVA pour Alliance contre le tabac, Les Adolescents de 13 à 16 ans et les nouveaux produits du tabac, août 2022.

5 World Health Organization, Tobacco and its environmental impact: an overview, 2017

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