La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 45

Nous reprenons notre activité de veille législative (oui oui!) en vous proposant tout d’abord d’étudier la question du renouvellement des réseaux français d’eau potable. Ensuite, l’analyse d’un sujet d’actualités dans le contexte de pénurie de carburants de ces dernières semaines : le prêt à taux zéro pour l’achat de voitures plus « propres ».
Bonne lecture !

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Questions émissions

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en partenariat avec Logo Dixit

Renouveler les réseaux d’eau potable : une fausse priorité pour protéger la ressource en eau

Portée par Edwige Diaz (députée RN de la 11ème circonscription de la Gironde)

Après un été sec et chaud au cours duquel 93 départements se sont vu imposer des restrictions d’eau, Mme Edwige Diaz, députée RN de la Gironde, s’alarme du faible rendement et du vieillissement des réseaux d’alimentation en eau potable (AEP) français.

En 2020, 1 litre sur 5 en moyenne1 a été perdu à cause des fuites et, au rythme actuel des travaux, il faudrait 150 ans pour renouveler le réseau. À première vue, cela est bien inquiétant quand la durée de vie d’une canalisation est de 60 à 80 ans.

En France, « l’eau paye l’eau » : les coûts d’investissement et d’exploitation des systèmes d’AEP doivent être couverts par les montants payés par les usagers qui, réciproquement, ne doivent rien financer d’autre. Mme Diaz demande donc au Gouvernement de mobiliser des financements pour aider les services publics à renouveler leur réseau sans élévations de tarif inacceptables pour l’usager.

Qu’en pensent les Shifters ?

Rappelons que la loi 3DS de février 2022 revient sur le principe selon lequel « l’eau paye l’eau » en permettant aux EPCI de subventionner leur budget « eau », notamment « lorsque le fonctionnement du service public exige la réalisation d’investissements qui, en raison de leur importance, ne peuvent être financés sans augmentation excessive des tarifs ».

Le renouvellement des réseaux d’AEP pour améliorer leur rendement doit-il alors être une priorité au point de nécessiter des moyens supplémentaires ? À première vue, un réseau plus « jeune » entraîne moins de fuites, donc moins de prélèvements et de traitements. Mais dans les faits, bien que la vétusté des réseaux soit un facteur légitime d’inquiétude, il convient d’analyser la question d’un peu plus haut.

En France, 37 milliards de m³ d’eau sont prélevés chaque année afin d’alimenter différents usages (cf. figure). En 20162, 56 % de ce volume a été utilisé dans le secteur de l’énergie (hors hydroélectricité), dont la moitié pour permettre le refroidissement des centrales de production d’électricité. Loin derrière, l’eau potable est le deuxième usage en volume (5,4 milliards de m³), mais le premier facteur de pression sur les ressources souterraines.

La sécheresse de 2022 a entraîné une baisse anormale des nappes phréatiques et des débits des cours d’eau (d’ailleurs soutenus par les nappes qui les alimentent)3. Sachant que le changement climatique va élever la fréquence et l’intensité de ce type d’évènement, d’autres actions que l’amélioration du rendement des réseaux d’AEP seraient également souhaitables, pour réduire la demande à l’année ou favoriser l’infiltration et donc la recharge des nappes.

En particulier, pour les communes s’alimentant en eau de surface et non en eaux souterraines pour produire l’eau potable, l’AEP est en concurrence avec d’autres usages. Il est possible d’agir sur le partage de la ressource avec le concours des agences de l’eau dont c’est le rôle. Diminuer le recours à l’irrigation en favorisant des cultures moins gourmandes en eau pourrait par exemple s’avérer plus efficace qu’un investissement massif dans le renouvellement des réseaux de ces communes. Et il est aussi important de protéger la qualité des eaux de surface afin de garantir qu’elles puissent toujours être potabilisées (car tout ne peut pas être traité, ni traité sans limite).

Si l’on veut continuer à assurer un accès universel à l’eau potable, il faut donc préserver à la fois les ressources souterraines et de surface, sur les plans qualitatif et quantitatif, pendant et en dehors des périodes de sécheresse. Cela implique de ne pas se focaliser sur les infrastructures, mais d’adopter une approche intégrée adaptée aux spécificités de chaque territoire.

Quid de la sobriété dans tout ça ?

Diminuer la consommation d’eau est certes un moyen de diminuer la pression sur la ressource, en particulier souterraine. La consommation domestique est d’ailleurs en baisse depuis 10 ans4, et la poursuite de cette tendance est attendue, avec l’intensification des sécheresses et la généralisation d’équipements plus économes notamment. Il faut toutefois se méfier des effets pervers. Ainsi, la tarification au volume incite à une maîtrise de la consommation, mais elle implique aussi que, pour avoir un revenu stable, les opérateurs doivent vendre un volume constant (à tarif constant). D’autant que les coûts de production ne baissent pas en proportion de la consommation5 : moins de volume vendu, c’est plus de pression donc plus de fuites et aussi plus de chlore car le temps de séjour dans les canalisations augmente. Une diminution franche des consommations pourrait donc mettre les opérateurs en difficulté financière. D’où la nécessité d’être prudent lors de l’extension des systèmes existants, mais aussi d’inventer de nouveaux modes de rémunération pour les opérateurs.

1 Eau de France. Panorama 2020 des services et de leur performance. Juin 2022 : www.eaufrance.fr/publications/panorama-des-services-et-de-leur-performance-rapport-donnees-2020

2 Eau de France. Bulletin n°5 sur les prélèvements quantitatifs sur la ressource en eau pour l’année 2016. Edition mars 2019 : www.eaufrance.fr/sites/default/files/2019-03/bnpe_2016_201903.pdf

3 BRGM. Une sécheresse sans précédent cet été 2022. Août 2022 : www.brgm.fr/fr/actualite/article/secheresse-sans-precedent-cet-ete-2022

4 Cieau.com. « Quelle est la consommation d’eau moyenne dans les foyers ? » : www.cieau.com/le-metier-de-leau/ressource-en-eau-eau-potable-eaux-usees/quels-sont-les-usages-domestiques-de-leau/

5 Librairie ADEME. Les modèles économiques des services urbains au défi de la sobriété : librairie.ademe.fr/urbanisme-et-batiment/5871-les-modeles-economiques-des-services-urbains-au-defi-de-la-sobriete.html

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Achat de voitures électriques ou hybrides : un prêt à taux zéro dans les zones à faibles émissions

Décret d'application

Fortement mises en cause, à droite comme à gauche, pendant l’élection présidentielle, les zones à faible émissions1 (ZFE) sont pourtant déjà en place dans certaines métropoles françaises et européennes, et sont appelées à être généralisées dès 2024. Une des réponses aux difficultés soulevées par les mouvements d’opposition a particulièrement retenu notre attention : un prêt à taux zéro pour l’achat d’un véhicule pour les ménages les plus défavorisés.

Les critères d’éligibilité

Instauré par le décret 2022-615 du 22 avril 2022, ce prêt sans intérêts complétera dès 2023 le bonus écologique et la prime à la conversion. Les critères pour en bénéficier sont notamment : un revenu fiscal par part inférieur ou égal à 14 000 euros, un montant de prêt pouvant atteindre 30 000 euros sans dépasser le prix du véhicule, 7 ans maximum de remboursement.

Spécificité importante, le véhicule doit respecter trois critères :
  • le type de motorisation : véhicules hybrides rechargeables ou électriques
  • les émissions de CO2 : 50 grammes par km maximum
  • le poids : 2,6 tonnes maximum.

L’avis des Shifters

Cette prise en compte du poids est une nouveauté bienvenue, conforme en particulier aux recommandations du Shift Project, mais le seuil, très haut, est peu discriminant.

En ce qui concerne les deux autres critères, ils vont dans le sens de la décarbonation et de la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles.
Rappelons toutefois que l’origine des véhicules, en particulier des batteries, n’est pas encore prise en compte dans les classifications des véhicules, donc a fortiori dans les critères d’éligibilité au prêt à taux zéro, alors même qu’elle a un impact sur leur bilan carbone.

Une autre réserve porte sur la voiture hybride rechargeable (VHR) : ses émissions de gaz à effet de serre dépendent du nombre de kilomètres parcourus « en électrique » (généralement moins de 40 %2). D’après le bureau d’études Carbone 4, le « gain carbone » d’une VHR est de l’ordre de 15 % à 20 % par rapport à un véhicule thermique.

De plus, les émissions en situation test ou en situation réelle diffèrent fortement. The Shift Project, dans son Étude comparative de l’impact carbone de l’offre de véhicules, indique que « des marges de manœuvre afférentes aux conditions de test » peuvent être exploitées par les constructeurs, amenant à minorer la consommation et les émissions affichées.

En condition réelle d’utilisation, les voitures hybrides rechargeables sont rarement rechargées sur secteur et fonctionnent donc majoritairement à l’essence, ce qui entraîne une performance moindre2, d’autant que la présence de deux moteurs les alourdit. Des moyens de communication doivent donc être associés à ce prêt pour informer le public sur les critères de choix de véhicules. Des formations à l’utilisation des véhicules électriques ou hybrides pourraient également être développées.

Autre aspect intéressant de ce dispositif : son caractère « expérimental » avec une analyse d’impact prévue au bout de deux ans. Cette démarche orientée vers le résultat est positive car elle permettra de mieux orienter le financement vers les actions écologiques efficaces et donc à pérenniser.

La réussite des ZFE dépend évidemment de politiques plus larges que ce seul prêt à taux zéro, mais il montre la prise en compte du coût social élevé de l’exclusion des voitures polluantes des zones urbaines concernées. Il reste que des véhicules intermédiaires moins coûteux, plus légers et moins polluants3 ou l’amélioration des modes de transports et des services alternatifs à la voiture individuelle seraient encore plus efficaces et équitables.

1 Une ZFE est une zone délimitée au sein d’une aire urbaine dans laquelle la circulation des voitures les plus polluantes est limitée (en journée ou en semaine) ou complètement interdite. Les vignettes Crit’Air certifient la qualité environnementale des véhicules et permettent le contrôle des véhicules selon leur niveau d’émissions.

2 www.carbone4.com/analyse-faq-voiture-electrique

3 Frédéric Héran. Définition et typologie des véhicules intermédiaires. Revue Transports Urbains sur « L’avenir des véhicules intermédiaires »

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