La gazette du carbone

Pour un arsenal juridique décarbonant

The Shifters - Les bénévoles du Shift Project

Chaque semaine, nos propositions tirées de l’expertise du Shift Project pour intégrer les enjeux climatiques au débat parlementaire.

2022 | Semaine 27

Deux perspectives cette semaine dans la Gazette du carbone :

  • La première analyse la notion « d’exemplarité environnementale » en matière de rénovation énergétique du bâti existant ;
  • La seconde, plus large, met le doigt sur le manque d’ambition globale pour amorcer la transition écologique en France.
    Bonne lecture !

Sommaire

Questions émissions

Vu dans la presse

Questions émissions

en partenariat avec Logo Dixit

Dérogation aux PLU pour « exemplarité environnementale » : le cas de l'isolation par sarking

Questions émissions Mme Catherine Fabre (La République en Marche - Gironde)

Mme Catherine Fabre appelle l’attention de Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement, sur les dérogations possibles aux plans locaux d’urbanisme en matière de rénovation énergétique du bâti existant. Plus précisément, elle aimerait savoir si les techniques d’isolation par l’extérieur de la toiture (isolation par sarking) répondent à l’exigence « d’exemplarité environnementale » afin de pouvoir faire l’objet d’une dérogation aux plans locaux d’urbanisme.

La loi « Climat et résilience » de 2021 a créé dans le Code de l’urbanisme un sous-article1 qui a pour objet de fixer les limites de dérogations aux Plans Locaux d’urbanisme (PLU) par l’autorité compétente.

L’article initial avait été modifié par la loi « énergie climat » de 20192 : il donne la possibilité de déroger aux règles des PLU afin d’autoriser les travaux d’isolation, en saillie et surélévation, pour les constructions existantes. C’est dans ce contexte législatif que s’inscrit la question de Madame la Députée Catherine Fabre pose la question des dé-rogations possibles au PLU pour la rénovation énergétique des bâtiments, car le nouvel article prévoit que ces dérogations puissent porter sur la hauteur d’un bâtiment en cas « d’exemplarité environnementale ».

Par ailleurs, la notion d’« exemplarité environnementale »3 a été définie dans le Code de la Construction et de l’habitation de la manière suivante :
  • Respect d’un seuil minimal d’émissions de CO2 pour la construction, issue de l’analyse de son cycle de vie ;
  • Respect de deux critères sur trois parmi :
    • la quantité de déchets valorisés,
    • la part de matériaux faiblement émetteurs en composés organiques volatils ainsi que la qualité de la ventilation,
    • une quantité minimale de carbone stockée dans les matériaux de construction ou de décoration du bâtiment.

Ainsi cet appareil législatif a pour vocation de ne pas pénaliser les constructions innovantes, respectant les nouvelles réglementations environnementales, par rapport aux constructions traditionnelles, au niveau de la hauteur. En effet, ces constructions possèdent des épaisseurs de matériaux plus importantes, notamment au niveau des planchers, ceci également afin de ne pas limiter le nombres d’étages de ces nouvelles constructions, avec un seuil fixé à 2,5 mètres maximum de dé-passement. Il faut néanmoins noter qu’il ne sera pas possible d’ajouter un étage supplémentaire, et que ce dépassement est mis en cohérence avec des contraintes techniques : la cible voulue par le législateur avec la nouvelle définition de « l’exemplarité environnementale » est bien d’harmoniser les pratiques en conformité avec la RE20204. Ces modifications législatives offrent plus de marge de manœuvre pour faciliter l’isolation des bâtiments que les législations précédentes, notamment sur la question de la hauteur du bâti.

Qu’est ce que l’isolation par sarking ?

Concernant la technique d’isolation par l’extérieur des toitures par sarking, il s’agit d’une isolation par complexes de panneaux isolants en support de couverture7. Bien sûr, cela suppose que la char-pente existante soit apte à supporter le surcroît de chargement prévu.

Ces systèmes de panneaux servent à la fois de support de couverture, d’isolation (thermique et acoustique) et de finition intérieure. Les difficultés de cette technique résident dans le traitement des points singuliers afin qu’ils ne se transforment pas en ponts thermiques. Les isolants utilisés sont, par exemple : la mousse de polyisocyanurate (PIR), mousse polyuréthane, compositions bimatières (polyuréthane et laine minérale), mais aussi en matériaux biosourcés (fibre ou laine de bois).

Quel est l’enjeu par rapport à la neutralité carbone en 2050 ?

Actuellement, 90% des isolations thermiques par l’extérieur des toitures sont réalisées par sarking8. L’isolation des murs, toitures et planchers représentait 43% des économies d’énergie en 2019 sa-chant que 61,4 % de logements avaient bénéficié d’aides pour l’isolation des toitures, terrasses ou combles sur la totalité des logements demandant des travaux d’isolation9. Pour exemple, une maison construite avant 1974 et non isolée perd 25 à 30 % de sa chaleur par la toiture10.

Bien sûr, d’autres techniques existent pour l’isolation des toitures : l’isolation des combles non aménagés avec des isolants en rouleaux ou mis en œuvre par insufflation, ou encore l’isolation des combles par l’intérieur comprenant la pose de rouleaux ou panneaux semi rigides. Ces techniques impliquent néanmoins une diminution de la surface habitable, et la nécessité de déménager les combles le temps des travaux.

Le Plan de transformation de l’économie française du Shift Project, dans son volet « Logement », rappelle que celui-ci doit être « confortable, bien ventilé, et isolé… », et que les passoires thermiques (étiquetées F et G dans les DPE) doivent être éradiqués. En ce qui concerne la rénovation énergétique des logements, le PTEF préconise de les massifier en vue de la décarbonation de notre économie.

Quelles sont les recommandations du Shift Project ?

On peut s’appuyer d’abord sur le volet « logement » du Plan de transformation de l’économie française (PTEF) dans lequel il est rappelé que celui-ci doit être « confortable, bien ventilé, et isolé… ». Dans cette perspective, les logements dits « passoires thermiques » (étiquetées F et G dans les DPE) devraient être éradiqués. Le but des rénovations étant d’atteindre le niveau « bâtiment basse consommation ». Ces rénovations devraient être accompagnées par des aides plus faciles d’accès et plus importantes.

Ensuite, le rapport « habiter dans une société bas carbone », propose de réaliser les rénovations énergétiques des bâtiments existants « si possible en une seule fois » pour les bâtiments les plus énergivores afin de ne pas dégrader la performance du bâtiment, le système d’aide à la rénovation serait en cohérence avec ce point. Cependant, ce type de rénovation globale est actuellement marginal même si le rapport précise que les rénovations fragmentées ne sont pas techniquement idéales.

La trajectoire donnée par le PTEF a des objectifs clairs et chiffrés pour la rénovation, dont il préconise la « montée en puissance » avec l’ambitieux objectif d’atteindre un million de logements rénovés par an sur dix ans.

Pour conclure, « un signal réglementaire qui oriente la réflexion et la décision du propriétaire »11 est un élément majeur pour permettre la rénovation énergétique massive portée par le Shift Project. Les dérogations au PLU, sur la hauteur des bâtiments, pourraient permettre une mise en place plus aisée des « bouquets de travaux prédéfinis » proposé par le Shift Project. De même, la mise en place d’un outil d’accompagnement pour la rénovation, ainsi que proposé par le Shift Project dans le cadre du Passeport Efficacité énergétique (P2E), semble un moyen essentiel à la planification des travaux afin de systématiser l’approche globale de l’isolation.

1 www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFSCTA000043956945 – Article N°210

2 www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000039358686/2019-11-10/

3 www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074096/LEGISCTA000043819371?fonds=CODE&page=1&pageSize=10&query=exemplarit%C3%A9+environnementale&searchField=ALL&searchType=ALL&tab_selection=all&typePagination=DEFAULT&anchor=LEGIARTI000043890763#LEGIARTI000043890763 – Article R171-3

4 www.lemoniteur.fr/article/loi-climat-un-projet-de-decret-precise-la-derogation-aux-plu-pour-les-constructions-faisant-preuve-d-exemplarite-environnementale.2207502

5 www.anil.org/documentation-experte/analyses-juridiques-jurisprudence/analyses-juridiques/analyses-juridiques-2016/derogations-aux-regles-du-plu-pour-lisolation-par-lexterieur-ou-pour-une-protection-contre-le-rayonnement-solaire/

6 www.architectes.org/actualites/le-depassement-de-30-cm-des-constructions-en-cas-de-travaux-d-isolation-par-l-exterieur

7 REVUE COMPLEMENT TECHNIQUE – N° 76 – Septembre 2020

8 www.lemoniteur.fr/article/toiture-trois-techniques-d-isolation-par-l-exterieur.2194462

9 www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2021-05/rapport_onre_%20mai2021.pdf

10 librairie.ademe.fr/cadic/2047/guide-pratique-isoler-sa-maison.pdf?modal=false

11 theshiftproject.org/wp-content/uploads/2017/05/tsp_-_gt_renovation_thermique_du_batiment_v3.4.pdf

Liens utiles :

▲ Sommaire

Vu dans la presse

« La transition écologique n’est pas amorcée en France »

Article publié par le journal Le Monde

L’autorité environnementale (AE), entité indépendante constituée d’un collège d’experts indépendants, a rendu son rapport annuel pour l’année 2021 dans lequel elle estime que la plupart des projets d’aménagement, d’infrastructures, de plans et programmes publics ne prennent pas encore suffisamment en compte les impacts sur le climat ou la biodiversité. Philippe Ledendiv, président de l’AE, affirme même, dans un entretien pour le journal Le Monde, que la « transition écologique n’est pas amorcée en France ». Ici, l’AE dresse un sévère constat qui a de quoi alerter à l’heure où l’urgence climatique nécessite des actions fortes et concrètes pour agir en faveur de la préservation des écosystèmes et de l’habitabilité de la planète.

En 2021, l’AE a examiné 91 projets et 68 plans et programmes, une activité à la hausse par rapport aux années précédentes1. Sur les 159 avis rendus, 29 concernaient des projets d’aménagements urbains, 28 d’infrastructures de transport, 30 projets industriels (dont 10 relatifs au nucléaire). Ce rapport, dense, conclut qu’à ce stade, la prise en compte des enjeux environnementaux dans les projets est insuffisante et que les « plans et programmes ne sont pas à la hauteur de l’objectif fixé dans l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5° ». Par ailleurs, l’AE observe et regrette un recul du droit de l’environnement au prétexte d’une simplification des processus administratifs, dont le raccourcissement du délai pour rendre ses avis en est l’illustration, au détriment de l’information complète du public.

Une faible traduction en acte de la transition écologique au sein des grands projets d’aménagement et d’infrastructures

Que ce soit du côté des projets d’aménagement urbain, des infrastructures de transport (routières et ferroviaires) ainsi que des projets industriels, l’AE rappelle que l’ensemble des impacts éventuels sur l’environnement et la santé doivent avoir été étudiés. Elle insiste sur la nécessité de questionner l’utilité de tout grand projet et à évaluer ses incidences, et ce, à court comme à long terme. L’AE constate que les études d’impacts de projets s’étalant sur plusieurs années, tels que des anciennes zones d’aménagement concertés (ZAC) ou des vieux projets routiers s’avèrent insuffisamment actualisées, au préjudice de l’évaluation des conséquences environnementales et de l’objectivation des changements structurels nécessaires. La SNCF fait partie des rares porteurs de projets salués pour les améliorations méthodologiques apportées à leur étude d’impact environnemental. En outre, l’AE ne relève pas de ralentissement significatif des projets d’infrastructures et de transport avec des impacts sur la biodiversité et les zones humides.

L’AE alerte également contre les décalages croissants entre les ambitions environnementales affichées et les moyens mis en œuvre dans ces projets pour préserver les espaces naturels et lutter contre le changement climatique. A titre d’exemple, la place accordée aux mobilités douces (marche à pied, vélo etc.) dans les projets de transports en commun urbains reste encore marginale et l’intermodalité peu étudiée. Outre l’intégration d’exigences de performance énergétique parfois floues, l’absence quasiment systématique d’une prise en compte des exigences de sobriété énergétique est frappante à l’heure d’une indispensable décarbonation de l’économie. En parallèle, l’AE a examiné de nombreux projets portant sur des créations de nouveaux sites industriels présageant une augmentation de la consommation énergétique. Tout ceci nuit considérablement à l’atteinte des objectifs de neutralité carbone pour 2050.

L’adaptation au changement climatique, autre versant essentiel de la transition, n’est pas suffisamment prise en compte selon l’AE. Par exemple, la situation des stations de montagnes subissant de plein fouet le réchauffement oblige à repenser leur modèle de développement autour du ski. L’AE regrette que de nouveaux projets d’installation de remontées mécaniques, particulièrement vulnérables au changement climatique, ne s’insèrent pas dans une réflexion autour de l’adaptation. Par ailleurs, la prise en compte des enjeux d’adaptation au changement climatique en ville se limite souvent à l’instauration d’aires végétalisées dans les futurs quartiers afin de lutter contre les îlots de chaleur.

Il manque une approche systémique et intégrée des plans et programmes : peu de moyens à la hauteur des ambitions

L’examen des stratégies, plans et programmes relatifs à la planification territoriale, la gestion des ressources et l’agriculture par l’AE mène à un constat partagé que les incidences sur l’environnement ne sont pas suffisamment prises en compte de manière systémique. La stratégie française dans le cadre de la nouvelle PAC, le septième plan d’action sur les nitrates ou le plan Ecophyto, représentent aux yeux des experts de « nouvelles occasions manquées pour la France d’accompagner ses agriculteurs dans la transition vers l’agroécologie, pour une agriculture significativement moins polluante et plus résiliente face au changement climatique ». Les activités agricoles, qui représentent aujourd’hui 1/4 des émissions de GES en France, ont de nombreuses incidences sur l’environnement et risquent d’être elles-mêmes affectées par le changement climatique. A l’instar du Shift Project, l’AE incite à un développement de l’agroécologie et à la préservation du rôle protecteur et nourricier des terres agricoles par la limitation de l’artificialisation des sols.

L’AE a également été saisie de divers documents de planification pour les cinq prochaines années2. La question de la gestion de la ressource en eau, des zones humides ou des littoraux occupe une place importante dans ce rapport et l’AE s’inquiète que les risques liés à la montée du niveau de la mer et la transition énergétique ne soient pas suffisamment pris en compte dans ces stratégies. Encore une fois, l’AE recommande de mieux articuler les documents de planification entre eux à différentes échelles territoriales, tout en prévoyant des outils de mise en œuvre opérationnels et déplore le manque de vision intégrée et cohérente au regard de la résilience et de la transition écologique.

Pour conclure, ce rapport de l’AE converge avec les principaux constats du Shift Project dans le PTEF : importance de la sobriété énergétique, de l’adaptation au changement climatique, de changer de modèle agricole, de décarboner les mobilités, de limiter l’artificialisation des sols, etc3. Le triste constat posé par l’AE, à savoir que la transition écologique ne soit pas amorcée en France, ni au sein des projets ni des programmes et plans, appelle une véritable planification écologique, chère au Shift Project, qui intégrerait systématiquement les enjeux climatiques, de protection des ressources et de la biodiversité. Il est temps de mettre fin à l’inertie reproduisant les mêmes modèles, programmes, projets, financements « à bout de souffle » qui nous éloignent du triptyque « éviter-réduire-compenser » nécessaire à la transition.

1 Rapport annuel 2021 de l’Autorité environnementale, AE, 21 avril 2022 : www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ra2021-ae-v6_cle7d4d87.pdf

2 Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux, plans de gestion des risques d’inondation, documents stratégiques de façade, plan national sur la gestion des matériaux et déchets radioactifs, les carrières, la protection de l’atmosphère, la forêt et le bois, etc.

3 Climat, crises : le Plan de transformation de l’économie française (PTEF), The Shift Project, 2022, Odile Jacob

Liens utiles :

▲ Sommaire

La gazette du carbone résulte du travail des bénévoles de l'association The Shifters, essentiellement réalisé sur la base de l’expertise du Shift Project. Son objectif est d'informer sur les opportunités que présente l'arsenal juridique français pour décarboner notre société.
N’hésitez pas à faire suivre largement le lien d’abonnement de cette publication à tout⋅e personne intéressé⋅e et/ou susceptible d’influencer le débat parlementaire !

Pour réagir au contenu, demander des précisions, proposer des évolutions, contribuer à notre action vers les décideurs, une seule adresse : gazette@theshifters.org !

Vous pouvez également découvrir The Shift Project et devenir membre de l'association.

Se désinscrire de la gazette du carbone