La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 38

Deux excellents sujets cette semaine !
Découvrez dans nos colonnes le rôle du biométhane, un gaz non-fossile, dans les efforts de réduction de nos dépendances. Vous pourrez ensuite comprendre pourquoi la décarbonation du secteur de la santé est un défi écologique majeur.
Bonne lecture !

Sommaire

Questions émissions

Réflexions décarbonées

Questions émissions

en partenariat avec Logo Dixit

Biométhane : une filière à contrôler de près

Portée par M. Thierry Cozic (Sarthe, groupe socialiste, écologiste et républicain - SER)

En mars dernier, le sénateur Thierry Cozic s’inquiétait des conditions des contrats de rachat de biogaz produit à partir de la méthanisation [biométhane] ainsi que de la volonté gouvernementale de développement de ce secteur. Depuis, le Gouvernement a mis en place plusieurs mesures en faveur du développement du biogaz. Nous profitons de cette occasion pour parler ordres de grandeur et faisabilité concernant ce sujet incontournable de la transition énergétique.

Qu’est-ce que le biométhane ?

Le biométhane est un biogaz produit à partir de la méthanisation. La méthanisation est un processus qui consiste en la dégradation par des micro-organismes de la matière organique, en conditions contrôlées et en l’absence d’oxygène (milieu anaérobie). Le biogaz sert principalement à produire de l’électricité et de la chaleur. L’épuration de biogaz en biométhane permet également une injection dans le réseau de gaz fossile, qui constitue un nouveau débouché depuis quelques années1.

Un premier développement rapide de la filière

Au 1er janvier 2022, on dénombrait en France 1308 unités de méthanisation dont 371 en injection dans le réseau gazier. En 2021, 152 nouveaux sites d’injection de biométhane ont été mis en service dont 123 sur le réseau GRDF2.

Le biométhane est considéré comme une énergie renouvelable émettant 10 fois moins de gaz à effet de serre que le gaz fossile1. Il constitue une part encore mineure de l’approvisionnement français en gaz – moins de 1 % en 2021 – mais fait l’objet d’une volonté de développement ambitieuse, visant 7 % à 10 % du gaz consommé en 20303. À titre de comparaison, le gaz russe représentait 17 % du gaz fossile consommé en France en 20204.

Jusqu’en 2020 le tarif d’achat du biométhane injecté dans le réseau était garanti par contrat et pour une durée de 15 ans. Cette politique volontariste a permis de doper le nombre de projets en injection (un seul site injectait du gaz en 2011).

Coup de frein en 2020

En novembre 2020, les tarifs ont été revus à la baisse de manière significative (entre -6 % et -15 % selon les systèmes pour tous les contrats souscrits après le 24 novembre 2020), ce qui a ralenti le développement de la filière. Un arrêté5 prévoyait de plus une baisse progressive de ce tarif (environ -0,5 % par trimestre).

Concomitamment, les coûts de production du biométhane ont très fortement augmenté. Un durcissement des contraintes réglementaires a aussi été mis en place en raison d’accidents.

Enfin, la crise sanitaire a fortement ralenti les dossiers à l’instruction, notamment les permis de construire, le traitements des recours (de plus en plus fréquents), l’attribution des droits à produire et les permis d’exploiter. Ainsi, l’Observatoire national des ressources en biomasse (ONRB, FranceAgrimer) a estimé qu’il y avait 840 projets d’installation en attente au 31 décembre 2021.

Nouveaux soutiens à la filière

Le contexte général ayant fortement changé (crise du gaz russe), plusieurs soutiens ont été apportés par l’État au développement de cette filière depuis mai 2022.
  • Le Plan de résilience économique et sociale prévoit d’accélérer et d’amplifier le développement des énergies renouvelables, dont le biométhane6.
  • L’article 95 de la loi Climat et résilience prévoit l’instauration de certificats de biogaz, ce qui permettra de soutenir les producteurs de biométhane ne bénéficiant pas d’un soutien de l’État.
  • La publication d’appels d’offres consacrés aux projets de production de biométhane est prévue pour décembre prochain.
  • Enfin, la ministre Agnès Pannier-Runacher a expliqué, le 27 juillet dernier, lors de son audition au Sénat sur le projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et la politique énergétique du Gouvernement, vouloir débloquer les projets d’installation de production de biogaz en publiant deux décrets visant notamment à :
    • Indexer les tarifs de vente du biogaz sur l’augmentation des coûts de l’énergie,
    • Permettre aux porteurs de ces projets de produire de l’électricité et de la vendre sur le marché pour couvrir les surcoûts auxquels ils sont confrontés, avant de revenir aux tarifs régulés au bout de dix-huit mois.

Les préconisations du PTEF

Tout d’abord, il convient de rappeler que le Plan de transformation de l’économie française (PTEF) vise une division par 6 des consommations d’énergie liquide et gazeuse.

Le PTEF prévoit qu’en 2050 la production de gaz sera satisfaite par le biogaz issu de la méthanisation ainsi que par le gaz issu du bois de forêt ou hors forêt. La quantité de biométhane produite par méthanisation représenterait 7Mtep7 soit 17 % de la quantité de gaz consommée actuellement en France.

Ceci implique à la fois une montée en puissance de l’industrie de la méthanisation avec l’installation de plusieurs milliers d’unités de production sur le territoire, mais également une très forte réduction de la consommation de gaz en France.
En outre, le développement de cette filière ne doit pas se faire sans un contrôle approfondi et une réflexion globale concernant :

  • L’utilisation des terres agricoles françaises : sans baisse de la consommation d’énergies liquides et gazeuses, et dans l’hypothèse très improbable de leur remplacement total par la biomasse, la majeure partie des surfaces agricoles devrait être utilisée pour produire cette énergie, ce qui est évidemment incompatible avec la souveraineté alimentaire du pays .
  • L’impact du développement des unités de méthanisation sur notre système agricole. Le PTEF prévoit la réorientation de l’agriculture vers la souveraineté alimentaire et l’agroécologie. Or un développement massif de la filière de méthanisation risque de conduire à une simplification des cultures (au contraire de la diversification et des rotations longues) et à la transformation de prairies (qui stockent le carbone) en culture méthanogènes8.
  • La réorientation des matières premières aujourd’hui utilisées pour l’alimentation animale. En effet, d’après le PTEF, le cheptel français devra baisser drastiquement pour tenir les objectifs climatiques, mais il ne doit pas disparaître. Il reste en effet nécessaire à l’entretien d’un grand nombre de terroirs et joue un rôle déterminant dans l’évolution des pratiques vers l’agroécologie.

1 Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, juillet 2021

2 GRDF

3 Programmation pluriannuelle de l’énergie (trajectoire des 10 prochaines années en matière de politique de l’énergie)

4 Chiffres clés de l’Energie. Editions 2021 : www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/14-gaz-naturel

5 Arrêté du 23 novembre 2020 fixant les conditions d’achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel

6 www.gouvernement.fr/plan-de-resilience-economique-et-sociale-france-2030-mobilise-pour-securiser-l-approvisionnement-en

7 Tonne équivalent pétrole

8 IDDRI

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Réflexions décarbonées

Décarbonation du secteur de la santé : l'APHP témoigne sur les enjeux de ce défi majeur!

Article publié par le magazine Hospitalia et analysé ci-dessous par les Shifters

Dans cet article, Matthias Didier, directeur de projets développement durable à l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris), nous éclaire sur la politique de cette institution dans ce domaine.

Rappelons d’abord que, dans son Plan de transformation de l’économie française (PTEF), The Shift Project estime les émissions des gaz à effet de serre (GES) du secteur de la santé à 8 % des émissions totales françaises, soit environ 50 millions de tonnes de CO2 par an. Les évaluations de l’impact climatique de ce secteur se sont multipliées ces dernières années, aussi bien au niveau national12, qu’international34. Si certains résultats diffèrent en fonction de la méthodologie et des sources utilisées, le constat général varie peu.

Celui de Matthias Didier, résumé ci-dessous, n’y fait pas exception :
  • Une place particulière : les effets négatifs du réchauffement climatique sur l’état de santé des populations, appelé “santé environnementale” dans l’article, sont maintenant bien établis. Le secteur de la santé se doit donc d’être exemplaire en tant que garant de cette même santé.
  • Un objectif de réduction des émissions de GES de 80 % d’ici à 2050 par rapport à celles de 2020 pour répondre aux exigences de l’Accord de Paris sur le climat.
  • L’importance du scope 35 dans son bilan carbone : il représente environ 70 % des émissions de GES, principalement dues à la production, au transport, et au traitement de biens et de services, tels que les médicaments et autres composés chimiques (33 % des émissions totales selon le PTEF), les équipements médicaux (21 %) et les produits agroalimentaires (6 %).

  • Le large panel de solutions à disposition pour décarboner la santé : utiliser des énergies décarbonées, favoriser un système de soin préventif plutôt que curatif, développer les filières de recyclage et de production de matériel en France, réduire le gaspillage alimentaire, rénover les bâtiments, modifier la législation etc.

Pour mettre en œuvre ces solutions, les hôpitaux peuvent (ou doivent !) s’appuyer sur un ensemble de textes adoptés ces dernières années.

  • Citons par exemple le plan « Services publics écoresponsables »6, de février 2020. Faisant suite à une circulaire de 2008 dite de « l’État exemplaire », il comporte 20 mesures obligatoires (mobilité durable des agents, achats responsables, alimentation respectueuse de l’environnement…) et une démarche d’approche participative permettant aux agents de proposer et mettre en place des projets au niveau local.
  • La législation encadrant les bilans carbone n’a cessé d’évoluer. Instauré par la loi portant Engagement national pour l’environnement de 2010, qui a posé le principe d’une généralisation des bilans d’émissions de gaz à effet de serre pour un certain nombre d’acteurs publics et privés, le cadre d’application des bilans carbone a ensuite été renforcé grâce à différents textes comme la loi sur la Transition énergétique pour la croissance verte (2015), la loi Énergie climat (2019) ou le décret n° 2022-982 du 1er juillet 2022. Mais l’évaluation du scope 3 reste pour l’heure optionnelle. L’AP-HP, judicieusement, “a souhaité aller plus loin” en effectuant un bilan carbone complet, incluant donc le scope 3, qui, rappelons-le, représente près de 70 % des émissions de GES.

Venons-en à la “démarche développement durable” de l’AP-HP. Elle a entamé une politique de réduction des émissions sur trois postes à savoir l’alimentation (6 % des émissions de GES du secteur, selon le PTEF), le traitement des déchets (2 %) et la mobilité (11 % pour le transport des usagers et 5 % pour les trajets du personnel). L’effort fourni est donc réel.

Toutefois, la mise en œuvre de plans d’action pour la décarbonation des deux plus gros postes d’émissions que sont l’achat des médicaments et les dispositifs médicaux, doit s’accélérer à la vue de l’objectif très ambitieux (mais non moins nécessaire) de réduction de 80% des émissions de GES d’ici 2050. On peut notamment regretter que la notion de « médecine préventive », l’un des axes phares du PTEF du Shift Project, ne soit pas évoquée par Matthias Didier. Elle consiste, par exemple, à « accompagner fortement la baisse des addictions, accentuer le (télé)suivi des malades polypathologiques ou chroniques afin de participer aux détections précoces et faire baisser les hospitalisations inutiles, inciter au changement de l’offre alimentaire et de la mobilité, proposer un modèle incitatif de prescription au plus près du besoin, etc. ». Peut-être parce que, comme l’indique Matthias Didier, la démarche développement durable” de l’AP-HP « ne [vise] pas à réduire [ses] activités, mais bien à identifier les leviers et alternatives disponibles en tenant compte des contraintes propres aux établissements de santé ».

1 bilans-ges.ademe.fr/fr/ressource/guide-sectoriel-list/index/idElement/11/siGras/0

2 www.thelancet.com/journals/lanplh/article/PIIS2542-5196(20)30121-2/fulltext

3 www.thelancet.com/journals/lanplh/article/PIIS2542-5196(20)30121-2/fulltext

4 healthcareclimateaction.org/sites/default/files/2021-11/French_HealthCaresClimateFootprint_091619_web.pdf

5 Lorsque l’on quantifie les émissions de GES d’une entité, on les répartit en trois catégories : les émissions directes (Scope 1), les émissions indirectes liées à l’énergie (Scope 2) et les autres émissions indirectes telles que l’extraction de matériaux achetés par l’entreprise pour la réalisation du produit ou les émissions liées au transport des salariés et des clients venant acheter le produit (Scope 3).

6 www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=44936

7 bilans-ges.ademe.fr/fr/accueil/contenu/index/page/art75/siGras/0

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