La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 46

Deux excellents sujets cette semaine !
Découvrez dans nos colonnes un premier sujet encore controversé sur la place de l’avion dans un monde moins dépendant aux énergies fossiles. Et puisqu’il est généralement difficile de voir clair parmi toutes les actions législatives mises en place par le Gouvernement sur un même sujet, nous vous offrons une synthèse de celles-ci concernant les mesures palliatives à la crise énergétique en France (en plus du plan de sobriété !)
Bonne lecture !

Sommaire

Questions émissions

Réflexions décarbonées

Questions émissions

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Limitation du trafic aérien en France : un levier d'action pour la décarbonation de la mobilité longue distance?

Portée par M. Aurélien Saintoul (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale - Hauts-de-Seine)

Le gouvernement néerlandais a prévu de plafonner dès novembre 2023 le nombre de vols autorisés depuis l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol. Aurélien Saintoul (député NUPES) interroge le ministre délégué chargé des transports sur l’opportunité d’appliquer une telle mesure aux aéroports français.

Un peu de contexte

En France, 9 % des émissions de GES sont associées à la mobilité de longue distance, c’est-à-dire aux déplacements à plus de 80 km à vol d’oiseau du domicile, ou 100 km de distance routière1.

Si l’avion est utilisé pour 7 % de ces déplacements, il représente plus de 50 % de l’énergie consommée et plus de 50 % des émissions de GES du secteur, et demeure exclusivement dépendant des carburants fossiles.

Selon The Shift Projet, dans son rapport Voyager bas carbone, une baisse des émissions du secteur de 5 % par an est nécessaire pour respecter les engagements de l’Accord de Paris et contenir à 2°C le réchauffement planétaire par rapport au niveau préindustriel.

Les améliorations techniques, une réponse partielle

Des améliorations de l’efficacité énergétique sont possibles pour réduire ces émissions, telles que l’optimisation des opérations au sol, la densification de l’occupation des cabines ou la réorganisation des opérations en vol, mais celles-ci ne pourront réduire suffisamment les émissions de GES sans y ajouter une baisse du trafic.

Il en va de même des évolutions technologiques. Si le basculement vers des vecteurs énergétiques décarbonés (hydrogène, électricité) demeure une priorité selon The Shift Projet, leur production sera dans tous les cas limitée. L’usage de biocarburants liquides impliquerait quant à lui une concurrence avec d’autres secteurs ou fonctionnalités essentiels (transport de marchandises, systèmes d’alimentation de secours des hôpitaux et des centrales nucléaires, etc.) ainsi qu’une emprise au sol significative.

Voyager moins, voyager mieux

Outre le respect des engagements pris lors de la COP21, une décroissance planifiée du trafic aérien associée au développement de modalités de voyage alternatives permettrait de préserver sur le long terme la liberté de voyage, de découverte, de vacances et de contact avec ses proches.
En effet, la très grande dépendance de la mobilité de longue distance au pétrole la rend sensible à la future contraction de l’approvisionnement. Plus nous tardons à prendre des mesures significatives, plus la marche à franchir sera haute et plus se feront ressentir les effets néfastes d’un défaut de planification.

Quels types de déplacement seraient impactés par un plafonnement ?

D’après le croisement des modes de transport avec les motifs de déplacement, les vacances en avion représentent à elles seules 30 % des distances parcourues et des émissions de GES de la mobilité longue distance des Français. Un effort de sobriété sur les voyages très lointains est incontournable et il implique de revoir la manière de penser le voyage, par exemple via des offres incitant aux voyages plus lents et un assouplissement de la gestion des congés pour les salariés.

L’établissement et le maintien de liens commerciaux ou professionnels à longue distance qui se font aujourd’hui au moyen de déplacements physiques carbonés devront passer au moins en partie par la visioconférence.

En conclusion, le secteur aérien ne pourra assurément pas se décarboner totalement d’ici 2050 sans une décroissance organisée du trafic. En ce sens, réglementer l’usage de l’avion par la limitation des créneaux aéroportuaires parait justifié.

Cette réglementation devra dans tous les cas être complétée par d’autres mesures telles que des moratoires sur la construction de nouvelles infrastructures aéroportuaires, la suppression progressive des voyages intérieurs sur des liaisons où il existe une alternative ferroviaire de moins de 4h30, et une évolution de la fiscalité visant une juste répartition des efforts (The Shift Project propose une taxe progressive indexée sur la fréquence des voyages et la distance parcourue).

1 The Shift Project. Climat, crises : le Plan de transformation de l’économie française. Janvier 2022

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Réflexions décarbonées

Tour d’horizon des mesures du Gouvernement face au risque de pénurie d’énergie cet hiver

Le Gouvernement

L’Europe et la France font face à une crise énergétique sans précédent. La guerre en Ukraine conduit à réduire fortement les livraisons de gaz russe. Le parc nucléaire français connaît une indisponibilité inhabituelle. Cette situation augmente les risques de pénurie et entraîne une flambée des prix sur les marchés. Les mesures du Gouvernement pour y faire face mettent au cœur des débats notre dépendance à l’énergie, en particulier fossile, qui est la plupart du temps invisibilisée.

Nous vous proposons cette semaine un tour d’horizon sur ce sujet brûlant.

Électricité

En septembre, RTE a publié son rapport Perspectives pour le système électrique pour l’automne et l’hiver 2022-20231, présentant plusieurs scénarios d’équilibre offre-demande. Le risque de recours aux moyens de sauvegarde2 est estimé entre 0 h (scénario avec forte disponibilité de nucléaire et hiver chaud) et 300 h (fonctionnement dégradé du marché européen et hiver très froid), avec une espérance de 20 h3 et des risques principalement concentrés sur les plages horaires du matin (8h-13h) et du soir (18h-20h). Pour réduire ce risque, plusieurs leviers sont activés :

  • Plan de sobriété4 : Le Gouvernement a publié des recommandations visant à réduire la consommation globale d’énergie et/ou à la déplacer dans la journée5. RTE estime que ces écogestes peuvent avoir un impact significatif : par exemple, limiter le chauffage à 19° ferait économiser 1,3 GW le matin (8h-13h) et 1,6 GW le soir (18h-20h). Une forte adhésion de la population aux mesures de sobriété ferait passer l’espérance de recourir aux moyens de sauvegarde de 20 h à 8 h. Le dispositif Ecowatt développé par RTE et l’ADEME vise à permettre aux Français d’agir sur leurs consommations énergétiques.
  • Mobilisation des groupes électrogènes par RTE : L’article 34 de loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat oblige les sites de consommation qui utilisent des installations de production (groupes électrogènes) ou de stockage de plus de 1 MW en substitution de consommation électrique à les mettre à disposition de RTE par l’intermédiaire du mécanisme d’ajustement6. Toutefois, selon RTE, la capacité réellement mobilisable dès cet hiver est très incertaine, du fait d’obstacles techniques et réglementaires pour certains sites (hôpitaux, établissements recevant du public).
  • Relèvement du plafond d’émissions des centrales à charbon : Conformément à l’article 36 de la même loi, un décret rehausse le plafond d’émission de gaz à effet de serre applicable aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles7. Ainsi les dernières centrales à charbon, fortement émettrices de CO2, qui devaient fermer en 2022, pourront-elles être utilisées en 2023.
  • Relance de l’offre TEMPO8 : Cette offre optionnelle à pointe mobile du tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE) visait à décaler la consommation des clients vers les heures les moins en tension. Son « statut » de TRVE interdisait à EDF d’en faire la promotion. Cette offre sera relancée auprès des PME et des particuliers afin d’augmenter la puissance effaçable l’hiver prochain.

Gaz

Le 5 octobre, la commission de régulation de l’énergie (CRE) a annoncé que les stockages français en gaz étaient pleins9 pour l’hiver 2022-2023. Avec 130 TWh opérationnels, le remplissage des stockages constitue un maillon essentiel mais non suffisant pour passer l’hiver gazier. La CRE estime que cela correspond à 2/3 de la consommation hivernale des PME et particuliers. Dans leur analyse sur le passage de l’hiver10, GRTgaz et Teréga, principaux acteurs du transport et du stockage du gaz, estiment que, pour un hiver moyen sans pointe de froid marquée, le système gazier devrait être équilibré, sans déficit de gaz (entrées et sorties égales à 393 TWh). En revanche, en cas d’hiver très froid, le déficit hivernal pourrait atteindre 16 TWh, soit 5 % de la consommation française en hiver. Outre la diversification des approvisionnement par les fournisseurs (augmentation des livraisons de GNL et de gaz norvégien en particulier), d’autres solutions existent pour réduire ce risque de pénurie :

  • Sobriété : Les gestionnaires de transport ont lancé le 20 octobre la plateforme Ecogaz qui permet d’alerter en cas de tensions sur le système gazier11. Comme pour l’électricité, le plan de sobriété énergétique du Gouvernement incite à la sobriété, en particulier sur le chauffage, dont la consommation en gaz peut être réduite d’environ 7 % pour un degré de moins12.
  • Décret répartition13 . En conformité de l’article L. 143-1 du Code de l’énergie, le Gouvernement prépare un décret visant à répartir les volumes de gaz disponibles pour les consommateurs non résidentiels ayant un certain niveau de consommation (plus de 300 MWh en 2021). Ce mécanisme de « précaution » serait mis en œuvre seulement si les circonstances l’exigeaient.
  • Interruptibilité : L’article 2414 de la loi dite pouvoir d’achat a étendu le mécanisme d’interruptibilité garantie15 aux consommateurs raccordés au réseau public de distribution (RPD16) : un arrêté du 3 octobre rend en effet éligibles ceux dont la consommation dépasse 5 GWh/an. Les clients signataires de ce type de contrat s’engagent à réduire leur consommation en cas de tension sur le réseau de gaz en contrepartie d’une rémunération. Il abaisse également la capacité interruptible17 minimum de 1 000 MWh/jour à 20 MWh/jour. Ces nouvelles dispositions visent à améliorer l’attractivité du mécanisme d’interruptibilité.

En conclusion, les systèmes électrique et gazier français disposent de très peu de marge pour passer l’hiver 2022-2023, ce qui a poussé le Gouvernement à prendre plusieurs mesures, dont la publication d’un plan de sobriété énergétique.
Il faut rappeler que la sobriété est un levier indispensable à court, moyen et long termes pour atteindre la neutralité carbone en 2050 puisque cet objectif exige de réduire très fortement notre consommation d’énergie fossile. The Shift Project estime notamment qu’une division par 4 de notre consommation de gaz naturel est nécessaire. Électrification des usages, efficacité énergétique mais surtout sobriété seront indispensables pour parvenir.

Il nous parait donc important de faire remarquer que les mesures et dispositifs adoptés dans le contexte de cette crise, majoritairement court-termistes, ne s’inscrivent pas dans la stratégie à grande échelle préconisée dans le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project. Ce plan implique une planification sur plusieurs décennies, une sobriété choisie et planifiée sur le long terme étant beaucoup moins douloureuse qu’une sobriété subie.

1 assets.rte-france.com/prod/public/2022-09/Analyse%20passage%20hiver%202022-2023.pdf

2 Quand l’équilibre offre-demande ne peut pas être assuré par le fonctionnement normal des marchés, il faut recourir à des moyens « hors marché ». Ces moyens de sauvegarde comprennent : la mobilisation des entreprises, collectivités et particuliers lors des signaux Ecowatt rouge, les leviers d’ordre technique (dispositif d’interruptibilité, réduction de la tension de 5% sur le réseau), et, en ultime recours, le délestage organisé.

3 Il est intéressant de noter que les acteurs des marchés ont une vision plus pessimiste du passage de l’hiver pour la France que RTE : www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/commissions-permanentes/affaires-economiques/actualites/passage-de-l-hiver-pour-le-reseau-electrique-audition-de-xavier-piechaczyk-president-du-directoire-de-rte

4 Le recours à l’effacement de consommation n’est pas inclus dans les mesures de sobriété. Il existe aujourd’hui 3,9 GW d’effacements de consommation, 3,3 GW activables par RTE et 0,6 GW activables par les fournisseurs (TEMPO essentiellement). Ces effacements sont déjà inclus dans les scenarii de référence de RTE.

5 www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/dp-plan-sobriete.pdf

6 www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFARTI000046186772

7 www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046289883

8 www.lefigaro.fr/flash-eco/electricite-les-particuliers-seront-incites-a-etre-plus-flexibles-pour-payer-moins-20220825

9 www.cre.fr/Actualites/les-stockages-francais-de-gaz-sont-pleins-en-preparation-de-l-hiver

10 www.grtgaz.com/medias/communiques-de-presse/perspectives-systeme-gazier-hiver-2022

11 www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16086

12 www.grtgaz.com/medias/communiques-de-presse/perspectives-systeme-gazier-hiver-2022

13 www.sefe-energy.fr/gazmagazine/2022/11/projet-dun-decret-rationnement-du-gaz-naturel/

14 www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046374258

15 www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046374300

16 Définition donnée par GRTgaz : Il oblige principalement le client à diminuer sa consommation à hauteur de la capacité interruptible souscrite, au plus tard à 6 h du matin pour un ordre d’activation reçu de GRDF avant 16 h la veille, et pour une durée maximale cumulée de 240 h entre le 1er avril et le 31 mars de l’année suivante.

17 Désigne les installations et systèmes gérés par un gestionnaire de réseau de distribution, GRDF ou ERDF, utilisés pour acheminer l’électricité ou le gaz naturel.

18 La capacité interruptible est la quantité de gaz dont vous pouvez vous passer chaque jour tout en maintenant une activité que vous estimez suffisante.

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La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
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