La gazette du carbonePour un arsenal juridique décarbonant |
|
Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.
2022 | Semaine 39Nous vous proposons en cette fin d’après-midi une Gazette du carbone pleine de poésie. |
Sommaire |
|
Réflexions décarbonées |
Réflexions décarbonées |
Face à la loi pouvoir d’achat, une décision en demi-teinte du Conseil constitutionnelPortée par Sénateurs et députés pour le Conseil Constitutionnel Après un été marqué par un trio infernal – canicules, sécheresses, incendies – qui a vu le lit des grands fleuves européens à sec, des forêts dévastées par les flammes et le rendement des récoltes au plus bas, nous revenons sur une décision du Conseil constitutionnel12 qui vient clore le cycle des débats autour du « paquet pouvoir d’achat ». À la suite de l’adoption par le Parlement du projet de loi sur le pouvoir d’achat, une soixantaine de députés ont saisi le Conseil constitutionnel pour contester certaines dispositions favorisant le recours aux énergies fossiles. Sont visés le déploiement d’un terminal méthanier flottant et l’assouplissement des conditions d’exploitation de certaines installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles. La décision de conformité « avec réserves », tout en demi-teinte et largement commentée, mérite un détour. Des mesures jugées néfastes pour l’environnement mais conformes à la Constitution Les députés avancent que ces mesures portent une atteinte grave et irréversible à l’environnement et sont contraires à l’« objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement ». Le conseil des Sages reconnait également l’impact potentiellement néfaste de ces dispositions sur l’environnement, au regard de leur objet et de leurs effets, mais il les juge toutefois conformes à la Constitution. Quelles en sont les raisons ? Le Conseil estime tout d’abord que les exigences découlant de la Charte de l’environnement sont bien prises en compte, à travers le respect des normes en vigueur et les conditions posées par le législateur (information du public sur les impacts environnementaux du projet, durée d’exploitation limitée à 5 ans, etc.). Il considère par ailleurs que la finalité de ces dispositions, à savoir assurer la fourniture en énergie des Français face à des difficultés d’approvisionnement, participe de la sauvegarde des « intérêts fondamentaux de la Nation », en particulier son indépendance et les éléments essentiels de son potentiel économique. Des réserves d’interprétation au caractère inédit La décision de conformité s’accompagne néanmoins de réserves d’interprétation qui encadrent la mise en oeuvre des dispositions. Si le recours à cette technique est plutôt fréquent en droit constitutionnel français, son énoncé fondé sur la Charte de l’environnement, revêt un caractère inédit. Au motif que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation » et que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins », ces mesures ne pourront être appliquées qu’en cas de menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz ou en électricité. Le Gouvernement devra par ailleurs s’assurer que le relèvement du plafond des émissions sera compensé de manière à respecter les objectifs de la transition climatique. En pratique, quelles conséquences ? Nous ne savons pas encore si ces réserves d’interprétation sont l’amorce d’une nouvelle dialectique et permettront de repenser la primauté des droits et leurs conditions d’exercice à l’aune de l’anthropocène. En revanche, avec la fermeture du robinet de gaz russe et des capacités limitées de production d’électricité en France, nous savons que le risque est grand de se trouver dans une situation où la demande en énergie sera supérieure à l’offre. Invoquerons-nous alors les intérêts fondamentaux de la Nation pour justifier le recours à des énergies toujours plus carbonées ? Ou bien saurons-nous, grâce à un plan de sobriété organisé et efficace, maitriser la demande et éviter ainsi une hausse des émissions ? Les prochains mois serons décisifs, n’en doutons pas, et les Shifters seront là pour vous tenir informé(e)s de cette actualité ! 1 Saisine du Conseil constitutionnel par les sénateurs : www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2022843dc/2022843dc_saisinesen.pdf 2 Saisine du Conseil constitutionnel par les députés : www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2022843dc/2022843dc_saisinedep.pdf Liens utiles : |
Le recyclage des friches : un levier pour en finir avec l'étalement urbainArticle publié par ADEME Magazine et analysé ci-dessous par les Shifters En mai 2022, le magazine de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a consacré un numéro au potentiel foncier des friches. Ce dossier invite à penser la reconversion de ces espaces comme un levier d’action pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) en favorisant la « reconstruction de la ville sur elle-même ». Symbole de l’activité humaine et de son impact sur l’environnement, les friches font partie de la mémoire patrimoniale des territoires. Si ces lieux abandonnés constituent parfois des fractures urbaines qu’il convient de résorber, ils représentent également des espaces intéressants pour la préservation de la biodiversité en milieu urbain. Les friches peuvent aussi apparaître comme des lieux d’appropriation citoyenne, dans lesquels des usages créatifs peuvent émerger. La reconversion des friches au carrefour de multiples enjeux Le sujet de la reconversion des friches est récurrent car il se trouve au carrefour de multiples enjeux : lutte contre l’artificialisation des sols et sobriété foncière, réindustrialisation, dépollution des sols, requalification urbaine et redynamisation des territoires, etc. Si elle est fortement soutenue par l’ADEME comme une solution face à l’impasse de l’étalement urbain, les acteurs de l’aménagement n’ont pourtant pas systématiquement recours à la réhabilitation des friches dans une optique de sobriété foncière. Une friche est un espace bâti ou non bâti, aménagé par l’homme puis laissé à l’abandon à la suite de la cessation d’une activité1. Si aucune définition juridique n’existe encore – compliquant ainsi leur identification – le potentiel foncier des friches issues des activités industrielles et de services en France est estimé entre 90 000 et 150 000 hectares2. À titre de comparaison, The Shift Project estime à près de 280 000 ha les espaces naturels consommés (artificialisés) entre 2009 et 2019, dont 68 % à destination de l’habitat. > Source : The Shift Project – La Résilience des territoires Pour tenter de préserver les sols face à une pression foncière croissante, le législateur s’est préoccupé du recyclage des friches dès la loi ALUR3 du 24 mars 2014 puis au travers de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 qui fixe l’objectif du ZAN. L’artificialisation altère durablement la multifonctionnalité des sols, leurs capacités à rendre des services écosystémiques4, et menace directement la biodiversité en détruisant les habitats. Si le ZAN fixe un premier objectif de réduction de la consommation foncière des espaces naturels de moitié d’ici 2031, en 2050, toute artificialisation devra être compensée5. Dès lors, la reconversion des friches est stratégique pour le développement des territoires, car elles constituent des espaces déjà artificialisés. Un parcours d’obstacles économiques et juridiques À regarder de plus près, si la réhabilitation des friches semble essentielle pour atteindre l’objectif du ZAN, des verrous subsistent pour les collectivités territoriales. Les principales difficultés concernent les coûts de remise en état du site6, particulièrement dans le cas de friches industrielles polluées7. En l’espèce, les travaux de décontamination peuvent s’avérer très lourds, entraînant ainsi une forte incertitude sur le potentiel de reconversion de la friche8. La réhabilitation d’une friche est une opération souvent déficitaire pour les collectivités, qui ne peuvent pas toujours supporter des coûts de dépollution équivalents ou supérieurs à ceux de l’acquisition du foncier. La réglementation prévoit une dépollution différenciée selon les fonctions envisagées. Les mesures de dépollution seront plus strictes en cas de construction de logements que lors de la création d’un parc.Toutefois, si les coûts de dépollution des opérations mixtes intégrant du logement et des services sont plus élevés, elles dégagent généralement des bénéfices supérieurs à celles visant des usages nécessitant des efforts moins coûteux9. L’imputation du paiement de la remise en état d’un site pollué, conformément au principe du pollueur-payeur, peut s’avérer laborieuse, tant l’accumulation de diverses pollutions dilue les responsabilités entre les propriétaires et exploitants successifs. En outre, les propriétaires des friches ne sont pas toujours enclins à céder leur terrain et les collectivités peuvent être réticentes à recourir à une procédure d’expropriation, notamment au regard de sa complexité. L’enchevêtrement des droits mobilisés ainsi que les formalités administratives pour accéder aux financements des « fonds friches » ou des appels à projets (régionaux, ADEME, France Relance) constituent des barrières supplémentaires pour les collectivités peu outillées en ingénierie de projet urbain. Des « bénéfriches10 » au-delà du déficit apparent Si une opération de recyclage de friche peut paraître déficitaire à première vue, les externalités positives sont nombreuses. Les friches représentent un gisement de foncier indispensable à l’heure de sa raréfaction dans les zones urbaines attractives. Dans des territoires en situation de déprise, les friches représentent des opportunités pour redynamiser l’économie locale, créer de nouveaux logements et commerces, en évitant l’étalement urbain et la destruction des espaces agricoles. L’outil Bénéfriches développé par l’ADEME permet de mesurer les bénéfices socio-environnementaux générés par la réhabilitation d’une friche. Par exemple, une opération a priori déficitaire de 6,4 millions d’euros, à Trignac en Loire-Atlantique, peut en réalité générer des bénéfices socio-économiques estimés à 19 millions d’euros en évitant de futures dépenses11. Ainsi, la réhabilitation des friches est susceptible d’améliorer la qualité de vie et la santé des riverains en cas de végétalisation des espaces publics et d’entraîner une augmentation de la valeur de leurs biens immobiliers. En limitant l’étalement urbain, ces opérations génèrent des économies sur le plan des infrastructures et peuvent favoriser le développement des mobilités collectives. Le recyclage foncier : un modèle d’aménagement décarboné D’après le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project, le recyclage du foncier vacant s’inscrit dans un modèle d’urbanisme plus soutenable limitant la surutilisation des sols. Les sols non artificialisés participent au stockage du carbone, à la création de corridors écologiques et à la lutte contre les îlots de chaleur urbaine. En préservant le potentiel d’infiltration des sols, les vulnérabilités aux inondations, l’une des principales menaces climatiques en France, sont réduites12. Réinterroger les pratiques d’urbanisation effrénée revient aussi à mettre en cause un modèle extensif d’aménagement du territoire, fondé sur une énergie fossile abondante et peu coûteuse créant une dépendance à la voiture individuelle. Face à la multiplicité des risques climatiques comme à la nécessaire transition écologique, les territoires doivent être en mesure de préserver durablement le bien-être de leur population et de tenir le cap de la transition en dépit des turbulences. Le recyclage foncier fait partie des actions à mener pour rendre nos territoires résilients devant un futur incertain. 1 Industrielle, agricole, portuaire, de services, de transport, de stockage, militaire etc. Il existe différents types de friches urbaines (industrielle, commerciale, habitat, défense). 2 « Réhabiliter les friches : une opportunité environnementale et économique ? » Vie publique – www.vie-publique.fr/en-bref/278496-rehabiliter-les-friches-un-levier-environnemental-et-economique 3 Loi pour l’aménagement, le logement et un urbanisme rénové. 4 Services d’approvisionnement, de régulation, culturels et d’auto-entretien : Christian Walter, Antonio Bispo, Claire Chenu, Alexandra Langlais-Hesse, Christophe Schwartz, « Les services écosystémiques des sols : du concept à sa valorisation », Cahier Demeter – www.nfp68.ch/SiteCollectionDocuments/ServiceEcosystemic_Concept_for_Valorisation.pdf 5 Ce qui sera considéré comme une désartificialisation n’est pas à ce jour réglementé et ne fait pas consensus. 6 Dépollution, démolition, désamiantage, etc. 7 Les coûts de reconversion d’une friche sont rarement inférieurs à un million d’euros l’hectare, et les coûts de chantier peuvent atteindre les 30 ou 40 millions d’euros pour les raffineries. Les polluants les plus retrouvés sont les hydrocarbures, métaux, hydrocarbures volatils non chlorés. Sources : Mission d’information commune sur la revalorisation des friches industrielles, commerciales, rapport d’information n°3811, Assemblée nationale, 27 janvier 2021 – www.normandie-artificialisation.fr/IMG/pdf/rapport-informationfriche.pdf 8 « À la reconquête des friches », ADEME Magazine, Mai 2022 : infos.ademe.fr/magazine-mai-2022/ 9 « Pourquoi réhabiliter des friches urbaines est moins coûteux qu’il n’y paraît », La Gazette des communes, 13 juillet 2022 – www.lagazettedescommunes.com/817887/pourquoi-rehabiliter-des-friches-urbaines-est-moins-couteux-quil-ny-parait/ 10 Nom de l’outil d’analyse des coûts-bénéfices développé par l’ADEME avec Arcadis et Efficacity, 11 « A la reconquête des friches », ADEME Magazine, Mai 2022 – infos.ademe.fr/magazine-mai-2022/ 12 « Risques climatiques, 6 français sur 10 sont déjà concernés », Data Lab, CGDD, janvier 2020 – www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-01/datalab-essentiel-202-risques-climatiques-janvier2020.pdf Liens utiles : |
La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project.
Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société. Pour réagir au contenu, demander des précisions, proposer des évolutions, contribuer à notre action vers les décideurs, une seule adresse : gazette@theshifters.org !
Vous pouvez également découvrir The Shift Project et devenir membre de l'association. |